La place de la culture dans l’identité LGBTI+ à Madagascar

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26/07/2023

Donia AGCHAR

Madagascar, la « Grande Île » située au large de la côte sud-est de l’Afrique, est un pays d’une richesse culturelle exceptionnelle. Célèbre pour sa biodiversité unique et ses paysages spectaculaires, Madagascar abrite également une mosaïque de cultures, d’ethnies et de traditions[1]iExplore. (n.d.). Madagascar – History and Culture. https://www.iexplore.com/articles/travel-guides/africa/madagascar/history-and-culture.. L’identité malgache, façonnée par cette riche diversité culturelle, est profondément ancrée dans les coutumes et les normes sociales locales.

Toutefois, derrière la richesse de cette culture, des questions complexes concernant l’acceptation et l’inclusion de la communauté LGBTI+ émergent. Les personnes LGBTI+ à Madagascar font face à des défis importants en raison des normes culturelles prédominantes qui influencent la perception de leur identité au sein de la société. Ces normes locales conduisent à la stigmatisation, la discrimination et l’exclusion, entravant ainsi la pleine participation à la vie sociale des personnes LGBTI+.

Cette réalité a été illustrée par un article de juin 2015 dans l’un des plus anciens quotidiens locaux, Madagascar Matin. Intitulé « Scandale – Les Américains introduisent la culture gay à Madagascar », l’auteur y affirme que l’homosexualité est une croyance occidentale, étrangère aux mœurs du pays[2]Val, D. (n.d.). Scandale – Les Américains introduisent la culture gay à Madagascar. Madagascar Matin. https://www.matin.mg/?p=8027.. S’opposant ainsi à sa reconnaissance, cette position met en lumière un débat complexe concernant l’identité LGBTI+ à Madagascar et soulève la question suivante : De quelle manière la culture malgache joue-t-elle un rôle dans la construction de l’identité LGBTI+ dans le pays ?

En analysant les coutumes, les traditions, les valeurs et les croyances qui imprègnent la société malgache, il est possible de comprendre comment ces éléments influencent la manière dont les individu·es LGBTI+ se perçoivent et sont perçus par la communauté.

La culture malgache et son rôle dans la construction de l’identité LGBTI+ à Madagascar

La culture revêt une importance capitale dans la construction de l’identité d’un·e individu·e. Pour appréhender pleinement l’influence de la culture sur l’identité LGBTI+ à Madagascar, il est essentiel de se pencher sur des aspects clés de la culture du pays, tels que les coutumes, les traditions ou encore les normes sociales locales, qui influencent directement ou indirectement la communauté.

Tout d’abord, la culture du mariage occupe une place importante à Madagascar. Mettant l’accent sur la fécondité et reposant sur l’idée que la procréation assure la pérennité du couple[3]Handriniaina, S. (2019). Homosexualité à Madagascar: En parler à l’Eglise ? – Eglises d’Afrique. Editions L’Harmattan. … Continue reading, avoir une grande descendance est essentielle pour la stabilité du mariage. Cette culture est ancrée dans une vision hétéronormative du mariage et plus largement des relations conjugales. Dans ce contexte, les relations LGBTI+ se trouvent en dehors de ce cadre culturel. Ainsi, les relations homosexuelles et les personnes trans ne sont pas intégrées dans cette conception culturelle, ce qui entraîne une marginalisation de l’identité LGBTI+ dans la société malgache par rapport aux coutumes et croyances locales.

De plus, la culture malgache manifeste une propension à maintenir les questions relatives à toute forme de sexualités dans la sphère privée, encore plus lorsqu’il s’agit de relations en dehors du mariage. En ce sens, ces questions sont cantonnées à une certaine invisibilité sociale, ce qui limite encore plus les formes d’expression de l’identité LGBTI+ dans un pays où le mariage pour tous n’est pas inscrit dans la législation locale.

Un autre aspect important de la culture malgache est la conception traditionnelle de la féminité et de la masculinité. Les femmes sont souvent cantonnées aux tâches domestiques et à leur rôle dans la procréation, dans le but d’assurer une grande descendance. À titre d’exemple, selon un rapport non daté de Woman Count et d’ONU Femmes[4]UN Women Data Hub. (n. d). Country Fact Sheet – Madagascar. https://data.unwomen.org/country/madagascar., les femmes âgées de 5 ans et plus passent en moyenne 14,6% de leur temps dans les tâches domestiques, contre 2,8% pour les hommes de la même tranche d’âge. 

