Comment les mouvements féministes s’inscrivent dans la lutte pour la décolonisation en Afrique de l’Ouest ?

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01/06/2023

Mathilde Penda

L’histoire de la décolonisation en Afrique a souvent été racontée au masculin, en se concentrant sur les grandes figures masculines qui ont mené les luttes pour la libération nationale. Souvent oubliées dans l’histoire de la décolonisation, les femmes africaines ont joué un rôle important dans les combats contre la décolonisation. Durant cette même période, les femmes mènent une lutte parallèle, la lutte pour leurs droits. Les femmes ont alors mené une double lutte pour leurs droits et leur autonomisation, cherchant à dépasser les oppressions liées à la fois au colonialisme et au patriarcat. Comment les femmes ont-elles lutté pour revendiquer leurs droits dans un contexte social et politique particulier ?

Les femmes dans la lutte pour l’indépendance sous le prisme masculin. Les premiers mouvements féministes en Afrique de l’Ouest.

C’est à partir des années 1970, que les femmes jouent un rôle plus important dans la lutte décoloniale en Afrique occidentale française. Les femmes reçoivent une éducation. En effet, l’administration coloniale met en place des écoles d’infirmières, de sage-femmes et d’institutrices. Pour Pascale Barthélemy, historienne, spécialiste de l’histoire des femmes et du genre en Afrique de l’Ouest au XXe siècle, l’éducation des femmes avait un but stratégique pour l’administration coloniale française[1]Barthélémy, P. (6 juin 2022). Anticolonialisme, droit des femmes : trajectoires méconnues de pionnières africaines. The Conversation. … Continue reading . Elle voulait en faire des femmes éduquées afin qu’elles servent l’intérêt de la cause coloniale, qui était en opposition avec les partis indépendantistes de plus en plus nombreux en cette période de décolonisation.

Deux écoles principales sont alors fondées, l’école des sage-femmes de Dakar créée en 1918 et l’école normale d’institutrice de Rusfique, au Sénégal, créée en 1921. Entre 1918 et 1957, ces deux écoles ont accueilli plus de 1 000 jeunes filles qui ont été diplômées[2]Barthélémy, P. (6 juin 2022). Anticolonialisme, droit des femmes : trajectoires méconnues de pionnières africaines. The Conversation. … Continue reading . Pascale Barthélémy, avance que ces écoles ont permis à des femmes de différentes classes sociales, dans un premier temps d’acquérir une éducation et ensuite de s’engager en politique, malgré les contraintes sexistes qui pesaient sur les femmes à cette époque[3]Barthélémy, P. (6 juin 2022). Anticolonialisme, droit des femmes : trajectoires méconnues de pionnières africaines. The Conversation. … Continue reading . Ayant obtenu leur diplôme dans ces deux écoles, elles ont participé activement à la lutte contre le colonialisme aux côtés de grandes figures, parmi lesquelles figuraient Félix Houphouët Boigny, le premier président de la Côte d’Ivoire, Mamadou Dia, le premier ministre du Sénégal, ou encore Modiba Keita, défenseur du panafricanisme qui occupait le poste de président de la Fédération du Mali dans les années 1950.

C’est par exemple le cas de Jeanne Martin Cissé, qui a été scolarisée à l’école normale de Rusfique en 1940, afin de devenir institutrice[4]Maurel, C. (18 novembre 2022). Jeanne Martin Cissée, une femme à la tête du Conseil de sécurité. L’Humanité. … Continue reading . Originaire de Guinée, elle occupe en 1972 la présidence du Conseil de sécurité de l’ONU en tant que représentante permanente de la Guinée, membre non permanent du Conseil de sécurité. C’est une grande figure féminine de la lutte contre le colonialisme en Afrique. Pendant sa période en tant que secrétaire générale de la Conférence des femmes africaines jusqu’en 1974, elle a également été déléguée à la Commission de la condition de la femme siégeant à Genève pendant six ans, ainsi qu’à la Commission des Nations unies chargée des affaires humanitaires[5]Maurel, C. (18 novembre 2022). Jeanne Martin Cissée, une femme à la tête du Conseil de sécurité. L’Humanité. … Continue reading .

