Le droit à l’avortement au Maroc, une volonté de bousculer les mœurs

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01.11.2022

Julia Ricci

Le 28 septembre 2022, journée mondiale du droit à l’avortement, des manifestant·e·s se sont réuni·e·s devant le Parlement à Rabat au Maroc pour réclamer une réforme législative pour un avortement sécurisé[1]AfricaNews. (2022, 29 septembre). Maroc : une manifestation pour réclamer « l’avortement sécurisé ». Africanews. … Continue reading. Cela fait suite à la mort de Meriem, 14 ans, après avoir clandestinement avorté le 6 septembre. Cet évènement ravive le débat national sur l’avortement, dans lequel les associations féministes s’engagent pour faire pression sur le gouvernement afin de le dépénaliser. Cette note va ainsi reprendre le contexte sociétal et la situation de l’avortement au Maroc, afin de comprendre les revendications des manifestant·e·s tout en analysant les freins politiques et religieux jugulant le droit des femmes à disposer de leur corps. Alors, pourquoi les facteurs politiques et religieux bloquent-ils la dépénalisation du droit à l’avortement au Maroc ?

Des manifestations révélatrices d’un fléau sociétal pour la protection des femmes

Une des associations réclamant la dépénalisation de l’avortement au Maroc déplore un tableau alarmant sur ce phénomène. L’Association marocaine de la lutte contre l’avortement clandestin (Amlac) estime qu’entre 600 et 800 avortements illégaux sont réalisés par jour au Maroc[2]Collas, A. (2022, 6 octobre). Maroc : après le drame de Meriem, le gouvernement sous pression pour réformer l’avortement. Le Monde.fr. … Continue reading. L’Amlac estime également que 13% des femmes qui meurent pendant leur accouchement ont subis un avortement clandestin par le passé[3]Girard-Blanc, N. S. M. (2022, 11 juin). Maroc : la nouvelle proposition de loi sur l’avortement peut-elle passer ? … Continue reading. Pour cause, des méthodes traditionnelles sont la plupart du temps utilisées avec un manque de matériel médical, d’hygiène et donc un fort risque de mortalité[4]Collas, A. (2022, 6 octobre). Maroc : après le drame de Meriem, le gouvernement sous pression pour réformer l’avortement. Le Monde.fr. … Continue reading.

Ces chiffres cachent aussi d’autres réalités comme des suicides, des crimes d’honneur, des femmes rejetées par leur famille ou des infanticides[5]Mauriat, V. & Vigna, A. (2022, 20 octobre). Les dangers de l’avortement clandestin au Maroc et au Brésil, où l’IVG demeure prohibée. Franceinfo. … Continue reading. Cela démontre l’ampleur du problème dans un pays où l’avortement est un crime, passible d’une peine de 6 mois à 2 ans de prison pour la femme qui avorte, et jusqu’à 5 ans pour le médecin qui le pratique[6]Collas, A. (2022, 6 octobre). Maroc : après le drame de Meriem, le gouvernement sous pression pour réformer l’avortement. Le Monde.fr. … Continue reading, avec un interdiction d’exercer leur métier.

Le contexte politique et religieux a jusque-là empêché toute réforme législative. Ces deux facteurs sont liés, car l’Islam et ses lois régissent la vie politique et juridique du pays. La jurisprudence islamique influence la législation relative aux droits des femmes et notamment à l’avortement[7]Atay, H. (2018, 11 octobre). Avortement en terre d’islam : un sujet controversé. Le Point. … Continue reading. Pour le Malikisme, une des branches du droit musulman sunnite prédominante en Afrique du Nord[8]Wikipedia contributors. (2022, 5 septembre). Malikisme. https://fr.wikipedia.org/wiki/Malikisme, l’avortement est un crime ou un pêché, interdit dès la conception du fœtus[9]Ait Boughima, F., Benyaich, H., Boufettal, H. & Samouh, N. (2011). Les aspects médicolégaux de l’avortement au Maroc. La Revue de Médecine Légale, 2(4), 170‑173. … Continue reading. Au Maroc, l’avortement est autorisé seulement si la santé de la mère est en danger, si il est ouvertement pratiqué par un·e médecin·e ou un·e chirurgien·ne et si le mari ou le conjoint consent à cette intervention[10]Ibid.

