Une participation des femmes plus idéalisée que réelle
Tout d’abord, il faut souligner la persistance de la domination masculine au sein des différents mécanismes de suivi à la suite de la signature de l’ACPSC. En effet, en 2014, aucune femme n’était présente au sein du Mécanisme régional de suivi ainsi qu’au sein du Comité d’appui technique . De plus, il se concentre principalement sur des problématiques relatives à la sécurité et à l’état de droit, reléguant au second plan les dimensions sociales et économiques de la construction de la paix. Ainsi, dans le rapport de la troisième réunion, qui s’est tenue en janvier 2014, la déclaration du Mécanisme régional portant sur les obligations spécifiques de la RDC mettait l’accent sur les dimensions sécuritaires, en applaudissant les efforts continus de l’armée de la RDC pour lutter contre les groupes armés. À l’inverse, ce même rapport ne mentionnait pas les enjeux sociaux et économiques, pourtant centraux au processus de paix . Si les dimensions socio-économiques sont cruciales, c’est dans la mesure où elles influent sur la reconnaissance du rôle des femmes dans les sociétés, en termes d’égalité femmes-hommes et de participation des femmes aux processus décisionnels, en particulier dans les processus de paix. Par exemple, le travail de la société civile, y compris celui des organisations de femmes, porte principalement sur les aspects sociaux du processus de paix, tels que le rétablissement de liens communautaires transfrontaliers, la réconciliation ou encore le dialogue social. Ne pas prendre en compte ces questions dans le suivi de la mise en œuvre de l’ACPSC contribue à invisibiliser le rôle des femmes dans la société.
Ensuite, la participation des femmes à la consolidation de la paix a essentiellement eu lieu par le bas, à travers la société civile et plus particulièrement les organisations de femmes. Or, on accorde souvent à ces acteur·ices un rôle minime au sein du processus décisionnel. Ainsi, le Mécanisme national de suivi intègre les représentant·es de la société civile dans le cadre de son conseil consultatif, et ont, par conséquent, un poids limité, puisqu’ils·elles sont uniquement en mesure de formuler des observations ainsi que des recommandations . De manière générale, il a été constaté qu’à cette implication plus consultative que participative de la part de la société civile s’ajoutait un déficit de communication et de transparence autour des étapes clés auprès d’elle . Ce rôle limité ne leur permet pas de revendiquer les besoins spécifiques des femmes dans le processus de façon significative. Accorder aux organisations de femmes un rôle de second plan signifie également accorder une importance du même titre à leurs revendications.
La Plateforme des femmes pour l’ACPSC, quant à elle, s’est avérée être un mécanisme de financement ponctuel destiné aux organisations de femmes, et non un outil de promotion de la participation politique des femmes aux niveaux décisionnels plus élevés . Si un peu plus d’un an après le lancement de la plateforme, en avril 2015, 40 subventions avaient été versées à 34 groupes de femmes différents , les données des années suivantes sont difficilement accessibles, ce qui vient complexifier l’évaluation des résultats de l’initiative. Toutefois, les données accessibles nous montrent des effets sur le quotidien des habitant·es plutôt limités lorsqu’on les replace à l’échelle de la région des Grands Lacs dans son ensemble. De plus, le financement des divers projets provient du soutien des bailleur·euses de fonds. Cela entraîne un phénomène de dépendance vis-à-vis de la disponibilité des ressources nécessaires au fonctionnement de la plateforme . En effet, un tel modèle de financement s’avère assez précaire dans la mesure où si les bailleur·euses de fonds décident de retirer leur apport financier, il ne peut plus fonctionner. Cela requiert donc un travail continu pour s’assurer du renouvellement de leurs contributions.
La Conférence internationale de la région des Grands Lacs (CIRGL) : une opportunité pour un processus de paix sensible au genre ?
