Les législations sud-américaines contre les violences obstétricales : résultat d’une mobilisation précoce

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Les législations sud-américaines contre les violences obstétricales : résultat d’une mobilisation précoce

22.07.2020
Lola Favre
Le terme de violence obstétricale est d’abord apparu en Amérique Latine au début des années 2000 (violencia obstetrica), alors qu’il apparait une dizaine d’années plus tard en France. Il serait issu d’une longue histoire et d’un activisme global mené autant par le personnel soignant, que par les ONG ou encore les mouvements féministes locaux. Cette région du monde semble donc avoir été en avance concernant les violences obstétricales, notamment avec plusieurs pays ayant légiféré précisément sur leur prise en compte. Que disent ces lois ? Pourquoi ont-elles d’abord émergé là-bas ? Quelle est la réalité de leur application ? Voici les questionnements qui chemineront cet article.
Que disent les lois sud-américaines ?
En Amérique du Sud, plusieurs pays ont légiféré précisément sur les violences obstétricales dans le but de les combattre. Le premier d’entre eux fut le Venezuela en 2007 ce qui donna ensuite l’élan à d’autres pays tels que l’Argentine, le Brésil et plusieurs États du Mexique (le Durango, le Veracruz, le Guanajuato et le Chiapas).
Au Venezuela la « loi sur le droit des femmes à une vie sans violence[1]BOUBAKRI Basma, HENRION Caroline, LAZARD Alexandre, Nouvelles femmes : ce qui change, disponible sur … Continue reading », déclare que « l’appropriation du corps et des processus reproductifs des femmes par le personnel de santé, qui se manifeste par : un traitement déshumanisant, un abus de médicalisation et une pathologisation de processus naturels, entraînant une perte d’autonomie et de capacité de décision libre sur son corps et sa sexualité, affectent négativement la qualité de vie des femmes[2]BOUBAKRI Basma, HENRION Caroline, LAZARD Alexandre, Nouvelles femmes : ce qui change, disponible sur … Continue reading ».
La même idée se retrouve dans une loi argentine de 2009 : « La violence obstétricale est celle exercée par le personnel de santé sur le corps et les processus reproductifs des femmes, exprimée par un traitement déshumanisant, un abus de médicalisation et une pathologisation des processus naturels[3]BOUBAKRI Basma, HENRION Caroline, LAZARD Alexandre, Nouvelles femmes : ce qui change, disponible sur … Continue reading ».
La loi brésilienne se distingue un peu des deux précédentes en précisant que les violences obstétricales peuvent également être commises par des membres de la famille ou par les accompagnant.e.s.
Depuis 2011, l’État du Chiapas au Mexique dispose également d’une « loi pour l’accès à une vie libre de violence pour les femmes[4]EL KOTNI Mounia, “La place du consentement dans les expériences de violences obstétricales au Mexique”, Autrepart, 2018, n°85, pages 39 à 55». Si cette dernière définit les violences obstétricales de manière assez similaire aux lois vénézuélienne et argentine (un traitement déshumanisé, un abus de la pathologisation et de la médicalisation), elle met davantage l’accent sur le consentement des parturientes en prévoyant notamment de la prison et une amende pour toute personne qui « altère le processus naturel à travers l’utilisation de techniques d’accélération [de l’accouchement], sans obtenir le consentement volontaire, explicite et éclairé de la femme[5]EL KOTNI Mounia, “La place du consentement dans les expériences de violences obstétricales au Mexique”, Autrepart, 2018, n°85, p. 39-55 ».
Ces législations rendent les pays concernés novateurs et avant-gardistes par rapport à d’autres. Rappelons par exemple qu’en France il n’existe aucune loi qui protège explicitement les femmes contre les violences obstétricales.
Pourquoi ce problème a-t-il émergé dans cette région du monde ?
