Entre sanctions internationales et accord sur le nucléaire iranien : l’importance de l’indicateur économique pour comprendre les évolutions de la condition des femmes en Iran 2/3

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La condition des femmes sous l’accord de Vienne de 2015 et son éventuelle évolution sans le retrait des États-Unis

Illustrateur Nato Tardieu

28.08.2019

Par Deborah Rouach

La courte période où l’accord de Vienne a été effectif et respecté a représenté autant d’espoirs que de désillusions pour les Iraniennes. À travers l’analyse de cette période, nous veillerons à exposer les liens entre la condition des femmes en Iran et la politique étrangère du pays. À l’exception faite des retombées diplomatiques, économiques et politiques de l’accord, nous allons nous intéresser aux incidences sociétales de l’accord et plus particulièrement à ses conséquences sur la participation économique des Iraniennes.

L’accord sur le nucléaire iranien conclu le 14 juillet 2015 avec les cinq membres permanents du Conseil de sécurité des Nations Unies, l’Allemagne et l’Union européenne a marqué un tournant dans l’histoire de la République islamique d’Iran. Ce projet a été défendu par le président Hassan Rohani comme une réelle opportunité pour le pays. Il avait pour ambition d’attirer les investissements étrangers afin de diversifier l’économie et avoir plus d’influence dans les principales instances internationales en contrepartie de l’arrêt du programme nucléaire iranien, d’un accès libre aux installations iraniennes pour l’Agence internationale de l’énergie atomique et de la levée partielle des sanctions économiques.

Le président Hassan Rohani est connu pour ses positions réformatrices envers les femmes. « En 2013, il a déclaré qu’il ouvrirait la sphère sociale et politique aux femmes. En 2014, il est allé jusqu’à critiquer la discrimination entre les sexes et à promouvoir l’égalité [1]DAVACHI Azadeh, « What Iranian women want : rights, jobs and a seat at the table », The Conversation, 24/05/2017, disponible sur : … Continue reading ». Lors d’un entretien avec Thierry Coville, il a été souligné que la condition des Iraniennes est liée à la situation politique interne du pays. On peut donc percevoir l’accord de Vienne, qui s’inscrit dans le second mandat du président Rohani, comme une volonté d’améliorer de manière sous-jacente la condition des femmes dans le monde du travail sans que cela ne soit bloqué par les conservateurs présents au Conseil des gardiens, qui interprète les lois islamiques et a un droit de veto.

L’accord sur le nucléaire a permis au PIB de l’Iran de connaître une croissance de 12,5 % en 2016 selon le Fonds monétaire international et ce grâce à la progression des exportations pétrolières, à la stabilisation de la monnaie et à la maitrise de l’inflation. En accord avec la modernisation de la société, le gouvernement semblait prêt à minimiser le fossé qui le sépare de la société en libéralisant l’économie et en s’ouvrant au commerce mondial. En effet, « cet accord […] avait suscité de très grands espoirs au sein d’une grande partie de la population iranienne aspirant à la « normalisation » du pays sur la scène internationale. [2]KHAVAND Fereydoun, « Retour des sanctions américaines contre l’Iran : de lourds enjeux politiques et économiques », Areion24 News, 17/01/2019, disponible sur : … Continue reading » La période de l’accord, si elle fut courte, permit néanmoins d’insuffler un vent de changement dans la société et un air de modernité favorable aux droits des femmes.

En ce sens, le ministre du Travail Ali Rabiei a déclaré que « les investissements devaient se concentrer sur des secteurs qui placent les femmes comme contributrices de l’économie nationale [3] « Development Policies Should Bring Women on Board » Financial Tribune, 22/07/15, disponible sur : https://financialtribune.com/articles/people/21708/development-policies-should-bring-women-on-board ». Alors que les propos de Shahindokht Molaverdi, la vice-présidente des Femmes et des Affaires familiales, dénoncent le problème en s’attaquant de manière plus directe à son origine : « Les disparités entre les sexes sur le marché du travail se manifestent plus que jamais et nous devons assurer un équilibre entre les sexes. [4] « Development Policies Should Bring Women on Board » Financial Tribune, 22/07/15, disponible sur : https://financialtribune.com/articles/people/21708/development-policies-should-bring-women-on-board » On peut y voir une certaine prise de conscience de la part des dirigeants politiques de la nécessité d’impliquer les femmes dans le développement économique durable du pays, même si certains limitent cette participation aux femmes dont les valeurs sont islamiques. Or, comme l’exprime l’anthropologue Ziba Mir-Hosseini lors d’un entretien pour Radio Farda, « les politiques de genre de la République islamique n’offrent pas aux filles l’égalité des chances sur le marché du travail [5]« Women’s Unemployment In Iran Twice That Of Men », Spotlight On Iran, Radio Farda, 17/08/2017, disponible sur : https://en.radiofarda.com/a/iran-women-unemployment-twice/28681903.html ». De plus, les lois du travail qui protègent les femmes et promeuvent l’égalité des sexes, tel que l’article 38 de la législation du travail interdisant les mesures discriminatoires fondées sur l’âge, le sexe, la race, l’appartenance ethnique, les convictions politiques et religieuses, ne sont malheureusement pas respectées.

