Démission de Jacinda Ardern : retour sur un leadership féministe et humaniste

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Mercedes CG

23 février 2023

Jacinda Ardern, la Première ministre néo-zélandaise, a récemment annoncé sa démission pour raisons personnelles. Elle est une leader politique qui a eu un impact considérable sur le monde politique aussi bien néo-zélandais qu’international. Elle a été élue Première ministre de la Nouvelle-Zélande en 2017, apportant un nouveau style de leadership et une vision axée sur l’empathie et la justice sociale.

Son départ a soulevé des questions sur la façon dont les femmes sont perçues et traitées dans le monde politique, en particulier en ce qui concerne les inégalités de genre et les pressions supplémentaires auxquelles les femmes sont soumises en tant que leaders politiques. En outre, son départ a également amené des interrogations sur les défis auxquels les dirigeant·e·s sont confronté·e·s sur les attentes en matière de leadership en politique. En quoi l’exercice du pouvoir féministe et humaniste de Jacinda Ardern constitue-t-il un modèle ?

La contribution du leadership de Jacinda Ardern aux enjeux de genre en politique
Jacinda Ardern a amené une nouvelle approche dans la manière d’agir en politique, en introduisant empathie et compassion dans ses politiques publiques. Cela lui a permis de se rapprocher des citoyen·ne·s et d’aborder les défis sociaux avec humanité comme avec la législation sur l’égalité salariale de juillet 2020[1] https://www.globalcitizen.org/en/content/new-zealand-equal-pay-amendment-bill/ qui oblige les employeur·e·s à payer de manière égale les employé·e·s effectuant des tâches similaires, quel que soit leur genre ou leur ethnie. De plus, en 2018, elle a mis en place des politiques axées sur la communauté et l’inclusivité avec, par exemple, une politique de gratuité des frais de scolarité pour les étudiant·e·s de première année d’université[2]https://www.timeshighereducation.com/news/new-zealand-government-confirms-plans-abolish-tuition-fees, ce qui a permis de réduire le fardeau financier des études pour les familles à faible revenu et elle a encouragé davantage de jeunes à poursuivre des études supérieures. Cette mesure contribue à réduire les inégalités socio-économiques en offrant des opportunités d’éducation aux jeunes défavorisé·e·s. À long terme, l’économie néo-zélandaise sera ainsi renforcée grâce à une main-d’œuvre plus instruite et qualifiée.

Jacinda Ardern a travaillé en étroite collaboration avec différents groupes pour garantir que les politiques publiques répondent aux besoins de la communauté dans son ensemble. Elle a notamment collaboré avec les communautés autochtones de Nouvelle-Zélande pour élaborer une politique de réconciliation qui reconnaît le passé colonial de la Nouvelle-Zélande[3]https://www.sbs.com.au/news/article/jacinda-ardern-issues-historic-maori-apology-for-horrific-and-needless-acts-of-war/s0l6z793k et vise à améliorer la situation socio-économique des communautés autochtones. Cette initiative vise à améliorer les relations avec les peuples autochtones pour construire un avenir plus juste et plus inclusif pour tou.te·s les néo-zélandais·es.

