Jennifer Eloundou
Après le succès de la première édition du Forum d’investissement (FI) Hand-in-Hand en 2022, la deuxième édition dudit forum aura lieu du 17 au 20 octobre 2023 à Rome,lors du Forum mondial de l’alimentation, avec la présence de 31 pays, dont 15 pays africains.Cette conférence internationale est l’occasion pour les gouvernements de présenter leurs plans d’investissement, en mettant l’accent sur les opportunités d’investissement dans le domaine agricole et la chaîne de valeur alimentaire.Dans ce contexte, et au vu des défis auxquels ce sommet entend apporter des solutions, l’Institut du Genre en Géopolitique appelle à une plus grande inclusion des femmes dans les systèmes agroalimentaires et à la pleine reconnaissance de leurs droits en tant qu’actrices majeures dans ce domaine en Afrique.
L’agriculture représente une partie essentielle des pays africains, car elle fournit les moyens de subsistance aux communautés et assure la stabilisation des économies[1]NEPAD, Les agricultures africaines, transformations et perspectives, NEPAD, novembre 2013 disponible via ce lien … Continue reading. Dans ce contexte, le rôle des femmes africaines dans l’agriculture ne peut être sous-estimé. Selon le rapport sur le statut des femmes dans les systèmes agroalimentaires, en Afrique subsaharienne, 66 % des emplois féminins sont liés aux systèmes agroalimentaires, contre 60 % des emplois masculins[2]FAO, La situation des femmes dans les systèmes agroalimentaires, 2023, disponible via ce lien … Continue reading. Compte tenu du fait qu’elles produisent 70 % des denrées alimentaires du continent, les femmes africaines jouent un rôle crucial dans les systèmes agroalimentaires, en contribuant de manière significative à la production, à la transformation et à la commercialisation des produits agricoles. Elles ne sont pas seulement des agricultrices, mais aussi des entrepreneuses, des responsables communautaires et des agents de changement.
Bien plus , les femmes sont souvent impliquées dans l’agriculture de subsistance et les activités agricoles à petite échelle, et participent activement aux marchés locaux et aux chaînes de valeur. Elles sont fortement impliquées dans l’agriculture au sein de l’économie informelle, prenant part activement à la production alimentaire et aux moyens de subsistance de leurs communautés. Elles jouent également un rôle essentiel dans l’agriculture à petite échelle sur l’ensemble du continent assurant des tâches essentielles telles que la plantation, le désherbage, la récolte et le traitement des cultures. Par conséquent, les femmes participent à la fois à l’agriculture de subsistance et à l’agriculture commerciale, produisant une part importante des aliments consommés localement.
Une invisibilité du travail des femmes liée aux systèmes socioculturels
Les femmes africaines continuent d’être confrontées aux défis de l’invisibilité et de l’inégalité dans le secteur agricole. Cette invisibilité repose sur les contributions souvent négligées et sous-estimées que les femmes apportent au secteur agricole.
Bien qu’elles jouent un rôle important dans l’agriculture, la gestion du bétail et d’autres activités agricoles, leur travail tend à être moins reconnu et moins rémunéré que celui des hommes, en raison de divers problèmes, tels que l’accès limité à la terre, au crédit, aux intrants et à la technologie, ainsi que les discriminations fondées sur le genre et les disparités entre les hommes et les femmes. Le rapport sur le statut des femmes dans les systèmes agroalimentaires souligne d’ailleurs que l’écart entre les hommes et les femmes dans l’utilisation d’Internet en Afrique reste le plus important. En 2022, 34 % des femmes utilisaient l’internet contre 45,5 % des hommes, un écart qui est resté constant depuis 2019, selon Statista.Cette disparité s’étend donc au secteur agricole, où le rapport de la FAO a révélé que plus les femmes occupent des emplois dans les segments non agricoles des systèmes agroalimentaires, plus les lacunes dans l’accès aux technologies pertinentes deviennent évidentes.
La propriété foncière et l’accès à la terre sont également des défis importants pour de nombreuses femmes en Afrique, en particulier celles qui travaillent dans l’agriculture. Les femmes ne possèdent pas les mêmes droits que les hommes dans le domaine foncier à cause des normes traditionnelles et le droit coutumier qui favorisent souvent les hommes lorsqu’il s’agit de la propriété foncière et de l’héritage. En Tanzanie, les femmes ont déclaré que la propriété contribue à leur capacité à répondre à leurs propres besoins indépendamment de leurs maris, brisant ainsi les structures de pouvoir socioculturelles masculines. Ce manque d’accès à la terre limite la capacité des femmes à s’engager dans l’agriculture et entrave leur autonomisation économique.
Dans les coopératives agricoles, par exemple, l’adhésion est souvent subordonnée à la possession de terres, ce qui empêche les femmes d’y adhérer car elles sont fortement sous-représentées dans la propriété foncière en Afrique. Les femmes ne possèdent que 10 % des terres, alors que 70 à 90 %[3]UN Women Africa, East-African Countries Lead in the localization of the SDGs relating to Women’s Land Rights, February 2018 disponible via ce lien … Continue reading de la richesse en Afrique est générée par la terre.
Des efforts entrepris pour améliorer les conditions de travail des femmes impliquées dans l’agriculture
De plus en plus, des efforts sont déployés pour répondre aux besoins des femmes. Ceux-ci comprennent notamment les réformes juridiques, l’accès au foncier et un vaste travail d’éducation.
