Le cyber-harcèlement des femmes en Corée du Sud

Temps de lecture : 12 minutes

17/07/2023

Donia Agchar

Le cyber-harcèlement est un problème préoccupant qui touche de nombreuses personnes à travers le monde. En Corée du Sud, ce phénomène est particulièrement marquant, et il s’inscrit dans un contexte plus large de discriminations et de violences envers les femmes en particulier. Différentes formes de cyber-harcèlement, telles que la violence verbale, le stalking et la violence sexuelle en ligne, sévissent dans le pays et ces comportements sont de plus en plus fréquents dès le plus jeune âge[1]Jun W. (2020). A Study on the Cause Analysis of Cyberbullying in Korean Adolescents. International journal of environmental research and public health, 17(13), 4648. … Continue reading. Les statistiques de l’Agence nationale de la police révèlent une augmentation alarmante du nombre de cas de cyber-harcèlement en Corée du Sud avec une hausse de près de 45% entre 2017 et 2020, témoignant ainsi de l’ampleur du problème[2]Korean National Police Agency. Statistics > Cyber Investigation. (n.d.). https://www.police.go.kr/eng/statistics/statisticsSm/statistics04.jsp.

Un exemple poignant de l’impact du cyber-harcèlement en Corée du Sud est le cas de Cho Jang-mi, une streameuse sud-coréenne qui a mis fin à ses jours en février 2022 à la suite d’une campagne de harcèlement en ligne. Accusée d’être féministe par de nombreux internautes, Cho était devenue la cible d’une vague de haine et de diffamation qui avait également poussé sa mère au suicide en 2019[3]Min-Sik, Y. (2022, February 10). Cyber scarlet letter: How online abuse drove YouTuber to death. The Korea Herald. https://www.koreaherald.com/view.php?ud=20220209000710.

Cet événement met en lumière les conséquences dramatiques du cyber-harcèlement sur les victimes et soulève des questions quant aux mesures de protection et de soutien nécessaires. Le cas de Cho Jang-mi n’est pas isolé, et de nombreuses femmes en Corée du Sud font face à des formes similaires de cyber-harcèlement. Face à cette réalité, il convient de se demander comment le cyber-harcèlement s’inscrit dans un contexte plus large de discriminations et de violences envers les femmes en Corée du Sud.

Le cyber-harcèlement : avant tout une violence de genre

Le cyber-harcèlement porte une dimension particulière en tant que violence de genre ciblant spécifiquement les femmes en Corée du Sud. Les formes de cyber-harcèlement auxquelles les Sud-Coréennes sont confrontées incluent le slut-shaming[4]Le slut-shaming regroupe un ensemble d’attitudes individuelles ou collectives, agressives envers les femmes dont le comportement sexuel serait jugé « hors-norme ». Le slut-shaming consiste donc … Continue reading), les molka (les caméras cachées dans des lieux publics tels que les toilettes ou les hôtels/motels, ainsi que la capture d’images et de vidéos non consenties), le revenge porn[5]Le revenge porn, en français la pornodivulgation, est un contenu sexuellement explicite publiquement partagé en ligne sans le consentement de la ou des personnes concernées, en guise de « … Continue reading) et le harcèlement lié à l’apparence physique.

Un autre exemple de cyber-harcèlement en Corée du Sud est celui de Sulli, une star de la K-pop qui s’est suicidée en 2019. Sulli était connue pour son fort caractère et son franc-parler, soulignant sa non-conformité aux standards traditionnels imposés aux idoles féminines de K-pop qui sont censées être « mignonnes et obéissantes » à la demande du public[6] BBC News. (2019, October 18). Sulli: The woman who rebelled against the K-pop world. BBC News. https://www.bbc.com/news/world-asia-50051575. La publication d’une photo sans soutien-gorge par Sulli a suscité de nombreuses critiques et attaques en ligne[7]Jeon, A. (2019, June 21). « 브래지어는 액세서리 »…’악플의 밤’ 설리, 설꼭지·마약 루머 다 밝혔다 [“Bra is just an accessory”… Sulli in the show … Continue reading. Son cas illustre la tendance à harceler les femmes lorsqu’elles ne correspondent pas aux normes de genre qui leur sont attribuées ou lorsqu’elles gagnent en visibilité. Il met également en avant la manière dont les femmes sont réduites au silence et marginalisées en Corée du Sud.

