Peut-on vouloir détruire un groupe en raison de son genre ? Réflexions autour du crime de génocide en droit international pénal (1/3)

Temps de lecture : 10 minutes

24.01.2023

Louise Poelaert-Roch

Jusqu’à 80 000 femmes chinoises violées par l’armée japonaise lors des évènements de Nankin en 1937[1]Chang, I. (1998). The Rape of Nanking: The Forgotten Holocaust of World War II, Penguin USA. ; plus de 8 000 hommes bosniaques musulmans tués à Srebrenica en 1995[2]Gendercide.org (n.d.). The 1995 gendercide on Bosnian Muslims in Srebrenica. https://www.gendercide.org/case_srebrenica.html ; près de 1 200 cas de meurtres et disparitions à l’encontre de personnes bispirituel·le·s autochtones au Canada depuis 1990[3]Réclamer notre pouvoir et notre place : le rapport final de l’Enquête nationale sur les femmes et les filles autochtones disparues et assassinées. (2019). Enquête nationale sur les femmes et … Continue reading ; environ 40 000 femmes exécutées pour cause de sorcellerie en Europe entre 1450 et 1750[4]Gendercide.org (n.d.), Witch-hunts in early modern Europe (circa 1450-1750). https://www.gendercide.org/case_witchhunts.html. À l’image des chiffres précédemment cités, de nombreux évènements à travers l’histoire démontrent l’existence d’atrocités de masse commises spécifiquement à l’encontre de certains genres. 

Pour comprendre les raisons de la récurrence de ces actes graves, il convient d’appréhender ces évènements de manière plus globale. En ce sens, ces situations se sont toutes déroulées dans une société organisée sous la forme du patriarcat, où les relations entre les différents genres sont asymétriques au profit du masculin[5]Leroy, A. (2021)., Violences de genre et résistances ». CETRI. https://www.cetri.be/Violences-de-genre-et-resistances-5724. Les institutions sociales et politiques androcentrées existantes favorisent alors les violences à l’encontre des individus qui ne s’identifient pas aux codes de la masculinité hégémonique, ce qui explique la continuité des crimes de masse à l’égard des genres dominés.

Cependant, au-delà des considérations de genre, le droit se saisit des situations où les victimes sont nombreuses et les atteintes sont tellement graves qu’elles concernent l’ensemble de la communauté internationale. C’est l’essence même de la justice pénale internationale, pour laquelle la Cour pénale internationale (CPI) est compétente depuis 1998 pour juger les personnes accusées des crimes de génocide, des crimes contre l’humanité, des crimes de guerre et des crimes d’agression[6]Cour pénale internationale. (1998). Statut de Rome, Article 5. https://legal.un.org/icc/statute/french/rome_statute(f).pdf

Au regard de ces propos introductifs, le présent article s’inscrit dans un dossier dont l’ambition générale est de savoir si le droit international pénal est exempt de l’influence du système patriarcal dominant, et des stéréotypes de genre qu’il implique. L’existence d’atrocités de masse à l’encontre de certains genres rend nécessaire la prise en compte du genre par le droit, notamment à travers les crimes internationaux, de sorte que l’expérience de toutes et tous soit respectée au cours de la procédure pénale. En l’occurrence, l’analyse s’intéressera particulièrement au crime de génocide en raison de ses caractéristiques spécifiques et en ce qu’il représente « le crime des crimes[7]Nahapétian, N. (2015). Le génocide est le crime des crimes : entretien avec Vincent Duclert. Alternatives Economiques, 314, 94. https://doi.org/10.3917/ae.347.0094 » aux yeux de la justice pénale internationale. De plus, il convient de préciser que l’analyse ne vise pas uniquement les genres féminin et masculin, mais celle-ci vise également l’ensemble des minorités de genre[8]L’expression « minorité de genre » vise les personnes minorisées en raison de leurs identités ou expressions de genre en ce qu’elles ne seraient pas conformes aux normes culturelles sur le … Continue reading.

Par ailleurs, les enjeux soulevés par les trois articles du présent dossier s’inscrivent dans les réflexions des théories critiques féministes du droit international pénal. Si ces théories ont largement démontré que l’expérience génocidaire est vécue différemment en fonction du genre[9]De manière plus large, ces théories démontrent que les violences sexuelles touchent plus largement les femmes en temps de conflit. L’ONU a par ailleurs estimé que 96% des victimes de violences … Continue reading, il s’agit dans cette analyse, d’adopter une autre perspective de genre, moins documentée, en se demandant : est-ce que le genre peut être pris en compte dans la qualification de l’élément intentionnel du crime de génocide en droit international pénal ? 