Une fois mariées, leur pouvoir décisionnel, que ce soit en termes de finances, de carrière professionnelle ou d’activité sexuelle, est complètement délégué à leur mari[5]Madagascar. (2023, April 30). Daughters of the Deep.Ainsi, dans le couple, les femmes sont placées au second plan contrairement aux hommes qui sont invités à manifester un certain leadership et à dominer l’espace via la prise de décision et de parole[6]Mardsen, B. (2023, May 17). GENDER INEQUALITY IN MADAGASCAR. The Borgen Project. https://borgenproject.org/gender-inequality-in-madagascar/.,[7]Fighting gender inequality and violence in Madagascar. (2020, March 11). IndustriALL. https://www.industriall-union.org/fighting-gender-inequality-and-violence-in-madagascar..

Ces inégalités – qui ne sont autre que le reflet des rôles traditionnels de genre attribués dans la culture malgache – se manifestent également au sein des instances politiques, où la représentation des femmes reste faible. Selon le même rapport de Woman Count et d’ONU Femmes, en février 2021, le parlement malgache n’était constitué que de 17,9% de femmes députées.

Ces inégalités de genre et ces rôles traditionnels attribués dans la culture malgache ont des conséquences sur l’identité LGBTI+, notamment les personnes trans, non-binaires et intersexes. Les normes sociales locales qui valorisent certaines formes de masculinité et de féminité peuvent influencer la manière dont ces personnes se perçoivent et sont perçu·es par la société. De plus, cette conception de la féminité et de la masculinité limite l’expression de l’identité de genre, contribuant à la marginalisation de la communauté.

Il y a très peu d’informations concernant l’identité LGBTI+ en elle-même à Madagascar, et force est de constater qu’à cause de divers éléments, la construction de cette identité peine à se faire.

En étudiant le peu d’éléments permettant d’établir le lien entre la culture malgache et son rôle quant à l’identité LGBTI+ à Madagascar, il devient évident que les normes sociales, les conceptions traditionnelles de genre et les coutumes matrimoniales sont étroitement liées et jouent un rôle crucial dans la façon dont les personnes LGBTI+ conçoivent leur propre identité. Il est aussi intéressant d’étudier les aspects qui influencent cette culture tout en ayant des conséquences directes sur les questions liées à l’identité LGBTI+ et son acceptation au sein de la société malgache, notamment la colonisation.

De 1897 à 1946, Madagascar a été colonisée par la France, se soumettant alors aux valeurs et aux normes occidentales imposées par les colons. L’influence de la colonisation s’est illustrée à travers la promulgation de lois et de codes pénaux qui criminalisent l’homosexualité et stigmatisent les relations sexuelles en dehors du mariage hétérosexuel[8]Seelow, S.. (2009, April 22). “Les lois homophobes sont souvent l’héritage de la colonisation.” Le Monde.fr. … Continue reading.

Les cultures malgaches pré-coloniales étaient diverses, avec de nombreuses ethnies et groupes ayant leurs propres coutumes et traditions. Les normes de genre variaient d’une communauté à l’autre. Cependant, la documentation ou les travaux anthropologiques sur ces peuples et leurs cultures sont limités, et ne permettent pas de refléter qu’elles étaient vraiment les différentes normes de genre sur l’île. Il en ressort simplement que l’arrivée des colonisateurs a imposé les conceptions occidentales, effaçant cette diversité des normes culturelles de genre. Dès la période de colonisation occidentale, les traditions matrimoniales locales ont été éclipsées par l’imposition du mariage monogame et hétérosexuel comme seul cadre familial « acceptable ». Cela a entraîné la marginalisation des pratiques et des identités de genre qui ne correspondaient pas à ces normes, renforçant ainsi la stigmatisation des personnes LGBTI+.

En 1962, Madagascar a dépénalisé l’homosexualité pour les personnes de plus de 21 ans, marquant ainsi une évolution importante dans la reconnaissance des droits LGBTI+. Cette nouvelle loi est proclamée deux ans après l’indépendance du pays, qui se libère alors progressivement des lois coloniales et de l’héritage laissé par cette période[9] Indépendance de Madagascar. (n. d.). … Continue reading.