La contribution des femmes dans la lutte pour l’indépendance

Dès les années 1930, les femmes participaient déjà aux luttes sociales. En 1933, des émeutes ont éclaté à Lomé au Togo suite à la mise en place d’une nouvelle taxe sur les droits de place sur les marchés par l’administration coloniale. Les femmes, qui étaient les commerçantes sur les marchés, ont décidé de manifester en réponse à cette nouvelle taxe[6]Joly, V. (2006). Femmes et décolonisation en Afrique occidentale française. Dans M. Bergère, L. Capdevila (dir.), Genre et événement, du masculin et du féminin en histoire des crises des … Continue reading) .
Cette première manifestation n’était pas organisée politiquement ou socialement, mais était davantage un mouvement spontané initié et mené par les femmes pour exprimer leur mécontentement contre cette nouvelle taxe émise par l’administration coloniale. Cette action eut toutefois un effet limité et les revendications féminines sont restées en marge des débats[7]Joly, V. (2006). Femmes et décolonisation en Afrique occidentale française. Dans M. Bergère, L. Capdevila (dir.), Genre et événement, du masculin et du féminin en histoire des crises des … Continue reading) . Pour Vincent Joly, historien spécialiste des colonisations et décolonisations en Afrique au XIXème siècle et au XXème siècle, qui a participé à l’ouvrage collectif sous la direction de Marc Bergère et Luc Capdevila, Genre et événement du masculin et du féminin en histoire des crises et des conflits, même si les femmes interviennent dans les conflits sociaux et politiques à cette période, leurs revendications restent invisibilisées par les combats masculins. Les femmes mènent alors un double combat, contre le pouvoir colonial et le patriarcat et s’insérent progressivement dans le système politique.

En Côte d’Ivoire, cela se manifeste par leur inclusion au sein du parti contestataire de l’administration coloniale de l’époque, le PDCI, le Parti Démocratique de Côte d’Ivoire. Fondé en 1946 par Félix Houphouët-Boigny dans le but de promouvoir « l’émancipation du peuple noir[8]PHAN, B., « La décolonisation de l’Afrique noire », dans : , Colonisation et décolonisation. (XVIe-XXe siècle), sous la direction de PHAN Bernard. Paris cedex 14, Presses Universitaires de … Continue reading », le PDCI a rapidement créé une section féminine qui se concentrait principalement sur l’éducation des femmes ivoiriennes[9]Joly, V. (2006). Femmes et décolonisation en Afrique occidentale française. Dans M. Bergère, L. Capdevila (dir.), Genre et événement, du masculin et du féminin en histoire des crises des … Continue reading) . Pour mobiliser les femmes, cette section organisait des manifestations exclusivement féminines, avec des danses inspirées de pratiques précoloniales utilisées en temps de guerre et adaptées pour l’occasion. On assiste à un tournant du rôle des femmes en politique en 1949, lors de la marche des femmes sur Grand-Bassam, pour revendiquer la libération de prisonniers politiques.

En 1947, le PDCI compte déjà plus de 200 000 adhérent·e·s, ce qui suscite l’inquiétude de l’administration coloniale française qui réagit en emprisonnant quelques opposants politiques . Le 7 février 1949, huit dirigeants du PDCI sont emprisonnés sans jugement à la prison de Grand-Bassam après une série de protestations. Dix mois plus tard, les détenus entament une grève de la faim, aggravant rapidement leur état de santé[10]Diabité, A. (2010). La prison de Grand Bassam des origines à 1952, Revue ivoirienne d’histoire . Pendant ce temps, les militantes entreprennent diverses actions pour obtenir leur libération, mais sans succès. Le 22 décembre, les femmes du PDCI décident d’organiser une marche d’Abidjan à Grand-Bassam pour exiger la libération des détenus. Elles sont soutenues par la population, mais confrontées aux forces de l’ordre à leur arrivée devant la prison le 24 décembre. Plusieurs dizaines de femmes sont blessées et quatre d’entre elles sont arrêtées, dont deux condamnées à de la prison ferme[11]Diabité, A. (2010). La prison de Grand Bassam des origines à 1952, Revue ivoirienne d’histoire . Houphouët-Boigny, le président du parti, à cette époque, demande aux femmes de rentrer à Abidjan pour éviter une escalade de la violence. Les militants ne seront libérés que partiellement en mars[12]Joly, V. (2006). Femmes et décolonisation en Afrique occidentale française. Dans M. Bergère, L. Capdevila (dir.), Genre et événement, du masculin et du féminin en histoire des crises des … Continue reading) .

