Education sexuelle : la progressive conquête d’un droit fondamental grâce à une revendication planétaire et à un engagement dans les textes internationaux

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Education sexuelle : la progressive conquête d’un droit fondamental grâce à une revendication planétaire et à un engagement dans les textes internationaux

03.03.2021

Lola FAVRE

En 2000, le Comité des droits économiques, sociaux et culturels des Nations unies « interprète le droit à la santé […] comme un droit global, dans le champ duquel entrent [..] les facteurs fondamentaux déterminants de la santé tels que […] l’accès à l’éducation et à l’information relatives à la santé, notamment la santé sexuelle et génésique[1]LAUSBERG Sylvie, L’Éducation à la vie relationnelle, Affective et Sexuelle (EVRAS) dans le système éducatif francophone de Belgique, Centre d’Action Laïque, 2012 ». La santé sexuelle, définie par l’Organisation Mondiale de la Santé comme un « état de bien-être physique, mental et social dans le domaine de la sexualité[2]Site de l’OMS :  https://www.who.int/topics/sexual_health/fr/ » est un effet direct d’une éducation sexuelle de qualité. Elle ne peut être atteinte que si chaque individu a accès tout au long de sa vie aux informations et aux services de santé sexuelle.

L’éducation à la sexualité est donc une des clés pour assurer la santé sexuelle de la population. Elle est définie par le Haut Conseil à l’Egalité comme « une manière d’aborder l’enseignement de la sexualité et des relations interpersonnelles qui soit fondée sur l’égalité des sexes et des sexualités, adaptée à l’âge, basée sur des informations scientifiques et sans jugement de valeur. Elle vise, à partir de la parole des jeunes, à les doter des connaissances, compétences et savoirs-être dont ils et elles ont besoin pour une vie sexuelle et affective épanouies[3]LAURANT Françoise, COLLET Margaux, Rapport relatif à l’éducation à la sexualité. Répondre aux attentes des jeunes, construire une société d’égalité femmes-hommes, Haut Conseil à … Continue reading ». Aussi, l’éducation à la sexualité est un droit, qui concerne tout particulièrement les enfants et les adolescent.e.s. Pour revendiquer ce droit et le faire appliquer, des mouvements se sont érigés sur la scène régionale et internationale aboutissant à la signature d’un certain nombre de textes internationaux qui encouragent le déploiement de l’éducation sexuelle. L’objet de cet article sera donc d’expliquer comment cette revendication a émergé sur la scène nationale et internationale, d’observer ce que stipulent les textes à ce sujet, et de se demander quels sont les critères d’efficacité d’une bonne éducation sexuelle.

 L’émergence de l’éducation sexuelle sur la scène publique nationale et internationale

En Europe de l’Ouest et aux États-Unis, la fin des années 1960 et les années 1970 ont marqué les débuts de l’accès aux méthodes de contraception, la pilule en particulier, et de la légalisation de l’avortement. Il était alors enfin possible de distinguer la reproduction de la sexualité, distinction qui a entraîné une révolution sexuelle ainsi qu’une vague d’émancipation féminine jamais égalées. C’est donc dans ce contexte que la question de l’éducation sexuelle pour les jeunes a commencé à se poser. Les débats autour de la contraception et de l’avortement ayant fait du sexe un sujet un peu moins tabou qu’auparavant, il était alors envisageable d’en parler sur la scène publique. Ces nouveautés ont aussi permis de créer une réelle période d’adolescence, caractérisée par une progressive émancipation des jeunes vis-à-vis de leurs parents et une découverte des relations affectives et sexuelles. Toutefois, cette période fut aussi celle d’un risque élevé de transmission d’IST et de grossesse non désirée. La nécessité d’informer et de prévenir les jeunes devint donc évidente. L’arrivée de l’épidémie de VIH au début des années 1980 a renforcé cet impératif.

Les années 1970 et 1980 représentent donc celles de l’émergence d’une génération, qui, portée par des idéaux de modernité et une nouvelle culture, a fait percevoir l’importance de l’éducation sexuelle. Si l’éducation sexuelle a commencé à se développer un peu partout en Europe de l’Ouest, c’est en Suède qu’elle a été rendue obligatoire à l’école pour la première fois, en 1995.

