La prostitution des mineur.e.s en Thaïlande : conséquence d’un tourisme sexuel de masse
03.10.2020
Lola Favre
La Thaïlande est une destination de rêve pour beaucoup d’amoureux du voyage. Si depuis des années ce pays attire les touristes du monde entier, ce n’est pas seulement pour la beauté de ses paysages mais également pour son offre de prostitué.e.s, que recherchent les personnes que l’on nommera donc les touristes sexuels. Quelles réalités se cachent derrière ce phénomène ? Nous chercherons à découvrir comment le tourisme de masse a engendré une industrie de l’exploitation sexuelle dans laquelle sont impliqués des milliers d’enfants, avec un regard spécifique sur la situation en Thaïlande, un des pôles majeurs de ce trafic.
Tourisme sexuel et exploitation sexuelle des enfants : un phénomène mondial
Commençons par quelques éléments de définition. Le tourisme sexuel infantile désigne un voyage effectué par une personne, ou un groupe de personnes, dans le but d’avoir des relations sexuelles avec des mineur.e.s. Quant au commerce de l’exploitation sexuelle des enfants, ce terme regroupe tous les phénomènes d’exploitations lucratives des enfants à des fins sexuelles tels que la prostitution infantile, les abus sexuels sur mineur.e.s, le trafic d’enfants pour exploitation sexuelle et l’exploitation sexuelle dans le cadre du tourisme etc.
Le tourisme sexuel et le commerce d’exploitations sexuelles des enfants sont des phénomènes mondiaux. L’Organisation Internationale pour les Migrations (OIM) estime que 20% des 600 millions de voyages internationaux annuels sont liés au tourisme sexuel. 3% d’entre eux sont motivés par une recherche de mineur.e.s, ce qui équivaut à trois millions de personnes voyageant dans ce seul but.[1]SIGAUD Dominique, La malédiction d’être fille, Paris, Albin Michel, pages 201. Selon l’UNICEF, un million d’enfants entrent chaque année dans l’industrie du commerce sexuel.[2]POULIN Richard, “La mondialisation du marché du sexe”, 2002, Actuel Marx, n°31, pages 109 à 122. Aussi, entre deux et trois millions de mineur.e.s sont tous les ans victimes d’exploitations sexuelles à des fins touristiques dans le monde.[3]MICHEL Franck, “Faits, effets et méfaits du tourisme sexuel dans le monde”, 2013, Revue internationale et stratégique, n°90, pages 145 à 152. Enfin, selon des chiffres de 2014, un tiers des victimes de trafic humain dans le monde est impliqué dans l’exploitation sexuelle, la majorité étant des filles thaïlandaises et laotiennes.[4]UNICEF, Situational analysis of the commercial sexual exploitation of children Thailand, novembre 2015, URL : https://www.ecpat.org/wp-content/uploads/2016/04/SITAN_THAILAND_ENG_FINAL.pdf
Un phénomène fruit de la mondialisation et de la démocratisation du tourisme de masse
La mondialisation a été un facteur contributif au développement du commerce sexuel, puisqu’elle a permis son industrialisation, sa banalisation et sa diffusion massive à l’échelle mondiale. De plus, sous l’impact d’une économie libérale encouragée par le gouvernement thaïlandais, les femmes et les enfants sont devenus de “nouvelles matières brutes”[5]Idem., des marchandises ayant l’avantage d’être à la fois des biens (les corps) et des services (les services sexuels). C’est parce qu’il y a marchandisation des corps que l’on peut alors parler d’une forme moderne d’esclavage dans laquelle les femmes et les enfants subissent une exploitation systémique. Le commerce de l’exploitation sexuelle se diffuse ensuite sur trois niveaux : local, régional et mondial.
Contraints de rembourser des dettes, certains États, en Asie ou en Amérique Latine notamment, ont été encouragés par des organisations internationales telles que le FMI ou la Banque Mondiale à développer leur offre touristique et de divertissement. Si le but n’était pas de pousser les États à développer leur offre prostitutionnelle, cela a dans la réalité provoqué le décollage officieux de l’industrie du commerce sexuel. Les États l’ont peu entravé tant elle apportait de bénéfices économiques. On peut parler en ce sens d’une réelle stratégie de développement.[6]POULIN Richard, “La mondialisation du marché du sexe” Actuel Marx, 2002, n°31, pages 109 à 122
La démocratisation du tourisme et sa massification ont largement renforcé cette industrie qui génère des milliards de dollars si bien qu’aujourd’hui, l’industrie touristique tire profit de l’industrie du commerce sexuel. Les chaines hôtelières, les compagnies aériennes ou les États enregistrent des bénéfices sur la consommation des touristes sexuels. En 1998, l’Organisation Internationale du Travail (OIT) estimait que la prostitution représentait entre 2 et 14% du PIB de la Thaïlande[7]POULIN Richard, “La marchandisation prostitutionnelle mondiale, violence, marché et crime organisé”, 2004, Les temps modernes, n°626, pages 191 à 214. Le développement du tourisme sexuel est tel qu’aujourd’hui que des tours opérateurs en proposent[8]MICHEL Franck, “Le tourisme sexuel en Thaïlande : une prostitution entre misère et mondialisation”, 2003, Teoros, n°22, pages 22 à 28..