Pour Vincent Joly, la marche des femmes sur Grand Bassam, qui a été plus tard qualifiée de mouvement contestataire, représente une avancée partielle du rôle des femmes dans la lutte contre la colonisation. D’une part, cette manifestation, qui a été organisée exclusivement par des femmes, n’a pas été concertée avec les dirigeants masculins du parti. Les femmes ont pris cette initiative au sein de leur section féminine, ce qui témoigne de leur relative indépendance. Houphouët-Boigny a même tenté de calmer le mouvement, ce qui montre que les femmes ont envoyé un message fort sur leur capacité à contribuer à la lutte pour l’indépendance.
D’un autre côté, ce mouvement n’a pas réussi à faire libérer les opposants politiques qui n’ont été libérés que bien plus tard en mars.

Les défis de la lutte simultanée pour la décolonisation et les droits des femmes

Un paradoxe se met en place. Pour cette génération de femmes, qui ne se définissent pas encore comme féministes, l’enjeu primordial est d’insérer les luttes féministes dans la lutte décoloniale.

Toutefois, les combats menés par les femmes ne sont pas bien acceptés. Par exemple, les femmes qui ont rejoint le parti démocratique de Guinée ont été assimilées à des prostituées par leurs adversaires[13]Joly, V. (2006). Femmes et décolonisation en Afrique occidentale française. Dans M. Bergère, L. Capdevila (dir.), Genre et événement, du masculin et du féminin en histoire des crises des … Continue reading) . Bien que les dirigeants de parti, notamment Houphouët-Boigny, reconnaissent l’importance de la contribution des femmes à la lutte, ces dernières sont souvent mises de côté dans les actions collectives jusqu’en 1950. Les hommes, mal à l’aise à l’idée de voir les femmes dans les rues, ont tout fait pour ramener leurs combats dans la sphère privée. Dans le parti, les femmes sont confinées à des tâches considérées comme féminines, telles que la santé, l’éducation des femmes, l’enseignement, sans jamais occuper des postes de premier plan. Bien qu’elles soient à l’initiative de certaines actions, elles sont rapidement reléguées au rang de mineures politiques.

Fatou Sow, chercheuse sénégalaise sur les féminismes africains, explique que les premiers mouvements féminins au Sénégal étaient des associations de femmes, regroupées dans des branches locales d’organisations internationales, dans les années 1960[14]Destremau, B., Verschuur, C. (2021). Mouvements féministes en Afrique. Revue Tiers monde(n°209), 145-160. https://doi.org/10.3917/rtm.209.0145 . Ces femmes ont longtemps refusé de porter l’étiquette de féministe, qui était mal vu dans la société africaine, tout en revendiquant des améliorations pour leur vie et leur santé, telles que l’accès à l’éducation, à la formation et à l’emploi, ainsi qu’une progression dans la fonction publique et une représentation dans les structures du pouvoir[15]Destremau, B., Verschuur, C. (2021). Mouvements féministes en Afrique. Revue Tiers monde(n°209), 145-160. https://doi.org/10.3917/rtm.209.0145 . Cependant les femmes sénégalaises n’ont pas, dans un premier temps, remis en question le système patriarcal politique et social ni la culture à l’époque. Elles se sont contentées de dénoncer certaines pratiques jugées excessives, telles que les dépenses lors des cérémonies familiales. Toutes autres critiques étaient considérées comme étant trop radicales à l’époque où les discours nationalistes étaient centrés sur la culture africaine et la négritude[16]Césaire définit la négritude comme « la simple reconnaissance du fait d’être noir, et l’acceptation de ce fait, de notre destin de noir, de notre histoire et de notre culture. » … Continue reading) .