Face aux limites mentionnées ci-dessus, y aurait-il des opportunités d’amélioration de la participation des femmes au processus de paix régional en dehors de l’ACPSC ? À cet égard, la Conférence internationale de la région des Grands Lacs (CIRGL) peut consister en une piste de réflexion pour l’avenir. Il s’agit du premier mécanisme de régulation des conflits à avoir été mis en place dans la région à partir de 2002 . Si cette institution est intéressante, c’est dans la mesure où elle a le potentiel de contribuer à la mise en avant des femmes et de leurs intérêts dans le processus de paix, pour plusieurs raisons.
Un premier exemple récent illustrant le potentiel de la CIRGL réside dans l’adoption, le 13 novembre 2022, à l’initiative des ministres de ses États membres, d’un plan d’action régional pour la mise en œuvre de la résolution 1325 (2000) du Conseil de sécurité, ainsi que d’une politique régionale mise à jour sur les questions de genre. À cette occasion, les ministres ont également souligné l’importance de fournir davantage de données sur la participation effective des femmes aux processus de paix et aux processus politiques . De plus, la CIRGL possède un Forum régional des femmes, créé le 18 décembre 2010 à Dar es Salaam . Celui-ci réunit des délégations issues de chaque État-membre et a initialement été créé en tant qu’organe consultatif sur les questions de genre et la violence sexuelle et fondée sur le genre . Enfin, la CIRGL inclut également un programme « Genre, femmes et enfants » . Bien qu’il soit regrettable d’associer les questions relatives aux femmes à celles des enfants, en raison des logiques stéréotypées selon lesquelles les femmes ont la responsabilité de la charge des enfants, ce programme montre tout de même une volonté de se concentrer sur les enjeux liés aux femmes dans le processus de consolidation de la paix.
Ces différents programmes et mécanismes sont porteurs d’espoirs pour l’intégration des intérêts des femmes dans le processus de paix à l’avenir. Toutefois, s’ils peuvent représenter un espace d’expression pour les femmes en réponse aux limites observées ci-dessus dans les autres mécanismes, ils ne constituent pas une garantie. Ici, encore, il est important d’aller au-delà des simples engagements dédiés à la prise en compte des intérêts des femmes pour s’intéresser à leur effectivité. L’absence ou la difficulté d’accès aux données évaluant les résultats de ces différents mécanismes ne permet malheureusement pas de savoir précisément si ces alternatives incarnent réellement une opportunité pour l’avenir.
Quelles recommandations concrètes pour l’avenir ?
Tout d’abord, il est nécessaire de repenser ce que signifie prendre en compte le genre en situation de conflits. Comme il a pu être constaté, la prise en compte du genre se résume souvent aux violences sexuelles dont sont victimes les femmes en situation de conflit. Ce problème est illustré par le contenu de l’ACPSC lui-même, puisque sa seule mention au genre porte sur les actes de violence sexuelle . Bien qu’il s’agisse d’un sujet très important, les dimensions genrées des conflits sont bien plus vastes. Elles comprennent des questions concernant les femmes mais aussi les hommes. Il est possible de distinguer deux types d’enjeux. Premièrement, pour que le processus de paix en RDC et dans les pays limitrophes soit sensible au genre, il faut reconnaître que les conflits touchent différemment les femmes et les hommes et que, par conséquent, ils·elles ont des besoins spécifiques. Deuxièmement, il est également nécessaire de réaliser un travail au niveau d’une participation au processus de paix paritaire, afin de remédier à la sous-représentation des femmes aux plus hauts niveaux décisionnels pour que celles-ci puissent avoir un poids dans les prises de décision.