Les comportements et la motivation des harceleurs trouvent leur fondement dans des aspects liés à la domination masculine et à la misogynie. Les idéologies masculinistes et anti-féministes sont de plus en plus influentes en Corée du Sud. L’article de Clara Delhaye explore cette problématique en profondeur et permet de mieux comprendre les aspects socio-politiques qui sous tendent cette dynamique[8]Clara Delhaye, “ La volonté de la suppression du Ministère de l’égalité des genres par le président Yoon Suk Yeol : reflet d’une société coréenne en proie à un anti-féminisme … Continue reading : le parti au pouvoir People’s Power Party (PPP), en s’appuyant sur un électorat masculiniste propageant des idées anti-féministes, contribue nettement à cela[9]Draudt, D. (2022, February 8). The South Korean Election’s Gender Conflict and the Future of Women Voters. Council on Foreign Relations. … Continue reading. Le cyber-harcèlement est profondément enraciné dans une culture de genre discriminatoire et perpétue les violences envers les femmes.

De plus, la prévalence du harcèlement basé sur le genre commence dès le plus jeune âge en Corée du Sud. Selon une étude de juin 2022 sur la discrimination intersectionnelle, l’intimidation/cyberintimidation et les idées suicidaires chez les jeunes sud-coréens[10]Hyun Lee & Heejung Yi (2022) Intersectional discrimination, bullying/cyberbullying, and suicidal ideation among South Korean youths: a latent profile analysis (LPA), International Journal of … Continue reading, les discours haineux à l’encontre des femmes se multiplient en ligne dès le collège et sont reconnus comme faisant partie de la culture de la « camaraderie » (peer-group culture) chez les jeunes garçons. Les idées masculinistes sont alors inculquées dès le plus jeune âge, contribuant à perpétuer les comportements de harcèlement au sein de la société sud-coréenne. Selon la même étude, parmi les adolescent·es, 76,8% des féministes et 69,2% des jeunes femmes ont déjà été victimes de cyber-harcèlement[11]Hyun Lee & Heejung Yi (2022) Intersectional discrimination, bullying/cyberbullying, and suicidal ideation among South Korean youths: a latent profile analysis (LPA), International Journal of … Continue reading. Un sondage de 2021 indique que 15,7% des personnes interrogées âgées de 20 à 69 ans ont déjà été confrontées à la cyberviolence, que ce soit en tant qu’auteur ou en tant que victime[12]Statista. (2022, December 2). Share of adults having experienced cyber violence South Korea 2021. https://www.statista.com/statistics/1225568/south-korea-adults-share-experiencing-cyber-violence/. Ces chiffres témoignent de la présence importante du harcèlement dans la sphère internet en Corée du Sud.

Le harcèlement en ligne n’est pas déconnecté de la vie quotidienne des femmes, mais s’inscrit plutôt dans un continuum de violences qui s’étend également à la vie hors ligne. Les attitudes et les comportements hostiles en ligne sont souvent le reflet des normes sociales et des inégalités de genre prévalentes dans la société. Dans ce sens, il est nécessaire d’aborder le cyber-harcèlement comme une manifestation d’un système de violence envers les femmes beaucoup plus vaste.