Sur la scène internationale, le droit à la santé sexuelle et reproductive est reconnu depuis la Conférence Internationale sur la Population et le Développement qui eut lieu en 1994 au Caire. Cette conférence a marqué un tournant puisque pour la première fois, l’importance du développement social des États et la promotion des droits des femmes ont été mis en avant. Parmi les recommandations du Programme d’Action approuvé par l’ensemble des pays présents, l’on trouve l’apport de soins en matière de santé de la reproduction qui s’accompagne d’un dispositif d’information et de prévention. Ce programme est également le premier document de politique internationale dans lequel figure une définition de la santé de reproduction décrite comme « un état de bien-être physique, mental et social total et non la simple absence de maladie ou d’infirmité, pour tout ce qui touche au système reproducteur[4]ASHFORD Lori S., Que s’est-il passé au Caire ? Promesse et réalité de la CIPD, disponible sur https://www.prb.org/quesestilpasseaucaire/ , consulté le 24/01/2021 ». Le programme d’Action adopté au Caire marqua le début d’un mouvement planétaire pour la reconnaissance et l’application du droit à recevoir une éducation sexuelle.

À l’échelle internationale, une vague d’engagements en faveur d’une éducation sexuelle et reproductive de qualité

Suite à la Conférence du Caire, les engagements, les promesses et les prises de position en faveur du développement de l’éducation sexuelle se sont multipliés. Aussi, dès l’année suivantes, le Programme d’Action de Beijing comportait la recommandation suivante « élaborer et appliquer, sur la base d’informations complètes et exactes, des programmes éducatifs et des supports pédagogiques, notamment des programmes d’éducation sexuelle détaillés reposant sur des données factuelles, adaptés à chaque groupe d’âge pour tous les adolescents et les jeunes[5]Déclaration et Programme d’action de Beijing, Quatrième Conférence mondiale sur les femmes (1995) et documents finals des conférences d’examen ayant suivi », qui souligne ainsi l’importance de l’éducation sexuelle de qualité dans les programmes scolaires. En 1999, le Comité pour l’élimination de la discrimination à l’égard des femmes vint compléter cette exigence en ajoutant celle d’éliminer tous les obstacles à l’accès à l’éducation et aux soins : « Veiller à éliminer tous les facteurs qui restreignent l’accès des femmes aux soins, à l’éducation et à l’information, notamment dans le domaine de la santé en matière de sexualité et de procréation[6]Recommandation générale n°24 du CEDAW : article 12 de la Convention (les femmes et la santé). Adoptée à la 20è session du Comité pour l’élimination de la discrimation à l’égard des … Continue reading ».

Une dizaine d’années plus tard, à partir des données disponibles sur les programmes d’éducation sexuelle du monde entier, l’UNESCO établit un premier rapport énonçant  qu’une « éducation sexuelle efficace est le moyen de fournir aux jeunes des informations scientifiquement précises, culturellement pertinentes et adaptées à leur âge[7]UNESCO, Principes directeurs internationaux sur l’éducation à la sexualité. Une approche factuelle à l’intention des établissements scolaires, des enseignants et des professionnels de … Continue reading ». Elle souligne également l’objectif de l’éducation sexuelle, à savoir «
doter les enfants et les jeunes des connaissances, compétences et valeurs leur permettant de faire des choix responsables quant à leurs relations sexuelles et sociales dans un monde affecté par le VIH[8]Idem. ». Six ans plus tard, les promesses sur les mesures à adopter pour lutter contre le SIDA sont renouvelées par l’Assemblée générale des Nations unies qui s’engage à « renforcer les capacités des femmes et des adolescentes de se protéger du risque d’infection par le VIH, principalement en leur fournissant des soins et des services de santé, notamment en matière de sexualité et de procréation, et en leur donnant pleinement accès à une information et à une éducation complètes[9]Déclaration Politique sur le VIH et le SIDA : Accélérer la riposte – Intensifier nos efforts pour lutter contre le VIH et mettre fin à l’épidémie de SIDA d’ici à 2030. 2016. ».

En 2015, les ambitions du Programme d’Action de Beijing ont été reconduites dans le Programme de Développement Durable à l’horizon 2030 qui entend « assurer un accès universel aux services de santé sexuelle et procréative, y compris en matière de planification familiale, d’information et d’éducation[10]Transformer notre monde : le Programme de développement durable à l’horizon 2030. Déclaration politique et Objectifs de développement durable, 2015. ». Nous constatons donc l’importance de l’éducation sexuelle mise en avant dans nombre de textes internationaux, ce qui a contribué à la faire progresser partout dans le monde et a encouragé l’adoption de mesures à l’échelle régionale.

