Genre et sécurité dans les camps de réfugiés

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Genre et sécurité dans les camps de réfugiés

20.09.2020

Ecrit par Inès Daoudi 

Traduit en français par Laure Jousselin

Considérant cette cause comme annonciatrice de la vulnérabilité des femmes, le HCR (l’Agence des Nations Unies pour les réfugiés) a concentré son action au cours des vingt dernières années sur la question des violences contre les femmes réfugiées. En effet, ce n’est qu’au milieu des années 1980 que le genre a commencé à faire partie des priorités internationales. Les femmes représentent pourtant l’écrasante majorité des personnes adultes déplacées internes (IDP) et des réfugié.e.s[1]Rogaia Mustafa Abusharaf, Transforming Displaced Women in Sudan, Politics and the Body in a Squatter Settlement, Chicago and London, The University of Chicago Press, 2009, p114-115 . Selon la Déclaration sur l’élimination de la violence à l’égard des femmes de 1993[2]United Nations Assembly, the Declaration on the Elimination of Violence against Women, 1993, elles ont le droit, parmi d’autres, au meilleur état de santé physique possible et à ne pas être soumises à des traitements cruels, inhumains ou dégradants. De plus, la Déclaration affirme que les États ont l’obligation de protéger les femmes, même réfugiées, et de leur permettre de jouir de ces droits. En 1998, un article sur les « femmes réfugiées » a été adopté pour souligner la particularité de leur situation. Le besoin de promouvoir les femmes en tant qu’actrices des programmes pour les réfugié.e.s et non plus comme de simples bénéficiaires a également été reconnu.

En réalité, les femmes réfugiées constituent un sujet de préoccupation spécifique du point de vue de la sécurité. Elles sont particulièrement vulnérables aux violences sexuelles et sexistes dans les situations de conflits et d’après-conflits. Pour les femmes réfugiées, l’insécurité qui fait suite à un conflit se traduit par leur vulnérabilité face aux violences sexuelles, à la traite et à l’asservissement au sein des camps de réfugié.e.s. Néanmoins, les masculinités des réfugiés seront prises en compte dans cet article afin de présenter une approche complète de l’insécurité des femmes dans les camps de réfugié.e.s.

Nous présenterons une analyse sexospécifique, qui traitera des interactions entre femmes et hommes dans leur contexte social et culturel propre et ne se concentrera pas uniquement sur l’étude du sort des femmes de façon isolée[3]Heather McLean, Gender and power-structures in refugee camps: social changes following refugee movements, Asia Pacific Press, 1999, p 4 . Nous expliquerons dans un premier temps les différentes problématiques de sécurité et leurs origines, puis nous décrirons les stratégies mises en place pour y faire face et enfin traiterons de la détermination à y remédier. Plusieurs pays et/ou camps de réfugié.e.s au sein de ces pays seront cités à titre d’exemple pour illustrer notre propos, notamment le Soudan, le camp Dzaleka au Malawi, le camp Kakuma au Kenya, la Jordanie et le Liban.

Responsables de la collecte des aides, les femmes sont les plus touchées par l’insécurité

L’insécurité et l’approvisionnement sont des thématiques connues dans les camps de réfugié.e.s et ont une incidence différente pour les femmes et les hommes.