Conséquences du cyber-harcèlement sur les femmes en tant que groupe marginalisé : l’exemple de la Nth Room 

La « Nth Room » est une affaire de cyber-harcèlement de masse qui a révélé en 2020 l’existence d’un réseau de salons de discussion en ligne en Corée du Sud, où des milliers de membres, majoritairement des hommes, partageaient du contenu sexuellement explicite et participaient à des actes de violence en ligne à l’encontre de femmes, dont un quart étaient mineures[13]Kim, S. Y. (2020, April 6). Ruling party, gov’t push for abolishing statute of limitations for child sex crime. Yonhap News Agency. https://en.yna.co.kr/view/AEN20200406002200315. Les victimes de la Nth Room ont été confrontées à la diffusion de vidéos de viols, d’agressions sexuelles et de contenu humiliant à leur insu. Certains de ces salons étaient payants, impliquant ainsi une forme d’exploitation sexuelle en ligne de la part des hommes qui partagaient ces contenus. L’utilisation de ces femmes comme objets sexuels à des fins de profits, de gratification ou de domination désigne une véritable violation des droits fondamentaux des individu·es. Les vidéos et les photos des 103 victimes identifiées (dont 26 mineures) ont été vendues à près de 60 000 personnes[14][DEBRIEFING] ‘Nth room’: A digital prison of sexual slavery. (2020, March 29). Korea JoongAng Daily. … Continue reading, déshumanisant donc les victimes à travers la diffusion commerciale de ces contenus sexuels sans leur consentement.

Le cas de la Nth Room montre une forme de violence spécifique qui cible les femmes et souligne la manière dont internet peut être utilisé pour exercer du contrôle et de la domination sur les femmes, et infliger des traumatismes. Les conséquences pour les victimes de la Nth Room ont été dévastatrices sur le plan psychologique et émotionnel. L’affaire a suscité une prise de conscience majeure en Corée du Sud quant à la nécessité de renforcer les lois et les mesures de protection pour les femmes victimes de cyber-harcèlement[15]Jeon, Y.J., (2021). ‘n번방’ 사건으로 본 디지털 성범죄 규제현황과 개선과제. 이화젠더법학, 13(3), 1-29. … Continue reading. De plus, elle a attiré l’attention à l’échelle mondiale, notamment avec la diffusion de la série-documentaire Cyber Hell sur Netflix[16]Winkelman, N. (2022, May 20). ‘Cyber Hell’ Review: When Chat Rooms Become Sites of Exploitation. The New York Times. https://www.nytimes.com/2022/05/20/movies/cyber-hell-review.html.

Les conséquences sociales du cyber-harcèlement sur les femmes sont multiples. Les victimes sont souvent soumises à des accusations et à une stigmatisation injustes (victim blaming). Leur réputation est alors entachée, et elles peuvent être poussées à s’isoler socialement, se retirant ainsi de la sphère publique et des réseaux sociaux. De plus, les effets psychologiques et émotionnels sur les victimes de cyber-harcèlement sont profonds[17]Calahan, C. (n.d.). The Effects of Cyberbullying on the Well-Being of Female Adolescents. Applied Psychology OPUS. … Continue reading. Les femmes sont souvent confrontées à une charge mentale supplémentaire, comme le démontre l’exemple des molka en Corée du Sud[18]Gunia, A. (2022, March 7). “It Breaks My Heart.” Confronting the Traumatic Impact of South Korea’s Spycam Problem on Women. Time. https://time.com/6154837/open-shutters-south-korea-spycam-molka/, car elles doivent constamment se méfier de leur environnement[19]Goo Hara and the trauma of South Korea’s spy cam victims. (2019, November 29). BBC News. https://www.bbc.com/news/world-asia-50582338

La Corée du Sud ne dispose actuellement pas d’un outil précis pour évaluer les conséquences spécifiques du cyber-harcèlement sur les femmes, malgré la montée en puissance de ce problème avec la généralisation d’internet dans le pays. Cependant, une avancée significative a été réalisée en mars 2023 avec la création d’un outil de mesure appelé « Korean Cyberbullying Scale »[20]전종설 이화여대 교수 “사이버 폭력 피해 객관적 측정 도구 개발 » [Ewha Women University Professor Jeon Jong-seol “development of an objective measuring tool against cyber … Continue reading. Après deux ans de recherche menée à l’Université pour femmes Ewha, cet outil représente une avancée prometteuse dans l’étude et la prévention du cyber-harcèlement en Corée du Sud, car il permettra de mieux évaluer ses conséquences et ainsi aider dans la mise en place de mesures préventives. 