Par ailleurs, des tentatives de réformes politiques ont été introduites par le roi Mohammed VI en 2015 afin de légaliser l’avortement sous trois autres conditions possibles : dans les cas de viol ou d’inceste, de malformation du fœtus ou d’une souffrance d’un trouble psychologique de la mère[11]AfricaNews. (2022, 29 septembre). Maroc : une manifestation pour réclamer « l’avortement sécurisé » . Africanews. … Continue reading. Ce projet a été rejeté par le Parlement au motif que la réforme touche aussi à d’autres sujets sensibles du code pénal comme les relations sexuelles hors mariage, l’homosexualité et la peine de mort[12]Collas, A. (2022, 6 octobre). Maroc : après le drame de Meriem, le gouvernement sous pression pour réformer l’avortement. Le Monde.fr. … Continue reading. Une autre proposition a été faite en juin 2022 par des député·e·s libéraux·ales du parti du progrès et du socialisme (PPS) pour moderniser la loi afin de protéger la santé des femmes, mais a été abrogée par le Ministère de la Justice[13]Girard-Blanc, N. S. M. (2022, 11 juin). Maroc : la nouvelle proposition de loi sur l’avortement peut-elle passer ? JeuneAfrique.com. … Continue reading. Les potentielles avancées politiques sont jugulées. Les associations féministes ne sont pas conviées au débat politique. Cela illustre le fossé entre la société civile et la classe politique. 

Les revendications des ONG féministes marocaines dénonçant la domination et le contrôle sur les femmes

La mort de Meriem est devenue un symbole. Une journée de deuil a été décrétée par les collectifs féministes et un hommage a été rendu sur les réseaux sociaux avec #Meriem[14]Collas, A. (2022, 6 octobre). Maroc : après le drame de Meriem, le gouvernement sous pression pour réformer l’avortement. Le Monde.fr. … Continue reading. Les ONG féministes et la société civile ont la volonté de continuer à se mobiliser pour faire pression sur le gouvernement en réclamant la dépénalisation de l’avortement dès 12 ans[15]AfricaNews. (2022, 29 septembre). Maroc : une manifestation pour réclamer « l’avortement sécurisé » . Africanews. … Continue reading. Le but est que l’avortement ne soit plus une question d’ordre pénal ou de criminalisation, mais plutôt un sujet de santé physique, mentale et sociale[16]Collas, A. (2022, 6 octobre). Maroc : après le drame de Meriem, le gouvernement sous pression pour réformer l’avortement. Le Monde.fr. … Continue reading. Certaines associations vont plus loin en expliquant que l’interruption médicale de grossesse (IMG), relevant des questions de santé, n’est pas suffisante par rapport à l’interruption volontaire de grossesse (IVG), qui reflète la liberté des femmes[17]Girard-Blanc, N. S. M. (2022, 11 juin). Maroc : la nouvelle proposition de loi sur l’avortement peut-elle passer ? JeuneAfrique.com. … Continue reading. L’avortement comme priorité en termes de santé occulte le fond du débat sur les libertés individuelles, le droit et le choix des femmes à disposer de leur corps. 

Les ONG féministes déplorent le manque de volonté politique et dénoncent les dirigeant⸱e⸱s politiques face à une loi liberticide[18]Le Monde avec AFP. (2022b, septembre 29). Au Maroc, des militantes féministes manifestent pour le droit à l’avortement. Le Monde.fr. … Continue reading. Lors d’un séminaire le 27 octobre organisé par le collectif Printemps de la Dignité, l’avocate Khadija Roukani appelle à une réforme juridique au vu des conséquences économiques et sociales de l’avortement. Aux côtés de la coordinatrice du collectif, Fouzia Yassine, elles dénoncent « la structure traditionnelle et patriarcale[19]Hespress (2022, 27 octobre). Des associations de femmes appellent à dépénaliser l’avortement. Hespress Français. … Continue reading » qui ne protège pas les femmes des discriminations et des violences. En plus de la signature d’une pétition pour légaliser l’avortement et de l’ouverture d’une cagnotte pour venir en aide aux femmes qui veulent avorter, plus de vingt ONG féministes appellent à ce que le débat soit une affaire politique pour être inclus dans un texte autonome ou relevant d’une cause nationale de santé publique[20]Attar, A. (2022, 28 septembre). Maroc : une petition et un sit-in pour le droit à l’avortement. Afrik. https://www.afrik.com/maroc-une-petition-et-un-sit-in-pour-le-droit-a-l-avirtement A., S. … Continue reading. C’est ce que le docteur Chraibi, président de l’Amlac, soutient également en déclarant « que l’avortement n’est pas opposé à la religion[21]Mauriat, V. & Vigna, A. (2022, 20 octobre). Les dangers de l’avortement clandestin au Maroc et au Brésil, où l’IVG demeure prohibée. Franceinfo. … Continue reading ».

