Capabilités des femmes vivant avec le VIH face à l’accès aux soins au Burkina Faso : entre rapports de pouvoir dans le couple et défis de l’accès aux soins

Temps de lecture : 13 minutes

06/05/2024

Harouna Tiendrebeogo

L’accès aux traitements médicaux pour les personnes vivant avec le VIH dans les pays en développement est un défi majeur pour les politiques publiques.  Si la question demeure un enjeu majeur de santé publique au regard des objectifs que s’est fixé l’ONUSIDA d’éradiquer la pandémie à l’horizon 2030 à travers le volet n°6 des objectifs de développement durable (ODD) adopté à l’unanimité par les pays membres des Nations Unies [1]Nations unies (2015). Objectifs du Millénaire pour le développement, New York. https://www.un.org/fr/millenniumgoals/reports/2015/pdf/rapport_2015.pdf, force est de constater que la pandémie continue de faire des ravages, notamment chez les femmes. Selon le rapport 2011 de l’ONUSIDA, en 2022, 39 millions de personnes vivaient avec le VIH, dont 53 % de femmes et de filles. En Afrique subsaharienne, le constat est le plus alarmant, puisque le taux des nouvelles infections chez les femmes et les filles est estimé à 63% [2]Onusida (2011). Journée mondiale SIDA. Rapport ONUSIDA. https://www.unaids.org/fr/resources/documents/2011/20111121_JC2216_WorldAIDSday_report_2011.

 Au Burkina Faso, le rapport 2011 de l’ONUSIDA sur l’épidémie indiquait une séroprévalence relativement plus élevée chez les femmes que chez les hommes. Le taux de prévalence chez les femmes âgées de 15 à 49 ans dans la ville de Ouagadougou est de 3,5%[3]Ministère de la Santé, (2012), Rapport de la sérosurveillance 2010 par sites sentinelles chez les femmes enceintes au Burkina Faso, Ouagadougou, multigraphié.. Plusieurs travaux qui nous ont précédés sur la question montrent que l’infection des femmes par le VIH s’explique au regard de leur vulnérabilité physiologique, socio-économique et leur faible capacité à influer sur le choix de leur partenaire sexuel et l’utilisation des moyens contraceptifs[4]Desclaux, A., Msellati P., Sow K. (2011). Introduction : l’expérience des femmes à l’épreuve du VIH dans les pays du sud, In : Desclaux A., Msellati P., Sow K., eds, Les femmes à l’épreuve … Continue reading. Cette situation témoigne des inégalités sociales qui affectent les femmes vivant avec le VIH au Burkina Faso et notamment dans la capitale, Ouagadougou, compte tenu des rapports de genre. En effet, le diagnostic de la maladie exacerbe leur vulnérabilité sanitaire, socio-économique, familiale et morale, et en même temps initie une nouvelle reconfiguration de leur vie sociale en quête de reconstruction d’une nouvelle identité[5]Taverne, B., (1996). Stratégies de communication et stigmatisation des femmes : lévirat et sida au Burkina Faso, Sciences Sociales et Santé, 14, 2, 87-106.;[6]Korbeogo, G., et Lingani, S. (2013). « Des vies reconstruites. Exclusion et réinsertion sociale des femmes vivant avec le VIH à Ouagadougou (Burkina Faso), in sciences sociales et santé, 2013/3 … Continue reading. A cela s’ajoute la détérioration des rapports entre conjoints dans certains couples séropositifs qui peut constituer des risques pour l’accès aux soins des femmes compte tenu des rapports de domination masculine au sein du couple.

Face aux obstacles et aux inégalités que rencontrent les femmes vivant avec le VIH et qui entravent leur accès aux soins, les questions suivantes se posent : quelles sont les ressources qu’elles mobilisent pour faire face aux inégalités sociales au sein de leur entourage pour accéder aux soins existants ? Et en quoi l’apparition de la maladie dans le couple constitue un risque pour l’accès aux soins des femmes ?

