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28.08.2019
Par Deborah Rouach
Internet a modernisé la société iranienne en transformant l’histoire sociale du pays par le biais des réseaux sociaux qui, en plus d’affecter les moyens de communication, ont des répercussions sur les modes de vie de la population, les modèles de représentation de l’individu, les formes de socialisation et d’association ainsi que sur leur portée. Le cyberespace est un instrument unique qui a accordé aux femmes la possibilité de transcender les interdits de la société et d’y instiller un élan révolutionnaire. Les réseaux sociaux dynamisent la société. Ils ont un impact médiatique, politique, social et économique favorable à la condition des Iraniennes. Le combat et le statut des femmes évoluent donc en adéquation avec les mutations de la société, dont l’usage généralisé d’Internet.
« La montée de la culture Internet est un développement important ayant des implications économiques, sociales et politiques importantes. [1]KAMRAVA Mehran and DORRAJ Manochehr, Iran Today : An encyclopedia of life in the Islamic Republic, Greenwood Press, 2008, p. 245. » Internet ne reproduit pas le système genré inégalitaire de la société iranienne et met sur un pied d’égalité ses utilisateurs. La liberté offerte par Internet répond aux aspirations de la société iranienne désirant « une plus grande liberté individuelle et un espace publique libéré de l’emprise de l’État […] La société réclame d’être autonome, d’avoir un espace pour exercer cette autonomie et, par-dessus tout, de bénéficier d’un système qui la protège de l’action arbitraire de l’État [2]COVILLE Thierry, Iran, la révolution invisible, La découverte, 2007, p. 159. ». Les réseaux sociaux permettent aux femmes d’agir en adéquation avec leur mentalité et répondent à leur volonté de dénoncer les normes archaïques relatives à leur place dans la société. Dans cette période de transition pour la société iranienne, les pratiques sur Internet sont l’expression d’une jeunesse féminine en quête de liberté et d’identité dans une société fermée et sous surveillance.
Cette aspiration à l’évolution de la société se retrouve dans les récentes pratiques amoureuses sur les réseaux sociaux qui permettent de créer de nouvelles formes de sociabilité et de développer une certaine intimité avec l’autre sexe. On constate une évolution de la drague avec le passage d’une ère des boulettes de papier échangées discrètement dans les taxis aux DMs [3]Abréviation pour « Direct Messages ». reçus sur Instagram où il est plus facile d’entretenir des relations amoureuses en se dérobant au contrôle des autorités et de la famille. Ces comportements virtuels trouvent un échos grandissant dans l’espace public où désormais il n’est pas rare de voir des couples se tenir par la main.
La solidarité affichée par certains hommes au combat des femmes contre le port du voile témoigne de cette volonté de changement partagée par une majorité de la population. Dans le cadre du mouvement « My Stealthy Freedom » des Iraniens ont posté des images d’eux voilés pour dénoncer la politique inégalitaire contre les femmes et lutter en faveur d’une politique de libéralisation des mœurs. De plus en plus d’Iraniens partagent ce désir de mettre en place une société plus égalitaire et libérale. La montée en puissance des femmes dans l’espace numérique, où leur visibilité est déjà une forme de résistance, prouve que la société iranienne entend poursuivre sur la voie d’un renouvellement des normes culturelles du pays.
L’entremêlement et la confusion entre sphère privée et publique dans le cyberespace et les relations qui y sont entretenues par la société iranienne confèrent à Internet l’image d’un espace public alternatif permettant de renverser les rapports sociaux imposés par le régime. Internet incarne une parade gênant les autorités qui essayent de « contrôler et de censurer même s’ils ne peuvent rien faire contre l’utilisation massive des réseaux sociaux [4]Entretien réalisé avec Monsieur COVILLE Thierry, mené le 25 juin 2019. ».