Pour répondre à cette problématique et aux interrogations sous-jacentes qu’elle soulève, le dossier s’articulera en trois parties. L’objet de ce premier article est ainsi de s’intéresser à la place du genre dans la définition actuelle du crime de génocide et dans son interprétation jurisprudentielle. Il convient dès lors d’évoquer l’origine du crime de génocide et du lien qui peut être établi avec le genre, puis d’analyser les éléments constitutifs du crime de génocide pour enfin tirer les conséquences de la prise en compte actuelle du genre par l’article 6 du Statut de Rome.

La genèse du terme « génocide » et ses interactions avec le genre

Le concept de génocide apparaît en 1944 lorsqu’un juriste, Raphaël Lemkin, publie son livre Axis Rule in Occupied Europe[10]Lemkin, R. (1944). Axis Rule in Occupied Europe : Laws of Occupation, Analysis of Government Proposals for Redress. Washington Carnegie Endowment for International Peace Division of International … Continue reading. C’est ainsi en réaction à l’histoire, et précisément à la suite des événements de la Seconde Guerre mondiale, que le terme « génocide » est créé afin d’illustrer la crainte qu’un État ou une entité puisse faire disparaître la mémoire, la culture, les traditions et les institutions sociales d’un groupe[11]Crevier, M. (2021)., Raphael Lemkin et le concept de génocide. Le Devoir. https://www.ledevoir.com/opinion/idees/616443/raphael-lemkin-et-le-concept-de-genocide. Il était ainsi rendu nécessaire que cette crainte, partagée par Lekmin et d’autres contemporain·e·s intellectuel·le·s issus de groupes minoritaires, soit appréhendée par un outil juridique permettant de renforcer le cadre de protection des minorités de l’ensemble de la communauté internationale[12]Crevier, M. (2021)., Raphael Lemkin et le concept de génocide. Le Devoir. https://www.ledevoir.com/opinion/idees/616443/raphael-lemkin-et-le-concept-de-genocide.

Ce concept de génocide, crée à partir du grec genos « race » et du latin cide « tuer[13]Réseau Canopé (n.d.). Génocide. https://www.reseau-canope.fr/fileadmin/user_upload/user_upload/notion_genocide.pdf », connaît aussitôt un grand succès. En ce sens, la Convention pour la prévention et la répression du crime de génocide est adoptée par l’Organisation des Nations unies dès 1948[14]Organisation des Nations Unies. (1948). Convention pour la prévention et la répression du crime de génocide. … Continue reading, puis le crime de génocide est intégré dans le Statut de Rome de 1998 offrant ainsi à la CPI la compétence de le juger. Ces deux textes de droit international consacrent une même définition du crime de génocide, à savoir : 

« […] le génocide s’entend de l’un quelconque des actes ci-après, commis dans l’intention de détruire, ou tout ou en partie, un groupe national, ethnique, racial ou religieux, comme tel :

a) Meurtre de membres du groupe;

b) Atteinte grave à l’intégrité physique ou mentale de membres du groupe;

c) Soumission intentionnelle du groupe à des conditions d’existence devant entraîner sa destruction physique totale ou partielle;

d) Mesures visant à entraver les naissances au sein du groupe;

e) Transfert forcé d’enfants du groupe à un autre groupe[15]Cour pénale internationale. (1998). Statut de Rome, Article 5. https://legal.un.org/icc/statute/french/rome_statute(f).pdf »

Ici, le sens du concept de génocide pensé par Lemkin ne correspond pas pleinement à la définition des textes internationaux[16]Crevier, M. (2021)., Raphael Lemkin et le concept de génocide. Le Devoir. https://www.ledevoir.com/opinion/idees/616443/raphael-lemkin-et-le-concept-de-genocide. En effet, celui-ci n’était pas favorable à une définition limitative des groupes protégés, préférant une protection plus vaste des groupes dès lors que ceux-ci étaient socialement construits « dans l’esprit des gens[17]Hefti, A. (2022). Conceptualizing Femicide as a Human Rights Violation State Responsibility Under International Law. Edward Elgar. » et faisaient l’objet de persécution d’un État. De plus, selon Lemkin, l’imposition des structures sociales de l’oppresseur était un enjeu clé du concept de génocide, faisant que l’anéantissement social et culturel d’un groupe pouvait être considéré comme un génocide[18]Crevier, M. (2021)., Raphael Lemkin et le concept de génocide. Le Devoir. https://www.ledevoir.com/opinion/idees/616443/raphael-lemkin-et-le-concept-de-genocide.. Toutefois, la définition internationale actuelle du génocide n’a jamais permis de consacrer le génocide culturel[19]Voir par exemple la décision : Tribunal pénal pour l’ex-Yougoslavie (2001). Prosecutor v. Krstic Case No. IT-98-33-T. §576, https://www.icty.org/x/cases/krstic/tjug/en/krs-tj010802e.pdf. De la même manière, les genres sont exclus de la définition du crime de génocide. 