Pour une analyse approfondie, cet article se base en partie sur des données d’observation directe réalisées à Ouagadougou au Centre Hospitalier Universitaire Yalgado OUEDRAOGO pendant la période de septembre à octobre 2022 et mobilise un cadre théorique qui s’appuie sur l’approche des « capabilités » introduite par Amartya Sen [7]Sen, A-K. (1985). Commodities and Capabilities. North-Holland, Amsterdam. [8]Pour une théorie des capabilités adaptée aux enjeux de genre et de justice sociale voir les tavaux de Martha Nussbaum : “[C]apabilities can help us to construct  a normative conception of … Continue reading dans un contexte de réflexion sur la formalisation des indices de développement humain face aux injustices sociales. Cette approche met l’accent sur la liberté réelle des individus à mener la vie qu’ils estiment valoir la peine d’être vécue et sur les conditions dans lesquelles chacun×e est disposé×e à mobiliser ses capacités et ses ressources personnelles pour bien vivre et s’épanouir. En bref, cette approche part du constat que pour apporter une réponse appropriée aux injustices sociales, il faut dépasser les insuffisances des conceptions qui se bornent à prendre en compte seulement la question de la répartition, allocation ou distribution des ressources matérielles ou financières qui sont souvent apportées par des pays extérieurs aux pays en développement. Le fil directeur de cette approche des injustices sociales est que des facteurs sociaux objectifs influencent non seulement le niveau ou le type de ressources personnelles mais aussi et surtout les capacités à les mobiliser dans certains contextes. En d’autres termes, l’approche dite des capabilités pointe du doigt des obstacles et des leviers laissés dans l’ombre pour agir sur les chances de développement des individus afin que chacun×e puisse faire ce qu’il ou elle aime et exercer ses droits humains fondamentaux. Ainsi, la pertinence d’une telle théorie permet de comprendre les capabilités des femmes, c’est-à-dire leur capacité à agir et opérer des choix rationnels pour leur bien-être au regard des défis auxquels elles sont confrontées notamment au sein du couple et de leur entourage. En l’occurrence, cette approche permet de montrer que les aides au développement centrées sur la distribution de traitements antirétroviraux dans le but de promouvoir la santé des femmes vivant avec le VIH au Burkina Faso, ou plus largement dans les pays en développement, manque d’atteindre ses objectifs par ignorance ou négligence des facteurs sociaux qui conditionnent l’efficacité thérapeutique de ces traitements.  Aussi, cet article se veut-il un plaidoyer afin d’améliorer la qualité de vie des femmes vivant avec le VIH et de leur entourage.

Les femmes vivant avec le VIH sont dans une situation économique précaire qui est exacerbée par la maladie. Face à cela, elles mobilisent leur capital social en vue de l’accès aux soins.

Dans le contexte burkinabè, plusieurs travaux se sont penchés sur la situation des femmes vivant avec le VIH et tous sont unanimes sur le fait qu’elles sont issues de milieux sociaux précaires[9]Korbeogo, G., et Lingani, S. (2013). « Des vies reconstruites. Exclusion et réinsertion sociale des femmes vivant avec le VIH à Ouagadougou (Burkina Faso), in sciences sociales et santé, 2013/3 … Continue reading;[10]Attane, R., et Ouedraogo, R. (2008). « Le caractère électif de l’entraide intrafamiliale dans le contexte de l’infection à VIH », in rapport de CNRST (dir), Sida, santé publique et sciences … Continue reading. En effet, selon le rapport 2020 du Conseil National de Lutte contre le Sida et les Infections Sexuellement Transmissible au Burkina Faso, le VIH est une maladie qui touche en grande partie les couches les plus vulnérables au Burkina Faso et les travailleuses du sexe représentent 5,4% de cette population[11]CNLST-IST (2020). Cadre stratégique de lutte nationale de contre le VIH, SIDA et les infections sexuellement transmissibles (CNS-SIDA) 2021-2025, [Document provisoire], Burkina Faso, session de … Continue reading. Leur profession rime très souvent avec débrouillardise, elles travaillent notamment dans le petit commerce, comme ménagères ou serveuses de bar avec des revenus qui ne sont pas fixes et très dérisoires. Ainsi, ces femmes éprouvent d’énormes difficultés à concilier les dépenses quotidiennes liées aux charges familiales et à la prise en charge médicale. La catégorie socioprofessionnelle étant un indicateur important du niveau de vie de ces femmes, ce revenu relativement faible influence leurs conditions de vie et traduit une certaine précarité dans laquelle elles vivent, ce qui notamment met en mal leur capacité à assurer et à bénéficier d’un suivi de soins.

