La voix des femmes autochtones dans l’action climatique

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La voix des femmes autochtones dans l’action climatique

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Illustratrice : Yona @welcome_univers
29.06.2020
Mathilde Vo
Malgré la vulnérabilité des communautés autochtones face au changement climatique, les femmes de ces communautés ont la volonté de participer activement à l’action climatique. Par leur éloquence et leurs manifestations, les femmes autochtones dégagent une force et une détermination pour faire valoir la cause autochtone au sein des négociations climatiques.
Lors de la COP25 à Madrid en décembre 2019, Nina Gualinga, militante autochtone de la communauté Kichwa de Sarayaku de l’Amazonie équatorienne déclare : « lutter contre le changement climatique signifie écouter la Terre et cela signifie écouter les peuples autochtones qui ont protégé ces forêts […] Si nous n’écoutons pas les peuples autochtones, si nous n’écoutons pas les femmes autochtones, nous n’allons pas sortir de cette crise » [1].
Nina Gualinga revient sur la nécessité de prendre en compte les communautés autochtones dans l’action climatique. Elle met donc l’accent sur l’importance du savoir des populations autochtones sur l’environnement et la nature. Sur ce même sujet, le GIEC (Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat) a affirmé que « les formes de savoir autochtone, local et traditionnel sont des ressources de première importance pour l’adaptation aux changements climatiques »[2]. De plus, des recherches ont affirmé que les peuples autochtones ont l’habitude de s’adapter aux aléas du climat grâce à leur savoir traditionnel, ce qui les rendraient plus résilients[3].
Vivant au plus proche de la nature, ces communautés sont très actives dans la lutte contre le changement climatique. La reconnaissance de l’importance de leur savoir a été soulignée en 2015 lors des Accords de Paris et la participation des peuples autochtones dans l’atteinte des objectifs du développement durable a été affirmée dans le Programme de développement durable à l’horizon 2030[4].
Ces peuples vivant au plus près de la nature sont en première ligne face aux aléas du climat
Bien que la cause autochtone soit prise en compte dans de grands textes internationaux, il n’en demeure pas moins que ces communautés ne cessent de souligner l’urgence climatique actuelle. En effet, la nécessité d’agir au plus vite a été mise en avant dans de nombreux discours de militantes autochtones lors de la COP25. La manifestation du 11 décembre 2019 lors de la conférence illustre l’importance d’une action dans les plus brefs délais. Lors de ce mouvement, la responsabilité des « gros-pollueurs » comme les États-Unis a été dénoncée. À la tête de ce cortège, une femme militante, Casey Camp de la tribu des Ponca des Indiens d’Amérique, avec son poing levé, représente le leadership des femmes autochtones dans la lutte climatique, un dévouement sur lequel il est pertinent de se pencher.

Source : Photo de par WECAN International, événement « Women for Climate Justice – Leading Solutions on the Frontlines of Climate change », 11 décembre 2019.
Bien que l’adaptation à l’environnement soit un savoir-faire ancestral chez les peuples autochtones, le changement climatique est par définition nouveau et peu aisé à appréhender. Comme le déclare Minnie Degawan, directrice du programme des peuples indigènes traditionnels du Conservatoire International, « les peuples indigènes ont toujours fait face aux changements de leur environnement. Le changement climatique est différent. Il arrive de manière plus rapide et a un plus grand impact, ce qui rend difficile l’adaptation des peuples indigènes »[5]. Beaucoup de communautés indigènes voient leur mode de vie remis en cause en raison du réchauffement climatique. Ce dernier comporte de nombreuses conséquences parmi lesquelles la fonte des glaces (en Alaska par exemple) ou la disparition des moyens de subsistance, entraînant la migration forcée des communautés concernées.
L’exploitation humaine, cause du changement climatique
Cependant, le changement climatique n’est pas la seule raison pour laquelle la vie des peuples indigènes est menacée. L’exploitation humaine des industries provoquant la déforestation en Amazonie constitue l’une des causes du changement climatique. Lors de l’événement organisé par WECAN durant la COP25, la militante de la communauté Kichwa, Nina Gualinga, affirme qu’une entreprise de pétrole soutenue par le gouvernement s’est rendue sur « le territoire de sa communauté et a torturé sa famille et ses amis »[6]. Elle ajoute que, face à cette confrontation entre industries du pétrole et communautés indigènes, les femmes de sa communauté ont refusé de céder à l’industrialisation et se sont placées comme de véritables protectrices de leur territoire et de la forêt.
Femmes gardiennes de la forêt
Dans une autre région du monde, les femmes des communautés ethniques du Vietnam sont devenues des gardiennes de la forêt[7]. Ce sont elles qui interagissent le plus avec la forêt par le biais du ramassage du bois ou de la récolte de produits forestiers. Les femmes sont donc en mesure de repérer et de signaler les activités illégales qui s’y pratiquent, ce qui leur confère un rôle clé dans la gestion des ressources forestières. Les savoir-faire des femmes autochtones leur permettent ainsi de s’affirmer au sein de leur communauté mais aussi sur la scène internationale. D’une manière assez similaire, au sein de la communauté Masaï en Tanzanie, des femmes sont devenues les protectrices d’une rivière. Selon le témoignage de Naijelijeli Tipap[8], membre de la communauté Masai, les femmes ont permis à une rivière menacée par la sécheresse de « revivre » grâce à leur savoir-faire. Celles-ci ont convaincu leur chef traditionnel qu’elles pouvaient participer à la protection de cette rivière en protégeant les arbres qui l’entourent. Elles ont également planté davantage d’arbres afin de rendre l’accès à la rivière plus difficile et de lui permettre de retrouver son état naturel.
 Les femmes et la nature ne font plus qu’un
La volonté de ces femmes d’incarner le symbole de la protection de leur communauté et de la nature n’est pas hasardeuse. En plus de leur rôle de gestion des ressources naturelles, les femmes autochtones ont des liens très étroits avec la nature, comme nous pouvons l’observer au sein de nombreux discours qui rappellent certaines théories éco-féministes. Par exemple, lors d’une manifestation menée par des femmes autochtones devant l’Ambassade des États-Unis de Madrid, Niria Alicia de la nation Mexica (descendants des Aztèques du Mexique) déclare : « lorsque l’on parle des violences contre mère nature, on parle des violences contre les femmes »[9]. Ainsi, pour ces militantes, les femmes et la nature ne font plus qu’un.
En plus de l’exploitation massive des ressources naturelles, les femmes autochtones implorent la protection de leurs communautés en dénonçant la violence qu’elles subissent. Lors de la COP25, Sonia Guajajara, militante de la tribu amazonienne, a mené une action en mémoire de deux leaders indigènes[10] assassinés (dont Paulo Paulino Guajajara, considéré comme le gardien de la forêt amazonienne, tué par des trafiquants de bois).  Par le slogan « Not one more drop of indigenous blood [1] « pas une goutte de plus du sang indigène » », la militante évoque l’ensemble des autochtones protecteurs des forêts.
Bien que les Accords de Paris de 2015 fassent mention de la protection des droits des indigènes, les avancées concrètes en la matière datent du nouveau Plan d’action pour l’égalité des sexes adopté à la COP25 en décembre 2019. À l’issu de cette décision, l’obligation de prendre en considération et de renforcer la promotion du droit des populations indigènes ainsi que l’égalité des sexes est actée.