Depuis les indépendances, que reste-il des luttes pour les droits des femmes en Afrique de l’Ouest ?

En outre, durant cette période, les femmes n’étaient pas encore prêtes à remettre en question les normes des rapports entre les sexes et à s’engager dans une perspective de libération au sein de leurs sociétés. De nombreux hommes et femmes africain·e·s se méfient de ces mouvements féminins, les considérant comme un autre moyen d’exploitation coloniale de l’Occident. Le féminisme est perçu à l’image de l’émanation des femmes occidentales détournant les Africain·e·s du véritable combat, celui pour la décolonisation[17]Njike, A. (14 janvier 2022). Le féminisme africain n’as pas attendu l’Occident. Jeuneafrique. https://www.jeuneafrique.com/1284322/societe/le-feminisme-africain-na-pas-attendu-loccident/ .

Pourtant, au sortir de la décolonisation, des mouvements féministes avec une approche décoloniale apparaissent en Afrique. Cette notion de féminisme décolonial est une notion établie par Françoise Vergès, dans son roman Le féminisme décolonial paru en 2019. Il se définit comme un mouvement féministe qui met en avant la dimension coloniale et raciale des inégalités de genre. Il s’inscrit dans une critique globale de la domination coloniale et de ses conséquences sur les populations et les cultures des pays colonisés[18]Vergès, F. (2019). Un féminisme décolonial. La Fabrique édition . Le féminisme décolonial s’attache à déconstruire les systèmes de pouvoir et de domination qui ont été établis à travers la colonisation, et qui continuent d’opprimer les femmes, en particulier les femmes issues de minorités ethniques, raciales, religieuses et sexuelles. Il cherche à intégrer les perspectives et les expériences des femmes issues de ces minorités dans la lutte féministe et à reconnaître leurs contributions à la construction des sociétés[19]Guignard, C. (2020). Fiche de lecture – un féminin décolonial, VERGES. IGG. https://igg-geo.org/wp-content/uploads/2020/09/FL-Feminisme-decolonial-GUIGNARD.pdf .

Ce féminisme remet en question les normes culturelles, sociales et politiques qui ont été imposées par la colonisation, et cherche à valoriser les cultures, les traditions et les savoirs des peuples colonisés. Il considère que la lutte féministe doit être articulée avec les luttes anti-coloniales et anti-racistes, afin de construire une société plus juste et plus égalitaire.

En Afrique, le féminisme décolonial s’inscrit dans la continuité des mouvements de libération nationale et des luttes anti-coloniales qui ont marqué l’histoire du continent. Il vise à déconstruire les schémas de domination et d’oppression qui ont été instaurés par la colonisation, en remettant en cause les normes sociales, culturelles et politiques imposées par les puissances coloniales.

Le féminisme décolonial en Afrique considère que la lutte féministe ne peut être dissociée des luttes anti-coloniales et anti-racistes, et qu’elle doit prendre en compte les spécificités des expériences des femmes africaines et de leur positionnement dans des contextes postcoloniaux. Il cherche alors à valoriser les savoirs, les cultures et les traditions africaines, tout en remettant en question les normes patriarcales qui y sont souvent associées. Il met en avant la nécessité de prendre en compte la diversité des expériences des femmes africaines, en fonction de leur contexte social, économique et culturel[20]Vergès, F. (2019). Un féminisme décolonial. La Fabrique édition .

Alors comment la lutte féministe tente de s’inscrire dans la globalité de la société africaine, qui est en plein changement au sortir de la colonisation ?

Le rôle des mouvements féministes en Afrique de l’Ouest

Le féminisme en Afrique de l’Ouest a été un moteur de changement social et politique, en promouvant l’égalité de genre et en luttant contre les inégalités et les violences envers les femmes. Les mouvements féministes jouent un rôle important en Afrique de l’Ouest en tant que mouvement de défense des droits des femmes et de promotion de l’égalité de genre. Depuis les années 1990, les mouvements féministes commencent à se développer dans la région, en réponse aux inégalités de genre et aux violences dont les femmes sont victimes.