En outre, cette situation de précarité est redoublée du fait que la maladie exacerbe la précarité économique des femmes malades, car elle rend bien plus difficile de cumuler les activités économiques. En effet, l’apparition de la maladie dans la vie des femmes entraine une bifurcation dans les rapports avec les proches. Beaucoup de femmes malades se plaignent des effets des médicaments qui limitent leurs efforts physiques et leur mobilité. La mise sous traitements antirétroviraux provoque très souvent l’apparition d’effets indésirables qui génèrent des troubles de santé[12]Ferez, S., et Perera, E. (2018). « Ceux qui disent que je suis malade, je les invite à venir prendre l’entrainement avec moi. Devenir Bodybuilder à l’épreuve du VIH », in Staps, vol 119, … Continue reading

Pour faire face à cette situation, ces femmes malades ont tendance à ne plus suivre le traitement pour continuer à cumuler leurs multiples activités économiques ou bien elles changent de travail, ce qui réduit leurs revenus[13]Attane, R., et Ouedraogo, R. (2008). « Le caractère électif de l’entraide intrafamiliale dans le contexte de l’infection à VIH », in rapport de CNRST (dir), Sida, santé publique et sciences … Continue reading. A cela s’ajoutent la fréquentation des centres de santé et les longues files d’attentes compte tenu de la défaillance des moyens mis en place pour la prise en charge du nombre pléthorique de patient×e×s. Cette situation constitue des pertes de temps qui réduisent leurs activités économiques, et fait donc directement baisser leur pouvoir d’achat[14]Koné, S-K. (2002). Pauvreté, genre et stratégies de survie des ménages en Côte d’Ivoire, CED – Université Montesquieu – Bordeaux IV. [15]Kouanda, S. (2008). L’accès aux traitements antirétroviraux : leçons de l’expérience. Dans rapport de CNRST (dir), Sida, santé publique et sciences sociales : 20 ans d’épidémie et de … Continue reading.

Plusieurs travaux montrent que le revenu est un élément capital dans les rapports de pouvoir et de prise de décision au sein du couple, car plus la femme gagne en revenu, plus elle gagne en pouvoir de décision[16]ONUSIDA (2014). Priorité aux femmes : stratégie clé de prévention du VIH chez les enfants, Ouagadougou.. Ainsi, cette situation limite leur pouvoir décisionnel au sein du couple et les expose à une domination de leur conjoint. Les données de l’ONUSIDA, en 2014 montrent que plusieurs femmes sont victimes de violences quand elles décident de se rendre au centre de santé. Elles rencontrent des obstacles liés à la dépendance économique imbriquée à leur situation de vie précaire, leur faible niveau de revenu, mais aussi aux obstacles sociaux qui reposent sur les violences et les différentes formes de contrôle coercitif dont elles font l’objet au sein de leur couple ou de leur entourage[17]Labbe, F. (2015). « J’en ai tellement marre d’aller à la clinique tous les mois ! » : VIH, antirétroviraux et prise en charge médicale aux iles Fifji », in le journal de la société des … Continue reading[18]Onusida . (2014). Priorité aux femmes : stratégie clé de prévention du VIH chez les enfants, Ouagadougou..

Pour échapper à cette forme de domination au sein du couple et poursuivre leur traitement, les femmes vivant avec le VIH cherchent à développer d’autres stratégies d’accès aux soins en mobilisant leur capital social. Ainsi, des femmes déclarent avoir recours, dans un premier temps, à leurs proches, notamment des membres de leur famille afin de bénéficier d’un soutien économique, et dans certains cas, pour financer le transport jusqu’au centre de santé où ont lieu les consultations.