Par ailleurs, il s’avère que la notion de « genre » fait l’objet d’une confusion dans le Statut de Rome. Dans la version anglaise, le genre est définit comme « the two sexes, male and female, within the context of society[20]Cour pénale internationale. (1998). Statut de Rome, Article 7. 3. https://www.icc-cpi.int/sites/default/files/RS-Eng.pdf (version anglaise). ». Il s’agit donc d’une vision restrictive et d’un amalgame entre la notion de genre, qui se réfère aux constructions sociales, et la notion de sexe, qui se réfère aux différences biologiques et qui est d’ailleurs celle utilisée dans la version française du Statut de Rome[21]Hefti, A. (2022). Conceptualizing Femicide as a Human Rights Violation State Responsibility Under International Law. Edward Elgar.

Néanmoins, de nombreux·se·s auteur·ice·s font le lien entre les différents genres et le crime de génocide. Sur ce sujet, la chercheuse Andrea Dworkin parle de « femicide[22]Dworkin, A. (1974). Woman Hating. Penguin Books. » pour évoquer une forme de génocide qui viserait les femmes en tant que femmes, ce qui constitue un génocide basé sur un genre spécifique, tandis que l’autrice Rita Laura Segato préfère le terme « femigenocide[23]Segato, L. (2016). La Guerra Contra las Mujeres. Cofás. ». D’autres auteur·ice·s, à l’image de Mary Anne Warren, traitent d’une notion plus neutre, en évoquant le « gendercide[24]Warren, M.-A. (1985). Gendercide, The Implications of Sex Selection. Rowman & Allanheld Publishers. ». Elle explique que les rôles de genre entraînent souvent des conséquences mortelles, de manière analogue aux préjugés raciaux, religieux ou de classe. Si ces réflexions font écho aux événements décrits dans l’introduction de cet article, la plupart des chercheur·euse·s se montrent sceptiques quant à l’application du crime de génocide au genre en raison des diverses limites imposées par sa définition en droit positif[25]Voir par exemple : Messuti, A. (2015). La Dimension Jurídica Internacional del Feminicidio. Graciela Atencio.. Il convient dès lors d’analyser la définition de l’article 6 du Statut de Rome pour comprendre les obstacles à la prise en compte du genre dans le crime de génocide.

Les composantes du crime de génocide en droit international pénal

Selon la définition précitée figurant à l’article 6 du Statut de Rome, le crime de génocide possède deux composantes[26]Cour pénale internationale. (1998). Statut de Rome, Article 6. https://legal.un.org/icc/statute/french/rome_statute(f).pdf. D’abord, l’actus reus, ou l’élément objectif du crime de génocide, est délimité par cinq actes génocidaires figurant des paragraphes a) à e) de l’article 6. Ensuite, le mens rea, ou l’élément subjectif du crime de génocide, se réfère à l’intention criminelle. Cette intention est qualifiée de spécifique dans le cas du crime de génocide. Cela signifie qu’au-delà de prouver l’intention de commettre l’un des cinq actes génocidaires, ce crime nécessite également de prouver une intention de détruire, en tout ou en partie l’un des quatre groupes protégés. Autrement dit, il faut prouver que la violence est infligée aux individues uniquement en raison de leur appartenance à un des groupes protégés par le Statut de Rome[27]Chawda, R. (2021). Gendercide and Genocide: A Case for Legal Considerations of Gender. Nickeled & Dimed. … Continue reading.

C’est justement cet élément moral qui est un obstacle à la reconnaissance d’actes génocidaires réalisés spécifiquement en raison du genre des victimes. Le mens rea du crime de génocide pose trois interrogations principales sur le sujet du genre. Le premier enjeu est de savoir si le « genre » figure parmi les groupes protégés. S’il est évident que le genre ne soit pas inscrit dans l’article 6, l’exhaustivité de la liste des groupes protégés est un obstacle supplémentaire. De surcroit, dans les textes ou dans la jurisprudence, un genre n’a jamais été consacré en tant que groupe protégé au sens de la définition du crime de génocide. 