Au niveau régional, des mesures et des textes significatifs

En 1961, le Conseil de l’Europe a adopté une Charte Sociale Européenne dont l’article 11 mentionne de « prévoir des services de consultation et d’éducation pour ce qui concerne l’amélioration de la santé et le développement du sens de la responsabilité individuelle en matière de santé[11]Charte sociale européenne, Conseil de l’Europe, adoptée en 1961. Disponible sur https://rm.coe.int/168007cf94 ». Dans une décision à l’égard de la Croatie en 2009[12]Le comité avait été saisi par l’association Interights qui reprochait à la Croatie de ne pas respecter ses engagements sur l’éducation à la sexualité. Dans cette décision, le Comité … Continue reading, le Comité européen des Droits sociaux précise que cet article engage les États signataires à encourager le sens des responsabilités en matière de sexualité par exemple et que l’éducation sexuelle doit nécessairement faire partie du programme d’éducation à la santé des pays. Il s’agit d’une condition de l’effectivité du droit à la protection de la santé[13]Comité européen des droits sociaux  Décision sur le bien-fondé : International Center for the Legal protection of Human Rights (Interights) c. Croatie, récl. n°45/2007,30 mars 2009.

Les pays d’Amérique latine et des Caraïbes ont quant à eux manifesté leur engagement à promouvoir l’éducation sexuelle en signant la déclaration ministérielle Preventing through education[14]Traduction : Faire de la prévention par l’éducation en 2008. Cette dernière les engage à implanter et renforcer l’éducation sexuelle et promouvoir la santé sexuelle grâce à des stratégies et une coordination entre les États. En Argentine, Uruguay, Colombie, République Dominicaine, à Cuba et au Pérou, l’éducation sexuelle est même devenue obligatoire.

En Afrique orientale et australe un engagement similaire a été pris en 2013 avec le Ministerial Commitment on Comprehensive Sexual Education and Sexual Reproductive Health for adolescent and young people[15]Traduction : Engagement ministériel sur l’éducation sexuelle complète et les services de santé sexuelle et reproductive pour les adolescents et les jeunes en Afrique orientale et australe. Il instaure en priorité le fait de garantir un accès de bonne qualité à l’éducation sexuelle et reproductive. L’UNAIDS[16]United Nations Programme on HIV/AIDS / ONU SIDA en français et l’Union africaine ont par ailleurs reconnu l’éducation sexuelle comme un des cinq outils majeurs de lutte contre la transmission du VIH en Afrique en 2015.

En 2013, lors de la Conférence internationale sur la population et le développement en Asie et dans le Pacifique, les pays ont insisté sur le fait de garantir l’éducation sexuelle pour tous, et particulièrement aux populations les plus marginalisées et les plus pauvres.

Cette multiplication de textes et d’engagements sur la scène internationale et régionale a donc encouragé les États à développer leur offre d’éducation sexuelle. L’écart reste toutefois souvent important entre les politiques à l’échelle globale, et leur application à l’échelle locale. Lorsque l’éducation sexuelle est optionnelle ou semi-obligatoire, on constate que nombreux sont les jeunes qui n’y ont pas accès. C’est pourquoi plusieurs textes internationaux ont été rédigés pour défendre une éducation sexuelle obligatoire à l’école pour tous les enfants et les adolescent.e.s.

Les textes internationaux s’accordent à dire que les enfants et les adolescent.e.s doivent être les principaux destinataires de l’éducation sexuelle

 S’il est nécessaire que n’importe quelle personne, quel que soit son âge, puisse avoir accès aux informations quant à la santé sexuelle et reproductive, il semble toutefois assez logique qu’enfants et adolescent.e.s soient les cibles privilégiées des politiques d’éducation sexuelle. Comme indiqué dans un rapport de l’OMS Europe, les standards et recommandations internationaux établissent que l’éducation sexuelle doit démarrer durant l’enfance et se poursuivre au cours de l’adolescence jusqu’à l’âge adulte[17]WHO Regional Office for Europe and BZgA, Standards for Sexuality Education in Europe. A framework for policy makers, educational and health authorities and specialists, Cologne 2010.. Dans les Principes directeurs internationaux sur l’éducation à la sexualité de l’UNESCO, il est par exemple proposé que les jeunes aient des séances dès 5 ans et jusqu’à 18 ans[18]UNESCO, Principes directeurs internationaux sur l’éducation à la sexualité. Une approche factuelle, 2018.