Il semblerait que les mouvements contre les violences obstétricales aient commencé dans les années 1990 en Amérique Latine et se soient amplifiés dans les années 2000. Ils se seraient constitués dans un contexte d’importation de « l’objectif zéro mort[6]CUSSET François, “La camisole biopolitique”, in Le déchainement du monde : logique nouvelle de la violence, Paris, La Découverte, 2018 », volonté venue d’Amérique du Nord et d’Europe. Cet objectif consiste à mettre tout en œuvre pour diminuer la mortalité lors des naissances et implique une forte médicalisation contre laquelle les mouvements latino-américains entendaient lutter. Si l’importation de méthodes de soins modernes en Amérique Latine pour les femmes a été bien reçue, la crainte portait sur le risque de surmédicalisation et de pathologisation de l’accouchement, un processus pourtant naturel. Initialement, le mouvement pour l’humanisation de la maternité s’est d’ailleurs développé au sein des instances de santé publique et en particulier dans les maternités publiques, ces dernières étant les premières concernées par l’avancée des techniques de prise en charge de l’accouchement. L’on note d’ailleurs ici une différence fondamentale avec les actions contre les violences obstétricales dans d’autres régions du monde dans lesquelles ces mouvements émergent souvent en opposition au système en place dans les instances de santé publique. En Amérique Latine, au contraire, nous constatons que les revendications sont venues de « l’intérieur », c’est-à-dire du milieu médical, même si l’initiative était également portée par des militant.e.s de la société civile et des ONG. C’est donc pour militer contre l’importation des standards européens et américains de prise en charge de la naissance que s’est formé le Réseau Latino-Américain et Caribéen pour l’Humanisation de la Naissance et que de manière générale s’est érigé un mouvement contre les violences obstétricales. Ses militant.e.s ont ainsi contribué à créer un véritable réseau de revendications transnational à l’échelle du continent sud-américain.
L’idéologie de ce mouvement consiste à rejeter une approche de l’accouchement vu comme dangereux et pathologique et qui implique, par conséquent, une certaine technicité et une forte médicalisation. Le retour à un accouchement plus naturel est donc promu. Concrètement, la mobilisation autour de l’humanisation de la naissance a permis de mettre en place des mesures telles que le droit à avoir une accompagnatrice pendant l’accouchement, le droit de visite du père en dehors des horaires réglementaires ou l’introduction des sages-femmes pendant l’accouchement. La promotion de l’allaitement était également au cœur des revendications puisque cela permet de réduire la mortalité infantile. Plus récemment, les législations des pays dont sont issues les lois sur les violences obstétricales citées précédemment, sont probablement aussi une conséquence directe de ces mobilisations.
Réalité de l’efficacité de ces lois
En raison d’un manque de sources françaises sur l’application des lois contre les violences obstétricales de la plupart des pays d’Amérique Latine, nous n’étudierons ici que le cas de la loi du Chiapas (Mexique) pour lequel nous avons des données grâce aux travaux de Mounia El Kotni[7]EL KOTNI Mounia, “La place du consentement dans les expériences de violences obstétricales au Mexique”, Autrepart, 2018, n°85, p. 39-55 et EL KOTNI Mounia, “Maltraitance des corps et mépris … Continue reading.
Si le fait d’avoir une loi protégeant et luttant contre les violences obstétricales est une avancée majeure, reste à savoir si cette loi s’applique efficacement dans la réalité. Comme dit précédemment, la loi mexicaine du Chiapas a mis l’accent sur l’obtention du consentement pour lutter contre les violences obstétricales. Or, il s’avère finalement que cela est compliqué à appliquer et à respecter parce que les conditions d’expression et de recueil du consentement de la parturiente ne sont pas toujours réunies.
Tout d’abord, la barrière de la langue est un frein important dans cet État qui compte le plus grand nombre de personnes indigènes. Ainsi, souvent médecins et parturientes ne parlent pas la même langue.
La loi du Chiapas nécessite en outre d’avoir des patientes informées qui peuvent alors consentir en toute connaissance de cause. Or ce n’est la plupart du temps pas le cas des femmes en condition de pauvreté qui accouchent dans les maternités publiques et qui n’ont pas accès à ces informations (l’Etat du Chiapas est un des plus pauvres du Mexique).
Enfin, les patientes indigènes sont aussi confrontées à un racisme systémique qui est porteur de violence. Ces femmes font en effet l’objet d’un mépris socio-culturel quant à leur pratique traditionnelle d’accouchement. Les femmes mayas, par exemple, accouchent près d’un feu et le plus vêtues possible, ce qui est radicalement différent du froid de l’hôpital et de la quasi-nudité appliquée devant le personnel soignant. De plus, les Mayas n’effectuent quasiment pas de touchers vaginaux considérés comme des actes agressifs qui peuvent donc être vécus comme des violences dans les maternités publiques mexicaines. Cette non-considération des différences culturelles, accompagnée parfois du mépris non dissimulé du personnel soignant entraînent donc des violences qui ne sont pas prises en compte dans la loi. Face à ce problème, une nouvelle génération de sages-femmes est formée dont la vocation est de faire le pont entre les patientes et leurs médecins.
