31.03.2022
Clara Malonga
« Si nous sommes indifférents au sujet des violences basées sur le genre, la terre et l’humanité sont en péril et nous sommes toutes.tous responsables. ». Denis Mukwege , Gynécologue-obstétricien congolais, Prix Nobel de la paix 2018.
Les rivalités au sein du gouvernement, issu de l’ex-rébellion sudiste pour l’indépendance sud soudanaise obtenue en 2011, ont engendré un conflit interethnique déstabilisant le territoire entier. Depuis des décennies, les dissensions entre les ethnies Dinka et Nuer, plus grandes ethnies du pays, fragilisent la stabilité du territoire. En 2013, le président Salva Kiir accuse Riek Machar, ancien vice-président du Soudan du Sud, de tentative de coup d’Etat.
La lutte pour l’obtention du pouvoir central au sein de la capitale Djouba, s’est transformée en conflit interethnique puis économique. En effet, la principale ressource économique du Soudan du Sud est l’exportation du pétrole, transporté via les oléoducs soudanais menant vers Port-Soudan. Les luttes pour le contrôle des champs pétroliers, affectent les populations civiles vivant au sein des villes géostratégiques riches en pétrole comme Bentiu dans l’Etat d’Unité.
Malgré, un cessez-le-feu en 2018, les violences persistent au sein des Etats. Les femmes sud soudanaises, sont victimes d’une multitude de violences perpétrées de manière systématique et à grande échelle. De plus, les répercussions socio-économiques et politiques du conflit, réduisent les droits des femmes sud soudanaises. De nombreuses jeunes femmes issues de familles appauvries par le conflit, sont mariées de force et leur éducation est interrompue pour des raisons économiques.
Jusqu’à ce jour, les femmes sud soudanaises vivent dans une insécurité permanente et sont victimes de violences sexuelles et de discriminations. Par conséquent, les corps des femmes sud soudanaises sont-ils utilisés comme des armes de guerre par les principaux acteurs du conflit intra-étatique ?
Au sein de cet article, une analyse multiscalaire sera réalisée, afin de démontrer que les violences envers les femmes sont normalisées due à une impunité générale, dans le but d’exterminer une ethnie, conquérir un territoire et humilier les combattants au sein du conflit.
Recrudescence des violences au sein du conflit.
- Conflit à travers le corps des femmes
Les violences sexuelles sont perpétrées de manière systématique au sein d’un contexte d’impunité généralisé. Selon une enquête du Coordonnateur humanitaire au Soudan du Sud, Eugene Owusu : « les cas d’agression sexuelle et de violences liées au genre ont augmenté de 64% en 2016 par rapport à l’année précédente »[1]Soudan du Sud : l’ONU avertit que les femmes et les filles sont confrontées à un risque très élevé d’agression … Continue reading.
Le dysfonctionnement du système judiciaire sud soudanais accroît l’insécurité. De nombreux individus haut placés sud soudanais, issus de l’ethnie Nuer ou Dinka, abusent de leur pouvoir et perpétuent les violences sexuelles envers les femmes. En février 2018, la Commission des Nations unies sur les droits de l’homme indique avoir identifié, grâce aux « 58.000 documents et les témoignages de 230 femmes recueillis », 41 hauts responsables sud-soudanais ayant commis des enlèvements et violences sexuelles. Les auteurs de crimes de guerre peuvent être poursuivis par les organismes internationaux.
La ville Waat située au sein de l’État Jonglei, est constamment attaquée par des rebelles Dinka, due à la présence élevée de population issue de l’ethnie Nuer. Selon le rapport du Haut-Commissariat des Nations unies aux droits de l’homme, environ : «134 femmes et filles ont été violées et 41 ont subi d’autres formes de violence sexuelle et physique entre septembre et décembre 2018»[2]Rapport de l’ONU, Soudan du Sud : les violences sexuelles brutales perdurent dans la région d’Unité (nord), 15 février 2019, … Continue reading. Au Soudan du Sud, les groupes paramilitaires et milices s’approprient le corps des femmes sud-soudanaises comme un bien de propriété, afin d’exercer une domination ou de se venger. Les rebelles affiliés aux forces gouvernementales, Forces de défense du peuple sud-soudanais (l’APLS), majoritairement issus de l’ethnie Dinka, violent les femmes Nuer pour se venger .