Si l’on cible ainsi cette tranche de la population, c’est parce que l’on considère qu’il n’y a pas de meilleure prévention possible en matière de santé sexuelle et reproductive que celle en amont du commencement de la vie sexuelle ; les enfants et les adolescent.e.s sont donc très logiquement priorisés. Commencer l’éducation sexuelle si tôt permet en outre aux enfants d’identifier et de rapporter les comportements inappropriés dont les agressions sur mineur.e.s et de développer des attitudes saines envers leur propre corps et dans leurs relations. Le Comité International des Droits de l’Enfant s’est positionné ainsi et insiste sur la nécessité de délivrer une information suffisamment précoce aux enfants « pour leur permettre de gérer leur sexualité d’une manière responsable[19]Comité des Droits de l’enfant, ONU, Observation générale n°3 (2003) : “Le VIH/SIDA et les droits de l’enfant”, 17 mars 2003 ».

Dans une Observation générale en 2016, ce même Comité a également rappelé pourquoi il était indispensable que les adolescents aient accès à une éducation sexuelle : « le Comité prie instamment les États d’adopter des politiques de santé sexuelle et procréative globales à l’intention des adolescents, qui tiennent compte des questions de genre et de sexualité, et souligne que l’inégalité d’acc
ès des adolescents aux informations, aux produits et aux services dans ce domaine est discriminatoire. Le manque d’accès aux services de santé sexuelle et procréative contribue à faire des adolescentes le groupe le plus exposé au risque de mourir pendant la grossesse et l’accouchement ou de contracter des affections graves, qui dureront parfois toute leur vie.[20]Comité des droits de l’enfant. Observation générale n°20 sur la mise en œuvre des droits de l’enfant pendant l’adolescence, 2016. »

L’éducation sexuelle doit par conséquent être dispensée à l’école et de manière obligatoire

Aujourd’hui, l’éducation primaire est obligatoire dans presque tous les pays du monde, 92% des enfants y ont accès[21]Observatoire des inégalités, La scolarisation des enfants progresse dans le monde, 20 novembre 2020., cela en fait une période appropriée et privilégiée pour les premières séances d’éducation sexuelle étant donné qu’un grand nombre de personnes sera touché. Le rapport de l’UNESCO sur les Principes directeurs internationaux sur l’éducation sexuelle ajoute que « pour entrer dans l’âge adulte, ils [les enfants] ont besoin d’être informés et dotés des connaissances et des compétences permettant de faire des choix responsables concernant leur vie sociale et sexuelle[22]UNESCO, Principes directeurs internationaux sur l’éducation à la sexualité. Une approche factuelle, 2018. », c’est bien là le rôle de l’école. Ajoutons à cela qu’il n’est pas rare que les jeunes démarrent  leur vie sexuelle alors qu’ils sont toujours sur les bancs de l’école, ce qui signifie que l’on ne peut attendre qu’ils soient sortis du système scolaire pour leur fournir les informations les plus élémentaires.

Cela implique toutefois de bâtir des programmes scolaires de qualité et de former le personnel de l’éducation. C’est ce sur quoi insistait déjà le Comité pour l’élimination de la discrimination à l’égard des femmes en 1999 lorsqu’il déclarait dans une recommandation générale que l’éducation sexuelle devait être « dispensée par du personnel convenablement formé, sous forme de programmes élaborés à cet effet[23]Recommandation générale n°24 du CEDAW : article 12 de la Convention (les femmes et la santé). Adoptée à la 20è session du Comité pour l’élimination de la discrimination à l’égard de … Continue reading ». En 2009, dans une conclusion adressée à la Croatie, le Comité européen des droits sociaux reprend cette idée et insiste sur trois points indispensables, à savoir, inscrire l’éducation sanitaire dans les programmes scolaires, former les enseignant.e.s et inscrire cette formation dans la continuité[24]Comité européen des droits sociaux, Décision sur le bien-fondé : International Center for the Legal protection of Human Rights (Interights) c. Croatie, récl. n°45/2007,30 mars 2009.. L’exigence quant à la qualité des programmes scolaires est également requise par le Conseil des Droits de l’Homme qui demande aux États « de concevoir et de mettre en œuvre des programmes éducatifs et des supports pédagogiques, dans le domaine de l’éducation sexuelle notamment, qui soient complets et s’appuient sur des données précises[25]Conseil des droits de l’homme. Intensification de l’action menée à l’égard des femmes : associer les hommes et les garçons à la prévention de la violence contre toutes les femmes et … Continue reading ».