Ce recours aux proches se fait sur la base de la confiance. Ainsi, certaines personnes sont sollicitées au sein de l’entourage tandis qu’a contrario, d’autres sont exclues en raison du risque de divulguer des informations sur leur séropositivité dans un contexte où le dévoilement de la maladie est marqué par une forte ambiguïté : d’une part, l’accès à une aide médicale appropriée dépend fréquemment du dévoilement de sa maladie[19]Kouanda, s., Yameogo, y, m-e., Berthe, a., Bila, b., Bocoum y, f-k., Somda, a., Doulougou, b., Sanou, m, j-b., Sondo, b., Msellati, p . (2012). Partage de l’information sur le statut sérologique ; d’autre part, le haut niveau de stigmatisation à l’égard des personnes malades freine le dévoilement et l’accès au soutien social. Ainsi, dans le cas où les femmes vivant avec le VIH ne peuvent bénéficier de l’aide de leur entourage, elles ont tendance à se tourner vers les structures d’aides sociales telles que les organisations non gouvernementales (ONG) pour obtenir de l’aide. Ces stratégies sont développées par les femmes afin d’assurer la continuité des soins. Cette aide est vitale pour leur accès aux soins car elle réduit leur exposition à la dépendance économique dans le couple et leur permet aussi de se construire une nouvelle identité sociale. En effet, ces espaces apportent une aide financière et un réconfort mais constituent aussi des espaces de refuge et de protection pour ces femmes qui sont victimes de stigmatisation au sein de leur entourage.

La découverte de la maladie comme source de conflit et de divorce au sein du couple

L’apparition de la maladie au sein du couple déclenche et constitue une forme de remise en cause des rapports interpersonnels de pouvoir et de confiance entre conjoints. Dans la plupart des cas, elle entraine un bouleversement des rapports entre les conjoints et instaure un climat de tensions.

En effet, au sein des couples séropositifs, lorsque l’homme apprend qu’il est infecté par le VIH, les femmes témoignent des pressions de la part de leur conjoint qui peut manifester un sentiment de rejet total envers elles. L’origine de la maladie étant souvent méconnue, elle fait le plus souvent objet de suspicion dans le couple, ce qui entraine des moments de tensions à travers des disputes et des conflits entre les conjoints.

Face à cette situation, beaucoup de femmes quand elles apprennent qu’elles sont séropositives n’informent pas directement leur conjoint. En évaluant les enjeux, elles peuvent décider de suivre seules le traitement sans impliquer leur conjoint dans le but de se protéger d’éventuelles disputes et de protéger un équilibre au sein de leur famille[20]Labbe, F. (2015). J’en ai tellement marre d’aller à la clinique tous les mois ! : VIH, antirétroviraux et prise en charge médicale aux iles Fifji, in le journal de la société des … Continue reading. Du côté des hommes, cette même forme de réticence à informer leur conjointe de leur séropositivité est également prononcée, car celle-ci est perçue socialement comme les démasculinisant. En effet, le dévoilement de la maladie met souvent l’homme en position de faiblesse vis-à-vis de la femme dans le couple compte tenu des valeurs socioculturelles qui tendent à faire porter aux hommes toutes les dignités dans le ménage et relèguent les femmes au second plan. Cette situation de stigmatisation et d’auto-stigmatisation, traduit une vulnérabilité qui fait obstacle au suivi du traitement dans la mesure où ils éprouvent des difficultés à fréquenter des centres de santé[21]Bila, B., & Egrot, M. (2008). Accès au traitement du sida au Burkina Faso : les hommes vulnérables ? Dans CNRST, (dir),  Sida, santé publique et sciences sociales : 20 ans d’épidémie … Continue reading.

Dans ces conditions, la découverte de la maladie au sein du couple intervient suite à la dégradation de l’état de santé d’un des conjoint-e-s. Chez la femme, cela se fait le plus souvent lors des visites prénatales. Ainsi, quand une femme apprend qu’elle est séropositive, consciente de la situation et des changements que cela peut entrainer dans les rapports quotidiens, elles ont tendance à évaluer leur environnement que ce soit au sein du couple ou de leurs proches (entourage ) afin de déterminer comment aborder le sujet de leur maladie et quelles décisions prendre pour assurer la gestion future de la maladie dans leur couple et leur entourage. Dans la majorité des cas, elles n’informent pas leur conjoint  au risque de craindre sa réaction parce que l’annonce de la séropositivité est un facteur de rupture des liens sociaux[22]Lingani, S., & Korbeogo, G. (2015). Le VIH/sida comme accident au cours d’une vie : lente découverte, gestion sociale et exclusion des femmes séropositives au Burkina Faso, recherches … Continue reading.