La société sud-coréenne : un contexte prédisposant au cyber-harcèlement touchant les femmes

La société sud-coréenne présente certains éléments contextuels qui prédisposent au cyber-harcèlement à l’égard des femmes, amplifiant ainsi le problème dans le pays.

Tout d’abord, la Corée du Sud est imprégnée d’une culture patriarcale profondément enracinée[21]Park B-J. (2001). Patriarchy in Korean Society. Korea Journal, 41(4),48-73. … Continue reading. Les normes sociales et les attentes de genre perpétuent les inégalités et les discriminations envers les femmes. Dans cette culture patriarcale, les femmes sont souvent soumises à des stéréotypes et des attentes restrictives qui limitent leur liberté et leur autonomie. De plus, les normes de beauté et les pressions esthétiques contribuent fortement à ce phénomène : les femmes sont confrontées à des idéaux de beauté irréalistes et sont jugées en fonction de leur apparence[22]Salam, M. (30 November 2018). South Korean Women Smash Makeup, and Patriarchy. New York Times. https://www.nytimes.com/2018/11/30/style/women-makeup-plastic-surgery-detox.html[23]Yoon, K. (2022, June 9). Beneath the Surface: The Struggles of Dismantling Lookism in Looks-Obsessed Korea. Stanford University. https://ojs.stanford.edu/ojs/index.php/sjfgss/article/view/2118. Cela crée un environnement propice non seulement à la critique et au harcèlement en ligne basé sur l’apparence physique, mais surtout à l’objectivation du corps des femmes et au poids du regard masculin (male gaze).

La société sud-coréenne est caractérisée par une hyperconnectivité internet. En 2021, près de 97,5% des Sud-Coréen·nes utilisent internet[24]Statista. (2023). South Korea: internet penetration 2000-2021. https://www.statista.com/statistics/255859/internet-penetration-in-south-korea/, ce qui en fait l’un des pays les plus connectés au monde. De plus, la Corée du Sud est reconnue pour avoir l’une des vitesses moyennes de connectivité internet les plus élevées[25]Statista. (2023). Countries with the fastest average mobile internet speed 2023. https://www.statista.com/statistics/896768/countries-fastest-average-mobile-internet-speeds/. Cette omniprésence d’internet dans le vie des Sud-Coréen·nes crée un environnement propice au cyber-harcèlement, où les agresseurs peuvent répandre de façon virulente des contenus nuisibles. De plus, en 2020, le taux de pénétration des réseaux sociaux en Corée du Sud était le troisième au monde, avec près de 87% d’utilisation[26]Shim, W. H. (2020, September 7). Korea’s social media penetration rate ranks third in world. The Korea Herald. https://www.koreaherald.com/view.php?ud=20200907000815.

Il convient de mentionner l’aspect de l’anonymat qui entoure le sujet : cette barrière exacerbe les violences et les comportements abusifs, où les propos non dits dans la sphère hors-ligne prolifèrent dans la sphère en ligne. Le harcèlement est déjà présent dans différentes sphères de la société sud-coréenne, comme l’école et le lieu de travail. Mais ces dynamiques de harcèlement préexistantes se reflètent dans le cyber-harcèlement, qui se manifeste comme une extension de ces comportements nocifs.

Il est essentiel de prendre en compte ces éléments contextuels pour mettre en place des mesures efficaces de prévention et de protection pour les femmes et les adolescentes.