Ainsi, pour être efficace et largement diffusée, l’éducation sexuelle doit être obligatoire à l’école et s’adresser au public des enfants et des adolescent.e.s. Si au regard des arguments énoncés, cela semble logique, les résultats encourageants de l’impact de l’éducation sexuelle sont là pour le prouver.

Un impact positif reconnu à des multiples reprises

L’éducation sexuelle a de nombreuses vertus et plusieurs enquêtes ont révélé sa très grande efficacité pour lutter contre des phénomènes tels que le VIH, les grossesses non désirées, et pour faire reculer l’âge du premier rapport sexuel.

Une enquête réalisée en 2014 a montré que les programmes d’éducation sexuelle contribuaient à accroître les connaissance sur le VIH, à promouvoir une meilleure utilisation du préservatif et donc une meilleure efficacité de ce dernier ainsi qu’un plus large recours aux moyens de contraception, à expliquer la notion de consentement et à retarder la première expérience sexuelle[26]FONNER Virginia et al., School Based Sex Education and HIV Prevention in Low -and Middle- Income Countries : a systematic Review and Meta-Analysis, Plos One, 2014. En 2016, une autre enquête réalisée en Europe, aux Etats-Unis, au Nigéria et au Mexique a révélé l’importance de l’éducation sexuelle dans la réduction des grossesses précoces et non désirées[27]ORINGANJE Chioma et al., Les interventions pour prévenir les grossesses non désirées chez les adolescents, 3 février 2016.. Eleanor Maticka-Tyndale, chercheuse à l’université de Windsor, a mené une étude sur près de 6 000 étudiant.e.s au Kenya ayant reçu des cours d’éducation sexuelle. Il en ressort que ces cours ont contribué à repousser l’âge du premier rapport sexuel et à augmenter le recours aux préservatifs pour celles et ceux déjà sexuellement actif.ve.s[28]MATICKA-TYNDALE Eleanor, Sustainability of gains made in a primary school HIV prevention programme in Kenya into the secondary school years, Journal of Adolescence, Volume 33, pages 563-573, Août … Continue reading.

Contrairement à ce qui est souvent pensé, l’éducation sexuelle n’entraîne pas une plus grande précocité de l’activité sexuelle ; c’est aussi ce que montre un rapport de l’UNESCO de 2015[29]UNESCO, Emerging Evidence, Lessons and Practice Comprehensive Sexuality Education, a global review, 2015. Le Rapport sur la prévention et prise en charge des grossesses des adolescentes rédigé par Michèle Uzan montre qu’une éducation à la sexualité claire et complète permet la réduction du taux d’IVG chez les mineures[30]UZAN Michèle, Rapport sur la prévention et la prise en charge des grossesses des adolescentes, Secrétariat d’Etat à la Santé, janvier 1998.. Enfin, une enquête de 2014 réalisée entre autres par Elaine Unterhalter, professeure d’éducation et de développement international à l’Institut d’éducation de l’Univeristé de Londres, démontre que l’éducation sexuelle aide à développer la confiance en soi, un facteur nécessaire pour retarder l’âge du premier rapport sexuel et favoriser l’utilisation de la contraception[31]UNTERHALTER Elaine et al., Girls’ education and gender equality Education Rigorous Literature Review, Juin 2014..

La situation du Royaume Uni peut en attester. Le pays comptait, il y a encore une vingtaine d’années, un taux de grossesses précoces très élevé, alors que ce taux était plutôt faible dans le reste de l’Europe de l’Ouest. Pour y remédier, le gouvernement britannique a mis en place la National Teenage Pregnancy Strategy[32]La stratégie nationale contre la maternité adolescente. dont le but était de promouvoir le recours aux différents moyens de contraception grâce à une éducation sexuelle de meilleure qualité et un accès facilité aux services de santé. Le taux de grossesses précoces chez les moins de 18 ans a baissé de 56 % entre 1998 et 2013[33]UNESCO, Emerging Evidence, Lessons and Practice Comprehensive Sexuality Education, a global review, 2015.