Ensuite, il a été constaté à plusieurs reprises que le rôle de la société civile, et spécifiquement des organisations de femmes, était assez limité, malgré leur contribution au processus de paix aux niveaux communautaire, local et transfrontalier. C’est, par exemple, le cas du Mécanisme national de suivi, dont l’objectif est d’évaluer la mise en œuvre de l’ACSPC à l’échelle de la RDC. Celui-ci intègre les représentant·es de la société civile uniquement dans le cadre d’un conseil consultatif . Pour faire face à cette limite, il faudrait privilégier une logique participative. Par ailleurs, l’exemple de la Plateforme des femmes pour l’ACPSC a révélé les problèmes en termes de ressources dont pouvaient souffrir les projets portés par les organisations de femmes. Afin que ces projets puissent avoir de réelles répercussions sur le quotidien des habitant·es de la région, il est nécessaire de faire en sorte qu’ils puissent bénéficier de ressources financières et matérielles suffisantes et de façon continue, sans avoir à se soucier du renouvellement du soutien des bailleur·euses de fonds.
Enfin, davantage de données sont nécessaires pour pouvoir suivre l’évolution de la prise en compte des femmes et du genre dans la mise en œuvre de l’ACPSC, et évaluer les conséquences des actions prises sur le quotidien des femmes. Pour ce faire, il est important que les données soient dissociées en fonction du genre, puis accessibles à des fins de recherche.
L’ACPSC : une prise en compte du genre à relativiser
Ainsi, le processus de paix dans la région des Grands Lacs d’Afrique, et plus particulièrement en marge de l’ACPSC de 2013, a été marqué par plusieurs tentatives d’intégration des femmes et des intérêts liés au genre. En amont de l’adoption de l’Accord, lors de la phase des négociations, la participation des femmes aux niveaux décisionnels était plutôt faible . Les onze signataires de l’ACPSC étaient tous des hommes et la seule femme présente se trouvait parmi les quatre témoins . Toutefois, la tendance a semblé s’inverser suivant la signature de l’Accord. Dans le cadre des efforts de mise en œuvre de l’ACPSC, plusieurs événements tels que la Déclaration du Bujumbura en juillet 2013 ainsi que l’établissement de la Plateforme des femmes pour l’ACPSC en janvier 2014 ont semblé montrer une volonté de parvenir à un processus de consolidation de la paix inclusif, sensible aux besoins de toutes et tous, et aux expériences différentes des conflits entre les femmes et les hommes.
Toutefois, cette intégration des femmes reste à nuancer, et plusieurs éléments montrent que ce phénomène possède un caractère plus idéalisé que réel. Parmi les limites à un processus de paix inclusif, on trouve notamment des problèmes de ressources techniques et financières, qui s’illustrent notamment par une dépendance vis-à-vis des bailleur·euses de fonds pour le financement des projets initiés par les organisations de femmes aux échelles locale et communautaire.
Malgré leurs limites, des initiatives comme la Plateforme des femmes pour l’ACPSC sont porteuses d’espoirs pour l’avenir. De plus, il est important d’évaluer la place des femmes dans le processus de paix de la région au regard d’un angle d’analyse large et donc de ne pas se contenter d’étudier simplement les différents mécanismes mis en place dans le cadre de l’ACPSC. Le processus de paix dans la région des Grands Lacs d’Afrique s’inscrit dans la durée et plusieurs mécanismes de régulation des conflits ont été mis en place. À cet égard, la CIRGL pourrait constituer une opportunité pour l’avenir.
Enfin, le processus de paix ne sera inclusif à l’avenir que si les acteurs du processus de paix prennent conscience de certains impératifs, tels que le besoin de redéfinir le genre dans la consolidation de la paix afin d’aller au-delà des violences sexuelles et fondées sur le genre ou encore l’encouragement d’une participation des femmes participative plutôt que consultative.
Pour citer cet article : Léna Noël (2023). L’Accord-cadre pour la paix, la sécurité et la coopération pour la RDC et la région de 2013 quelle place pour les femmes ? 3/3. Institut du Genre en Géopolitique. https://igg-geo.org/?p=12691
Les propos contenus dans cet article n’engagent que l’autrice.
Bibliographie
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