En quête de solutions : les initiatives et les défis persistants dans la lutte contre le cyber-harcèlement 

Malgré la prise de conscience croissante du problème du cyber-harcèlement en Corée du Sud, les mesures adoptées pour lutter contre cette forme de violence demeurent insuffisantes et inefficaces.

La législation actuelle comprend la « cyber defamation law », dont l’article 61 permet depuis 1995 à la police de traquer les harceleurs sans que la victime ait à porter plainte[27]Cybercrime Laws (n.d.). Republic of Korea. https://www.cybercrimelaw.net/Korea.html. Cependant, bien que le nombre de cas rapportés de cyber-harcèlement soit en constante augmentation depuis 2017, le taux de détection criminelle a diminué, passant de 73,1 % à 65,2 %[28]Korean National Police Agency. Statistics > Cyber Investigation. (n.d.). https://www.police.go.kr/eng/statistics/statisticsSm/statistics04.jsp. Renforcer la législation en vigueur et son application pour répondre efficacement au problème du cyber-harcèlement est donc nécessaire.

La question de l’anonymat en ligne reste essentielle. En 2007, une loi a été adoptée pour exiger la validation de l’identité réelle des personnes par leur numéro de registre social, afin de mettre fin à l’anonymat en ligne. Cependant, cette loi a été jugée anticonstitutionnelle par la Cour constitutionnelle sud-coréenne et a par la suite été abrogée en 2012[29]South Korea’s real-name net law is rejected by court. (2012, August 23). BBC News. https://www.bbc.com/news/technology-19357160. Les discussions autour de la promulgation de la Sulli’s Law [30]Lim, J. October 25, 2019. Sulli’s Law. The Korea Times Opinion. https://www.koreatimes.co.kr/www/opinion/2023/06/638_277559.html après le suicide de la star de K-pop, visant à revoir l’anonymat sur internet en rétablissant l’obligation d’utiliser un « vrai nom” – ce qui semblait peu probable puisque la mesure a déjà été jugée anticonstitutionnelle – n’ont pas abouti non plus.

La question de l’anonymat pose des problèmes complexes, car si elle permettrait de mieux traquer les harceleurs, sa suppression mettrait en danger les femmes et les personnes engagées pour les droits des femmes et des minorités de genre et sexuelles. Ces militant·es limiteraient ainsi leur prise de parole. En ce sens, l’anonymat protège aussi bien les harceleur·ses que les personnes qui souhaitent s’exprimer librement sur tous les sujets sans la crainte que leur identité ne soit divulguée hors ligne. La suppression de l’anonymat pose également des questions quant aux problématiques de sécurité comme la fuite de données personnelles ou l’usurpation d’identité. 

Les initiatives prises par les plateformes en ligne sont donc limitées. Par exemple, le grand groupe Kakao, qui possède les portails internet les plus utilisés en Corée du Sud, Daum et Naver, a supprimé la section des commentaires pour les articles d’actualité sur le divertissement sur son portail Daum[31]J. K.. (July 27, 2020). Insiders Question The Effectiveness Of Disabling Comments On Entertainment News; “Sulli Act” Reportedly No Longer In Talks. Soompi. … Continue reading. Cette décision fait suite au suicide de la star de K-pop Goo Ha-ra en 2020, alors victime de revenge porn et de menaces par son ex petit-ami. De même, les commentaires comportant un langage abusif sur Naver ont été supprimés[32]Lee, H. R. (2022, February 7). Deaths of athlete, streamer ignite calls for harsher punishments for internet trolling. Korea Times. https://www.koreatimes.co.kr/www/nation/2023/06/113_323370.html. Toutefois, il existe des difficultés pour condamner et punir les harceleurs qui agissent sur des plateformes non-coréennes (comme Youtube, Instagram, TikTok ou encore Facebook, alors largement utilisées en Corée du Sud). Une coopération renforcée entre les autorités sud-coréennes et les plateformes internationales est indispensable pour lutter efficacement contre le cyber-harcèlement sous cette forme. 

