L’Italie et l’accès limité des femmes au monde du travail
Illustratrice : Yona @welcome_univers
16.07.2020
Tiziana Portase
En Italie, se réaliser dans le monde du travail est « l’affaire des hommes ». Des études mettent en évidence les différences qui existent sur le lieu de travail entre hommes et femmes.
L’existence de différences entre les sexes n’est évidemment pas nouvelle, mais il est surprenant de constater qu’encore en 2019, dans un pays du premier monde comme l’Italie, 32,5 % des personnes interrogées, ayant entre 18 et 74 ans, pensent que « se réaliser sur le lieu de travail est une affaire d’hommes », selon une étude de l’ISTAT sur les stéréotypes sexuels.
Mais c’est l’analyse de Nielsen dans « Diversità e ruoli di Genere in Italia e nel Mondo » (Diversité et rôles des sexes en Italie et dans le monde) qui met encore plus en lumière les différences entre les sexes en Italie. En effet, 70% des femmes interrogées sont d’accord avec l’affirmation suivante : « Les femmes ont moins de chances d’être prises en considération pour des postes de direction » ; 67% pensent que « Les femmes dirigeantes doivent travailler plus dur pour prouver leurs compétences » et 76% pensent que devenir parent a un impact plus important sur la carrière d’une femme que sur celle d’un homme.
Ce qui se cache réellement derrière ces pourcentages : le témoignage de S.M., opératrice audiovisuelle. Elle nous a raconté son combat pour se faire une place dans un monde uniquement masculin.
Voulez-vous parler de votre expérience en tant qu’opératrice audiovisuelle en Italie ? Y a-t-il des différences significatives avec votre expérience en France ?
En Italie, le monde du cinéma et de la télévision est caractérisé par la forte présence des hommes par rapport aux femmes. Au cours de ma carrière, j’ai rarement vu des assistantes. Même en France, il existe des différences, moins visibles qu’en Italie, mais toujours présentes, par exemple les blagues sexistes ou les différences de budget entre hommes et femmes.
J’ai étudié à l’Accademia Internazionale delle Arti e delle Scienze delle immagini (L’Aquila, Italie) et dès l’âge de 19 ans, j’ai commencé à remarquer les premières différences : les filles participaient souvent passivement aux leçons, dans le sens où elles se contentaient de regarder. Elles n’étaient pas invitées sur le tournage comme c’était le cas pour les hommes.
Je ne digère toujours pas la discrimination que j’ai subie à l’école , surtout en ce qui concerne un professeur spécifique. Il décourageait les femmes qui veulent faire carrière comme directeur de la photographie en donnant la priorité aux garçons.
Au cours de mon expérience professionnelle en Italie, j’ai pu constater que les hommes ayant moins d’expérience que moi avaient accès à certains rôles plus facilement que moi et j’ai également pu constater la présence de différences salariales apparemment injustifiées.
Tant pendant mes études que pendant mon expérience, cela m’a dérangée de ne pas être prise en considération dans de nombreuses situations, mais je n’ai jamais pensé que je n’étais pas à la hauteur de ces rôles.
Connaissez-vous d’autres personnes, directement ou indirectement, qui ont vécu des expériences similaires ?
Oui, ce type de discrimination est très présent dans ce domaine mais aussi dans d’autres. Je fais partie d’un groupe d’écoute appelé « Femme à la Caméra » dans lequel nous avons récemment pu discuter des difficultés que nous, les femmes, rencontrons dans ce domaine et, d’après les expériences racontées par mes collègues, j’ai pu constater que la discrimination fondée sur le sexe est beaucoup plus fréquente que vous ne pouvez l’imaginer et qu’elle est présente partout.
Comment avez-vous vécu ces expériences sur le plan psychologique ? Pensez-vous qu’elles ont eu un impact sur vos proches ?
Heureusement, mes deux parents sont féministes et je me suis toujours sentie soutenue dans mon choix de travailler dans le monde du cinéma. Je leur ai toujours fait comprendre que pendant mes études, je n’avais pas les mêmes droits et privilèges que les autres et ils ne m’ont jamais dit d’accepter cela, j’ai toujours maintenu un esprit de rébellion et j’ai toujours eu le soutien de mes proches.