Aujourd’hui, une revendication portée par la jeunesse du monde entier

L’émergence de la question de l’éducation à la sexualité a contribué à lancer un mouvement politique planétaire à ce sujet. Depuis quelques
années, le droit à recevoir une éducation sexuelle est revendiqué par la jeunesse, qui se fait le porte-parole de cette question sur la scène internationale. Au Mali, en 2011, environ 150 jeunes activistes de la lutte contre le VIH sont venu.e.s du monde entier pour former un sommet international de la jeunesse. Leur but était d’unifier la jeunesse dans le combat contre le VIH et de créer une nouvelle génération dirigeante sur cette question. Les participant.e.s se sont alors accordé.e.s sur des stratégies d’action pour lutter contre cette virus d’une nouvelle façon. En est ressorti un appel à l’action s’adressant à la jeunesse du monde entier et aux dirigeant.e.s des différents pays pour faire progresser cette lutte.

L’année suivante à Bali eut lieu le Forum international de la jeunesse, dont le but était de formuler des recommandations pour l’Agenda Post-2015 des Nations unies. L’éducation à la sexualité y figurait. Il était notamment inscrit que la communauté internationale, les gouvernements, les ONG, les secteurs public et privé ainsi que la société civile devaient s’unir pour que les adolescent.e.s aient connaissance de leur droit à la santé sexuelle. On y trouvait aussi l’idée que les gouvernements doivent créer des lois et l’environnement propices à diffuser une éducation sexuelle de qualité et accessible à tout.e.s. Toujours dans le cadre des consultations sur l’Agenda Post-2015, les jeunes de la coalition « Have you seen my rights » ont recommandé l’éducation à la sexualité pour tout.e.s. Ils souhaitaient que les droits sexuels et reproductifs des jeunes soient mieux représentés et protégés par les nouveaux objectifs du développement durable, ce qui a été validé par les Nations unies.

Conclusion

Aujourd’hui, malgré les volontés de faire progresser l’éducation à la sexualité sur la scène internationale, il est encore difficile de les voir appliquées à l’échelle nationale. Certaines populations manquent toujours d’informations les plus élémentaires sur la santé sexuelle et reproductive. Ainsi, établir des programmes d’éducation à la sexualité et promouvoir un accès universel aux services de soins en matière de santé sexuelle restent un défi majeur. Toutefois, le mouvement qui s’est érigé à l’échelle globale et le soutien des mouvements de la jeunesse constituent des atouts solides pour le relever.

Dans le cadre de l’éducation sexuelle, sont maintenant abordées les questions de genre, de relations de pouvoir et de droits humains, ce qui la rend encore plus importante et utile. À travers leurs cours d’éducation sexuelle, les jeunes sont encouragé.e.s à porter un regard critique sur l’environnement dans lequel il.elle.s évoluent, sur leur comportement et à promouvoir l’égalité des genres. Le Haut Conseil à l’Egalité mentionne dans son rapport sur l’éducation sexuelle que cette dernière est « l’un des meilleurs outils pour faire face aux conséquences du système de domination patriarcale[34]LAURANT Françoise, COLLET Margaux, Rapport relatif à l’éducation à la sexualité. Répondre aux attentes des jeunes, construire une société d’égalité femmes-hommes, Haut Conseil à … Continue reading ». Au-delà d’être un indispensable de la santé publique, l’éducation sexuelle est une façon de faire progresser l’égalité entre les femmes et les hommes et entre les différentes sexualités.

Sources

Rapports

BARBIERI Davide et al., Gender Equality Index 2017 : Measuring gender equality in the European Union 2005-2015, European Institute for Gender Equality, 2017

LAURANT Françoise, COLLET Margaux, Rapport relatif à l’éducation à la sexualité. Répondre aux attentes des jeunes, construire une société d’égalité femmes-hommes, Haut Conseil à l’Egalité, Rapport n°2016-06-13-SAN-021, 13 juin 2016.

LIENART Laetitia, ICASA 2011, Evaluation Report : 16th International Conference on AIDS & STIs in Africa, Society for AIDS in Africa, 2011.