Le 17 décembre 2018, le village de Lang situé au milieu des zones de combats dans le comté de Koch, a été attaqué par des rebelles. Selon le rapport, des Nations unies, « cinq femmes ont été victimes d’un viol collectif »[3]Soudan du Sud : les violences sexuelles brutales perdurent dans la région d’Unité (nord) – Rapport de l’ONU https://www.ohchr.org/fr/NewsEvents/Pages/DisplayNews.aspx?NewsID=24168&LangID=F, dont quatre qui « étaient enceintes »[4]Ibid au moment des faits. L’objectif principal est donc, de porter atteinte à la filiation de l’adversaire. Ainsi, que d’exterminer ou affecter la descendance de l’ennemi à travers le corps des femmes sud soudanaises. L’ONUSIDA, « Le Programme commun des Nations unies sur le VIH/sida » démontre selon une étude que lors des attaques, les femmes sud soudanaise sont « victimes de violences génitales, elles sont mutilées par les combattants »[5]Éliminer les violences sexuelles et sexistes violence et la protection de la santé et droits des femmes et des enfants dans les contextes humanitaires.P.8 … Continue reading. De plus, les rebelles affilié aux forces gouvernementales Dinka, utilisent les femmes sud soudanaises afin de propager par le viol, des maladies sexuellement transmissibles comme le VIH[6]Ibid. Les rebelles souhaitent donc indirectement affecter la santé et contrôler les naissances de la communauté adverse à travers le corps des femmes.
- Conquête des territoires : Grâce aux corps des femmes sud soudanaises.
La Mission des Nations unies estime que : « jusqu’à 686 femmes et enfants ont été enlevés lors des affrontements qui ont eu lieu entre janvier et août 2021 »[7]https://unmiss.unmissions.org/file/12783/download?token=l8XLrweT. Les rebelles attaquent et enlèvent des femmes au sein de villages, pillent, brûlent les civil·e·s au sein de leurs habitations.
Les enlèvements collectifs de femmes sont exercés avec des modes opératoires similaires, les villages sont principalement attaqués durant la nuit par des hommes armés. Les femmes, principales cibles des assaillants, s’enfuient avec leur famille et laissent derrière elles, leur habitation et autres biens matériels. Elles sont dans l’obligation de vivre au sein des camps de réfugiés, par peur de servir d’esclaves sexuelles. Le déplacement forcé des populations villageoises, permet aux rebelles de conquérir les terres des villages abandonnées.
Ces femmes sont considérées comme des butins de guerre. La ville riche en pétrole, Bentiu, est l’une des villes les plus touchées par les massacres. Les femmes sud soudanaises sont « victimes d’enlèvements (41 %) et de meurtres (28 %) »[8]https://unmiss.unmissions.org/file/12783/download?token=l8XLrweT. Les rebelles Nuer ont réussi à conquérir certaines villes des Etats du Nord, pétroliers, auparavant contrôler par les forces gouvernementales Dinka, en utilisant la femme comme un instrument de conquête territorial.
- Raréfaction des denrées alimentaires : accroissement de la violence envers les femmes.
Au Soudan du Sud, l’élevage pastoral a permis de nourrir durant des siècles « plus de 65 % de la population »[9]Apprendre tout en gardant les troupeaux au Soudan du Sud https://www.fao.org/fao-stories/article/fr/c/1278623/Soudan du Sud : le conflit a des conséquences catastrophiques sur l’élevage, … Continue reading. La population sud soudanaise se nourrit principalement de lait et de viande bovine grâce à l’élevage pastoral. Cependant, le conflit « a plongé 60% de la population dans la faim et la pauvreté »[10]Soudan du Sud : le PAM reçoit 345 millions de dollars pour apporter une aide alimentaire à des millions de personnes … Continue reading et accentuer l’insécurité alimentaire au sein du territoire.