La deuxième difficulté se situe dans la notion de « destruction » présentée dans l’élément subjectif du crime de génocide. Si les travaux préparatoires à la Convention sur le génocide démontraient qu’il fallait prouver une intention de causer la destruction physique ou biologique de tout ou partie du groupe protégé[28]Commission du droit international. (1996). Rapport de la Commission du droit international sur les travaux de sa quarante-huitième session. Annuaire de la Commission du droit international. Vol. II … Continue reading, la jurisprudence pénale internationale semble majoritairement consacrer une intention de destruction physique de tout ou partie du groupe protégé[29]Beyond Killing: Gender, Genocide, & Obligations Under International Law. (2018). Global Justice Center. https://www.globaljusticecenter.net/files/Gender-and-Genocide-Whitepaper-FINAL.pdf . C’est ce qu’illustre l’importance excessive accordée aux meurtres en tant qu’acte constitutif du génocide. La compréhension du mens rea privilégie ainsi les preuves de l’intention de destruction physique plutôt que biologique, mais aussi le manque de reconnaissance de l’intention génocidaire derrière les actes qui n’entraînent pas de mort immédiate[30]Gender and Genocide in the 21st Century: How Understanding Gender Can Improve Genocide Prevention and Response. (2021). New Lines Institute. … Continue reading. Par exemple, peuvent être évoquées les grossesses forcées ou les mutilations génitales à l’encontre des personnes intersexes amenant à des complications médicales. Cette restriction empêche également la reconnaissance du génocide culturel, voire social qui pourrait être démontré à partir de politiques étatiques mettant en danger la vie de certains genres sur le long terme. Sur ce sujet, certain·e·s auteur·ice·s évoquent des lois américaines interdisant des soins appropriés aux personnes transgenres[31]St. James, E. (2022). The time to panic about anti-trans legislation is now. Vox. https://www.vox.com/first-person/22977970/anti-trans-legislation-texas-idaho ou encore le fichage de celles-ci[32]Villarreal, D. (2022). GOP Texas attorney general’s office allegedly demanded a list of trans people in the state. LGBTQ Nation, … Continue reading.

Enfin, l’enjeu est fondamentalement de savoir s’il est possible que soit envisagée la destruction d’un groupe pour la seule raison de son genre dans la qualification du génocide. Au-delà de l’absence du genre parmi les groupes protégés, la majeure partie de la doctrine n’est pas convaincue par l’existence d’une volonté profonde de détruire un genre. À cet égard, les chercheur·euse·s affirment qu’il n’est pas possible de démontrer l’intention de détruire en tout ou en partie les femmes pour la seule raison qu’elles sont des femmes. En ce sens, dans une logique de binarité des genres, il serait difficile de vouloir la disparition de la moitié de l’humanité, notamment lorsqu’un genre dépend de l’autre en matière de fertilité[33]Dworkin, A. (1974). Woman Hating. Penguin Books.. Pour certain·e·s, il est ainsi davantage pertinent de réfléchir à la consécration du crime de féminicide de manière indépendante au crime de génocide. Toutefois, ce raisonnement doit être nuancé en raison du caractère restrictif de la dichotomie traditionnelle femmes-hommes sur la question du genre. De plus, les constats réalisés à l’égard des femmes ne sont pas transposables à l’ensemble des genres du fait de leur diversité et caractéristiques propres.

Finalement, si quelques auteur·ice·s s’intéressent à la prise en compte du genre dans la qualification du crime de génocide, la plupart s’arrêtent au constat présenté par ce paragraphe : l’état actuel du droit positif ne permet pas de consacrer un génocide qui serait commis à l’encontre d’un groupe genré. Il semble toutefois nécessaire de mettre en lumière les incidences d’une telle position en s’interrogeant sur les changements possibles.