Tout d’abord, les sites de distribution de denrées alimentaires ou non alimentaires sont considérés comme la deuxième zone la plus à risque d’agression physique pour les femmes adultes après leur espace de vie. Pourtant, ce sont principalement les femmes qui partent à la recherche d’eau et de nourriture. La répartition sexuée des tâches dictée par la culture et/ou la religion explique cette situation. Les longues files d’attente pour obtenir la nourriture durant lesquelles les femmes sont « l’objet de sollicitations non désirées » constituent le principal enjeu[4]Dale Buscher and Melissa Gurumurthi, Gender in action: successes and shortfalls in the Syrian refugees’ crisis, 2014 . De plus, les points de collecte d’eau représentent des lieux de violence, tout particulièrement lors des périodes de sécheresse (où l’attente peut être de 2 à 3 heures[5]Ashley Ramier, Life for Women in a Refugee Camp in Malawi: Understanding Perceptions of Security and Insecurity, Ottawa, 2016, p. 68 ). L’absence de points de forage et l’augmentation de la population peuvent expliquer ce phénomène. Pourtant, dans certains camps (au Malawi notamment), nul besoin pour les hommes de faire la queue, ils se placent directement en tête de file en raison du privilège qu’ils pensent détenir du simple fait d’être homme (telles sont les conséquences d’une société patriarcale). De plus, « autour des points d’eaux et de collecte d’eau, on note souvent des agressions physiques et verbales entre femmes réfugiées »[6]Ashley Ramier, Life for Women in a Refugee Camp in Malawi: Understanding Perceptions of Security and Insecurity, Ottawa, 2016, p 68 et les « femmes considérées comme faibles, physiquement et socialement, ou qui sont isolées»[7]Ibid., p 69, évitent naturellement les attaques verbales ou physiques. C’est pourquoi certaines d’entre elles préféreront s’approvisionner en eau la nuit, rendant le risque d’agression physique ou sexuelle plus élevé[8]Ibid., p 69-70..

Il faut également noter qu’il en va de même pour la collecte de bois de chauffe : la plupart du temps les rations alimentaires sont distribuées sans combustibles de cuisine et les réfugié.e.s doivent aller chercher du bois pour chauffer leur nourriture. Dans de nombreuses sociétés, la cuisine est une tâche domestique, autrement dit dévolue aux femmes. À cet égard, les femmes réfugiées sont donc contraintes de trouver du bois ou du charbon pour cuisiner le repas familial. Cela peut s’avérer très dangereux, car elles doivent parfois sortir du camp lorsqu’il n’y a pas de bois aux alentours et sont souvent agressées par les populations locales[9] Ibid., p 24.

Par ailleurs, les réfugié.e.s contribuent à la déforestation et à la dégradation de l’environnement, ce qui provoque un accroissement des tensions entre la population locale et communautés déplacées tendant souvent à cibler les femmes déplacées[10]Ibid., p 89.

Malgré l’engagement du HCR à fournir des produits d’hygiène intime, un récent rapport a souligné que « leur manque posait un problème sérieux pour la majorité des femmes et jeunes filles réfugiées. L’absence de financement en est la raison. Sur certains sites, il n’y en a tout simplement pas et dans d’autres la quantité et la qualité ne sont pas au rendez-vous[11]UNHCR, « Survivors, Protectors, Providers: Refugee Women Speak Out », 2006, p 54». Les besoins des femmes et jeunes filles sont satisfaits dans moins de 20 % des camps de réfugié.e.s dans le monde[12]UNHCR, 2006, in Jane Friedman, Gendering the International Asylum and the Refugee Debate, Palgrave Macmillan, 2017, p 68 . La distribution de denrées non alimentaires telles que les couches ou les protections périodiques est inexistante, car les femmes en charge du foyer ne peuvent laisser leurs enfants seuls pour se rendre aux points de collecte. Certaines organisations tentent de rendre visite aux femmes pour leur distribuer directement mais ce n’est pas encore le cas dans toutes les régions du monde.

De plus, « lors d’une distribution de produits non alimentaires pour les groupes de réfugiés vulnérables par le HCR, la majeure partie des rations est accaparée par les hommes[13]Ashley Ramier, Life for Women in a Refugee Camp in Malawi: Understanding Perceptions of Security and Insecurity, Ottawa, 20
16, p 88
». Ceci illustre tout d’abord les difficultés pour les femmes, les personnes âgées et les orphelins à obtenir ce qui leur est nécessaire mais révèle surtout l’incapacité des organisations dans les camps à assurer leur sécurité.

Enfin, dernier élément et non des moindres, la nécessité d’apporter un soutien psychologique et psychosocial urgent aux hommes et aux femmes dans les camps de réfugié.e.s se fait sentir. Cette aide existe seulement dans quelques rares camps et de nombreuses femmes, particulièrement les jeunes filles, n’y ont pas accès, car elles sont assignées au foyer pour des raisons culturelles ou de sécurité.