Les autorités ont pris conscience de l’objet de dissidence qu’Internet offre à la population. Le président Ahmadinejad va être le premier à s’y attaquer en interdisant Twitter. En 2011, le FATA, la cyberpolice de l’espace de production et d’échange d’informations est créée. La même année est lancée Cafe Bazaar, la substitution orthodoxe de Google play qui propose des applications conformes au desiderata des autorités. En 2012, le Conseil suprême de l’espace virtuel est mis en place. En 2016, le projet d’un Internet national « halal » voit le jour sous le nom de Réseau national d’information. Cet Internet « purifié » permet de reproduire les mêmes interdits existants dans la vie réelle. Leurs objectifs sont simples : garder sous contrôle la boîte de Pandore que représente Internet et éviter la création d’une société civile indépendante sur Internet en limitant l’accès aux sites dont le contenu serait jugé immoral ou obscène.
En réaction aux révoltes de janvier 2018 et au souvenir de l’instrumentalisation des réseaux sociaux lors du Mouvement vert en 2009, le régime développe des réseaux sociaux nationaux visant à limiter l’usage de ceux étrangers non contrôlés, tels que Soroush, la substitution de la messagerie Telegram et Lenzor, censé remplacer Instagram. Certes, le gouvernement s’est amélioré dans sa capacité à censurer et à surveiller Internet, comme l’ont prouvé l’interdiction de la plupart des réseaux sociaux étrangers, le contrôle du débit Internet et l’arrestation d’Internautes. Toutefois, il n’est pas encore en mesure d’espionner la société comme il le souhaite. Ces dispositions visent à empêcher les femmes d’exploiter le potentiel politique d’Internet, l’un des derniers espaces de liberté en Iran.
À travers leur compte sur les réseaux sociaux, les Iraniennes s’octroient un rôle et une place dans cet espace virtuel. Certaines vont d’ailleurs en faire une source de revenus comme les influenceuses sur Instagram ou les auto-entrepreneuses qui y font de la vente en ligne [5]Avec par exemple Aida Pooryanasab qui vend des bijoux et de l’alimentation (500 000 abonnés), Maryam Moqisé qui vend des bijoux faits mains sur mesure (100 000 abonnés) et Aryam Sinaiee qui … Continue reading. Certaines femmes étant forcées de rester au foyer en raison d’obligations culturelles et familiales, Instagram propose donc une alternative à ces femmes qui souhaitent être indépendantes financièrement et ne veulent pas être réduites à une existence qui se limite à la sphère privée. En créant une entreprise en ligne à moindre coût, les Iraniennes peuvent développer un réseau de clients sans devoir se plier aux normes sociales de la sphère publique ce qui participe activement à leur émancipation et valorise leur estime de soi. Si Instagram venait à être interdit par le gouvernement, cela impacterait sensiblement cette frange féminine d’Internautes qui a misé sur les opportunités économiques offertes par Internet.
Ainsi, Internet contribue à la justice sociale en Iran en reflétant les nouvelles réalités du XXIème siècle présentes dans la société iranienne et ce ne sont que « les exemples les plus visibles de la manière dont la culture Internet a introduit des transformations de la société iranienne qui pourraient se révéler irréversibles. [6]KAMRAVA Mehran and DORRAJ Manochehr, op. cit., p. 250. »
Pour citer cet article : Deborah Rouach, ” Comprendre les mutations qui affectent l’Iran à travers la question de la condition des femmes”, Mémoire de master, sous la direction de M. Thierry Coville, Iris Sup’, 2019, 56 p.
References
↑1 | KAMRAVA Mehran and DORRAJ Manochehr, Iran Today : An encyclopedia of life in the Islamic Republic, Greenwood Press, 2008, p. 245. |
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↑2 | COVILLE Thierry, Iran, la révolution invisible, La découverte, 2007, p. 159. |
↑3 | Abréviation pour « Direct Messages ». |
↑4 | Entretien réalisé avec Monsieur COVILLE Thierry, mené le 25 juin 2019. |
↑5 | Avec par exemple Aida Pooryanasab qui vend des bijoux et de l’alimentation (500 000 abonnés), Maryam Moqisé qui vend des bijoux faits mains sur mesure (100 000 abonnés) et Aryam Sinaiee qui propose des plats et des recettes (2700 abonnés). |
↑6 | KAMRAVA Mehran and DORRAJ Manochehr, op. cit., p. 250. |