Croyances et spiritualités : le poids de la religion et de l’Eglise protestante

Au cœur de la culture malgache, la religion est importante, influençant profondément les croyances et les pratiques sociales du pays. Le christianisme protestant est prédominant à Madagascar, avec environ 85,7% de la population se déclarant chrétienne en 2021 selon un rapport du bureau d’État américain[10]2021 Report on International Religious Freedom: Madagascar. (2022, June 2). United States Department of State. https://www.state.gov/reports/2021-report-on-international-religious-freedom/madagascar/..

Parmi les différentes dénominations protestantes présentes dans le pays, certaines églises chrétiennes conservatrices considèrent l’homosexualité comme allant à l’encontre des enseignements religieux. Cette perception entraîne une stigmatisation et une discrimination envers les personnes homosexuelles dans la société malgache.

Un exemple marquant est celui de la FJKM (Fiangonan’i Jesoa Kristy eto Madagasikara, FR: Église de Jésus-Christ à Madagascar), une église protestante majeure à Madagascar. Ayant publiquement dénoncé ce qu’elle qualifie de « dérives homosexuelles » à plusieurs reprises[11]Belalahy, J. (2019, December 20). Lesbiennes, Gays Bisexuels et transgenres : La FJKM dénonce les dérives homosexuelles et le mariage pour tous. Midi Madagasikara. … Continue reading, l’église FJKM s’oppose fermement au mariage pour tous. Ces prises de position renforcent la marginalisation des personnes homosexuelles – et par extension LGBTI+ – dans le pays, en limitant leur acceptation au sein de la communauté religieuse et de la société en général. La condamnation de l’homosexualité par certaines églises crée donc un environnement où les personnes concernées font face à une stigmatisation et à une discrimination basées sur des croyances religieuses conservatrices.

Ces attitudes ne sont pas représentatives de toutes les églises et de tous·tes les croyant·es à Madagascar. Certaines communautés chrétiennes prônent l’inclusion, la tolérance et le respect des droits humains, y compris des droits des personnes LGBTI+[12]Zbinden, R. (24 avril 2019). «L’Église doit accompagner les homosexuels de Madagascar». Gay Christian Africa. … Continue reading. Néanmoins, ces discours restent minoritaires, ce qui ne permet pas de contrer les préjugés et les barrières culturelles affectant la construction de l’identité et l’acceptation des personnes LGBTI+ dans le pays.

L’influence culturelle sur la législation des droits LGBTI+ à Madagascar

Au-delà des aspects culturels, la législation à Madagascar joue un rôle déterminant dans la reconnaissance et la protection des droits des personnes LGBTI+. La culture malgache a une influence significative sur la manière dont ces droits sont définis et appliqués dans le pays.

Tout d’abord, la dépénalisation de l’homosexualité légiférée après l’indépendance du pays s’accompagne de peines de prison et d’amendes lorsque des relations impliquent des mineur·es de moins de 21 ans[13]Verneau, L. (2020, March 16). A Madagascar, l’emprisonnement d’une lesbienne rappelle la dure situation des minorités sexuelles. Le Monde.fr. … Continue reading

De plus, le mariage homosexuel n’est pas reconnu par la législation malgache, ce qui souligne l’absence d’une réelle égalité des droits pour les couples de même sexe. Concernant l’identité de genre, elle n’est pas légalement reconnue, ce qui signifie que les personnes trans rencontrent des difficultés pour faire valoir légalement le changement de la mention du sexe sur leurs documents d’identité.

Par ailleurs, Madagascar ne dispose d’aucune loi de non-discrimination sur la base de l’orientation sexuelle et/ou de l’identité de genre. Cette absence de mesures témoigne d’un manquement de protection juridique pour les individu·es LGBTI+ et leurs droits.

En mars 2020, une affaire a éclaté mettant en évidence l’influence de la culture sur la législation concernant les droits LGBTI+ à Madagascar. Ken, une femme de 33 ans, a été arrêtée pour détournement de mineure impliquant sa petite-amie de 19 ans, Fy, suite à une plainte déposée par la mère de cette dernière. C’est donc en vertu de la loi qui punit d’emprisonnement « quiconque a commis un acte indécent ou contre nature avec un individu du même sexe, âgé de moins de 21 ans[14]Léger, T. (2020, April 3). Overcrowding and the risk of unmitigated spread of COVID-19 in Madagascar’s prisons. Amnesty … Continue reading», que Ken a été poursuivie.