Source : Photo de par WECAN International, événement « Women for Climate Justice – Leading Solutions on the Frontlines of Climate change », 11 décembre 2019.
Ainsi, les États signataires doivent continuer à promouvoir les droits des peuples autochtones dans l’action climatique. Par ailleurs, il semble important de préciser que cette avancée en matière de droits a été rendue possible par l’engagement des femmes autochtones face aux dirigeants politiques. Enfin, lors de la session pour la société civile de la COP25, la militante Kera Sherwood-O’Regan, de la tribu Mauri de Nouvelle-Zélande, défend la cause autochtone d’un ton juste en dénonçant l’inaction des États. Elle déclare : « nous sommes des experts du climat, nous sommes les kaitaki l’intendant de la nature. Nous connaissons la légitimité de nos voix et il est grand temps que vous la reconnaissiez aussi. Écoutez nos histoires, apprenez nos histoires et arrêtez de prendre nos espaces avec votre fausse solution et écartez vous de notre chemin »[11].
Sources
[1] Événement “Women for Climate justice : leading solutions on the frontlines of climate change” COP25 à Madrid, 11 décembre 2019
[2] GIEC, 2014: « Summary for Policymakers» in Climate Change 2014: Mitigation of Climate Change. Contributionof Working Group III to the Fifth Assessment Report of the Intergovernmental Panel on Climate Change [sous la direction de O. Edenhofer, R. Pichs-Madruga, Y. Sokona et al. (Cambridge and New York, Cambridge University Press
[3] M. Macchi, G. Oviedo, S. Gotheil et al.: Indigenous and traditional peoples and climate change: Issues paper (IUCN, 2008).
[4] R.K.Dhir, M.Oelz, M.Harsdorff, Les peoples autochtones et les changements climatiques, De victimes à agents de changement grâce au travail décent, Organisation international du travail, 2018.
[5] K.Price, Meet 3 indigenous women fighting to save the planet, 9 août 2019. Disponible sur : https://www.conservation.org/blog/meet-3-indigenous-women-fighting-to-save-the-planet
[6] Événement “Women for Climate justice : leading solutions on the frontlines of climate change” COP25 à Madrid, 11 décembre 2019
[7] V.T. Hien et al.: “Ethnic minority women in traditional forest management at Binh Son Village, Thai Nguyen Province, Vietnam”, in Tebtebba Foundation (dir. de pub.): Indigenous women, climate change and forests (Baguio City, 2011), pp. 247–266.
[8]Global Landscape Forum, 10 décembre 2019. Disponible sur : https://www.youtube.com/watch?v=wWf2pjDu698
[9]Indigenous Rising People. Vidéo disponible sur : https://www.facebook.com/watch/?ref=external&v=3096705260380004
[10] People power rises for climate justice at COP25 : WECAN International Analysis, 21 décembre 2019. Disponible sur : https://www.wecaninternational.org/post/people-power-rises-for-climate-justice-at-cop25
[11] “Stop taking up space with your false solutions” say furious activists at UN COP25, 16 décembre 2019. Disponible sur : https://www.theguardian.com/global/video/2019/dec/16/stop-taking-up-space-with-your-false-solutions-say-furious-activists-at-un-cop25
Pour citer cette publication : Mathilde Vo, « La voix des femmes autochtones dans l’action climatique », 29.06.2020, Institut du Genre en Géopolitique.

References

References
1 « pas une goutte de plus du sang indigène »