La place des femmes sud soudanaises est primordiale au sein de la société. Elles subviennent aux besoins primaires de villages entiers. Ainsi, leur disparition engendre une instabilité socio-économique au sein des communautés. De plus, les conflits fonciers entre éleveur et agriculteurs engendrent une augmentation des « prix des aliments de base qui ont quadruplé dans les zones les plus touchées » [11]Ibid par les conflits.
La destruction de denrée alimentaire par les rebelles et le manque d’eau pousse les femmes sud soudanaise, malgré l’insécurité à se déplacer toujours plus loin pour se nourrir. Les denrées alimentaires comme les sacs de riz, provenant des organisations internationales comme la FAO, l’Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture[12]FAO in South Sudan https://www.fao.org/south-sudan/fao-in-south-sudan/en/, sont distribués au sein des centres alimentaires pour venir en aide aux femmes et leurs enfants.
La crise alimentaire accroît l’insécurité des femmes, « des millions de femmes et de filles pourraient être violées, notamment lorsqu’elles sont à la recherche de nourriture »[13]Soudan du Sud : l’ONU avertit que les femmes et les filles sont confrontées à un risque très élevé d’agression sexuelle … Continue reading. Les chemins menant aux puits d’eau, et centres de distribution de denrées alimentaires, sont des zones stratégiques pris pour cible par les rebelles. De nombreux cas d’agression ont été répertoriés au sein des centres de distribution de denrée alimentaire dans la ville de Bentiu[14]ibid.
Porter atteinte à l’intégrité mentale et morale des combattants et s’enrichir matériellement.
- Humilier l’adversaire à travers le corps des femmes
Selon, le Dr Mukwege, gynécologue-obstétricien, il existe un « fléau mondial »[15]Ibid, les femmes agressées sexuellement par l’adversaire sont systématiquement rejetées et sont dans « l’impossibilité de retourner dans leur village »[16]Ibid. Lorsque les femmes sud soudanaises décident de ne pas mettre fin à une grossesse issue d’un viol, elles sont humiliées et ostracisées par les hommes de leur communauté. Par conséquent, les femmes sont abandonnées et éduquent seules, un enfant non désirée issu d’une autre ethnie.
De nombreux facteurs expliquent les raisons pour lesquelles, ces femmes décident de ne pas interrompre leurs grossesses non désirées. En effet, depuis le début du conflit une grande partie des infrastructures permettant aux femmes d’avorter dans de bonnes conditions ont été détruites. Elles sont donc obligées d’avorter sans professionnels dans des conditions sanitaires désastreuses et risquent de perdre la vie. Au sein du conflit sud soudanais, une femme enceinte de l’ennemi peut affecté toute une communauté entière. Les combattants agressent les femmes sud-soudanaises afin de disloquer le corps social des communautés. En effet, au sein du conflit, agresser les femmes de l’adversaire c’est s’attaquer à leur intégrité. Et démontrer que les combattants adverses sont incapables de défendre leur territoire et protéger leur communauté. Une humiliation qui déstabilise mentalement les combattants au sein du conflit, affectés par les violences que subissent les femmes de leur communauté entre les mains de leur ennemi.
- Enrichissement des milices
Les prises d’otages sont une arme universelle, au Soudan du Sud, les corps des femmes sud soudanaises sont utilisés afin de dépouiller des biens matériels et extorquer des informations du camp adverse. Les extorsions sous la torture et les agressions sexuelles sont devenues le quotidien des femmes sud soudanaises enlevées de force.