La Thaïlande, une destination phare du tourisme sexuel
La Thaïlande est depuis longtemps une destination touristique très populaire pour les voyageurs du monde entier. En effet, Bangkok a été la ville la plus visitée en 2013.[9]UNICEF, Situational analysis of the commercial sexual exploitation of children Thailand, novembre 2015, URL : https://www.ecpat.org/wp-content/uploads/2016/04/SITAN_THAILAND_ENG_FINAL.pdf Or, à mesure que le tourisme augmente, le risque d’exploitation sexuelle des enfants augmente également. Pour preuve, c’est en Thaïlande qu’il y aurait le plus d’abus sexuels sur mineur.e.s commis par des touristes.[10]MICHEL Franck, “Faits, effets et méfaits du tourisme sexuel dans le monde”, 2013, Revue internationale et stratégique, n°90, pages 145 à 152.
Bien que la prostitution soit illégale en Thaïlande, dans la réalité des services sexuels sont proposés très librement, y compris des services avec des enfants. Par conséquent, le pays est aussi une destination de premier choix pour les touristes sexuels, et plus particulièrement les villes de Pattaya, Phuket et Bangkok.
La plupart des touristes sexuels sont des hommes, seul un touriste sexuel sur dix est une femme.[11]UNICEF, Situational analysis of the commercial sexual exploitation of children Thailand, novembre 2015, URL : https://www.ecpat.org/wp-content/uploads/2016/04/SITAN_THAILAND_ENG_FINAL.pdfDeux types de profil des touristes sexuels d’enfants sont distingués. Les premiers seraient des touristes que l’on peut qualifier d’opportunistes. Ce sont des voyageurs qui ne sont pas venus avec l’intention ferme d’avoir des rapports tarifés avec des enfants, et qui n’ont d’ailleurs pas d’intérêt particulier à leur égard mais qui saisissent l’occasion de profiter d’un enfant vulnérable. En revanche, pour les seconds, ce sont des personnes ayant une préférence avérée pour les enfants et voyageant avec l’intention de commettre des actes pédophiles.
Selon le rapporteur spécial du protocole relatif à la vente d’enfants, la prostitution infantile et la pornographie infantile (Optional Protocol on the sale of children, child prostitution and child pornography), les Australiens formeraient le groupe le plus important de touristes sexuels, repré
sentant 31% de leur totalité en 2012.[12]Idem. L’ONG FACE (Fight Against Child Exploiation) a également identifié en 2009 que la majorité des touristes sexuels vient de Finlande, de France, d’Allemagne, de Norvège, du Suède et du Royaume Uni.[13]Idem.
Si la Thaïlande est aussi attractive pour les touristes sexuels, c’est parce qu’il est facile et peu cher de s’y offrir des services sexuels, qu’il s’agisse d’enfants ou d’adultes.
La prostitution infantile y est, par conséquent, massive
Les données sur le nombre d’enfants concernés par la prostitution infantile et l’exploitation sexuelle sont variées, toutefois toutes révèlent un phénomène massif. Selon des chiffres de 2001, 25 000 à 30 000 filles de moins de 15 ans et 30 à 50 000 garçons ou jeunes hommes répondent aux besoins d’une clientèle pédophile et/ou homosexuelle en Thaïlande.[14]MICHEL Franck, “Le tourisme sexuel en Thaïlande : une prostitution entre misère et mondialisation”, 2003, Teoros, n°22, pages 22 à 28. En 2007, il a été rapporté que 60 000 jeunes de moins de 18 ans seraient impliqués dans le système prostitutionnel, ce qui équivaut à 40% de l’ensemble des personnes se prostituant dans le pays.[15]ECPAT International, Status of action against commercial sexual exploitation of children, Thaïland, 2011, URL : https://www.ecpat.org/wp-content/uploads/2016/04/a4a_v2_eap_thailand_1.pdfDans certaines régions, comme Pattaya, Phuket ou encore le nord de la Thaïlande, les enfants, et particulièrement ceux issus des minorités ethniques, sont vulnérables. Les enfants des rues sont les principales cibles des exploitants et des producteurs de pornographie infantile. À Pattaya en 2015, 90% des 200 enfants des rues étaient des victimes d’exploitation sexuelle[16]UNICEF, Situational analysis of the commercial sexual exploitation of children Thailand, novembre 2015, URL : https://www.ecpat.org/wp-content/uploads/2016/04/SITAN_THAILAND_ENG_FINAL.pdf. Il s’agissait majoritairement de garçons âgés de 12 à 17 ans.[17]UNICEF, Situational analysis of the commercial sexual exploitation of children Thailand, novembre 2015, URL : https://www.ecpat.org/wp-content/uploads/2016/04/SITAN_THAILAND_ENG_FINAL.pdf
La prostitution en Thaïlande englobe aussi bien les filles que les garçons, même si les données concernant les garçons sont davantage manquantes. La pauvreté semble rester le principal facteur d’entrée dans la prostitution. La prostitution des enfants rapporte plus que celle des adultes, c’est pourquoi certaines familles prostituent leurs enfants pour subvenir à leurs besoins. Cependant, il semblerait également que certains enfants ou adolescent.e.s se prostituent de leur propre volonté pour s’offrir les biens de consommation qu’il.elle.s ne pourraient se payer autrement, ou pour payer leurs frais de scolarité pour l’Université.