Les violences et les mécanismes d’adaptation

La migration forcée et l’exil engendrent la destruction du noyau familial et des communautés et peuvent être vécus comme un désastre pour les victimes.

Tout d’abord, les hommes perdent leur rôle de soutien de famille (car ils dépendent de l’aide humanitaire) et sont incapables d’assurer l’une de leurs « responsabilités d’hommes » comme la protection de leur famille ; une importante frustration en résulte pour certains hommes dont la plupart adoptent des comportements destructeurs tels que la violence sexuelle et sexiste (SGBV)[14]Simon Turner, Victims of Chaos and Subaltern Sexualities? Some Reflections on Common Assumption about Displacement and the Prevalence of Sexual and Gender-Based Violence, p 50 in Susanne … Continue reading comme des mécanismes d’adaptation pour faire face à la crise d’identité de genre et notamment au sentiment d’émasculation qu’ils vivent. Les pères et les frères sont à l’initiative de ces mécanismes d’adaptation et sont suivis par le reste de la famille. L’adaptation est définie par Lazarus et Folkman, comme « les efforts cognitifs et comportementaux destinés à maîtriser, réduire ou tolérer les exigences internes et/ou externes qui menacent ou dépassent les ressources d’un individu. »[15]Richard S. Lazarus and Susan Folkman, Stress, Appraisal, and Coping, New York, Springer, 1984, p 141. Un rapport de recherche d’Oxfam intitulé « Préservation et mécanisme de survie des réfugié.e.s syriens et des communautés autochtones au Liban » démontre que les stratégies de survie sont diverses et passent de la dépense de l’épargne à la vente de biens, à l’emploi, au recours à l’assistance, à l’emprunt, au partage des ressources et aux transferts d’argent[16]Fatmeh Alzoubi, Ahmed Smadi, Yazeed Mohammad Gougazeh, “Coping Strategies used by Syrian Refugees in Jordan”, pp 1-26, Clinical Nursing Research, December 2017, p 12.Selon une autre étude menée par l’Université jordanienne des sciences et de la technologie et l’Université américaine de Madaba, l’échange avec les pairs, ainsi que la religion et la prière font également partie des mécanismes de survie[17]Oxfam, Self-Protection and Coping Strategies of Refugees from Syria and Host Communities in Lebanon, Oxfam Research Report, July 2015, p 3. Pourtant, lorsque les hommes sont absents, les mères et les sœurs deviennent cheffes de famille et c’est donc sur elles que reposent ces stratégies d’adaptation pour assurer la survie. De nombreuses femmes alors en charge de leur destin pour la première fois découvrent une certaine indépendance, éprouvent le désir de progresser dans leurs vies, de ne pas dépendre exclusivement de l’aide humanitaire et veulent subvenir à leurs propres besoins ainsi que celui de leur famille[18]Cécile Dubernet, “An Introduction to Forced Migration Issues”, Institut Catholique de Paris, Paris, 2017-2018. D’un autre côté, en plus des dangers que représente l’insécurité, il leur est très difficile d’accéder à l’indépendance économique. Dans certains cas, les femmes font appel à la fois à la sphère privée et publique pour assurer leur survie et multiplient ainsi par deux leur charge. La subordination des femmes, et plus généralement l’inégalité des sexes reproduite et perpétrée à plus grande échelle et dans un contexte de violence, constitue le principal problème.

De plus, les violences sont par nature clairement orientées selon les sexes : les hommes sont la plupart du temps battus, emprisonnés ou tués tandis que les femmes sont violées par des personnes se trouvant dans le camp mais également à l’extérieur[19]Amy R. Friedman, Rape and Domestic Violence: The Experience of Refugee Women, the Haworth Press, 1992, p 67  Men are also victims of raped and it cannot be denied but the point here is to show … Continue reading. Le viol a toujours été une violence sexuelle en temps de guerre et sert d’arme psychologique qui peut représenter un moyen, parmi d’autres, d’humilier l’ennemi. Il s’agit évidemment d’une souffrance pour la victime mais c’est également une façon de jeter le déshonneur sur les hommes (en tant que collectif d’une société patriarcale) qui ne peuvent assurer la protection de leurs épouses.