Un crime de génocide déconnecté de la réalité des violences de genre

Face à la constante progression des violences graves et de grande ampleur faites aux femmes et aux personnes LGBTIQIA+, la justice pénale internationale ne semble pas leur offrir de réponse adaptée et semble même déconnectée de la réalité des violences de genre en contexte génocidaire. Par ailleurs, l’attitude des certaines institutions publiques misogynes et LGBTphobes, par leur action ou silence, alimente une logique proche du génocide[34]Martinez Velasco, C. (2022). Génocide des femmes et travail dans les maquiladoras au Mexique. Presse-toi à gauche ! … Continue reading. Ne pas reconnaître, par exemple, que la tuerie de 14 femmes à l’Ecole Polytechnique de Montréal le 6 décembre 1989 s’inscrit dans un contexte de mépris de genre de grande ampleur renforce le continuum des violences qui touche les genres dominés. Dès lors qu’il n’est pas possible de prévenir ou punir ce qui n’est pas reconnu, ne pas intégrer le genre dans le crime de génocide ne permet pas de protéger efficacement l’ensemble des genres[35]Beyond Killing: Gender, Genocide, & Obligations Under International Law. (2018). Global Justice Center. https://www.globaljusticecenter.net/files/Gender-and-Genocide-Whitepaper-FINAL.pdf

L’état du droit positif reste en revanche peu étonnant. À l’image des réflexions issues des théories critiques du droit international, le Statut de Rome présente une vision du génocide stéréotypée et une définition obsolète du genre. Cela s’explique par le fait que le droit international pénal est pensé majoritairement par des hommes à partir d’évènements historiques décrits essentiellement par d’autres hommes. Aussi, une « insensibilité patriarcale[36]Martinez Velasco, C. (2022). Génocide des femmes et travail dans les maquiladoras au Mexique. Presse-toi à gauche ! … Continue reading » fait persister une résistance à la reconnaissance de la recherche implicite d’éliminer un genre à travers des actes – et donc du génocide genré – ce qui n’est point surprenant au sein d’un système patriarcal. 

Conclusion : un constat mitigé, mais pas nécessairement figé

Finalement, l’état actuel de la justice pénale internationale n’offre pas de réponse adéquate à l’expérience des victimes de violences de genre en contexte génocidaire. Toutefois, comme nous le démontre l’histoire du crime de génocide, le droit international pénal est par nature un droit dynamique et adaptable aux évolutions de la société. Ainsi, si le texte du Statut de Rome et la jurisprudence ne sont pas pour le moment favorables à la prise en compte du genre dans l’élément intentionnel du génocide, cela ne signifie pas pour autant que cette position est immuable. Par conséquent, le prochain article analysera d’autres interprétations juridiques pouvant permettre au genre d’être intégré dans la qualification du crime de génocide, et cela, sans réformer le texte du Statut de Rome.

Pour citer cette production : Louis Poelaert-Roch, Peut-on vouloir détruire un groupe en raison de son genre ? Réflexion autour du crime de génocide en droit international pénal (1/3), Institut du Genre en Géopolitique, 24.01.2023. 

Les propos contenus dans cet écrit n’engagent que l’autrice.