Les ONG féministes regrettent ainsi que l’avortement soit considéré comme un tabou, révélant l’hypocrisie de la société marocaine, la domination patriarcale, le contrôle des mœurs, le manque d’éducation sur les problèmes de sexualité et l’institutionnalisation des violences subis par les femmes[22]Collas, A. (2022, 6 octobre). Maroc : après le drame de Meriem, le gouvernement sous pression pour réformer l’avortement. Le … Continue reading. Cette hypocrisie est dénoncée par Leila Slimani qui parle d’institutionnalisation du mensonge et de « déni des réalités au nom d’une culture ou d’une identité[23]Epsztajn, D. (2018). Leila Slimani : Sexe et mensonges. La vie sexuelle au Maroc. Nouvelles Questions Féministes, 37(2), 119. https://doi.org/10.3917/nqf.372.0119 ». Elle va même plus loin on rétorquant qu’attribuer un angle sanitaire à l’avortement ne fait « [qu’]occulter la question de la liberté sexuelle et des droits [des femmes] à disposer de leur corps, sous couvert du respect de la loi islamique[24]Ibid. ». L’approbation du conjoint pour autoriser l’avortement représente une forme d’ascendance patriarcale sur la femme et son corps, ne lui laissant ni le choix ni le droit. Cela se traduit par une dépendance des femmes et un contrôle social qui entravent leur statut d’individues et leur rôle de citoyenne[25]Atay, H. (2018, 11 octobre). Avortement en terre d’islam : un sujet controversé. Le Point. … Continue reading.

Conclusion

Les manifestations au Maroc traduisent une volonté de changer les lois archaïques pour protéger les femmes et leurs droits. À l’heure où le droit à l’avortement est menacé dans certains pays, non acquis d’en d’autres ou refusé d’être établi comme un droit constitutionnel, il est important de se questionner sur le devenir de ce droit, ses enjeux et ses conséquences. C’est aussi valable pour le Maroc où, au vu des chiffres, cette question et les pressions de la société civile ne peuvent pas être éternellement évitées par les acteurs politiques et religieux.  

Pour citer cette production: Julia Ricci, « Le droit à l’avortement au Maroc, une volonté de bousculer les mœurs », 01.11.2022, Institut du Genre en Géopolitique. https://igg-geo.org/?p=9340

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Les propos contenus dans cet écrit n’engagent que l’autrice.