Rappelons d’ailleurs que ces actions restent pratiquement impunies. En effet, contre une somme d’argent versé aux policiers corrompus, les violeurs ressortent libres. Parfois, les policiers exigent même des faveurs sexuelles en échange de services : c’est le cas dans le camp de Dzaleka où la police malawi « est le principal accusé dans les allégations de corruption » et elle « est aussi susceptible de forcer les femmes à se prostituer ».[20]Ashley Ramier, Life for Women in a Refugee Camp in Malawi: Understanding Perceptions of Security and Insecurity, Ottawa, 2016, p 75-76. Il arrive que les victimes ne dénoncent même pas les faits et gardent le silence sur ce qui leur est arrivé[21]Ibid., p 75 , car elles n’ont pas confiance dans les institutions qui les représentent. Certaines femmes préfèrent la justice traditionnelle à la justice officielle. Citons l’exemple des femmes somaliennes qui ne se fient pas au système juridique kényan et préfèrent laisser l’affaire aux mains des tribunaux traditionnels mashlaha pour résoudre un conflit[22]Claire Waithira Mwangi, Women Refugees and Sexual Violence in Kakuma Camp, Kenya, Invisible rights, justice, protracted protection and human insecurity, The Hague, 2012, p. 21. Pourtant, la peine pour le viol d’une jeune fille vierge est plus lourde que pour une femme mariée et le violeur a également la possibilité d’épouser la victime, ce qui constitue bien entendu une violation des droits de la femme.

La prostitution forcée est une autre forme de violence contre les femmes (exploitation sexuelle) mais correspond aussi à une stratégie de survie. Souvent exercée sous la pression des hommes qui disposent de biens ou de denrées dont les femmes ont besoin, la prostitution forcée est vue comme le seul moyen d’obtenir de la nourriture, d’échapper aux coups et d’acquérir le nécessaire pour elles- mêmes et leur famille[23]Ashley Ramier, Life for Women in a Refugee Camp in Malawi: Understanding Perceptions of Security and Insecurity, Ottawa, 2016, p 65 . Très souvent, les réfugié.e.s n’ont pas la possibilité de travailler légalement dans le pays d’accueil et ont donc recours à différentes stratégies de survie dans les camps. En Ouganda, à Kiryandongo, les femmes séchaient les légumes au soleil et les stockaient ainsi, vendaient les animaux domestiques et la volaille pour acheter de la nourriture, partaient à la recherche de fruits sauvages et ajoutaient beaucoup d’eau à leur plat pour en augmenter la quantité[24]Deborah Mulumba, Women Refugees in Uganda, Gender Relations, Livelihood Security and Reproductive Aid, Palgrave Macmillan, 2010, p 302. Le mariag
e avec un homme du camp est une autre stratégie de survie. Il s’agit principalement d’assurer sa sécurité financière mais cela présente des inconvénients sérieux. Dans ce même camp de réfugié.e.s ougandais, les jeunes filles préféraient se marier plutôt que d’aller à l’école[25]Ibid., p 310. Pourtant, les risques de grossesse précoce et difficile et de maltraitance de la part du mari sont plus élevés pour les jeunes épouses. De plus, si elles sont nombreuses à vouloir se marier, la majorité d’entre elles subissent des unions forcées.

Plusieurs solutions ont été mises en place par les organisations internationales et les ONG mais les enjeux demeurent