L’objectif ne serait pas de condamner la forme, à savoir l’anonymat puisque même sans cette option les actes restent impunis, mais plutôt l’acte en lui-même ainsi que les plateformes qui contribuent à ce phénomène. Cela exige un système de modération important permettant le retrait des commentaires malveillants voire le bannissement des harceleurs des plateformes. Cette modération peut se faire via leur adresse IP, à laquelle les sites ont accès. Dans le cas de la Corée du Sud, certains sites fournissent parfois les adresses IP demandées aux forces de l’ordre lorsqu’une plainte est déposée. Or, cela arrive rarement donc la plupart du temps les sanctions n’aboutissent pas[33]보안쟁이 [Mister Security] (2020, April 22). K통신사 보안담당자가 알려주는 IP추적의 모든 것. [Security manager of K-Telecom company tells you everything about IP tracking]. … Continue reading. Cette faille du système souligne la nécessité de condamner les plateformes qui ne coopèrent pas et/ou qui ne régulent pas les activités.

Selon Kim Ju-hee, militante féministe, le cyber-harcèlement ne s’arrête que lorsque les victimes meurent, ce qui souligne l’impunité des harceleurs et le manque de changement concret dans la société sud-coréenne[34]En Corée du Sud, les cyber-harceleurs poussent impunément leurs victimes au suicide. (18 février 2022). La Croix. … Continue reading

Une recommandation importante est la mise en place d’une loi de non-discrimination visant à protéger les minorités de genre et sexuelles particulièrement vulnérables face au cyber-harcèlement, notamment les femmes trans, indépendamment de leur orientation sexuelle. La promulgation d’une telle loi est souhaitée par de nombreuses minorités en Corée du Sud, en prenant en compte l’intersectionnalité des combats et de la lutte contre les différentes formes de discriminations, raciale, de genre, sexuelle, qui existent en Corée du Sud.

Les organisations de défense des droits des femmes et de la société civile ont également joué un rôle actif dans la lutte contre le cyber-harcèlement. Des manifestations telles que « My Life is Not Your Porn » en 2018 ont mis en lumière le problème des caméras cachées molka et ont appelé à des mesures plus strictes pour y faire face[35]Taylor, A & Kim, M. J. (2018, July 31). “My life is not your porn”: South Korea’s war against spy cameras and sexual harassment. The Independent. … Continue reading. Une pétition lancée début 2022 sur le site présidentiel demandait également des mesures plus fermes et concrètes pour lutter contre le cyber-harcèlement, mais n’a pas encore reçu de réponse officielle et a même disparue du site officiel de la présidence[36]Korea: High-profile suicides spark cyber-bullying petition. (2022, February 8). BBC News. https://www.bbc.com/news/world-asia-60303081 [37] 대한민국 대통령실 [Office of the President of the Republic of Korea]. (n.d.). Petition no. 604176. https://www.president.go.kr/petitions/604176.

Il semble nécessaire d’interdire la vente des mini-caméras utilisées pour les molka et de renforcer la modération des contenus photo-vidéos non-consentis sur internet. Toutefois, des défis persistent, notamment l’interdiction d’accès aux sites pornographiques en Corée du Sud[38] Kim, T. K. (2020, December 28). Pornography in South Korea: Digital Sexual Exploitation. Women’s Liberation Front. https://womensliberationfront.org/news/pornography-in-korea. En raison de leur interdiction, ces sites sont hébergés sur des serveurs informatiques étrangers, échappant alors au contrôle des autorités sud-coréennes. Par ailleurs, l’utilisation de VPN permet aux Sud-Coréen·nes d’y avoir tout de même accès voire d’y téléverser du contenu, tout en masquant leur adresse IP.  