En tant que première femme à la tête du gouvernement en Nouvelle-Zélande, Jacinda Ardern a joué un rôle important dans la promotion de la visibilité des femmes en politique, en ayant pour priorités la lutte contre les inégalités sociales, la protection de l’environnement, la promotion de la santé mentale et la mise en place de politiques favorisant l’inclusivité et l’égalité de genre. Elle a également souligné l’importance du bien-être et du bonheur des citoyen·ne·s. Jacinda Ardern a montré aux jeunes filles et aux femmes que le pouvoir est accessible à toutes et tous, peu importe leur genre. La désormais ancienne Première ministre a soutenu les politiques en faveur de l’égalité de genre, en mettant en place des mesures pour combattre la violence domestique[4]https://www.jurist.org/news/2021/12/new-zealand-unveils-25-year-plan-to-combat-domestic-violence/en soutenant la parité salariale et en favorisant l’accès à des soins de santé mentale de qualité pour toutes et tous[5] https://www.weforum.org/agenda/2019/05/new-zealand-is-publishing-its-first-well-being-budget/. Grâce à son leadership, Jacinda Ardern a contribué à placer les enjeux de l’égalité de genre sur le devant de la scène politique et a encouragé d’autres femmes à entrer en politique et à occuper des postes de pouvoir. En 2019, les élections locales en Nouvelle-Zélande ont vu un nombre record de femmes se présenter. Lors de ces élections, la Nouvelle-Zélande s’est classée au cinquième rang mondial pour la représentation des femmes au Parlement avec 48,3%, soit une hausse de dix points par rapport aux élections précédentes. Le gouvernement de Jacinda Ardern a nommé un grand nombre de femmes, notamment des femmes autochtones, LBTI+ et de couleur, ce qui s’avère positif pour la représentativité des minorités dans la politique néo-zélandaise[6]https://www.ipu.org/news/case-studies/2021-03/women-in-politics-in-new-zealand-heres-what-they-are-doing-right.

Il convient de noter que Jacinda Ardern a aussi activement soutenu les droits des personnes LGBTI+ en politique. Elle a été reconnue pour son soutien à la communauté LGBTI+ en promouvant des politiques inclusives telles que le mariage entre personnes de même sexe et la protection contre la discrimination basée sur l’orientation sexuelle en 2018. La même année, elle a participé à la parade gay de Auckland et a pris la parole en faveur de l’égalité pour toutes les personnes, peu importe leur orientation sexuelle.

Mise en place de politiques progressistes et mobilisation de la communauté en temps de crise

Jacinda Ardern a aussi réalisé de nombreux accomplissements durant son mandat en tant que Première ministre de Nouvelle-Zélande. Elle a mis en place des politiques progressistes pour faire face aux défis sociaux les plus pressants. Par exemple, elle a lancé un plan de lutte contre la pauvreté en 2018 et a augmenté le salaire minimum en Nouvelle-Zélande pour atteindre 20 dollars de l’heure en 2021, ce qui a permis d’augmenter le pouvoir d’achat de nombreu·x·ses travailleur·euse·s et a aidé les personnes les plus vulnérables à améliorer leur qualité de vie. Cependant, ces mesures ne suffisent pas à éradiquer complètement la pauvreté, des efforts supplémentaires sont nécessaires pour atteindre cet objectif. Par conséquent, bien que les politiques de Jacinda Ardern aient eu un impact positif sur la vie des personnes les plus vulnérables, il reste encore du travail à faire pour résoudre complètement le problème de la pauvreté en Nouvelle-Zélande[7]https://www.theguardian.com/world/2021/may/22/jacinda-arderns-budget-made-progress-on-poverty-but-its-not-mission-accomplished.

Elle a mené une réponse efficace à la pandémie du Covid-19, en travaillant en étroite collaboration avec les autorités de santé pour protéger la santé et la sécurité de la population. La réponse de Jacinda Ardern à la pandémie de Covid-19 en Nouvelle-Zélande s’est distinguée au niveau mondial par sa rapidité et son efficacité[8]https://theconversation.com/three-reasons-why-jacinda-arderns-coronavirus-response-has-been-a-masterclass-in-crisis-leadership-135541. Le gouvernement néo-zélandais a mis en place des mesures strictes de confinement et de quarantaine dès les premiers cas de Covid-19 sur son territoire, ce qui a permis de contenir la propagation du virus et de limiter considérablement le nombre de décès.

De plus, elle a soutenu les victimes de la fusillade de Christchurch en 2019, en montrant une compassion et une empathie sans précédent pour les personnes touchées par ce drame avec non seulement le port du foulard en solidarité avec la communauté musulmane, mais aussi en déclarant que la Nouvelle-Zélande était leur foyer et que les musulman·e·s y étaient en sécurité. Désormais, les armes semi-automatiques et les fusils d’assaut sont interdits en réponse à la fusillade[9]https://www.theguardian.com/world/live/2019/mar/21/new-zealand-shooting-jacinda-ardern-to-make-policy-announcement-live-updates, ce qui constitue une action forte pour prévenir de futures tragédies de ce genre. En tout temps, Jacinda Ardern a démontré un leadership fort et une capacité à mobiliser la communauté pour faire face aux défis les plus difficiles.