Dès lors, dans le cas où les conjoints ont conscience de la présence de la maladie dans le couple, cela entraine dans la majorité des cas, une dégradation des rapports sociaux et affectifs qui peut conduire à la séparation du couple et à l’isolement par rapport à l’entourage proche. En effet, les sentiments discriminants et de domination étant encore présents dans les habitudes, certaines femmes se voient interdire l’accès aux centres de santé par leur conjoint, ce qui remet en cause leurs capacités à suivre un traitement. Compte tenu des rapports de dépendance au sein du couple, les femmes se retrouvent principalement en position de faiblesse d’autant que les hommes ont tendance à rejeter les traitements médicaux pour eux-mêmes ou leurs conjointes.

Les axes d’amélioration : adopter une approche genre spécifique, faciliter l’accompagnement social des femmes et du renforcement des financements.

Le maintien des femmes dans le processus des soins est tributaire dans un premier temps des discours véhiculés autour de la maladie au sein de l’entourage et par les professionnel×le×s de santé[23]Desclaux, A., & Du Lou, A-D. (2006). Les femmes africaines face à l’épidémie de SIDA, in populations et sociétés, N°428, pp1-4.. En effet, les représentations sociales autour de la maladie ont tendance à l’assimiler à une forme de déviance sociale, ce qui induit des comportements stigmatisants envers les femmes vivant avec le VIH[24]Parsons, T. (1958). Structure sociale et processus dynamique : le cas de la pratique médicale moderne, Plon, p197-238.. Plusieurs femmes font cas de comportements stigmatisants vécus au sein de l’entourage à travers des discours de haine et au sein même des centres de santé par une protection excessive des professionnel×le×s de santé. Bien que des efforts soient consentis dans la lutte contre le VIH, le constat montre que les perceptions et stéréotypes dégradants, demeurent présents dans les habitudes des populations[25]Desclaux, A., & Khoudia, S. (2002). L’adhésion aux traitements antirétroviraux. Dans Ndoye 1. Taverne b. Desclaux, A. Laniece 1. Egrot, M. Delaporte, E. Sow, P-S. Mboup, S. Sylla O & Cis, … Continue reading.

Face à cette situation, des actions spécifiques en vue d’améliorer les conditions de vie des femmes malades peuvent être envisagées. Dans un premier temps, mettre en place une approche genre spécifique visant à déconstruire les normes sociales qui tendent à stigmatiser les femmes et les filles au sein de leur entourage proche ou de leur communauté, en renforçant la prévention et les initiatives de sensibilisation au niveau local. Ainsi, des outils tels que des boîtes à image peuvent être installés au niveau des centres de santé et des panneaux publicitaires dans les villes afin de renforcer la sensibilisation et le plaidoyer dans la lutte contre les stéréotypes de genre.

De plus, la formation des soignant×e×s en technique d’approche sensible au genre visant à lever les doutes et les barrières dans les relations médecins-patient×e×s est plus qu’urgente en vue d’améliorer la qualité des prestations dans les centres de santé. Dans cette même perspective, l’amélioration de leur condition de vie et de travail est urgente. En effet, le système peine à retenir les professionnel×le×s de santé au regard des conditions de travail précaires et des risques qui les exposent à des dangers. Aussi, le renforcement du suivi médical et de l’éducation thérapeutique à la discrétion des centres de santé doit être une priorité, car la prise en charge des maladies chroniques telles que le VIH nécessite une maitrise d’un minimum de savoir technique des patient×e×s. Beaucoup de patient×e×s, femmes et hommes, n’ont pas connaissance des exigences du traitement compte tenu de la faible pratique de l’éducation thérapeutique au niveau des centres de santé, qui sont davantage préoccupés par la distribution des  antirétroviraux.