Les mouvements féministes en Afrique de l’Ouest ont été très actifs dans la lutte contre les mutilations génitales féminines (MGF) une pratique encore répandue dans certains pays de la région. Les MGF sont encore pratiquées dans de nombreux pays africains pour des raisons culturelles et sociales profondément enracinées, même si ce phénomène a été encadré et interdit dans une majorité de pays en Afrique de l’Ouest. Plus d’une vingtaine de pays ont adopté des lois afin de les criminaliser, notamment le Burkina Faso, la Côte d’Ivoire, la Gambie, le Niger ou encore le Sénégal. Cependant, selon Plan International France, la Guinée Conakry est le deuxième pays le plus touché par l’excision, derrière la Somalie, avec 97% des femmes âgées de 15 à 49 ans, touchées par ce phénomène, 76% au Burkina Faso, un quart des femmes au Sénégal excisées et jusqu’à 73% des filles de moins de 14 ans et 89% des femmes âgées de 15 à 49 ans excisées au Mali, ou l’exicision n’est toujours pas criminalisée, avec la Sierra Leone et le Liberia[21]Excision, parlons-en (2023). https://www.excisionparlonsen.org/cartographie-de-lexcision-dans-le-monde/ .

Des organisations de femmes ont mené des campagnes de sensibilisation, de prévention et de plaidoyer auprès des communautés pour mettre fin à cette pratique. C’est le cas de l’association Tostan au Sénégal qui se concentre sur l’éducation et la formation pour promouvoir les droits humains et lutter contre les MGF[22]Tostan Dignity for All (2023).https://tostan.org/fr/ . Depuis sa création en 1991, l’association tente de dialoguer et engager avec les populations locales pour lutter contre ce phénomène. Tostan utilise une approche participative pour sensibiliser les communautés aux répercussions négatives de l’excision sur la santé des femmes et des filles, ainsi que sur les droits humains. Ses programmes comprennent des sessions d’éducation formelles, des discussions de groupe, des pièces de théâtre et des campagnes de sensibilisation dans les villages.

De plus, Tostan organise des réunions avec les dirigeants des communautés locales et régionales, pour discuter des problèmes liés à l’excision et aux pratiques similaires. Enfin, l’association offre des formations et des ateliers qui portent sur la communication efficace, la résolution de conflits et la planification de projets au sein des communautés. Les actions de Tostan ont porté des effets positifs, en Afrique de l’Ouest, où plus de 1 107 activités de sensibilisation à la santé ont été menées en Guinée Bissau, en 2021, et où des communautés entières ont abandonné la pratique de l’excision[23]Tostan Dignity For All. (2023).https://tostan.org/fr/zones-dimpact/sante/ .

Longtemps sous-représentée dans le domaine politique, la participation des femmes est souvent moindre, malgré les avancées notables de ces dernières années. Des politiques de discriminations positives ont été mises en place en Afrique, à partir des années 1990, en faveur de la promotion de l’égalité des sexes en politique, telles que des quotas de genre pour les candidatures aux élections, ou encore pour améliorer la représentation des femmes dans les sphères de décision. En 2019, le Mali comptait 34,4% de femmes qui occupaient des postes ministériels, N’Diaye Ramatoulaye Diallo occupait le poste de Ministre de la culture, Llenta Hawa Baba Bah occupait le poste de ministre des mines et du pétrole, Kassima Camara, occupait celui de Ministre de l’économie numérique et de la prospective, Nina Walet Intalo, celui de Ministre de l’artisanat et du tourisme et enfin Diakité Aïssata Kassa Traoré occupait le poste de Ministre de la promotion de la femme, de l’enfant et de la famille[24]Mali : le nouveau gouvernement de Boubou Cissé dévoilé. ( 2019, Mai 5). Jeune Afrique. https://www.jeuneafrique.com/771068/politique/mali-le-nouveau-gouvernement-de-boubou-cisse-devoile/ . Le Sénégal, quant à lui, comptait en 2019, 41,8% de parlementaires femmes[25]Sénégal : les femmes occupent près de la moitié des sièges de la nouvelle assemblée. ( 2022, Septembre 13). France info. … Continue reading .