Les défis auxquels Jacinda Ardern a été confrontée en tant que première femme Première ministre

Jacinda Ardern a été la première femme à occuper le poste de Première ministre de Nouvelle-Zélande, ce qui l’a confrontée à de nombreux défis uniques liés à son genre. Elle a dû faire face à des attentes et des normes en matière de leadership politique souvent différentes pour les hommes et les femmes, ainsi qu’à des commentaires et à une médiatisation sexistes.

Les critiques auxquelles Jacinda Ardern a été confrontée tout au long de son mandat en tant que Premier ministre de la Nouvelle-Zélande soulignent les biais sexistes et de genre profondément enracinés dans la société. Les commentaires sur son apparence physique, sa voix et son langage corporel, ainsi que les attentes en matière de tenue vestimentaire, sont des exemples de la manière dont les femmes en politique sont souvent jugées davantage sur leur apparence que sur leur compétence ou leur travail.
Les commentaires sur sa gestion de la maternité et sa carrière politique révèlent également des attentes injustes et des stéréotypes de genre selon lesquels les femmes doivent choisir entre leur vie professionnelle et leur vie privée. Même lorsque les femmes réussissent à accéder à des postes de pouvoir, les critiques et les préjugés persistent à leur égard, ce qui remet en question leur légitimité en tant que leader.
Dans l’ensemble, ces critiques soulignent le fait qu’il est essentiel de continuer à promouvoir une véritable égalité des genres et de donner aux femmes les mêmes chances de réussite que leurs homologues masculins, mais elles soulignent surtout le fait que les mentalités doivent changer.

Cependant, malgré ces obstacles, Jacinda Ardern a continué à mener une politique axée sur l’empathie et la compassion.

Face à de nombreux défis, Jacinda Ardern a géré son mandat avec distinction tout en maintenant une vision claire de ses priorités. L’un des grands challenges auxquels Jacinda Arden a été confrontée est la conciliation entre son nouveau rôle en tant que jeune mère et en tant que leader politique et a montré qu’il est possible de concilier vie professionnelle et vie familiale sans en sacrifier une des deux. La démission de Jacinda Ardern en tant que Première ministre peut donc inspirer d’autres femmes à entrer en politique et à prendre des fonctions de leadership.
Toutefois, il y a encore des améliorations à apporter quant à la représentation des femmes dans la politique, notamment en termes d’égalité salariale, de reconnaissance de leurs contributions et de soutien à leur carrière.

Les leçons à tirer du mandat de Jacinda Ardern

L’adoption de mesures plus équitables pour les femmes en politique pour les aider à concilier leur vie personnelle et professionnelle sont des éléments à prendre en compte pour améliorer les bonnes pratiques en politique. Aussi, la visibilité des femmes en politique est importante pour inspirer les générations futures et briser les stéréotypes de genre. La compassion et l’empathie constituent des atouts pour le leadership, en particulier en politique où la confiance de la population est cruciale. Les politiques publiques en faveur de l’égalité de genre doivent être mises en œuvre pour soutenir les femmes en politique et briser les barrières à leur participation. Et le leadership féministe est un modèle pour une gouvernance plus juste et équitable, en mettant l’accent sur la justice sociale, l’égalité et la protection des droits humains.

Il convient de souligner que les défis auxquels les leaders politiques sont confronté·e·s ne sont pas limités aux femmes. Les hommes politiques sont également soumis à la pression pour concilier leur vie personnelle et professionnelle, comme cela a été le cas pour le très populaire ancien Premier ministre néo-zélandais John Key, qui a démissionné en 2016 pour des raisons similaires à celles de Jacinda Ardern, il faut prendre cela en compte pour améliorer les bonnes pratiques en politique. Cependant, il est également important de reconnaître les obstacles supplémentaires auxquels les femmes leaders politiques sont confrontées en raison des inégalités de genre dans la société.