Dans un second temps, renforcer les financements en matière de politiques publiques et de modes de gouvernance au profit d’une prise en charge sociale et médicale adaptée aux besoins des femmes vivant avec le VIH, qui sont les plus touchées par cette maladie. La mise en place d’une couverture sanitaire universelle pourrait faciliter l’accès aux soins et, au-delà, améliorer les conditions de vie pour une bonne observance du traitement médical. Le développement des services d’accompagnement social tels que la construction d’auberges permettrait de soutenir les femmes marginalisées ou victimes de rejet social, contraintes de vivre dans des habitats de fortune en périphérie urbaine communément appelés ‘‘ zones non loties’’, et ainsi laissées pour compte. Tout ceci, entrave l’accès aux soins des femmes.

Au terme de cette analyse, les résultats montrent que les femmes malades vivant avec le VIH sont confrontées à plusieurs formes d’inégalités sociales qui se résument à une dépendance financière, un manque d’autonomie dans le traitement, à des violences et une forme de contrôle coercitif exercés par le conjoint, et à des comportements stigmatisants y compris au sein de leur entourage qui limitent leur accès aux soins. Pour faire face à cela, elles mobilisent des ressources personnelles à travers l’appui financier de proches et la recherche d’aide auprès de structures d’aides sociales qui leur permettent d’être résilientes dans le traitement du VIH.

Cependant, dans un contexte où les politiques en matière de santé publique et de lutte contre le VIH annoncent la fin de l’épidémie à l’horizon 2030, les efforts en matière de lutte contre la maladie doivent être renforcés dans le suivi médical afin de favoriser leur maintien dans le processus des soins, car les cas d’interruption de traitement exposent à de nouvelles infections.

Les propos contenus dans cet article n’engagent que l’auteur.

Pour citer cet article: Tiendrebeogo, Harouna (2024), « Capabilités des femmes vivant avec le VIH face à l’accès aux soins au Burkina Faso : entre rapport de pouvoir dans le couple et défis de l’accès aux soins », Institut du Genre en Géopolitique, https://igg-geo.org/?p=18985.

References

References
1 Nations unies (2015). Objectifs du Millénaire pour le développement, New York. https://www.un.org/fr/millenniumgoals/reports/2015/pdf/rapport_2015.pdf
2 Onusida (2011). Journée mondiale SIDA. Rapport ONUSIDA. https://www.unaids.org/fr/resources/documents/2011/20111121_JC2216_WorldAIDSday_report_2011
3 Ministère de la Santé, (2012), Rapport de la sérosurveillance 2010 par sites sentinelles chez les femmes enceintes au Burkina Faso, Ouagadougou, multigraphié.
4 Desclaux, A., Msellati P., Sow K. (2011). Introduction : l’expérience des femmes à l’épreuve du VIH dans les pays du sud, In : Desclaux A., Msellati P., Sow K., eds, Les femmes à l’épreuve du VIH dans les pays du sud. Genre et accès universel à la prise en charge, Paris, ANRS, XIII-XXXII.
5 Taverne, B., (1996). Stratégies de communication et stigmatisation des femmes : lévirat et sida au Burkina Faso, Sciences Sociales et Santé, 14, 2, 87-106.
6, 9 Korbeogo, G., et Lingani, S. (2013). « Des vies reconstruites. Exclusion et réinsertion sociale des femmes vivant avec le VIH à Ouagadougou (Burkina Faso), in sciences sociales et santé, 2013/3 vol.31, pp 5-28.
7 Sen, A-K. (1985). Commodities and Capabilities. North-Holland, Amsterdam.
8

Pour une théorie des capabilités adaptée aux enjeux de genre et de justice sociale voir les tavaux de Martha Nussbaum : “[C]apabilities can help us to construct  a normative conception of social justice, with critical potential for gender issues, only if we specify a definite set of capabilities as the most important ones to protect.”Nussbaum, Martha C. (2003). Capabilities as Fundamental Entitlements : Sen and Social Justice. Feminist Economics. 9 (2-3), p.33-59.