Ainsi, il peut paraître regrettable que la loi du Chiapas se concentre davantage sur l’obtention du consentement qui peut être manipulable et qui ne suffit pas à éliminer les risques de violence et moins sur l’amélioration matérielle et relationnelle de la prise en charge des patientes.
Conclusion
Il est indéniable que l’avancée législative des pays d’Amérique Latine sur les sujets des violences obstétricales est le résultat d’une large mobilisation, forte de la diversité de ses acteurs. Il semblerait que la raison pour laquelle cette mobilisation soit apparue en premier dans cette région du monde est sans doute la différence culturelle. En effet, la culture occidentale est caractérisée par la volonté d’aller toujours plus loin dans les savoirs et les techniques médicales, ce qui est sans doute moins le cas en Amérique du Sud et qui expliquerait que la surenchère de la médicalisation de l’accouchement ait été crainte. L’on peut peut-être également y voir un rejet de l’habitude occidentale, fruit de la colonisation, d’exporter ses savoirs sur le reste du globe, comme s’ils étaient les seuls valables.
Sources
BOUBAKRI Basma, HENRION Caroline, LAZARD Alexandre, Nouvelles femmes : ce qui change, disponible sur https://www.irasf.org/wp-content/uploads/2018/11/Emergence-violences-obstetricales-IRASF-SEXOGYN.pdf, consulté le 15/07/2020
CUSSET François, “La camisole biopolitique”, in Le déchainement du monde : logique nouvelle de la violence, Paris, La Découverte, 2018
EL KOTNI Mounia, “La place du consentement dans les expériences de violences obstétricales au Mexique”, Autrepart, 2018, n°85, pages 39 à 55.
EL KOTNI Mounia, “Maltraitance des corps et mépris des pratiques culturelles”, Actualité Sages-Femmes, n°93, 2018
FAYA ROBLES Alfonsina, “L’« humanisation de l’accouchement et de la naissance au Brésil » : de nouveaux dispositifs de régulation des corps des femmes pauvres ?” Lien social et Politiques, 2009, n°59, pages 115 à 124
FRANECZECK Marie-Laure, “Violence obstétricale : essai de définition à partir de la littérature scientifique”, Gynécologie et obstétrique, 2018, Dumas-01946490
GAUTIER Arlette, “Les violences de genre : théories, définitions et politiques”, Autrepart, 2018 , n°85, pages 3 à 18.
MACIAS Amandine, “Perception du débat sur les violences obstétricales par les professionnels, sages femmes et gynécologues-obstétriciens”, Gynécologie et obstétrique, 2019, Dumas-02301776
Pour citer cette publication : Lola Favre, « Les législations sud-américaines contre les violences obstétricales : résultat d’une mobilisation précoce », Institut du Genre en Géopolitique, 22.07.2020.

References

References
1 BOUBAKRI Basma, HENRION Caroline, LAZARD Alexandre, Nouvelles femmes : ce qui change, disponible sur https://www.irasf.org/wp-content/uploads/2018/11/Emergence-violences-obstetricales-IRASF-SEXOGYN.pdf, consulté le 15/07/2020
2, 3 BOUBAKRI Basma, HENRION Caroline, LAZARD Alexandre, Nouvelles femmes : ce qui change, disponible sur https://www.irasf.org/wp-content/uploads/2018/11/Emergence-violences-obstetricales-IRASF-SEXOGYN.pdf, consulté le 15/07/2020
4 EL KOTNI Mounia, “La place du consentement dans les expériences de violences obstétricales au Mexique”, Autrepart, 2018, n°85, pages 39 à 55
5 EL KOTNI Mounia, “La place du consentement dans les expériences de violences obstétricales au Mexique”, Autrepart, 2018, n°85, p. 39-55
6 CUSSET François, “La camisole biopolitique”, in Le déchainement du monde : logique nouvelle de la violence, Paris, La Découverte, 2018
7 EL KOTNI Mounia, “La place du consentement dans les expériences de violences obstétricales au Mexique”, Autrepart, 2018, n°85, p. 39-55 et EL KOTNI Mounia, “Maltraitance des corps et mépris des pratiques culturelles”, Actualité Sages-Femmes, n°93, 2018