Les institutions et les mesures appliquées sont essentielles pour garantir l’égalité de traitement des femmes réfugiées.
L’état hôte est responsable de la sécurité à l’intérieur et à l’extérieur du camp de réfugié.e.s. Ainsi, la gestion des camps devient souvent la responsabilité du HCR. En 1989, la Commission des femmes pour les réfugié.e.s a été créée pour améliorer et protéger les droits des femmes, des enfants et jeunes déplacés en raison de conflits ou de crises. Cette commission partage son expertise sur les besoins des femmes et enfants réfugié.e.s et met en place des mesures visant à les protéger et à les responsabiliser. En 1990, le HCR a rédigé « La politique envers les femmes réfugiées »[26]UNHCR, The Policy on Refugee Women, 1990, « Les lignes directrices pour la protection des femmes réfugiées» en 1991[27]UNHCR, The Guidelines on the Protection of Refugee Women, 1991, et « Violence sexuelle et sexiste contre les réfugiés, les personnes déplacées intérieurement et les rapatriés – directives pour la prévention et l’intervention » en 2003[28]UNHCR, The Guidelines for Sexual and Gender-based Violence against Refugees, Returnees, and Internally Displaced Persons, 2003. Deux manuels ont été publiés en 2006 et 2008 : le guide des genres pour les actions humanitaires par le Comité permanent interorganisations[29]UNHCR, An Inter-Agency Standing Committee Gender Handbook in Humanitarian Action, 2006, et le manuel du HCR pour la protection des femmes et filles[30]UNHCR, The UNHCR Handbook for the Protection of Women and Girls, 2008. Les préconisations du HCR promeuvent la participation des femmes réfugiées dans la vie des camps en respectant les normes culturelles de façon à susciter l’acceptation par tous. Pourtant, la résistance existe encore de la part des hommes et des femmes.

De plus, le Comité permanent interorganisations, en collaboration avec le Conseil norvégien pour les réfugié.e.s, a créé en 1997 l’Equipe volante de spécialistes de l’égalité des sexes. Cette équipe a pour but de favoriser et de renforcer la compétence des organisations humanitaires pour promouvoir l’égalité et garantir que les différents besoins des femmes, des filles, des garçons et des hommes tous âges confondus sont considérés dans leurs actions nationales, régionales et internationales.

En 2019, l’Organisation mondiale pour les migrations (OIM) a rédigé un « manuel d’urgence sur les violences sexistes en situation de crises[31]IOM, “Gender-based Violence in Crisis”, Emergency Manual, 2019» qui témoigne de la volonté de mettre l’accent sur ce type de violence. Comme nous l’avons précédemment évoqué, la structure des camps de réfugié.e.s peut constituer une source d’insécurité pour les femmes réfugiées (leur vie quotidienne dans les camps étant régie et rythmée par la collecte d’eau et de nourriture).

C’est pourquoi, l’organisation de l’espace du camp structure la gestion du temps des femmes et façonne les routines sociales et les stratégies mises en place pour générer des revenus[32]Ashley Ramier, Life for Women in a Refugee Camp in Malawi: Understanding Perceptions of Security and Insecurity, Ottawa, 2016, p 26. La problématique centrale réside dans la conception des camps. En effet, ils sont établis pour faciliter les tâches administratives du HCR ou d’autres organisations humanitaires qui gèrent le camp et non pour rendre la vie plus aisée aux réfugié.e.s qui s’y trouvent. Le défi serait de considérer les besoins des femmes réfugiées dès la création.

Par ailleurs, les organisations d’aide humanitaire impliquent et soutiennent les organisations féministes et de défense des droits des femmes localement pour favoriser l’autonomisation des femmes et des jeunes filles[33]Dale Buscher and Melissa Gurumurthi, Gender in action: successes and shortfalls in the Syrian refugees’ crisis, 2014 . Les agences humanitaires emploient habituellement de jeunes hommes au sein des camps de réfugié.e.s ce qui procure davantage de sécurité physique et économique à ces derniers. En revanche, les femmes réfugiées sont employées essentiellement dans les affaires de santé des camps pour les programmes de nourriture ou d’assistance aux naissances notamment[34]Ashley Ramier, Life for Women in a Refugee Camp in Malawi: Understanding Perceptions of Security and Insecurity, Ottawa, 2016, p 27 .