Jacinda Ardern : un modèle de leadership féministe et humaniste pour une politique plus inclusive

La démission de Jacinda Ardern souligne l’importance de la représentation des femmes dans les postes de leadership politique et démontre qu’elles peuvent faire une différence significative en matière de gouvernance. Cependant, il est crucial que les femmes aient les mêmes opportunités et ressources que les hommes pour exercer leur leadership. Cela signifie garantir une égalité d’accès à l’éducation, à la formation politique, aux financements de campagne et à la reconnaissance publique. Cela passe également par l’élimination des préjugés et des stéréotypes sexistes à travers la lutte contre le sexisme et la promotion d’une culture politique inclusive et respectueuse qui valorise les contributions des femmes.

La diversité en politique est bénéfique pour toutes et tous car elle permet une représentation plus juste et plus complète de la population et conduit à des politiques plus inclusives et efficaces.

Pour citer cette publication : Mercedes CG, « Démission de Jacinda Ardern : retour sur un leadership féministe et humaniste« , 23/02/2023, Institut du Genre en Géopolitique, https://igg-geo.org/?p=10967.

Les propos contenus dans cet article n’engagent que l’auteur·ice.

 

Bibliographie

• Le Point. (2016, 5 décembre). Nouvelle-Zélande : démission du Premier ministre John Key. Le Point. 

• The Guardian. (2018, 19 février). Jacinda Ardern becomes first New Zealand PM to take part in gay pride parade. The Guardian. 

• Ornella Boinnot. (2021, 14 juin). Le leadership féministe de Jacinda Ardern : outil de communication ou nouveau modèle de gouvernance ?, Institut du Genre en Géopolitique. Tiré de https://igg-geo.org/?p=3590 

• NBC News. (2021, 1er février). New Zealand Prime Minister Jacinda Ardern says she will resign as she cites burnout. NBC News. 

• Suze Wilson. (2023, 22 janvier). La démission de Jacinda Ardern : une histoire de genre, de leadership et de compassion. 

• Farida Jalalzaï, Virginie Tech. (2023, 21 janvier). La démission de Jacinda Ardern montre que les femmes sont toujours confrontées à une bataille difficile en politique : un expert des femmes dirigeantes répond à 5 questions clés. 

• Le Monde. (2023, 20 janvier). Jacinda Ardern’s surprise resignation: the art of doing politics differently. Le Monde. 

• The Guardian. (2023, 19 janvier). Jacinda Ardern quit as prime minister of New Zealand: it’s a brave move. The Guardian. 

• Radio France. (2023, 19 janvier). La leçon au monde de la première ministre néo-zélandaise Jacinda Ardern. Radio France. 

• Purkiss, J. (2019, 29 mars). With respect: how Jacinda Ardern showed the world what a leader should be. 

References

References
1  https://www.globalcitizen.org/en/content/new-zealand-equal-pay-amendment-bill/
2 https://www.timeshighereducation.com/news/new-zealand-government-confirms-plans-abolish-tuition-fees
3 https://www.sbs.com.au/news/article/jacinda-ardern-issues-historic-maori-apology-for-horrific-and-needless-acts-of-war/s0l6z793k
4 https://www.jurist.org/news/2021/12/new-zealand-unveils-25-year-plan-to-combat-domestic-violence/
5  https://www.weforum.org/agenda/2019/05/new-zealand-is-publishing-its-first-well-being-budget/
6 https://www.ipu.org/news/case-studies/2021-03/women-in-politics-in-new-zealand-heres-what-they-are-doing-right
7 https://www.theguardian.com/world/2021/may/22/jacinda-arderns-budget-made-progress-on-poverty-but-its-not-mission-accomplished
8 https://theconversation.com/three-reasons-why-jacinda-arderns-coronavirus-response-has-been-a-masterclass-in-crisis-leadership-135541
9 https://www.theguardian.com/world/live/2019/mar/21/new-zealand-shooting-jacinda-ardern-to-make-policy-announcement-live-updates