Un pôle majeur du trafic et de l’exploitation sexuelle d’enfants
Avec un marché s’étendant sur les niveaux local, régional et international, l’exploitation sexuelle permet à la Thaïlande d’être à la fois une source de trafic, puisque des enfants thaïs sont envoyé.e.s vers le Japon, la Malaisie ou Hong Kong, un pays transit avec chaque année près d’un quart de millions de femmes et d’enfants d’Asie du Sud-Est qui y est acheté,[18]POULIN Richard, “La mondialisation du marché du sexe”, 2002, Actuel Marx, n°31, pages 109 à 122. et une destination pour les abus sexuels envers les enfants.
Selon l’UNICEF, le trafic d’enfants thaïs à des fins de prostitution au sein même du pays a baissé, au profit du trafic d’enfants étrangers, venant notamment du Cambodge, du Laos et du Myanmar. L’ouverture des frontières a permis à des jeunes, filles notamment, d’origine étrangère de venir au pays de l’éternel sourire dans l’espoir de s’enrichir. Les trafiquants leur promettent un travail dans la restauration par exemple, mais en réalité elles se trouvent propulsées tout droit dans l’industrie du sexe. Immigrées et clandestines, elles deviennent alors des esclaves sexuelles.
Conclusion : lutter contre la prostitution des enfants dans le cadre du tourisme sexuel
Les États signataires de la Convention relative aux droits de l’enfant des Nations Unies, dont fait partie la Thaïlande, se sont engagés à prendre des mesures pour empêcher “que les enfants ne soient incités ou contraints à se livrer à une activité sexuelle illégale ; que des enfants ne soient exploités à des fins de prostitution ou autres pratiques sexuelles illégales ; que des enfants ne soient exploités aux fins de la production de spectacles ou de matériel de caractère pornographique”.[19]Convention Internationale des droits de l’enfant, UNICEF, 1989, URL : https://www.unicef.fr/sites/default/files/convention-des-droits-de-lenfant.pdf Concernant la Thaïlande, le gouvernement semble prendre des mesures pour respecter ces engagements. En effet, nombreux sont les textes nationaux censés protéger les enfants de la prostitution infantile, à l’image de la loi sur la prévention et la répression de la prostitution (1996), du Code Pénal, de la loi sur la protection de l’enfance (2003), de la loi de promotion du développement des enfants et des jeunes (2007) et de la loi contre la traite des personnes (2015).
S’il a été reconnu que la Thaïlande avait créé des outils pour agir en faveur de la protection des enfants, un rapport de l’UNICEF a aussi relevé que ces derniers manquent de détails, concernant les procédures, qui nécessiteraient de faire l’objet de décrets ou de directives. Le rapport note également un manque de savoirs pratiques et théoriques de la part des gouvernants sur les problèmes rencontrés par les enfants et un manque de coopération interministérielle, ce qui nuit au bien fondé des politiques menées. Enfin, les moyens financiers octroyés sont insuffisants. En 2012, le Ministère en charge de ces questions n’a obtenu que 0,4% du budget national total.[20]UNICEF, Situational analysis of the commercial sexual exploitation of children Thailand, novembre 2015, URL : https://www.ecpat.org/wp-content/uploads/2016/04/SITAN_THAILAND_ENG_FINAL.pdf
Les engagements sont donc encore loin d’être respectés, d’autant plus que, si la prostitution est illégale en Thaïlande, elle se trouve en fait largement tolérée, du fait, entre autres, qu’elle soit une industrie vitale l’économie.[21]POULIN Richard, “La marchandisation prostitutionnelle mondiale, violence, marché et crime organisé”, 2004, Les temps modernes, n°626, pages 191 à 214. Les mesures restent peu efficaces car elles sont ignorées tant par les trafiquants de l’industrie du sexe, que par les touristes et le gouvernement lui-même qui ferme les yeux.[22]LAU Carmen, “Child prostitution in Thailand”, 2008, Journal of Child Health Care, volume 12, pages 144 à 155. En outre, un phénomène à la rentabilité économique facile et forte est difficile à enrayer. Les organisations internationales telles que l’ECPAT (End Child Prostitution, Child Pornography and trafficking of children for sexual purposes), l’Organisation Mondiale du Travail ou l’UNICEF œuvrent contre le tourisme sexuel des enfants
en menant un combat en faveur de l’application des textes internationaux mais se heurtent encore à de nombreux obstacles.