UNESCO, Emerging Evidence, Lessons and Practice Comprehensive Sexuality Education, a global review, 2015

UNESCO, Principes directeurs internationaux sur l’éducation à la sexualité. Une approche factuelle à l’intention des établissements scolaires, des enseignants et des professionnels de l’éducation à la santé, 2010.

UNESCO, Principes directeurs internationaux sur l’éducation à la sexualité. Une approche factuelle, 2018

UZAN Michèle, Rapport sur la prévention et la prise en charge des grossesses des adolescentes, Secrétariat d’Etat à la Santé, janvier 1998.

WHO Regional Office for Europe and BZgA, Standards for Sexuality Education in Europe. A framework for policy makers, educational and health authorities and specialists, Cologne 2010.

Articles

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FONNER Virginia et al., School Based Sex Education and HIV Prevention in Low -and Middle- Income Countries : a systematic Review and Meta-Analysis, Plos One, 2014

GRUNDLER Tatiana, ROMAN Diane, « L’éducation sexuelle devant le Comité européen des droits sociaux : entre protection de la santé et lutte contre les discriminations (Comité européen des droits sociaux, 30 mars 2009, International Center for the Legal protection of Human Rights (Interights) c. Croatie, ré n°45/2007)« , Revue trimestrielle des droits de l’Homme, Editions Nemesis, 2010.

International Women’s health Coalition, « Colombo Declaration on Youth : Mainstreaming Youth in the Post-2015 Development Agenda », 10 mai 2014, disponible sur https://iwhc.org/resources/colombo-declaration-youth-mainstreaming-youth-post-2015-development-agenda/#:~:text=The%20Colombo%20Declaration%20is%20the,jointly%20negotiate%20a%20single%20outcome , consulté le 24/01/2021.

LAUSBERG Sylvie, « L’Éducation à la vie relationnelle, Affective et Sexuelle (EVRAS) dans le système éducatif francophone de Belgique« , Centre d’Action Laïque, 2012

MATICKA-TYNDALE Eleanor, « Sustainability of gains made in a primary school HIV prevention programme in Kenya into the secondary school years« , Journal of Adolescence, Volume 33, Août 2010, pp. 563-573,

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UNTERHALTER Elaine et al., Girls’ education and gender equality Education Rigorous Literature Review, Juin 2014.

Textes internationaux 

Assemblée Générale des Nations Unies, Déclaration politique sur le VIH et le SIDA : accélérer la riposte pour lutter contre le VIH et mettre fin à l’épidémie de sida d’ici 2030, Résolution n°70/266 adoptée le 8 juin 2016.

Charte sociale européenne, Conseil de l’Europe, adoptée en 1961. Disponible sur https://rm.coe.int/168007cf94

Comité des Droits de l’enfant, ONU, Observation générale n°3 (2003) : “Le VIH/SIDA et les droits de l’enfant”, 17 mars 2003

Comité européen des droits sociaux, Décision sur le bien-fondé : International Center for the Legal protection of Human Rights (Interights) c. Croatie, ré n°45/2007,30 mars 2009

International Conference on Population and Development beyond 2014 and ONU, Bali Global Youth Forum Declaration, 2012

World Conference on Youth 2014, Colombo Declaration on Youth, 21 mars 2014

Pour citer cet article : Lola FAVRE, « Education sexuelle : la progressive conquête d’un droit fondamental grâce à une revendication planétaire et à un engagement dans les textes internationaux », 03.03.2021, Institut du Genre en Géopolitique