Leila Alikarami déclare en ce sens que « le taux de chômage des femmes diplômées de l’université est de 65,5%, ce qui signifie que 3 476 000 Iraniennes diplômées d’université ne jouent aucun rôle dans l’économie du pays [6]ALIKARAMI Leila, « Women and Iranian economy – Where is the place of women in Iran’s economy? Issue: Economy », June 2016, consulté le 23 décembre 2018, disponible sur … Continue reading ». Un changement en profondeur de la culture patriarcale en Iran est donc nécessaire pour permettre au pays de connaitre une croissance économique durable. Une étude menée par Human Rights Watch [7]SEPEHRI FAR Tara, « It’s a Men’s Club », Discrimination Against Women in Iran’s Job Market, Human Rights Watch, 25/05/2017, disponible sur : … Continue reading, publiée en 2017, expose les comportements sexistes à l’encontre des femmes dans le milieu du travail, que ce soit concernant les métiers à responsabilité, le salaire ou la grossesse des employées alors même qu’elles subissent la pression du gouvernement à travers une campagne promouvant la natalité lancée en 2014.

En raison de la courte période où l’accord a été pleinement effectif, du manque de données et de recul, il est compliqué de savoir quels ont été les impacts de l’accord sur la condition des femmes en Iran. L’accord de Vienne a néanmoins incarné la volonté du pays de s’intégrer au monde en privilégiant une dynamique de négociation avec les puissances étrangères. On peut donc penser que si l’accord avait persisté et que des effets positifs avaient commencé à se faire sentir sur la population, le président Hassan Rohani aurait pu essayer cette stratégie de négociation et de compromis avec les « durs » du régime pour faire valoir des idées moins traditionalistes concernant la condition des femmes jusqu’à la fin de son deuxième mandat.

En effet, il est intéressant de se demander comment la situation aurait évolué pour les Iraniennes sans la sortie des États-Unis de l’accord de Vienne. Le scénario aurait pu être différent pour les Iraniennes d’après le chercheur Thierry Coville, « les femmes éduquées auraient bénéficié d’une situation économique plus favorable, politiquement Hassan Rohani aurait prouvé la réussite de sa stratégie avec une situation économique meilleure pour
le pays, ce qui lui aurait donné du crédit politique en interne. Il aurait pu alors faire plus que ce qu’il n’a pas fait [8]Entretien réalisé avec Monsieur COVILLE Thierry, mené le 25 juin 2019. ».

Des changements progressifs auraient donc eu lieu et les femmes en auraient profité. Toutefois il ne faut pas penser que la situation aurait évolué drastiquement. Le système politique est strictement contrôlé donc il est difficile de faire voter des lois en faveur d’une libéralisation plus prononcée. Néanmoins, sur le long terme, le rapport de force aurait été en faveur des modérés avec l’accord de Vienne qui aurait instauré un climat de prospérité propice à un assouplissement de certaines règles. Les revendications des femmes auraient sans doute rencontré plus d’échos auprès du gouvernement car elles auraient été plus en adéquation avec la situation du pays. Les mutations, une fois initiées par le haut, auraient entrainé des conséquences immédiates sur la société comblant ainsi un manque.

Toutefois il y aurait eu un risque que les conservateurs, au vu des changements opérés au sein de la société, invoquent la mise en danger de la société iranienne musulmane et dénoncent un complot des puissances occidentales visant à transformer la société iranienne de l’intérieur. Ce constat aurait pu alors conduire les mouvances religieuses et politiques les plus traditionalistes à mener une campagne idéologique conservatrice. Mais, il aurait peut-être été trop tard pour inciter un retour en arrière alors que les avancées des mœurs sociétales auraient pris leur essor dans les mentalités. Cela reste cependant une supposition bien illusoire dans le contexte actuel où le pays est maintenu dans un état de crise par les puissances extérieures ainsi que par le gouvernement iranien lui-même.

Pour citer cet article : Deborah Rouach, ” Comprendre les mutations qui affectent l’Iran à travers la question de la condition des femmes”, Mémoire de master, sous la direction de M. Thierry Coville, Iris Sup’, 2019, 56 p.

References

References
1 DAVACHI Azadeh, « What Iranian women want : rights, jobs and a seat at the table », The Conversation, 24/05/2017, disponible sur : https://theconversation.com/what-iranian-women-want-rights-jobs-and-a-seat-at-the-table-77633
2 KHAVAND Fereydoun, « Retour des sanctions américaines contre l’Iran : de lourds enjeux politiques et économiques », Areion24 News, 17/01/2019, disponible sur : https://www.areion24.news/2019/01/17/retour-des-sanctions-americaines-contre-liran-de-lourds-enjeux-politiques-et-economiques/
3, 4 « Development Policies Should Bring Women on Board » Financial Tribune, 22/07/15, disponible sur : https://financialtribune.com/articles/people/21708/development-policies-should-bring-women-on-board
5 « Women’s Unemployment In Iran Twice That Of Men », Spotlight On Iran, Radio Farda, 17/08/2017, disponible sur : https://en.radiofarda.com/a/iran-women-unemployment-twice/28681903.html
6 ALIKARAMI Leila, « Women and Iranian economy – Where is the place of women in Iran’s economy? Issue: Economy », June 2016, consulté le 23 décembre 2018, disponible sur http://www.ihrr.org/ihrr_article/economy-en_women-and-iranian-economy-where-is-the-place-of-women-in-irans-economy/
7 SEPEHRI FAR Tara, « It’s a Men’s Club », Discrimination Against Women in Iran’s Job Market, Human Rights Watch, 25/05/2017, disponible sur : https://www.hrw.org/report/2017/05/25/its-mens-club/discrimination-against-women-irans-job-market
8 Entretien réalisé avec Monsieur COVILLE Thierry, mené le 25 juin 2019.