Par ailleurs, la détention des corps des femmes sud soudanaise au sein de camps, permet aux rebelles de propager leurs messages et revendications politiques à travers le territoire. De plus, l’argent récolté permet de recruter des jeunes combattants au sein des groupes rebelles. Par ailleurs, le corps de la femme sud-soudanaise permet aux rebelles, de se procurer des munitions, armes de guerre ainsi que des véhicules pour parcourir les espaces géostratégiques convoités. Au sein du conflit, les femmes sud-soudanaises représentent une monnaie d’échange. Selon le rapport annuel de l’UNMISS, La violence affectant les civils sud soudanais, les « vagues d’attaques des milices communautaires armées à travers Jonglei, ainsi qu’à Warrap et Lakes »[17]Human right division United Nations Mission in South Sudan https://unmiss.unmissions.org/file/12783/download?token=l8XLrweT sont soutenus par des « élites locales et nationales motivées par des intérêts politiques et économiques. »[18]Ibid
Conclusion
Au sein du conflit intraétatique sud soudanais, les femmes, utilisées comme une arme de guerre, subissent des violences sexuelles principalement à cause de leur ethnie et de leur genre. Jusqu’à ce jour, le corps des femmes sud-soudanaises, principales victimes du conflit, est devenue un champ de bataille des principaux acteurs du conflit. Les tortures et autres violences sexuelles subies par les femmes sud soudanaises, pour conquérir des territoires et ressources naturelles convoitées, sont normalisé due à l’impunité généralisé. Malgré la fin du conflit intraétatique, le 22 février 2020, les violences perdurent et les femmes sud-soudanaises vivent jusqu’à présent dans une insécurité totale.
Pour citer cette production : Clara Malonga, « Les violences subies par les femmes sud-soudanaises au sein du conflit intra-étatique », 31.03.2022, Institut du Genre en Géopolitique.
Les propos tenus dans cet écrit n’engagent que l’autrice.
References
↑1 | Soudan du Sud : l’ONU avertit que les femmes et les filles sont confrontées à un risque très élevé d’agression sexuelle.https://news.un.org/fr/story/2017/04/356082-soudan-du-sud-lonu-avertit-que-les-femmes-et-les-filles-sont-confrontees-un |
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↑2 | Rapport de l’ONU, Soudan du Sud : les violences sexuelles brutales perdurent dans la région d’Unité (nord), 15 février 2019, https://www.ohchr.org/fr/NewsEvents/Pages/DisplayNews.aspx?NewsID=24168&LangID=F |
↑3 | Soudan du Sud : les violences sexuelles brutales perdurent dans la région d’Unité (nord) – Rapport de l’ONU https://www.ohchr.org/fr/NewsEvents/Pages/DisplayNews.aspx?NewsID=24168&LangID=F |
↑4, ↑6, ↑11, ↑15, ↑16, ↑18 | Ibid |
↑5 | Éliminer les violences sexuelles et sexistes violence et la protection de la santé et droits des femmes et des enfants dans les contextes humanitaires.P.8 https://www.un.org/sexualviolenceinconflict/wp-content/uploads/2020/05/report/eliminating-sexual-and-gender-based-violence-and-protecting-the-health-and-rights-of-women-and-children-in-humanitarian-settings/JC2955_20180924_meeting-report_en.pdf |
↑7, ↑8 | https://unmiss.unmissions.org/file/12783/download?token=l8XLrweT |
↑9 | Apprendre tout en gardant les troupeaux au Soudan du Sud https://www.fao.org/fao-stories/article/fr/c/1278623/Soudan du Sud : le conflit a des conséquences catastrophiques sur l’élevage, selon la FAO |
↑10 | Soudan du Sud : le PAM reçoit 345 millions de dollars pour apporter une aide alimentaire à des millions de personnes https://news.un.org/fr/story/2021/04/1093992#:~:text=L’Agence%20des%20Etats%2DUnis,la%20faim%20et%20la%20pauvret%C3%A9. |
↑12 | FAO in South Sudan https://www.fao.org/south-sudan/fao-in-south-sudan/en/ |
↑13 | Soudan du Sud : l’ONU avertit que les femmes et les filles sont confrontées à un risque très élevé d’agression sexuelle https://news.un.org/fr/story/2014/12/302992-soudan-du-sud-le-conflit-des-consequences-catastrophiques-sur-lelevage-selon-la |
↑14 | ibid |
↑17 | Human right division United Nations Mission in South Sudan https://unmiss.unmissions.org/file/12783/download?token=l8XLrweT |