Les limites et les défis de l’émancipation des femmes africaines

Les mouvements féministes en Afrique de l’Ouest ont été intégrés progressivement mais pas sans difficultés dans la société africaine au sortir des indépendances. Pour Aurélie Latoures, le féminisme était vu comme une autre forme d’impérialisme en Afrique, et donc comme un mouvement inapproprié au contexte africain. Pour pouvoir se détacher de cette vision européenne du féminisme, l’Association des femmes africaines pour la recherche et le développement (AFARD) voit le jour à Dakar en 1977, avec pour objectif principal de « décoloniser le féminisme ». Au fil des ans, l’AFARD a travaillé avec des partenaires de la région et internationaux pour mettre en œuvre des projets et des programmes visant à améliorer les conditions de vie des femmes africaines et à promouvoir leur autonomisation économique, sociale et politique. L’association a choisi de travailler sur le terrain avec une population touchée par une extrême vulnérabilité : les femmes en milieu rural.

Malgré toutes les avancées en matière de droit de la femme depuis les décolonisations en Afrique, l’émancipation de la femme africaines est confronté à plusieurs limites. De nombreux pays africains tentent depuis plusieurs années d’élaborer des règles plus justes pour les droits des femmes, mais les traditions et les coutumes sexistes sont profondément ancrées dans les sociétés africaines. Les femmes africaines sont massivement touchées par les violences basées sur le genre. Selon une enquête de l’Organisation mondiale de la santé (OMS) en 2018, 40 % des femmes en Afrique de l’Ouest ont été victimes de violences[26]OMS (Organisation Mondiale de la Santé). (2021). Violence à l’égard des femmes. https://www.who.int/fr/publications-detail/9789240026681 . L’indice d’inégalité de genre (IIG) de l’ONU mesure également la domination masculine dans de nombreux États subsahariens, où le Sénégal est classé au 130e rang, le Burkina Faso au 147e et le Mali au 158e sur 162 pays[27]Rapport sur le développement humain 2021/2022 : Temps incertains, vies bouleversées : façonner notre avenir dans un monde en mutation, PNUD, septembre 2022, 337 p. .

Les violences subies par les femmes les plus démunies prennent souvent plusieurs formes, comme les mariages précoces ou forcés, les violences conjugales et sexuelles et la confiscation de ressources économiques. Les femmes enceintes représentent également une population particulièrement vulnérable, malgré les progrès récents en matière de santé maternelle en Afrique subsaharienne car la région a toujours le taux de mortalité maternelle le plus élevé au monde, notamment chez les adolescentes. En outre, les mutilations génitales féminines persistent à des niveaux effrayants.

La lutte pour les droits des femmes dans une société en perpétuel changement

Souvent oubliées dans l’histoire de la décolonisation, les femmes africaines ont joué un rôle important dans les combats contre la décolonisation. Dans cette double lutte, les femmes africaines se battent contre l’administration coloniale, aux côtés de grandes figures panafricaines masculines mais elles se battent aussi pour leurs droits, effacés de ces combats. La lutte pour les droits des femmes devient alors indissociable de la lutte pour la libération nationale et ces petits mouvements féminins deviennent des mouvements féministes. Le féminisme en Afrique est vu sous un nouveau prisme, le féminisme décolonial, afin de sortir du prisme européen. Les mouvements féministes qui luttent depuis la période coloniale continuent alors leurs combats dans une société en perpétuel changement.

Pour citer cet article : Mathilde Penda (2023). Comment les mouvements féministes s’inscrivent dans la lutte pour la décolonisation en Afrique de l’Ouest ? Institut du Genre en Géopolitique. https://igg-geo.org/?p=12650

Les propos contenus dans cet article n’engagent que l’autrice.