Dans cette affaire, il a été rapporté par Fy que sa mère cherchait à se venger d’elle pour avoir souhaité porter plainte contre son père, qui l’avait violée. Cette situation tragique révèle une complexité supplémentaire dans l’interprétation et l’application de la loi : selon certains juristes, dont le professeur Marie-Michel Robivelo, cette loi a surtout pour but de protéger les victimes d’actes de violences et non consentis[15] De Matos, L. (2022, February 20). Madagascar : Ken, 33 ans, est en prison parce qu’homosexuelle. TV5MONDE – … Continue reading

Cependant, si l’objectif était véritablement de protéger les victimes mineures d’actes de violences et de non-consentement, la loi ne serait-elle pas formulée de manière plus spécifique, sans spécifiquement stigmatiser les relations homosexuelles ? De plus, Fy a exprimé avoir rencontré beaucoup de difficultés pour porter plainte contre son père qui la violait depuis plus de dix ans : la loi protège-t-elle donc réellement les mineurs d’actes de violences non consentis ? Tout cela soulève des réflexions quant à la persistance d’attitudes homophobes dans la société malgache, renforcées par certaines interprétations juridiques.

Par ailleurs, les personnes qui ont soutenu le couple de Ken et Fy sur les réseaux sociaux ont été victimes d’insultes et de menaces de mort, témoignant de la polarisation des opinions concernant l’homosexualité à Madagascar. Bien que l’homosexualité soit dépénalisée dans le pays, le sujet reste tabou et fortement condamné par une partie de la société. Certains chefs religieux ont notamment accusé le couple de « promouvoir l’homosexualité » et ont même suggéré à Fy de suivre une thérapie de conversion.

L’affaire de Ken et Fy met en évidence l’influence de la culture malgache sur la législation en matière de droits LGBTI+. Les attitudes et les préjugés envers les personnes LGBTI+ ont des conséquences directes sur la manière dont la loi est interprétée et appliquée, créant un environnement où l’identité LGBTI+ est souvent mal comprise et marginalisée. L’absence de mesures légales de protection sur la base de l’orientation sexuelle et/ou de l’identité de genre accentue ce phénomène et souligne la nécessité de promouvoir une plus grande compréhension et acceptation des diversités sexuelles et de genre dans la société malgache.

L’évolution de l’identité LGBTI+ à Madagascar : entre résistance politique et l’ébauche d’une voix subversive 

Dans un pays où les questions relatives aux droits LGBTI+ demeurent taboues et peu abordées, la société malgache semble peu encline à adopter une approche inclusive envers ces individu·es. Comme le souligne Noro Ravaozanany, sociologue et ancienne présidente du National Council of Women in Madagascar : « La société malgache n’est pas prête à bouger sur les droits des homosexuels. L’égalité hommes-femmes est déjà une gageure en 2020, même dans les milieux intellectuels[16]Verneau, L. (2020, March 16). A Madagascar, l’emprisonnement d’une lesbienne rappelle la dure situation des minorités sexuelles. Le … Continue reading. ». Ce climat répressif se manifeste à travers des exemples de discriminations et de violences subies par la communauté LGBTI+, qui ne sont autres que le reflet d’une société qui devient de plus en plus hostile aux personnes et, plus largement, aux droits LGBTI+[17]IRB – Immigration and Refugee Board of Canada (n.d.). “Madagascar : information sur le traitement réservé par la société et les autorités aux minorités sexuelles et de genre, y compris … Continue reading,[18]Ratsara, D. (2018, January 14). As faiths mix, Madagascar’s LGBTQ community faces harassment and discrimination. Religion News Service. … Continue readingIl a été rapporté en 2011 par le bureau d’Etat américain qu’il existe une discrimination sociale généralisée à l’encontre de la communauté LGBTI+ : l’orientation sexuelle et l’identité de genre ne sont pas largement débattues dans le pays, et les attitudes publiques vont de l’acceptation tacite au rejet violent. Selon le même rapport, ce rejet se manifeste particulièrement chez les travailleur·ses du sexe LGBTI+, qui sont souvent victimes d’aggressions physiques et verbales, de jet de pierre et même de meurtre[19] United States Department of State – Bureau of Democracy, Human Rights and Labor. (2011). Country Reports on Human Rights Practices for 2011. … Continue reading

En octobre 2020, une proposition de loi contre le mariage pour tous a été soutenue par la présidente de l’Assemblée nationale, qui a clairement exprimé son opposition à toute avancée en faveur des droits LGBTI+.

