La politique étrangère féministe, nouvel outil d’une diplomatie efficace ?
16.07.2020
Aline Nanko Samaké
En octobre 2014, la Suède devient le premier pays au monde à lancer une politique étrangère féministe selon laquelle l’égalité entre les genres est considérée comme une question de paix et de sécurité internationales. Cette date marque la naissance du concept qui fait des droits des femmes l’un des fils conducteurs de l’action diplomatique promouvant l’application systématique d’une perspective d’égalité des genres dans toute politique étrangère. En quoi la conceptualisation de cette nouvelle approche propose un changement de paradigme dans les relations internationales qui invite à repenser la politique étrangère pour la rendre plus efficace et inclusive ?
Un concept récent
La première tentative de définition de la politique étrangère féministe date de 2018 lorsque le ministère des affaires étrangères suédoises que dirigeait Margot Wallström publie le Manuel de politique étrangère féministe. Ce manuel s’attache à déterminer les principes et méthodes de travail qui, à travers les outils diplomatiques, permettent de tendre vers l’égalité des sexes. Depuis, deux chercheuses, Lyric Thompson et Rachel Clement, ont tenté de donner une définition académique à cette approche diplomatique : « La politique étrangère féministe est la politique d’un État qui définit ses interactions avec les autres États et mouvements d’une manière qui donne la priorité à l’égalité des sexes et consacre les droits humains des femmes et d’autres groupes traditionnellement marginalisés, alloue des ressources importantes à la réalisation de cette vision et cherche, par sa mise en œuvre, à perturber les structures de pouvoir patriarcales et masculines à travers tous ses leviers d’influence (aide, commerce, défense et diplomatie), éclairée par la voix d’activistes et de mouvements féministes. »
Dans les thématiques abordées par la politique étrangère féministe on trouve la lutte contre les violences physiques, psychologiques et sexuelles, la promotion de la participation des femmes et des filles à la prévention, au règlement des conflits et à la consolidation de la paix, l’amélioration de leur participation dans tous les domaines de la société, le respect de leurs droits économiques, l’accès à l’éducation ainsi que les questions relatives aux droits et à la santé sexuels et reproductifs.
Pour la mise en place d’une telle politique, le cadre suédois propose de s’appuyer sur trois piliers :
- Les droits humains : promouvoir les droits des femmes et des filles ainsi que combattre toutes les formes de violence et de discrimination ;
- La représentation : promouvoir la participation des femmes et des filles à tous les différents niveaux des processus de décisions et favoriser l’émergence de représentantes féminines comme actrices de la politique étrangère ou comme actrices dans la société civile ;
- Les ressources : allouer les fonds nécessaires à la promotion de l’égalité de genre et des chances.
Enfin, parce qu’il est nécessaire de rendre compte de l’efficacité d’une telle politique, Margot Wallström prône l’élaboration d’outils permettant d’évaluer les impacts concrets de cette approche visant à changer les comportements.
De la nécessité d’une politique étrangère féministe
En 2018, les hommes pouvaient légalement empêcher leurs épouses de travailler dans 18 pays, 59 pays n’avaient pas de loi interdisant le harcèlement sexuel au travail et 45 ne disposaient pas d’un arsenal législatif pour protéger les femmes contre les violences domestiques. En termes d’accès aux ressources, les femmes possèdent moins de 20 % des terres et l’écart salarial entre les sexes est de 23 % à l’échelle mondiale. Concernant les violences basées sur le genre, 243 millions de femmes et de filles ont été victimes de violence sexuelle et/ou physique de la part de leur partenaire dans les 12 derniers mois et chaque année, 12 millions de mineures sont mariées de force. Quant à l’accès des femmes et des filles aux services de base comme l’éducation ou la santé, en 2019, 132 millions de filles âgées de 6 à 17 ans étaient encore privées d’école et aujourd’hui, environ 830 femmes meurent chaque jour dans les pays en développement du fait de complications liées à la grossesse ou à l’accouchement.
Les discriminations auxquelles font face les femmes et les filles dans le monde sont donc nombreuses et multidimensionnelles : inégalités socio-économiques, lois discriminantes, absence de protection juridique, déni d’accès aux services de bases, exposition à tous types de violences, etc. C’est pour réduire la vulnérabilité des femmes et des filles à ces iniquités que la politique étrangère féministe cherche à faire de l’égalité femme-homme le fil rouge de son action.