On pourrait considérer cela comme une discrimination sur le lieu de travail, néanmoins certaines d’entre-elles refusent de voir un médecin homme ou leur mari refuse qu’elles soient examinées par un homme. Il est primordial de travailler avec les femmes pour remédier à cela. Bien que la participation des femmes soit devenue une stratégie de gouvernance élémentaire dans les camps de réfugié.e.s et qu’en découle la promotion de l’égalité des sexes, la réalité n’en demeure pas moins que le statut des femmes réfugiées est souvent instrumentalisé afin d’atteindre des objectifs humanitaires. Une passivité perçue chez les femmes ou l’échec à participer selon les modalités attendues par les organisations humanitaires sont souvent évoqués et perçus comme un problème. [35]Elisabeth Olivius, “Displacing Equality? Women’s Participation and Humanitarian Aid Effectiveness in Refugee Camps”, Refugee Survey Quaterly, Vol 33, Issue 33, Sept 2014, pp 93-1017 in Ashley … Continue reading.

Dans ces circonstances, il est nécessaire plus que jamais d’aider à l’autonomisation des femmes réfugiées. Des programmes de formation professionnelle pour les jeunes hommes et les femmes déscolarisés existent, mais ils suivent une approche stéréotypée des genres : coiffure et bijouterie pour les femmes et menuiserie et agriculture pour les hommes. Il est encourageant de constater que de nombreuses organisations proposent des formations en langues et en informatique à la fois pour les femmes et les hommes[36]Dale Buscher and Melissa Gurumurthi, Gender in action: successes and shortfalls in the Syrian refugees’ crisis, 2014 . On pourrait cependant se demander si dans ce contexte l’approche stéréotypée est vraiment préjudiciable. En effet, c’est une façon pour les familles de laisser leurs filles suivre ces activités en dehors du foyer. Voir les femmes et les filles comme initiatrices du changement plutôt qu’uniquement comme des victimes constitue un potentiel de transformation sociale sur lequel les agences humanitaires peuvent capitaliser. Dans les nombreux échanges organisés par Rogaia Mustafa Abusharaf, les femmes déplacées se sont dites intéressées par ce que les ONG nomment des « projets de renforcement des capacités »[37]Rogaia Mustafa Abusharaf, Transforming Displaced Women in Sudan, Politics and the Body in a Squatter Settlement, Chicago and London, The University of Chicago Press, 2009, p 49. Elles souh
aitent développer des compétences telles que la couture, la dactylographie ou la petite production marchande et emprunter un capital de démarrage pour créer de petites entreprises afin de subvenir à leurs besoins et celui de leur famille. Elles apprécient les « programmes d’autonomisation » qui leur donne accès à l’information et aux ressources nécessaires pour prendre des décisions de manière indépendante et agir de leur propre chef[38]Rogaia Mustafa Abusharaf, Transforming Displaced Women in Sudan, Politics and the Body in a Squatter Settlement, Chicago and London, The University of Chicago Press, 2009, p 49

Les institutions pour les réfugié.e.s et les réfugié.e.s eux-mêmes doivent reconnaître que les réponses aux besoins des femmes vont au-delà de la garantie d’une représentation égale dans la direction et la prise de décision. En revanche, la participation doit revêtir un sens, être répartie de façon égalitaire et éviter l’implication uniquement symbolique des femmes. Les femmes réfugiées doivent être impliquées dans les processus de décision et pouvoir faire part de leurs idées sans crainte. Par ailleurs, le temps est venu pour les organisations de travailler plus étroitement avec les hommes et les jeunes garçons sur la question de l’égalité et des violences sexuelles et sexistes. En effet, l’intégration des hommes aux décisions et programmes en faveur de la promotion des droits des femmes dans les camps des réfugié.e.s est essentielle pour traiter les sentiments d’émasculation (particulièrement lors des violences sexuelles et sexistes) afin de parvenir à l’égalité des sexes et à une meilleure sécurité des femmes au sein des camps. Notons que pour garantir le succès de ces mesures et programmes, les droits des femmes doivent tout d’abord être enseignés aux hommes[39]Ashley Ramier, Life for Women in a Refugee Camp in Malawi: Understanding Perceptions of Security and Insecurity, Ottawa, 2016, p 29 . Toutefois, il est intéressant de voir que certains hommes des groupes dominants dans les camps de réfugié.e.s considèrent parfois ces initiatives comme des sources de désordre social et moral. On peut expliquer ce phénomène par le fait que les femmes réfugiées ont ainsi accès à des emplois dans des ONG et deviennent alors le soutien de famille ce qui menace l’équilibre relationnel installé et la perception des hommes de leurs rôles et de celui de leur partenaire féminine. Ainsi, nombre d’hommes réfugiés conservent des rôles genrés et une répartition des tâches établie sur la subordination de la femme au sein de la famille, ce qui mine tous les efforts visant à plus d’égalité relationnelle.