Pour lutter contre le cyber-harcèlement dans sa globalité, il est donc essentiel de mettre en place des programmes de prévention et de sensibilisation dès le plus jeune âge. Le programme Eoullim dans les écoles coréennes vise précisément à éduquer les jeunes sur la prévention du cyber-harcèlement et à prévenir cette forme de violence[39]Oh, I. S., Cho, K. B., & Park, J. Y. (2021). 토픽 모델링을 통해 분석한 교과연계 사이버폭력 예방 수업에 대한 학생의 인식. [Students’ perceptions of … Continue reading. Ce programme s’inscrit dans le curriculum scolaire obligatoire de l’école primaire au lycée depuis 2015[40]Park, H. J. (2016). A Study on Effects of Applications for the Aulim School Violence Prevention Program. Korea Citation Index. … Continue reading.  

Cependant, malgré les recommandations et les actions menées par les organisations de défense des droits des femmes et la société civile, il y a encore un manque de mesures concrètes et efficaces pour lutter contre le cyber-harcèlement en Corée du Sud. Les autorités et les acteurs concernés doivent prendre des engagements plus fermes afin de garantir la sécurité et la protection des femmes et des adolescentes contre cette forme de violence de genre.

Pour citer cet article : Agchar Donia (2023). Le cyber-harcèlement des femmes en Corée du Sud. Institut du Genre en Géopolitique. https://igg-geo.org/?p=14221

Les propos contenus dans cet article n’engagent que l’autrice.