Ces dernières années, il semblerait que les destinations majeures du tourisme sexuel se déplacent vers des pays où le système législatif est moins contraignant et peu contrôlé, comme le Cambodge ou le Laos. Un phénomène qui nous rappelle que la vigilance et la lutte contre cette pratique ne doivent pas cesser.
Bibliographie :
Ouvrage :
- SIGAUD Dominique, La malédiction d’être fille, Paris, Albin Michel, 2019
Articles :
- LAU Carmen, “Child prostitution in Thailand”, 2008, Journal of Child Health Care, volume 12, pages 144 à 155.
- MICHEL Franck, “Faits, effets et méfaits du tourisme sexuel dans le monde”, 2013, Revue internationale et stratégique, n°90, pages 145 à 152
- MICHEL Franck, “Le tourisme sexuel en Thaïlande : une prostitution entre misère et mondialisation”, 2003, Teoros, n°22, pages 22 à 28.
- POULIN Richard, “La mondialisation du marché du sexe”, 2002, Actuel Marx, n°31, pages 109 à 122.
- POULIN Richard, “La marchandisation prostitutionnelle mondiale, violence, marché et crime organisé”, 2004, Les temps modernes, n°626, pages 191 à 214
Rapports :
- ECPAT International, Status of action against commercial sexual exploitation of children, Thaïland, 2011, URL : https://www.ecpat.org/wp-content/uploads/2016/04/a4a_v2_eap_thailand_1.pdf
- UNICEF, Situational analysis of the commercial sexual exploitation of children Thailand, novembre 2015, URL : https://www.ecpat.org/wp-content/uploads/2016/04/SITAN_THAILAND_ENG_FINAL.pdf
Texte de droit international :
- Convention Internationale des droits de l’enfant, UNICEF, 1989, URL : https://www.unicef.fr/sites/default/files/convention-des-droits-de-lenfant.pdf
Pour citer cet article : FAVRE Lola, « La prostitution des mineur.e.s en Thaïlande : conséquence d’un tourisme sexuel de masse », 03.10.2020, Institut du Genre en Géopolitique.
References
↑1 | SIGAUD Dominique, La malédiction d’être fille, Paris, Albin Michel, pages 201. |
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↑2, ↑18 | POULIN Richard, “La mondialisation du marché du sexe”, 2002, Actuel Marx, n°31, pages 109 à 122. |
↑3, ↑10 | MICHEL Franck, “Faits, effets et méfaits du tourisme sexuel dans le monde”, 2013, Revue internationale et stratégique, n°90, pages 145 à 152. |
↑4, ↑9, ↑11, ↑16, ↑17, ↑20 | UNICEF, Situational analysis of the commercial sexual exploitation of children Thailand, novembre 2015, URL : https://www.ecpat.org/wp-content/uploads/2016/04/SITAN_THAILAND_ENG_FINAL.pdf |
↑5, ↑12, ↑13 | Idem. |
↑6 | POULIN Richard, “La mondialisation du marché du sexe” Actuel Marx, 2002, n°31, pages 109 à 122 |
↑7 | POULIN Richard, “La marchandisation prostitutionnelle mondiale, violence, marché et crime organisé”, 2004, Les temps modernes, n°626, pages 191 à 214 |
↑8, ↑14 | MICHEL Franck, “Le tourisme sexuel en Thaïlande : une prostitution entre misère et mondialisation”, 2003, Teoros, n°22, pages 22 à 28. |
↑15 | ECPAT International, Status of action against commercial sexual exploitation of children, Thaïland, 2011, URL : https://www.ecpat.org/wp-content/uploads/2016/04/a4a_v2_eap_thailand_1.pdf |
↑19 | Convention Internationale des droits de l’enfant, UNICEF, 1989, URL : https://www.unicef.fr/sites/default/files/convention-des-droits-de-lenfant.pdf |
↑21 | POULIN Richard, “La marchandisation prostitutionnelle mondiale, violence, marché et crime organisé”, 2004, Les temps modernes, n°626, pages 191 à 214. |
↑22 | LAU Carmen, “Child prostitution in Thailand”, 2008, Journal of Child Health Care, volume 12, pages 144 à 155. |