Conclusion

Les problématiques de genre et de sécurité dans les camps de réfugié.e.s doivent se comprendre comme un tout et non comme un sujet distinct. En effet, si les hommes et les femmes sont liés, les besoins des femmes sont différents de ceux des hommes. Les femmes et les jeunes filles sont plus vulnérables aux violences et ont besoin d’infrastructures spécifiques. Travailler de concert avec les réfugié.e.s est crucial pour obtenir des changements durables et positifs et se révèle riche d’initiatives. C’est pourquoi, de nombreuses ONG qui travaillent avec les réfugié.e.s et les personnes déplacées connaissent les problématiques de genre et mettent en place les réponses spécifiques pour y faire face. De plus, « la présence opérationnelle dans les camps de réfugié.e.s permet également aux ONG de les impliquer dans tous les aspects de l’organisation et la distribution des produits de secours et des denrées[40]Henk Van Goethem, “NGOs in Refugee Protection: An Unrecognized Resource”, Mai 2003, Humanitarian Practice Network ». Pourtant, certains « pourraient s’inquiéter de la mise en danger de leur neutralité et de leur indépendance organisationnelle en développant des initiatives de protection. D’autres, sont mal à l’aise et craignent de brouiller les répartitions traditionnelles des tâches avec les donateurs (souvent le HCR)[41]Ibid. ». À ce stade, le HCR seul ne parvient pas à respecter ses obligations et le mandat de l’OIM n’englobe pas les réfugié.e.s mais uniquement les flux migratoires, c’est pourquoi « des efforts conjoints s’appuyant sur les forces de chaque membre de la communauté humanitaire sont vitaux pour la garantie des droits des réfugiés[42]Ibid. ». Si on note des progrès au fil des ans, les défis demeurent de taille.

Bibliographie (liens consultés le 01/09/2020)

Ouvrages :

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Recherches et articles de thèse :

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Sites internet :

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Disponible sur : https://www.humanitarianresponse.info/en/coordination/gencap 

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Disponible sur : https://odihpn.org/magazine/ngos-in-refugee-protection-an-unrecognised-resource/

Site internet de l’Inter-Agency Standing Committee
Disponible sur : https://interagencystandingcommittee.org/

Site internet de Women’s Refugee Commission
Disponible sur : https://www.womensrefugeecommission.org/ 

Pour citer cet article : Inès DAOUDI, « Genre et sécurité dans les camps de réfugiés », 20.09.2020, Institut du Genre en Géopolitique.

