2/4 – L’impact de la Covid-19 sur le travail des femmes migrantes
09.08.2021
Cécile Guignard
Les populations vulnérables ont été particulièrement affectées par la pandémie de Covid-19 et ses conséquences économiques et sociales. Si la situation spécifique des femmes durant la pandémie (prise en charge du travail reproductif, violences de genre…) ou celle des migrants (fermeture des services spécialisés, manque d’hygiène dans les camps) ont été étudiées, on peut déplorer le manque d’attention portée aux femmes migrantes, pourtant victimes de discriminations accrues. Cette deuxième partie s’attache à montrer en quoi les femmes migrantes ont été particulièrement touchées par la pandémie dans leur pratique professionnelle, formelle ou informelle, productive ou reproductive.
Remarque : L’ensemble de ce dossier a une visée volontairement descriptive et se concentre sur les difficultés que ces femmes rencontrent. Néanmoins, il convient de garder en tête leur agentivité : nombre de solutions ont été suggérées et mises en place, souvent par les femmes migrantes elles-mêmes, pour pallier ces difficultés. Il faut également rappeler que derrière la catégorie « femmes migrantes » se trouvent une multitude de situations individuelles extrêmement diverses ; cette série d’articles se concentre sur les plus vulnérables.
Introduction
Selon l’Organisation Internationale du Travail, 42 % des travailleurs migrants sont des femmes. La palette de leurs activités professionnelles est large : travailleuses agricoles saisonnières, travailleuses pendulaires de part et d’autre de la Méditerranée ou d’un bout à l’autre de l’Europe, domestiques, gardes d’enfants, cheffes d’entreprise… Elles sont plus de la moitié à avoir un emploi, formel (encadré par le droit du travail national) ou non. Dans le contexte de la crise de la Covid-19, et alors que les femmes sont plus exposées que les hommes aux licenciements, cette donnée prend une importance particulière : dans de nombreux cas, les difficultés des femmes migrantes sont liées à leur emploi, à sa perte ou au durcissement de ses conditions d’exercice.
Les femmes migrantes souffrent plus du chômage induit par la Covid-19
Les femmes migrantes souffrent de discriminations importantes sur le marché du travail de leurs pays d’accueil, qui ne font que s’exacerber avec la Covid-19. Ainsi, elles sont touchées par un plus fort taux de chômage, par rapport aux femmes autochtones (c’est-à-dire nées dans le pays) comme par rapport aux hommes migrants. Cette situation peut les rendre dépendantes des aides sociales et/ou de leur conjoint.e, et nuire à leur résilience en temps de crise. Quand elles sont sur le marché du travail, les migrantes (comme leurs homologues autochtones mais de manière accrue), subissent un écart salarial important. Enfin, les femmes migrantes souffrent également d’un déclassement professionnel majeur : la sociologue Francesca Sirna, qui étudie les travailleuses immigrées dans les hôpitaux du sud de la France, rapporte qu’un nombre important d’entre elles sont employées comme aides-soignantes, alors qu’elles ont un diplôme d’infirmière, voire de médecin. Ces femmes peuvent être amenées à effectuer au quotidien les tâches pour lesquelles elles sont qualifiées, mais ne sont pas payées à la hauteur de leur qualification. Si les hommes migrants souffrent également de ce déclassement, il leur est néanmoins plus facile de le surmonter : l’article de Francesca Sirna témoigne de situations dans lesquelles l’hôpital a payé une formation qualifiante à un aide-soignant immigré et refusé le même traitement à une aide-soignante. Ces formations qualifiantes, parfois redondantes avec leurs qualifications précédentes, permettent néanmoins aux personnes immigrées de faire valider leurs connaissances par un diplôme français. Dans un autre contexte, au Chili, on estime que le déclassement touche 34% des femmes migrantes titulaires d’un baccalauréat ou d’un diplôme de l’enseignement supérieur, pour seulement 22% des hommes migrants et 15% des femmes chiliennes. Les femmes migrantes ont donc deux fois plus de risques que leurs homologues autochtones d’occuper des postes ne correspondant pas à leur qualification.
Par ailleurs, partout dans le monde, les femmes migrantes ont été particulièrement affectées par l’arrêt des activités productives et la hausse du chômage généralisée qui a suivi. En décembre 2020, l’ONU Femmes estimait que « 495 millions d’emplois [avaient] été perdus depuis le début de la pandémie – beaucoup dans le secteur des services où quelque 74 pour cent des femmes migrantes sont employées ». En Jordanie, le HCR rapporte que « presque toutes [les femmes réfugiées] qui travaillaient déclar[e]nt avoir perdu leur source de revenus ». Dans des pays où des dispositifs comme le chômage partiel n’ont pas pu être mis en place par les gouvernements, ou ont été réservés aux nationaux.ales, ces femmes se trouvent donc dans des situations de grande précarité. Pour beaucoup, le risque de contracter le virus s’efface devant la nécessité impérieuse de pouvoir se nourrir, protéger sa famille et payer son loyer. Certaines travailleuses ont dû masquer leurs symptômes ou braver des interdictions de sortie pour pouvoir conserver une source de revenus. L’historienne Aurélie Leroy résume la situation des travailleur.ses informel.les de Lagos, dont le revenu est gagné au jour le jour : « La possibilité d’attraper une maladie apparaît dès lors bien moins menaçante que de n’avoir rien à manger à la fin de la journée ». Mais cette situation n’est pas réservée aux habitant.es des pays des Suds. Odette, travailleuse congolaise en Suisse, témoigne : « C’était pas facile pour moi. Si je ne travaille pas, ils ne me paient pas. ». Elle n’a pas pu demander l’aide sociale, car elle risquait de perdre son titre de séjour (permis B), conditionné en Suisse au fait d’être employé.e. L’exemple d’Odette illustre l’intrication entre droits au travail et au séjour.