Les différences entre hommes et femmes sur le lieu de travail ne concernent pas seulement l’évolution de la carrière des femmes, mais aussi les salaires
Bien que le taux d’emploi des femmes ait augmenté ces dernières années en Italie (+ 5,8% depuis 2008), l’écart entre les salaires perçus et les salaires réels reste évident. Le journal italien La Repubblica mentionne que « Selon le Gender Gap Report 2019 (rapport sur l’écart entre les sexes 2019), réalisé par l’Observatoire JobPricing avec Spring Professional, à travail égal avec un collègue masculin, en Italie, c’est comme si une femme commençait à gagner de l’argent à partir de la seconde moitié de février : de 2016 à 2018, l’écart salarial a diminué de 2,7%, mais il reste important, de 2 700 euros bruts par an,soit 10% de plus pour les hommes[1]Raffaele Ricciardi, “Gender gap, le donne presentano il conto”, 20 janvier 2020, La Repubblica, https://www.repubblica.it/economia/miojob/lavoro/2019/07/08/news/gender_gap_jobpricing-230640204/».
Pour les experts, cette différence est due au fait que plus d’hommes ont accès à des postes de haut niveau, bien que de 2008 à 2018, le pourcentage de femmes cadres ait augmenté de 5 points pour atteindre 32%.
Le secteur financier est celui dans lequel cette différence est la plus évidente. En effet, le salaire moyen annuel des hommes est de 45 339 euros contre 36 708 euros pour les femmes. L’écart salarial n’est que de 1% pour le secteur agricole, où la différence moyenne de salaire est d’un peu plus de deux cents euros (le salaire moyen d’un homme est de 23 974 euros, celui d’une femme de 23 730).
La situation est favorable aux femmes dans la construction et les services publics. En ce qui concerne le premier secteur, le salaire moyen des femmes est de 32 485 euros contre 26 571 euros pour les hommes (la différence est de 18,2 %) ; en ce qui concerne les services publics, le salaire moyen des femmes est de 4,2 % supérieur à celui des hommes (les femmes gagnent 33 683 euros, contre 32 275 euros pour les hommes).
Alessandro Fiorelli, directeur général de JobPricing, souligne que les différences entre hommes et femmes sur le lieu de travail diminuent principalement grâce à des mesures législatives. Par exemple, la loi sur les Quote Rosa (quotas roses) approuvée en 2011, prévoit qu’à partir de 2012, les conseils d’administration des sociétés cotées en bourse et des sociétés à participation publique doivent être composés d’un cinquième de femmes, voire d’un tiers à partir de 2015. Mais cet écart a malheureusement des racines culturelles et que de nombreux stéréotypes sont difficiles à éliminer.
Sources
Raffaele Ricciardi, Gender gap, le donne presentano il conto, La Repubblica, 20 janvier 2020 Disponible à l’adresse : https://www.repubblica.it/economia/miojob/lavoro/2019/07/08/news/gender_gap_jobpricing-230640204/
Diversità e ruoli di genere in Italia e nel mondo, Nielsen, 11 octobre 2017 Disponible à l’adresse : https://www.nielsen.com/it/it/insights/report/2017/diversity-and-gender-roles-in-italy-and-around-the-world/#
Team communication, Istat, stereotipi di genere: il successo nel lavoro è ancora considerato roba da uomini, Valore D, 25 novembre 2019 Disponible à l’adresse : https://valored.it/news/istat-stereotipi-di-genere-2019/
Michaela Cappellini, L’uomo o la donna: chi lava i piatti e chi porta a casa lo stipendio nell’Italia del 2017?, Il Sole 24 Ore, 27 septembre 2017 Disponible à l’
adresse : https://alleyoop.ilsole24ore.com/2017/09/27/luomo-o-la-donna-chi-lava-i-piatti-e-chi-porta-a-casa-lo-stipendio-nellitalia-del-2017/
References
↑1 | Raffaele Ricciardi, “Gender gap, le donne presentano il conto”, 20 janvier 2020, La Repubblica, https://www.repubblica.it/economia/miojob/lavoro/2019/07/08/news/gender_gap_jobpricing-230640204/ |
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