En décembre 2019, un projet de loi sur « la prévention, la poursuite et la répression des actes de violences basées sur le genre » a été adopté par l’Assemblée nationale et le Sénat[20]A Madagascar, une loi soupçonnée d’être la porte ouverte au mariage pour tout.e.s. (2020, January 2). KOMITID. … Continue readingCependant, cette loi se concentre uniquement sur les femmes, laissant les personnes trans ou intersexes sans véritable protection juridique. De plus, le libellé ambigu de certains articles a suscité des critiques concernant la reconnaissance des relations homosexuelles. Le député membre de l’opposition, Razara Pierre, a notamment attiré l’attention sur la formulation de l’article 6 qui punit de deux à cinq ans de prison « tout acte de pénétration sexuelle (…) commis sur le conjoint ou sur la personne engagée dans une union ». L’élu s’est interrogé sur l’utilisation du terme « conjoint » au masculin plutôt que « conjointe » au féminin, soulevant des questions sur la reconnaissance des relations homosexuelles uniquement composées de conjoints au masculin. Il a notamment accusé la loi de présenter délibérément une ambiguïté pour introduire le mariage pour tous dans le pays et progressivement avancer vers une législation qui serait favorable à l’union homosexuelle. Selon Razara Pierre, l’ambiguïté réside donc dans la formulation de la loi car il ne peut y avoir pénétration sexuelle sur un conjoint (terme au masculin), ce qui démontre alors une prise de position hétéronormative des relations sexuelles. Ses propos critiques ont été largement relayés par les internautes, mais surtout par de nombreux membres de l’Eglise[21]Madagascar: propos homophobes autour d’une loi contre les violences sexistes. (2019, December 22). RFI. … Continue reading.

Concernant les personnes trans à Madagascar, leur situation demeure largement méconnue sur la scène internationale. Le manque de documentation entraîne un effet domino sur leur représentation et leur lutte pour les droits au sein du pays[22]Manatakis, L. (2018, May 31). Being queer in Madagascar, one of the world’s most underreported countries. Dazed. … Continue readingEn étant peu représentées ou médiatisées, les personnes trans n’ont pas de moyens de faire connaître leur cause, ce qui laisse peu de place au militantisme trans pour se développer voire simplement exister.

De nombreux membres de la communauté LGBTI+ vivent dans le secret, cachant leur identité, y compris à leurs proches. Selon un rapport publié en octobre 2019 du William Institute de l’UCLA sur l’acceptation sociale des personnes LGBTI+ dans 174 pays, Madagascar se place à la 125ème position entre 2014-2017 avec un GAI (Global Acceptance Index) de 3,2 points[23]Flores, A. (2019). Social Acceptance of LGBT People in 174 Countries, 1981 to 2017. The Williams Institute. https://escholarship.org/content/qt5qs218xd/qt5qs218xd.pdf.. À titre de comparaison, sur la même période, la France est 22ème avec un GAI de 7,1 points.

Dans ce contexte répressif, l’association Solidarité MSM Madagascar émerge comme la seule organisation qui oeuvre entièrement pour la promotion et la défense des droits LGBTI+ depuis 2014[24]Madagascar Matin. (n. d.). Association solidarité MSM – Dénonciation de la persécution des personnes LGBTI. https://www.matin.mg/?p=31001.. Cependant, elle reste relativement peu connue à l’échelle nationale, ce qui limite son rôle et son influence[25]Solidarité des MSM Madagascar. (n.d.). Facebook. https://www.facebook.com/people/Solidarit%C3%A9-des-MSM-Madagascar/100064388453692/..


Ainsi, le chemin vers une société malgache véritablement inclusive et respectueuse des droits LGBTI+ semble encore long. Le pays reste marqué par des défis culturels, influençant les aspects législatifs et sociaux. Ces mêmes défis continuent de peser sur la réalisation d’une égalité pleine et entière pour tou·tes les individu·es, indépendamment de leur orientation sexuelle et de leur identité de genre, influençant fortement la construction de l’identité LGBTI+.