References

References
1 Rogaia Mustafa Abusharaf, Transforming Displaced Women in Sudan, Politics and the Body in a Squatter Settlement, Chicago and London, The University of Chicago Press, 2009, p114-115
2 United Nations Assembly, the Declaration on the Elimination of Violence against Women, 1993
3 Heather McLean, Gender and power-structures in refugee camps: social changes following refugee movements, Asia Pacific Press, 1999, p 4
4, 33, 36 Dale Buscher and Melissa Gurumurthi, Gender in action: successes and shortfalls in the Syrian refugees’ crisis, 2014
5 Ashley Ramier, Life for Women in a Refugee Camp in Malawi: Understanding Perceptions of Security and Insecurity, Ottawa, 2016, p. 68
6 Ashley Ramier, Life for Women in a Refugee Camp in Malawi: Understanding Perceptions of Security and Insecurity, Ottawa, 2016, p 68
7 Ibid., p 69
8 Ibid., p 69-70.
9 Ibid., p 24
10 Ibid., p 89
11 UNHCR, « Survivors, Protectors, Providers: Refugee Women Speak Out », 2006, p 54
12 UNHCR, 2006, in Jane Friedman, Gendering the International Asylum and the Refugee Debate, Palgrave Macmillan, 2017, p 68
13 Ashley Ramier, Life for Women in a Refugee Camp in Malawi: Understanding Perceptions of Security and Insecurity, Ottawa, 20
16, p 88
14 Simon Turner, Victims of Chaos and Subaltern Sexualities? Some Reflections on Common Assumption about Displacement and the Prevalence of Sexual and Gender-Based Violence, p 50 in Susanne Buckley-Zistel, Ulrike Krause, Gender, Violence, Refugees, New York, Oxford, Berghahn Books, 2017
15 Richard S. Lazarus and Susan Folkman, Stress, Appraisal, and Coping, New York, Springer, 1984, p 141
16 Fatmeh Alzoubi, Ahmed Smadi, Yazeed Mohammad Gougazeh, “Coping Strategies used by Syrian Refugees in Jordan”, pp 1-26, Clinical Nursing Research, December 2017, p 12
17 Oxfam, Self-Protection and Coping Strategies of Refugees from Syria and Host Communities in Lebanon, Oxfam Research Report, July 2015, p 3
18 Cécile Dubernet, “An Introduction to Forced Migration Issues”, Institut Catholique de Paris, Paris, 2017-2018
19 Amy R. Friedman, Rape and Domestic Violence: The Experience of Refugee Women, the Haworth Press, 1992, p 67  Men are also victims of raped and it cannot be denied but the point here is to show that women are more affected.
20 Ashley Ramier, Life for Women in a Refugee Camp in Malawi: Understanding Perceptions of Security and Insecurity, Ottawa, 2016, p 75-76
21 Ibid., p 75
22 Claire Waithira Mwangi, Women Refugees and Sexual Violence in Kakuma Camp, Kenya, Invisible rights, justice, protracted protection and human insecurity, The Hague, 2012, p. 21
23 Ashley Ramier, Life for Women in a Refugee Camp in Malawi: Understanding Perceptions of Security and Insecurity, Ottawa, 2016, p 65
24 Deborah Mulumba, Women Refugees in Uganda, Gender Relations, Livelihood Security and Reproductive Aid, Palgrave Macmillan, 2010, p 302
25 Ibid., p 310
26 UNHCR, The Policy on Refugee Women, 1990
27 UNHCR, The Guidelines on the Protection of Refugee Women, 1991
28 UNHCR, The Guidelines for Sexual and Gender-based Violence against Refugees, Returnees, and Internally Displaced Persons, 2003
29 UNHCR, An Inter-Agency Standing Committee Gender Handbook in Humanitarian Action, 2006
30 UNHCR, The UNHCR Handbook for the Protection of Women and Girls, 2008
31 IOM, “Gender-based Violence in Crisis”, Emergency Manual, 2019
32 Ashley Ramier, Life for Women in a Refugee Camp in Malawi: Understanding Perceptions of Security and Insecurity, Ottawa, 2016, p 26
34 Ashley Ramier, Life for Women in a Refugee Camp in Malawi: Understanding Perceptions of Security and Insecurity, Ottawa, 2016, p 27
35 Elisabeth Olivius, “Displacing Equality? Women’s Participation and Humanitarian Aid Effectiveness in Refugee Camps”, Refugee Survey Quaterly, Vol 33, Issue 33, Sept 2014, pp 93-1017 in Ashley Ramier, Life for Women in a Refugee Camp in Malawi: Understanding Perceptions of Security and Insecurity, Ottawa, 2016, p. 24
37 Rogaia Mustafa Abusharaf, Transforming Displaced Women in Sudan, Politics and the Body in a Squatter Settlement, Chicago and London, The University of Chicago Press, 2009, p 49
38 Rogaia Mustafa Abusharaf, Transforming Displaced Women in Sudan, Politics and the Body in a Squatter Settlement, Chicago and London, The University of Chicago Press, 2009, p 49
39 Ashley Ramier, Life for Women in a Refugee Camp in Malawi: Understanding Perceptions of Security and Insecurity, Ottawa, 2016, p 29
40 Henk Van Goethem, “NGOs in Refugee Protection: An Unrecognized Resource”, Mai 2003, Humanitarian Practice Network
41, 42 Ibid.