References

References
1 Jun W. (2020). A Study on the Cause Analysis of Cyberbullying in Korean Adolescents. International journal of environmental research and public health, 17(13), 4648. https://doi.org/10.3390/ijerph17134648
2, 28 Korean National Police Agency. Statistics > Cyber Investigation. (n.d.). https://www.police.go.kr/eng/statistics/statisticsSm/statistics04.jsp
3 Min-Sik, Y. (2022, February 10). Cyber scarlet letter: How online abuse drove YouTuber to death. The Korea Herald. https://www.koreaherald.com/view.php?ud=20220209000710
4 Le slut-shaming regroupe un ensemble d’attitudes individuelles ou collectives, agressives envers les femmes dont le comportement sexuel serait jugé « hors-norme ». Le slut-shaming consiste donc à stigmatiser, culpabiliser ou discréditer toute femme dont l’attitude ou l’aspect physique seraient jugés provocants ou trop ouvertement sexuels. (Wiktionnaire (n.d.). Slut-shaming. https://fr.wiktionary.org/wiki/slut_shaming#en
5 Le revenge porn, en français la pornodivulgation, est un contenu sexuellement explicite publiquement partagé en ligne sans le consentement de la ou des personnes concernées, en guise de « vengeance ». (Wikipédia (n.d.). Revenge porn. https://fr.wikipedia.org/wiki/Revenge_porn
6 BBC News. (2019, October 18). Sulli: The woman who rebelled against the K-pop world. BBC News. https://www.bbc.com/news/world-asia-50051575
7 Jeon, A. (2019, June 21). « 브래지어는 액세서리 »…’악플의 밤’ 설리, 설꼭지·마약 루머 다 밝혔다 [“Bra is just an accessory”… Sulli in the show “Night of Malicious Comments”, rumors about faucet and drugs revealed.]. Xsports News. https://www.xportsnews.com/article/1130576
8 Clara Delhaye, “ La volonté de la suppression du Ministère de l’égalité des genres par le président Yoon Suk Yeol : reflet d’une société coréenne en proie à un anti-féminisme croissant ”, 31.10.2022, Institut du Genre en Géopolitique, https://igg-geo.org/?p=9247
9 Draudt, D. (2022, February 8). The South Korean Election’s Gender Conflict and the Future of Women Voters. Council on Foreign Relations. https://www.cfr.org/blog/south-korean-elections-gender-conflict-and-future-women-voters
10, 11 Hyun Lee & Heejung Yi (2022) Intersectional discrimination, bullying/cyberbullying, and suicidal ideation among South Korean youths: a latent profile analysis (LPA), International Journal of Adolescence and Youth, 27:1, 325-336, DOI: 10.1080/02673843.2022.2095214
12 Statista. (2022, December 2). Share of adults having experienced cyber violence South Korea 2021. https://www.statista.com/statistics/1225568/south-korea-adults-share-experiencing-cyber-violence/
13 Kim, S. Y. (2020, April 6). Ruling party, gov’t push for abolishing statute of limitations for child sex crime. Yonhap News Agency. https://en.yna.co.kr/view/AEN20200406002200315
14 [DEBRIEFING] ‘Nth room’: A digital prison of sexual slavery. (2020, March 29). Korea JoongAng Daily. https://koreajoongangdaily.joins.com/2020/03/29/features/DEBRIEFING-Nth-room-A-digital-prison-of-sexual-slavery/3075441.html
15 Jeon, Y.J., (2021). ‘n번방’ 사건으로 본 디지털 성범죄 규제현황과 개선과제. 이화젠더법학, 13(3), 1-29. https://www.kci.go.kr/kciportal/ci/sereArticleSearch/ciSereArtiView.kci?sereArticleSearchBean.artiId=ART002795228
16 Winkelman, N. (2022, May 20). ‘Cyber Hell’ Review: When Chat Rooms Become Sites of Exploitation. The New York Times. https://www.nytimes.com/2022/05/20/movies/cyber-hell-review.html
17 Calahan, C. (n.d.). The Effects of Cyberbullying on the Well-Being of Female Adolescents. Applied Psychology OPUS. https://wp.nyu.edu/steinhardt-appsych_opus/the-effects-of-cyberbullying-on-the-well-being-of-female-adolescents/
18 Gunia, A. (2022, March 7). “It Breaks My Heart.” Confronting the Traumatic Impact of South Korea’s Spycam Problem on Women. Time. https://time.com/6154837/open-shutters-south-korea-spycam-molka/
19 Goo Hara and the trauma of South Korea’s spy cam victims. (2019, November 29). BBC News. https://www.bbc.com/news/world-asia-50582338
20 전종설 이화여대 교수 “사이버 폭력 피해 객관적 측정 도구 개발 » [Ewha Women University Professor Jeon Jong-seol “development of an objective measuring tool against cyber violence”]. (2023, March 14). Jeonja Shinmun. https://www.etnews.com/20230314000051
21 Park B-J. (2001). Patriarchy in Korean Society. Korea Journal, 41(4),48-73. https://www.koreasociety.org/images/pdf/KoreanStudies/Monographs_GeneralReading/GettingtoKnowKorea/GTKK%206%20Boo%20Jin%20Park%20Patriarchy%20In%20Korean%20Society.pdf
22 Salam, M. (30 November 2018). South Korean Women Smash Makeup, and Patriarchy. New York Times. https://www.nytimes.com/2018/11/30/style/women-makeup-plastic-surgery-detox.html
23 Yoon, K. (2022, June 9). Beneath the Surface: The Struggles of Dismantling Lookism in Looks-Obsessed Korea. Stanford University. https://ojs.stanford.edu/ojs/index.php/sjfgss/article/view/2118
24 Statista. (2023). South Korea: internet penetration 2000-2021. https://www.statista.com/statistics/255859/internet-penetration-in-south-korea/
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39 Oh, I. S., Cho, K. B., & Park, J. Y. (2021). 토픽 모델링을 통해 분석한 교과연계 사이버폭력 예방 수업에 대한 학생의 인식. [Students’ perceptions of curriculum-linked cyberbullying prevention classes analyzed through topic modeling.]. 교육혁신연구 [Research on Educational Innovation], 31( 2), 77- 114. http://dx.doi.org/10.21024/pnuedi.31.2.202106.77
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