10 Attane, R., et Ouedraogo, R. (2008). « Le caractère électif de l’entraide intrafamiliale dans le contexte de l’infection à VIH », in rapport de CNRST (dir), Sida, santé publique et sciences sociales : 20 ans d’épidémie et de recherche au Burkina Faso, Science et technique, série n°1, ISSN 1011-6028
11 CNLST-IST (2020). Cadre stratégique de lutte nationale de contre le VIH, SIDA et les infections sexuellement transmissibles (CNS-SIDA) 2021-2025, [Document provisoire], Burkina Faso, session de juillet, 114p.
12 Ferez, S., et Perera, E. (2018). « Ceux qui disent que je suis malade, je les invite à venir prendre l’entrainement avec moi. Devenir Bodybuilder à l’épreuve du VIH », in Staps, vol 119, pp95-116.
13 Attane, R., et Ouedraogo, R. (2008). « Le caractère électif de l’entraide intrafamiliale dans le contexte de l’infection à VIH », in rapport de CNRST (dir), Sida, santé publique et sciences sociales : 20 ans d’épidémie et de recherche au Burkina Faso, Science et technique, série n°1, ISSN 1011-6028.
14 Koné, S-K. (2002). Pauvreté, genre et stratégies de survie des ménages en Côte d’Ivoire, CED – Université Montesquieu – Bordeaux IV.
15 Kouanda, S. (2008). L’accès aux traitements antirétroviraux : leçons de l’expérience. Dans rapport de CNRST (dir), Sida, santé publique et sciences sociales : 20 ans d’épidémie et de recherche au Burkina Faso, Science et technique, série n°1, ISSN 1011-6028.
16 ONUSIDA (2014). Priorité aux femmes : stratégie clé de prévention du VIH chez les enfants, Ouagadougou.
17 Labbe, F. (2015). « J’en ai tellement marre d’aller à la clinique tous les mois ! » : VIH, antirétroviraux et prise en charge médicale aux iles Fifji », in le journal de la société des océanistes, n° 141, pp 283-303.
18 Onusida . (2014). Priorité aux femmes : stratégie clé de prévention du VIH chez les enfants, Ouagadougou.
19 Kouanda, s., Yameogo, y, m-e., Berthe, a., Bila, b., Bocoum y, f-k., Somda, a., Doulougou, b., Sanou, m, j-b., Sondo, b., Msellati, p . (2012). Partage de l’information sur le statut sérologique
20 Labbe, F. (2015). J’en ai tellement marre d’aller à la clinique tous les mois ! : VIH, antirétroviraux et prise en charge médicale aux iles Fifji, in le journal de la société des océanistes, n° 141, pp 283-303.
21 Bila, B., & Egrot, M. (2008). Accès au traitement du sida au Burkina Faso : les hommes vulnérables ? Dans CNRST, (dir),  Sida, santé publique et sciences sociales : 20 ans d’épidémie et de recherche au Burkina Faso, Science et technique, série n°1, ISSN 1011-6028.
22 Lingani, S., & Korbeogo, G. (2015). Le VIH/sida comme accident au cours d’une vie : lente découverte, gestion sociale et exclusion des femmes séropositives au Burkina Faso, recherches féminines, vol 28, pp 243-264.
23 Desclaux, A., & Du Lou, A-D. (2006). Les femmes africaines face à l’épidémie de SIDA, in populations et sociétés, N°428, pp1-4.
24 Parsons, T. (1958). Structure sociale et processus dynamique : le cas de la pratique médicale moderne, Plon, p197-238.
25 Desclaux, A., & Khoudia, S. (2002). L’adhésion aux traitements antirétroviraux. Dans Ndoye 1. Taverne b. Desclaux, A. Laniece 1. Egrot, M. Delaporte, E. Sow, P-S. Mboup, S. Sylla O & Cis, M. (dir), L’initiative sénégalaise d’accès 93 aux médicaments antirétroviraux, analyses économiques, sociales, comportementales et médicales, Paris, Agence nationale de recherche sur le sida (ANRS), pp129-139.