References

References
1 AfricaNews. (2022, 29 septembre). Maroc : une manifestation pour réclamer « l’avortement sécurisé ». Africanews. https://fr.africanews.com/2022/09/29/maroc-une-manifestation-pour-reclamer-lavortement-securise/
2, 4, 6, 12, 14, 16 Collas, A. (2022, 6 octobre). Maroc : après le drame de Meriem, le gouvernement sous pression pour réformer l’avortement. Le Monde.fr. https://www.lemonde.fr/afrique/article/2022/09/23/maroc-apres-le-drame-de-meriem-le-gouvernement-sous-pression-pour-reformer-l-avortement_6142924_3212.html
3 Girard-Blanc, N. S. M. (2022, 11 juin). Maroc : la nouvelle proposition de loi sur l’avortement peut-elle passer ? JeuneAfrique.com.https://www.jeuneafrique.com/1353063/politique/maroc-la-nouvelle-proposition-de-loi-sur-lavortement-peut-elle-passer/
5, 21 Mauriat, V. & Vigna, A. (2022, 20 octobre). Les dangers de l’avortement clandestin au Maroc et au Brésil, où l’IVG demeure prohibée. Franceinfo. https://www.francetvinfo.fr/replay-radio/le-club-des-correspondants/les-dangers-de-lavortement-clandestin-au-maroc-et-au-bresil-ou-l-ivg-demeure-prohibee_5399869.html
7 Atay, H. (2018, 11 octobre). Avortement en terre d’islam : un sujet controversé. Le Point. https://www.lepoint.fr/afrique/avortement-en-terre-d-islam-un-sujet-controverse-11-10-2018-2262263_3826.php
8 Wikipedia contributors. (2022, 5 septembre). Malikisme. https://fr.wikipedia.org/wiki/Malikisme
9 Ait Boughima, F., Benyaich, H., Boufettal, H. & Samouh, N. (2011). Les aspects médicolégaux de l’avortement au Maroc. La Revue de Médecine Légale, 2(4), 170‑173. https://doi.org/10.1016/j.medleg.2011.08.001
10, 24 Ibid.
11, 15 AfricaNews. (2022, 29 septembre). Maroc : une manifestation pour réclamer « l’avortement sécurisé » . Africanews. https://fr.africanews.com/2022/09/29/maroc-une-manifestation-pour-reclamer-lavortement-securise/
13 Girard-Blanc, N. S. M. (2022, 11 juin). Maroc : la nouvelle proposition de loi sur l’avortement peut-elle passer ? JeuneAfrique.com. https://www.jeuneafrique.com/1353063/politique/maroc-la-nouvelle-proposition-de-loi-sur-lavortement-peut-elle-passer/ Ibriz, S. (2022, 27 juin). Le droit à  l’avortement, sujet oublié au Maroc depuis le retrait du projet de code pénal. Médias24. https://medias24.com/2022/06/27/le-droit-a-lavortement-sujet-oublie-au-maroc-depuis-le-retrait-du-projet-de-code-penal/
17 Girard-Blanc, N. S. M. (2022, 11 juin). Maroc : la nouvelle proposition de loi sur l’avortement peut-elle passer ? JeuneAfrique.com. https://www.jeuneafrique.com/1353063/politique/maroc-la-nouvelle-proposition-de-loi-sur-lavortement-peut-elle-passer/
18 Le Monde avec AFP. (2022b, septembre 29). Au Maroc, des militantes féministes manifestent pour le droit à l’avortement. Le Monde.fr. https://www.lemonde.fr/afrique/article/2022/09/29/au-maroc-des-militantes-feministes-manifestent-pour-le-droit-a-l-avortement_6143654_3212.html
19 Hespress (2022, 27 octobre). Des associations de femmes appellent à dépénaliser l’avortement. Hespress Français. https://fr.hespress.com/286447-des-associations-de-femmes-appellent-a-depenaliser-lavortement.html
20 Attar, A. (2022, 28 septembre). Maroc : une petition et un sit-in pour le droit à l’avortement. Afrik. https://www.afrik.com/maroc-une-petition-et-un-sit-in-pour-le-droit-a-l-avirtement A., S. (2021, 8 mars). Maroc : une cagnote pour sécuriser l’avortement des femmes. bladinet. https://www.bladi.net/avortement-femmes-maroc,75509.html

Benargane, Y. (2022, 27 octobre). Maroc : Les ONG féministes réaffirment leur rejet de la criminalisation de l’avortement. https://www.yabiladi.com/articles/details/133278/maroc-feministes-reaffirment-leur-rejet.html

22 Collas, A. (2022, 6 octobre). Maroc : après le drame de Meriem, le gouvernement sous pression pour réformer l’avortement. Le Monde.fr.https://www.lemonde.fr/afrique/article/2022/09/23/maroc-apres-le-drame-de-meriem-le-gouvernement-sous-pression-pour-reformer-l-avortement_6142924_3212.html

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23 Epsztajn, D. (2018). Leila Slimani : Sexe et mensonges. La vie sexuelle au Maroc. Nouvelles Questions Féministes, 37(2), 119. https://doi.org/10.3917/nqf.372.0119
25 Atay, H. (2018, 11 octobre). Avortement en terre d’islam : un sujet controversé. Le Point. https://www.lepoint.fr/afrique/avortement-en-terre-d-islam-un-sujet-controverse-11-10-2018-2262263_3826.php

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