References

References
1 Barthélémy, P. (6 juin 2022). Anticolonialisme, droit des femmes : trajectoires méconnues de pionnières africaines. The Conversation. https://theconversation.com/anticolonialisme-droits-des-femmes-trajectoires-meconnues-de-pionnieres-africaines-183869
2, 3 Barthélémy, P. (6 juin 2022). Anticolonialisme, droit des femmes : trajectoires méconnues de pionnières africaines. The Conversation. https://theconversation.com/anticolonialisme-droits-des-femmes-trajectoires-meconnues-de-pionnieres-africaines-183869
4, 5 Maurel, C. (18 novembre 2022). Jeanne Martin Cissée, une femme à la tête du Conseil de sécurité. L’Humanité. https://www.humanite.fr/en-debat/onu/jeanne-martin-cisse-une-femme-la-tete-du-conseil-de-securite-771447
6, 7 Joly, V. (2006). Femmes et décolonisation en Afrique occidentale française. Dans M. Bergère, L. Capdevila (dir.), Genre et événement, du masculin et du féminin en histoire des crises des conflits ( pp.10(-117
8 PHAN, B., « La décolonisation de l’Afrique noire », dans : , Colonisation et décolonisation. (XVIe-XXe siècle), sous la direction de PHAN Bernard. Paris cedex 14, Presses Universitaires de France, « Quadrige », 2017, p. 165-174. https://www.cairn.info/colonisation-et-decolonisation–9782130795582-page-165.htm
9, 12, 13 Joly, V. (2006). Femmes et décolonisation en Afrique occidentale française. Dans M. Bergère, L. Capdevila (dir.), Genre et événement, du masculin et du féminin en histoire des crises des conflits pp.10(-117
10, 11 Diabité, A. (2010). La prison de Grand Bassam des origines à 1952, Revue ivoirienne d’histoire
14, 15 Destremau, B., Verschuur, C. (2021). Mouvements féministes en Afrique. Revue Tiers monde(n°209), 145-160. https://doi.org/10.3917/rtm.209.0145
16 Césaire définit la négritude comme « la simple reconnaissance du fait d’être noir, et l’acceptation de ce fait, de notre destin de noir, de notre histoire et de notre culture. » (Liberté 3, pp. 269-270.
17 Njike, A. (14 janvier 2022). Le féminisme africain n’as pas attendu l’Occident. Jeuneafrique. https://www.jeuneafrique.com/1284322/societe/le-feminisme-africain-na-pas-attendu-loccident/
18, 20 Vergès, F. (2019). Un féminisme décolonial. La Fabrique édition
19 Guignard, C. (2020). Fiche de lecture – un féminin décolonial, VERGES. IGG. https://igg-geo.org/wp-content/uploads/2020/09/FL-Feminisme-decolonial-GUIGNARD.pdf
21 Excision, parlons-en (2023). https://www.excisionparlonsen.org/cartographie-de-lexcision-dans-le-monde/
22 Tostan Dignity for All (2023).https://tostan.org/fr/
23 Tostan Dignity For All. (2023).https://tostan.org/fr/zones-dimpact/sante/
24 Mali : le nouveau gouvernement de Boubou Cissé dévoilé. ( 2019, Mai 5). Jeune Afrique. https://www.jeuneafrique.com/771068/politique/mali-le-nouveau-gouvernement-de-boubou-cisse-devoile/
25 Sénégal : les femmes occupent près de la moitié des sièges de la nouvelle assemblée. ( 2022, Septembre 13). France info. https://www.francetvinfo.fr/monde/afrique/politique-africaine/senegal-les-femmes-occupent-pres-de-la-moitie-des-sieges-de-la-nouvelle-assemblee_5358421.html
26 OMS (Organisation Mondiale de la Santé). (2021). Violence à l’égard des femmes. https://www.who.int/fr/publications-detail/9789240026681
27 Rapport sur le développement humain 2021/2022 : Temps incertains, vies bouleversées : façonner notre avenir dans un monde en mutation, PNUD, septembre 2022, 337 p.