References

References
1 LAUSBERG Sylvie, L’Éducation à la vie relationnelle, Affective et Sexuelle (EVRAS) dans le système éducatif francophone de Belgique, Centre d’Action Laïque, 2012
2 Site de l’OMS :  https://www.who.int/topics/sexual_health/fr/
3 LAURANT Françoise, COLLET Margaux, Rapport relatif à l’éducation à la sexualité. Répondre aux attentes des jeunes, construire une société d’égalité femmes-hommes, Haut Conseil à l’Egalité, Rapport n°2016-06-13-SAN-021, 13 juin 2016.
4 ASHFORD Lori S., Que s’est-il passé au Caire ? Promesse et réalité de la CIPD, disponible sur https://www.prb.org/quesestilpasseaucaire/ , consulté le 24/01/2021
5 Déclaration et Programme d’action de Beijing, Quatrième Conférence mondiale sur les femmes (1995) et documents finals des conférences d’examen ayant suivi
6 Recommandation générale n°24 du CEDAW : article 12 de la Convention (les femmes et la santé). Adoptée à la 20è session du Comité pour l’élimination de la discrimation à l’égard des femmes, 1999.
7 UNESCO, Principes directeurs internationaux sur l’éducation à la sexualité. Une approche factuelle à l’intention des établissements scolaires, des enseignants et des professionnels de l’éducation à la santé, 2010.
8 Idem.
9 Déclaration Politique sur le VIH et le SIDA : Accélérer la riposte – Intensifier nos efforts pour lutter contre le VIH et mettre fin à l’épidémie de SIDA d’ici à 2030. 2016.
10 Transformer notre monde : le Programme de développement durable à l’horizon 2030. Déclaration politique et Objectifs de développement durable, 2015.
11 Charte sociale européenne, Conseil de l’Europe, adoptée en 1961. Disponible sur https://rm.coe.int/168007cf94
12 Le comité avait été saisi par l’association Interights qui reprochait à la Croatie de ne pas respecter ses engagements sur l’éducation à la sexualité. Dans cette décision, le Comité donne raison à l’association et est venu préciser l’article 11 de la Charte, elle a donc fait jurisprudence.
13 Comité européen des droits sociaux  Décision sur le bien-fondé : International Center for the Legal protection of Human Rights (Interights) c. Croatie, récl. n°45/2007,30 mars 2009
14 Traduction : Faire de la prévention par l’éducation
15 Traduction : Engagement ministériel sur l’éducation sexuelle complète et les services de santé sexuelle et reproductive pour les adolescents et les jeunes en Afrique orientale et australe
16 United Nations Programme on HIV/AIDS / ONU SIDA en français
17 WHO Regional Office for Europe and BZgA, Standards for Sexuality Education in Europe. A framework for policy makers, educational and health authorities and specialists, Cologne 2010.
18 UNESCO, Principes directeurs internationaux sur l’éducation à la sexualité. Une approche factuelle, 2018
19 Comité des Droits de l’enfant, ONU, Observation générale n°3 (2003) : “Le VIH/SIDA et les droits de l’enfant”, 17 mars 2003
20 Comité des droits de l’enfant. Observation générale n°20 sur la mise en œuvre des droits de l’enfant pendant l’adolescence, 2016.
21 Observatoire des inégalités, La scolarisation des enfants progresse dans le monde, 20 novembre 2020.
22 UNESCO, Principes directeurs internationaux sur l’éducation à la sexualité. Une approche factuelle, 2018.
23 Recommandation générale n°24 du CEDAW : article 12 de la Convention (les femmes et la santé). Adoptée à la 20è session du Comité pour l’élimination de la discrimination à l’égard de femmes, 1999.
24 Comité européen des droits sociaux, Décision sur le bien-fondé : International Center for the Legal protection of Human Rights (Interights) c. Croatie, récl. n°45/2007,30 mars 2009.
25 Conseil des droits de l’homme. Intensification de l’action menée à l’égard des femmes : associer les hommes et les garçons à la prévention de la violence contre toutes les femmes et toutes les filles, et à la lutte contre cette violence.
26 FONNER Virginia et al., School Based Sex Education and HIV Prevention in Low -and Middle- Income Countries : a systematic Review and Meta-Analysis, Plos One, 2014
27 ORINGANJE Chioma et al., Les interventions pour prévenir les grossesses non désirées chez les adolescents, 3 février 2016.
28 MATICKA-TYNDALE Eleanor, Sustainability of gains made in a primary school HIV prevention programme in Kenya into the secondary school years, Journal of Adolescence, Volume 33, pages 563-573, Août 2010
29, 33 UNESCO, Emerging Evidence, Lessons and Practice Comprehensive Sexuality Education, a global review, 2015
30 UZAN Michèle, Rapport sur la prévention et la prise en charge des grossesses des adolescentes, Secrétariat d’Etat à la Santé, janvier 1998.
31 UNTERHALTER Elaine et al., Girls’ education and gender equality Education Rigorous Literature Review, Juin 2014.
32 La stratégie nationale contre la maternité adolescente.
34 LAURANT Françoise, COLLET Margaux, Rapport relatif à l’éducation à la sexualité. Répondre aux attentes des jeunes, construire une société d’égalité femmes-hommes, Haut Conseil à l’Egalité, Rapport n°2016-06-13-SAN-021, 13 juin 2016.