Les femmes migrantes sont surreprésentées dans le secteur informel et fournissent un travail domestique majeur
61 % des travailleur.ses dans le monde participent du secteur informel, un secteur par essence extrêmement sensible à toute impossibilité d’exercer son travail. Dans les pays occidentaux, cette situation s’impose souvent aux personnes qui ne peuvent obtenir un emploi contractualisé, comme les personnes en situation irrégulière. Ceci explique que, selon l’OIT, « la situation de migrant est […] associée à une probabilité supérieure de travailler dans l’économie informelle ». C’est également le cas plus général des femmes, surreprésentées dans les secteurs des soins à la personne, dont il n’est pas rare que les activités (gardes d’enfants, ménages…) ne soient pas déclarées. Cette absence de déclaration empêche les femmes de bénéficier d’assurance en cas de maladie ou d’accident, de congés payés ou maternité. Les contrats, souvent courts et à temps partiel, obligent les femmes, particulièrement les migrantes, à accepter les premiers emplois venus pour pouvoir gagner un revenu suffisant.
Le travail informel se combine très souvent avec du travail domestique, rémunéré (sous la forme d’activités non-déclarées) ou non (par la prise en charge du fonctionnement du foyer et de l’attention aux personnes qui le composent). Le travail domestique, dans sa forme rémunérée, est une forme d’emploi particulièrement touchée par la pandémie de Covid-19 : il s’agit d’un poste de dépense assez facilement supprimable par les employeurs, d’autant plus qu’ils et elles sont confinés dans leurs domiciles. Par ailleurs, il est difficile, voire impossible pour les travailleur.ses de se rendre chez leurs employeurs confinés, et le risque de transmettre ou d’attraper le virus non-nul. L’ONU Femmes estime que « 37 millions de travailleuses domestiques risquent de perdre leurs emplois et revenus à la suite de la pandémie », dont 8,5 millions de migrantes. Ces dernières représentent « seulement » 12,5 % de l’ensemble des travailleuses migrantes dans le monde, mais 73,4 % des travailleur.ses domestiques migrant.es tous sexes confondus. Les femmes migrantes qui ont perdu leur emploi ont parfois voulu retourner dans leur pays d’origine, mais certaines se sont retrouvées bloquées dans le pays d’accueil. Avec la pandémie, toutes n’ont pas été payées pour les heures qu’elles avaient effectuées précédemment ; sans contrat de travail et papiers en règle, certaines n’ont pas pu défendre leurs droits.
Les travailleuses domestiques qui ont pu conserver leur emploi se sont retrouvées confrontées à de nouveaux problèmes. Alors que nombre de travailleuses domestiques migrantes sont logées chez leurs employeurs, la présence de ces dernier.es au domicile a pu augmenter la prévalence des violences domestiques, sexuelles et psychologiques auxquelles les travailleuses sont exposées. ONU Femmes alerte sur l’impossibilité pour ces femmes, durant le confinement, de fuir un.e employeur.se violent.e en retournant dans leur pays d’origine. Les femmes qui ont conservé leur emploi domestique ont également dû faire face à une surcharge de travail, souvent sans équipement adéquat. Enfin, comme toutes les autres femmes ayant une activité professionnelle, les travailleuses migrantes qui ont une famille ont dû assumer des charges ménagères, mentales et émotionnelles bien supérieures à la normale. Dans le cas des femmes migrantes, isolées de leur famille et donc de personnes ressources, mais également sans accès à certaines aides-sociales ou à une assurance, la garde des enfants a pu se révéler un problème particulièrement épineux. Certaines ont dû aller travailler en les laissant chez elles sans surveillance, une situation qui s’ajoute aux nombreux facteurs de stress que connaissent déjà les travailleuses migrantes.
Conclusion : les travailleuses migrantes sont particulièrement exposées…
Néanmoins, le marché du travail n’est pas le seul théâtre où s’expriment les discriminations que les travailleuses migrantes ont pu subir durant la crise de la Covid-19. L’exemple de certaines femmes montre à quel point les différents aspects de la vie des femmes migrantes sont imbriqués : l’accès à un travail, même informel, conditionne la possibilité du séjour et l’accès à un logement digne ; le titre de séjour permet l’obtention d’un travail contractualisé ; toutefois, diverses discriminations professionnelles maintiennent de nombreuses femmes migrantes dans la précarité… La prochaine partie se consacre donc aux discriminations rencontrées par ces femmes dans leur vie quotidienne, leur santé et leur accès aux droits.
Bibliographie
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Pour citer cet article : Cécile Guignard, “2 /4 – Femmes, migrants et Covid-19 : la situation dans le monde”, 09.08.2021, Institut du Genre en Géopolitique.
Les propos contenus dans cet article n’engagent que l’auteur.ice.