References

References
1 Chang, I. (1998). The Rape of Nanking: The Forgotten Holocaust of World War II, Penguin USA.
2 Gendercide.org (n.d.). The 1995 gendercide on Bosnian Muslims in Srebrenica. https://www.gendercide.org/case_srebrenica.html
3 Réclamer notre pouvoir et notre place : le rapport final de l’Enquête nationale sur les femmes et les filles autochtones disparues et assassinées. (2019). Enquête nationale sur les femmes et les filles autochtones disparues et assassinées. https://www.mmiwg-ffada.ca/fr/final-report/
4 Gendercide.org (n.d.), Witch-hunts in early modern Europe (circa 1450-1750). https://www.gendercide.org/case_witchhunts.html
5 Leroy, A. (2021)., Violences de genre et résistances ». CETRI. https://www.cetri.be/Violences-de-genre-et-resistances-5724
6 Cour pénale internationale. (1998). Statut de Rome, Article 5. https://legal.un.org/icc/statute/french/rome_statute(f).pdf
7 Nahapétian, N. (2015). Le génocide est le crime des crimes : entretien avec Vincent Duclert. Alternatives Economiques, 314, 94. https://doi.org/10.3917/ae.347.0094
8 L’expression « minorité de genre » vise les personnes minorisées en raison de leurs identités ou expressions de genre en ce qu’elles ne seraient pas conformes aux normes culturelles sur le genre (Geoffroy, M. Chamberland, L. (2016). Discrimination des minorités sexuelles et de genre au travail : quelles implications pour la santé mentale ? Santé mentale au Québec, 40 (3), 145-172. https://doi.org/10.7202/1034916ar
9 De manière plus large, ces théories démontrent que les violences sexuelles touchent plus largement les femmes en temps de conflit. L’ONU a par ailleurs estimé que 96% des victimes de violences sexuelles liées aux conflits en 2020 dans 18 pays sont des femmes et des filles. Pour plus d’informations, voir : ONU Info. (2021). Lutte contre les violences sexuelles liées aux conflits : l’ONU appelle à passer des paroles aux actes. https://news.un.org/fr/story/2021/04/1093912
10 Lemkin, R. (1944). Axis Rule in Occupied Europe : Laws of Occupation, Analysis of Government Proposals for Redress. Washington Carnegie Endowment for International Peace Division of International Law.
11, 12, 16 Crevier, M. (2021)., Raphael Lemkin et le concept de génocide. Le Devoir. https://www.ledevoir.com/opinion/idees/616443/raphael-lemkin-et-le-concept-de-genocide
13 Réseau Canopé (n.d.). Génocide. https://www.reseau-canope.fr/fileadmin/user_upload/user_upload/notion_genocide.pdf
14 Organisation des Nations Unies. (1948). Convention pour la prévention et la répression du crime de génocide. https://www.ohchr.org/fr/instruments-mechanisms/instruments/convention-prevention-and-punishment-crime-genocide
15 Cour pénale internationale. (1998). Statut de Rome, Article 5. https://legal.un.org/icc/statute/french/rome_statute(f).pdf
17, 21 Hefti, A. (2022). Conceptualizing Femicide as a Human Rights Violation State Responsibility Under International Law. Edward Elgar.
18 Crevier, M. (2021)., Raphael Lemkin et le concept de génocide. Le Devoir. https://www.ledevoir.com/opinion/idees/616443/raphael-lemkin-et-le-concept-de-genocide.
19 Voir par exemple la décision : Tribunal pénal pour l’ex-Yougoslavie (2001). Prosecutor v. Krstic Case No. IT-98-33-T. §576, https://www.icty.org/x/cases/krstic/tjug/en/krs-tj010802e.pdf
20 Cour pénale internationale. (1998). Statut de Rome, Article 7. 3. https://www.icc-cpi.int/sites/default/files/RS-Eng.pdf (version anglaise).
22 Dworkin, A. (1974). Woman Hating. Penguin Books.
23 Segato, L. (2016). La Guerra Contra las Mujeres. Cofás.
24 Warren, M.-A. (1985). Gendercide, The Implications of Sex Selection. Rowman & Allanheld Publishers.
25 Voir par exemple : Messuti, A. (2015). La Dimension Jurídica Internacional del Feminicidio. Graciela Atencio.
26 Cour pénale internationale. (1998). Statut de Rome, Article 6. https://legal.un.org/icc/statute/french/rome_statute(f).pdf
27 Chawda, R. (2021). Gendercide and Genocide: A Case for Legal Considerations of Gender. Nickeled & Dimed. https://nickledanddimed.com/2021/04/27/gendercide-and-genocide-a-case-for-legal-considerations-of-gender/
28 Commission du droit international. (1996). Rapport de la Commission du droit international sur les travaux de sa quarante-huitième session. Annuaire de la Commission du droit international. Vol. II Part 2. https://legal.un.org/ilc/documentation/french/reports/a_51_10.pdf
29 Beyond Killing: Gender, Genocide, & Obligations Under International Law. (2018). Global Justice Center. https://www.globaljusticecenter.net/files/Gender-and-Genocide-Whitepaper-FINAL.pdf
30 Gender and Genocide in the 21st Century: How Understanding Gender Can Improve Genocide Prevention and Response. (2021). New Lines Institute. https://newlinesinstitute.org/wp-content/uploads/Gender-and-Genocide-in-21st-cent-MM_FINAL.pdf
31 St. James, E. (2022). The time to panic about anti-trans legislation is now. Vox. https://www.vox.com/first-person/22977970/anti-trans-legislation-texas-idaho
32 Villarreal, D. (2022). GOP Texas attorney general’s office allegedly demanded a list of trans people in the state. LGBTQ Nation, https://www.lgbtqnation.com/2022/12/gop-texas-attorney-generals-office-allegedly-demanded-list-trans-people-state/
33 Dworkin, A. (1974). Woman Hating. Penguin Books.
34, 36 Martinez Velasco, C. (2022). Génocide des femmes et travail dans les maquiladoras au Mexique. Presse-toi à gauche ! https://www.pressegauche.org/Genocide-des-femmes-et-travail-dans-les-maquiladoras-au-Mexique
35 Beyond Killing: Gender, Genocide, & Obligations Under International Law. (2018). Global Justice Center. https://www.globaljusticecenter.net/files/Gender-and-Genocide-Whitepaper-FINAL.pdf