Si cette égalité est un objectif en soit, il est aussi reconnu qu’il s’agit d’un facteur déterminant pour la réalisation d’objectifs généraux tels que la paix, la sécurité et le développement durable. À titre d’exemple, la résolution 1325 du Conseil de sécurité des Nations unies adoptée en 2000 reconnaît l’importance de l’impact des conflits armés sur les femmes et les filles mais garantit surtout la protection et la pleine participation de celles-ci aux accords de paix. Au-delà du symbole et de la question démocratique qui voudraient que les femmes représentant 50 % de la population participent aux espaces de décisions, il s’agit d’une stratégie pragmatique qui impacte positivement la consolidation de la paix. L’ambassadrice de la diplomatie féministe Margot Wallström, ancienne ministre des affaires étrangères suédoise à l’origine du concept, reconnaît justement que lorsque les femmes sont impliquées dans les délégations de négociations d’accords de paix, davantage d’options sont proposées et les accords de paix sont respectés plus longtemps. Et pourtant moins de 10% des accords de paix sont signés par des femmes.
Cela ne signifie pas que la politique étrangère ne doive concerner que les femmes mais plutôt qu’il faudrait inviter les différents gouvernements à adopter une perspective qui cherche à corriger les déséquilibres de pouvoir patriarcaux historiques. Il ne s’agit pas non plus d’affirmer que les femmes ont des qualités intrinsèques et culturelles qui les rendent plus à même de gérer les questions internationales, mais plutôt de casser un entre-soi masculin persistant : une étude menée par la section Paix et Sécurité des Nations Unies portant sur 31 grands processus de paix à l’Organisation des Nations Unies entre 1992 et 2011 a révélé que seuls 9 % des négociateur∙trice∙s étaient des femmes.
La politique étrangère féministe implique donc de porter au plus haut niveau l’égalité de genre en l’abordant non comme une thématique sectorielle mais comme un enjeu international transversal qui s’applique à toutes les négociations internationales, les discussions bilatérales et les actions et financements de la solidarité internationale. Lors de la 45e édition du Sommet du Groupe des 7 (G7) en 2019, l’Allemagne, le Canada, les États-Unis, la France, l’Italie, le Japon et le Royaume-Uni ont initié le partenariat de Biarritz pour l’égalité entre les femmes et les hommes. Ce partenariat symbolise la volonté de ces pays à s’engager dans la mise en place d’une politique étrangère davantage sensible aux questions d’égalité de genre comme l’ont déjà fait la Suède, le Canada et la France. Malgré cette déclaration d’intention, les politiques mises en œuvre restent encore timides et les budgets alloués trop peu ambitieux. Cependant, l’instigatrice de la politique étrangère féministe Margot Wallström reste optimiste : « Au départ, on vous ignore. Ensuite on se moque de vous. Après on lutte contre vous. Et enfin vous gagnez. Je crois que c’est le sort de cette diplomatie féministe ».
Sources
Lyric Thompson & Rachel Clement. (2019). Définir une politique étrangère féministe. International Center for Research of Women.
Jean-Yves Le Drian et Marlène Schiappa. (2019). Pour une diplomatie féministe. Libération .
Ministry for Foreign Affairs of Sweden. (2019). Handbook Sweden’s feminist foreign policy . Stockholm: Ministry for Foreign Affairs
Olivia Gesbert. (2020, Janvier 22). Une diplomatie féministe est-elle possible ? Récupéré sur France culture: https://www.franceculture.fr/emissions/la-grande-table-idees/une-diplomatie-feministe-est-elle-possible
Organisation internationale du travail. (2016, Mai). Info Story – La discrimination entre hommes et femmes par l’égalité salariale. Récupéré sur https://www.ilo.org/infostories/fr-FR/Stories/discrimination/tackling-sex-discrimination-through-pay-equity#introduction
Organisation mondiale de la santé. (2019, Septembre 19 ). Mortalité maternelle. Récupéré sur https://www.who.int/fr/news-room/fact-sheets/detail/maternal-mortality
Plan International . (2019, Septembre 27). Caauses et conséquences des discriminations des filles face à l’éducation. Récupéré sur https://www.plan-international.fr/info/actualites/news/2016-09-23-causes-et-consequences-des-inegalites-des-filles-face-leducation
The World Bank. (2018). Women, Business and the Law. Washington, DC: World Bank Group.
UN Women. (2020). COVID-19 and Ending Violence Against Women and Girls. New York: UN Women.
UN Women, Peace and Security Section. (2015). Preventing conflict, transforming justice and securing the peace. New York: UN Women.
Pour citer cette publication : Aline Nanko Samaké, « La politique étrangère féministe, nouvel outil d’une diplomatie efficace ? », Institut du Genre en Géopolitique, 16.07.2020.