Recommandations pour une société malgache inclusive et égalitaire

L’enjeu des droits LGBTI+ à Madagascar est profondément enraciné dans la culture du pays. Pour progresser vers une société plus inclusive et respectueuse des droits de tous, y compris des individu·es LGBTI+, il est essentiel de tenir compte de l’influence de la culture dans la promotion de l’égalité.

La première étape pour favoriser un changement durable réside dans le renforcement de la législation. En garantissant une protection juridique claire et explicite pour tou·tes, incluant la protection de l’orientation sexuelle et de l’identité de genre, la loi peut progressivement imprégner la culture. Sur le long terme, la règle juridique devient une norme comportementale puis culturelle[26]The Role of Law in Advancing a Culture of Health. (n.d.). Temple University – Public Health Law Research. https://phlr.org/role-law-advancing-culture-health..Cela implique d’inclure explicitement les droits LGBTI+ dans la législation pour lutter contre les discriminations et les violences.

Une approche complémentaire consiste à mettre en œuvre des politiques de sensibilisation et d’éducation à l’échelle nationale. L’absence de sources fiables et accessibles sur la communauté LGBTI+ à Madagascar reflète le tabou qui entoure les questions liées à l’orientation sexuelle et à l’identité de genre. Promouvoir un dialogue ouvert et inclusif sur ces sujets libérera la parole des personnes concernées et encouragera l’émergence de groupes de défense des droits LGBTI+ et du militantisme au sein du pays. 

Les organisations œuvrant pour l’inclusivité des personnes LGBTI+ doivent être soutenues et financées par le gouvernement malgache. De ce fait, il est important pour les politiques du pays d’aller dans ce sens et de se montrer ouvertes à la promotion des droits LGBTI+ à Madagascar.

Un autre aspect essentiel pour avancer vers une société plus inclusive consiste à impliquer activement les hommes, et plus largement la société, dans le combat pour l’égalité et la reconnaissance des genres en dépit des notions de masculinités et de féminités qui existent. La culture malgache a des normes de genre rigides qui renforcent la notion de masculinité, en particulier en leur donnant le pouvoir de prise de parole et de décision. En ce sens, le comité MenEngage Madagascar a tenu une première colloque en décembre 2020, plaçant les hommes au cœur du combat pour l’égalité des genres tout en discutant de la notion des masculinités dans le pays[27]Symposium adresses gender inequalities in Madagascar. (2020, December 15). MenEngage Africa Alliance. https://menengageafrica.org/news-item/symposium-adresses-gender-inequalities-in-madagascar/.. La colloque s’est tenu autour de 5 thèmes clés, comme « le rôle des hommes dans le changement des politiques qui perpétuent les inégalités de genre » ou encore « l’implication des chefs traditionnels et religieux dans la promotion des questions de genre ». Le but est de sensibiliser sur ces questions tout en les liant au paysage culturel malgache. Encourager les hommes à devenir des alliés dans la lutte contre les inégalités de genre et à soutenir les droits LGBTI+ à Madagascar peut contribuer à changer les mentalités et à créer un environnement plus inclusif et respectueux.

La réalisation d’une société malgache inclusive et égalitaire, respectant pleinement les droits LGBTI+, est un défi complexe mais essentiel. En tenant compte de l’influence de la culture dans la législation et les attitudes sociales, il est primordial de promouvoir un dialogue ouvert et inclusif pour libérer la parole des concerné·es.

Pour citer cet article : AGCHAR Donia. (2023). La place de la culture dans l’identité LGBTI+ à Madagascar. Institut du Genre en Géopolitique. https://igg-geo.org/?p=14350

Les propos contenus dans cet article n’engagent que l’autrice.

References

References
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25 Solidarité des MSM Madagascar. (n.d.). Facebook. https://www.facebook.com/people/Solidarit%C3%A9-des-MSM-Madagascar/100064388453692/.
26 The Role of Law in Advancing a Culture of Health. (n.d.). Temple University – Public Health Law Research. https://phlr.org/role-law-advancing-culture-health.
27 Symposium adresses gender inequalities in Madagascar. (2020, December 15). MenEngage Africa Alliance. https://menengageafrica.org/news-item/symposium-adresses-gender-inequalities-in-madagascar/.