L’ensemble de ces initiatives sont donc cruciales pour promouvoir l’égalité de genre et favoriser un développement agricole durable en Afrique. Farm Africa , par exemple, se charge de créer des ressources pour aider les agricultrices à se familiariser avec ce domaine. L’initiative Female Food Heroes, lancée par Oxfam et des partenaires locaux, est un prix annuel qui donne aux femmes l’occasion d’être vues et entendues en mettant en lumière leurs réalisations et les défis auxquels elles sont confrontées.
Au niveau national, des projets conjoints entre des organismes nationaux et des institutions internationales continuent d’être mis en œuvre afin d’encourager la participation des femmes à l’agriculture. En Tanzanie, Farm Africa et ONU Femmes travaillent ensemble pour combler le fossé existant dans le secteur du tournesol en formant les femmes et en facilitant le contact entre les agriculteurs et les acheteurs. En 2021, une initiative pour les femmes rurales mise en œuvre au Rwanda et soutenue par le Programme alimentaire mondial en partenariat avec d’autres agences des Nations unies, le FIDA, la FAO et ONU Femmes, a permis aux femmes rurales impliquées dans l’agriculture de réduire les inégalités de genres et la pauvreté, d’améliorer la sécurité alimentaire et d’autonomiser les femmes en tant que dirigeantes, décideurs et agents de changement.En Éthiopie, le programme REST financé par l’USAID a contribué à améliorer l’accès et le contrôle de l’eau pour la production agricole afin de renforcer les petits exploitants, d’autonomiser les femmes et d’augmenter la production.
De plus, les campagnes de sensibilisation et de plaidoyer se font de plus en plus entendre pour demander la reconnaissance et la promotion des droits des femmes. C’est le cas de campagne « Stand for Her Land », par exemple, est une campagne mondiale visant à sensibiliser à la discrimination foncière et à combler les lacunes dans la mise en œuvre des droits fonciers des femmes.
Recommandations aux parties prenantes du Forum d’investissement « Hand in Hand » 2023
La reconnaissance et l’autonomisation des femmes africaines dans les systèmes agroalimentaires sont essentielles pour parvenir à un développement durable et à la sécurité alimentaire en Afrique . Les efforts visant à promouvoir l’égalité des genres et à soutenir les femmes peuvent conduire à une augmentation de la productivité et du bien-être général au sein des communautés, notamment celles des zones rurales.
Les gouvernements et les institutions devraient garantir une représentation égale aux niveaux local et national au sein des groupes d’action, des comités pour l’agriculture et d’autres institutions dédiées aux systèmes agroalimentaires et à l’action environnementale. Il est également important de soutenir les femmes de la société civile qui défendent les politiques agricoles et les entreprises détenues par des femmes, telles que les start-ups agroalimentaires, qui peuvent stimuler l’innovation.
En outre, les efforts visant à renforcer les capacités des femmes africaines dans le domaine de l’agriculture doivent couvrir diverses dimensions. L’accès à l’éducation et à la formation devrait être prioritaire, afin de doter ces femmes des compétences et des connaissances essentielles dans le dit domaine. La technologie et les outils numériques étant essentiels pour combler les disparités entre les genres , le développement d’applications mobiles qui fournissent des informations sur les marchés, des prévisions météorologiques et des services financiers peut renforcer l’autonomie des agricultrices et des cheffes d’entreprise.
Les réformes doivent également se concentrer sur la modification des lois foncières inégales. Dans ce sens, le rôle des gouvernements est donc de veiller à la primauté de la loi sur le droit coutumier et de garantir le respect des droits fonciers des femmes afin de lutter contre les traditions et pratiques discriminatoires de l’héritage patrilinéaire et de la division inégale des terres. Il est également important d’encourager la gestion de la propriété agricole par les femmes, en leur fournissant le soutien juridique et la formation dont elles ont besoin pour ce rôle. Enfin, les États doivent reconnaître la charge de travail liée à l’implication croissante des femmes dans l’agriculture et veiller à une rémunération à la hauteur de leur travail effectué.
Les femmes africaines contribuent de manière significative à la sécurité alimentaire et au développement économique du continent . L’élimination des obstacles et l’élargissement des opportunités aux femmes constituent un pas décisif vers l’établissement d’une agriculture durable en Afrique. De ce fait , la participation des femmes africaines à l’agriculture est si importante que toute discrimination à leur égard entraîne des dysfonctionnements dans le système. Des études menées au Malawi et en Tanzanie ont d’ailleurs relevé que les normes de genre définissant la participation des femmes aux activités génératrices de revenus ont un impact sur la sécurité alimentaire dans ces pays. Leur autonomisation n’est donc pas seulement une question d’égalité des genres ; c’est un catalyseur pour la croissance et la résilience du continent.
References
↑1 | NEPAD, Les agricultures africaines, transformations et perspectives, NEPAD, novembre 2013 disponible via ce lien https://www.un.org/africarenewal/sites/www.un.org.africarenewal/files/Agriculture_Africaine.pdf |
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↑2 | FAO, La situation des femmes dans les systèmes agroalimentaires, 2023, disponible via ce lien https://www.fao.org/3/CC5060FR/online/status-women-agrifood-systems-2023/chapter1.html#:~:text=Les%20chiffres%20%C3%A0%20retenir&text=production%20agricole%20primaire.-,Dans%20de%20nombreux%20pays%2C%20les%20femmes%20d%C3%A9pendent%20davantage%20que%20les,dans%20le%20cas%20des%20hommes. |
↑3 | UN Women Africa, East-African Countries Lead in the localization of the SDGs relating to Women’s Land Rights, February 2018 disponible via ce lien https://africa.unwomen.org/en/news-and-events/stories/2018/02/east-africa-leading-the-way-in-women-land-rights |