Le crime de guerre consistant à utiliser un enfant pour participer activement aux hostilités d’un point de vue du genre

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Le crime de guerre consistant à utiliser un enfant pour participer activement aux hostilités d’un point de vue du genre

26.04.2020
 
Justine Lefeuve
 

L’utilisation d’enfants dans des conflits armés et le droit international

L’urbanisation des conflits armés modernes et la participation grandissante des populations civiles dans ces derniers ont conduit à ce qu’un nombre croissant d’enfants soient impliqués dans les guerres et soient directement affectés par la violence découlant de ces conflits.[1]Wenger and Mason, ‘The Civilianization of Armed Conflict: Trends and Implications’, International Review of the Red Cross, Volume 90 Number 872, 2008, p. 842. Malgré la difficulté d’évaluer avec précision le nombre d’enfants qui sont utilisés par les forces et les groupes armés, on estime qu’environ 300 000 enfants sont actuellement concernés par cette situation. [2]Waschefort, International Law and Child Soldiers, Oxford: Hart Publishing, 2015, p. 26. Les enfants sont recrutés et utilisés pour plusieurs tâches différentes : comme combattants sur les lignes de front, mais aussi comme cuisiniers, messagers et porteurs, entre autres.[3]Yuvaraj, ‘When Does a Child ‘Participate Actively in Hostilities’ under the Rome Statute? Protecting Children from Use in Hostilities after Lubanga’, Utrecht Journal of … Continue reading Le droit international interdit l’utilisation d’enfants dans les guerres. Comme le prévoit le Statut de Rome de la Cour pénale internationale (CPI), le fait d’utiliser des enfants de moins de quinze ans pour participer activement à des hostilités est un crime de guerre, que ce soit dans le cadre d’un conflit armé international ou non international – articles 8 (2) (b) (xxvi) et 8 (2) (e) (vii) respectivement[4]Rome Statute of the International Criminal Court, United Nations, Treaty Series, Volume 2187, Number 38544, 17 July 1998, p. 6 and 7.

Cependant, la notion de « participation active aux hostilités » n’est pas définie dans le Statut de la Cour.  Clarifier cette disposition serait très bénéfique. Ainsi une réponse forte du droit international est nécessaire pour à la fois prévenir et sanctionner l’utilisation d’enfants dans les hostilités afin de renforcer les protections juridiques de ce groupe particulièrement vulnérable.[5]Waschefort, International Law and Child Soldiers (supra note 2), p. 5. Une définition et une délimitation claires du standard spécifique de « participation active aux hostilités » pourraient renforcer l’interdiction actuelle d’utiliser des enfants dans les conflits armés.

La participation des filles dans les conflits armés

La question du genre est souvent négligée lorsqu’on parle d’enfants soldats. Il est clair que les filles sont fréquemment utilisées, soit par des groupes armés non étatiques, soit par des forces armées régulières, mais leur rôle est généralement différent de celui des garçons. En effet, bien qu’elles puissent être combattantes dans certaines situations, elles sont le plus souvent utilisées comme « femmes de brousse » (‘bush wives’) ou esclaves sexuelles.[6]Grey, ‘Sexual Violence Against Child Soldiers – The Limits and Potential of International Criminal Law’, in International Feminist Journal of Politics, Vol. 16, No. 4, 2014, p. 608. Il est donc primordial de déterminer si ces activités, principalement exercées par des filles durant les conflits armés, pourraient entrer dans le champ d’application de la notion de « participation active aux hostilités ». Si c’est le cas, cela signifierait que les individus reconnus coupables d’avoir utilisé des filles à des fins sexuelles et/ou maritales contraignantes pourraient être poursuivis par la CPI pour le crime de guerre consistant à utiliser des enfants pour participer activement aux hostilités.

La première question qui se pose lors de l’examen de cette question est de savoir si le droit international protège les enfants contre leurs propres forces armées. En effet, généralement, le droit international humanitaire et le droit international pénal interdisent et criminalisent les violations commises à l’encontre des enfants par les forces ennemies, et non par les troupes auxquelles ils appartiennent. Pour cette raison, la défense de Bosco Ntaganda, qui était l’ancien chef militaire d’un groupe de milice armé opérant en République démocratique du Congo, a fait valoir que, puisque « le droit international humanitaire n’a pas pour objectif de protéger les combattants des crimes commis par les [autres] combattants du même groupe », les actes de violence sexuelle à l’encontre d’enfants ne pouvaient être considérés comme un crime de guerre si cette violence avait été commise par le groupe armé auquel ils font partie[7]Prosecutor v. Bosco Ntaganda, Second Decision on the Defence’s Challenge to the Jurisdiction of the Court in respect of Counts 6 and 9, ICC-01/04-02/06, 4 January 2017, para. 20.. En fin de compte, la Cour a rejeté cette affirmation et a déclaré que le droit international protège également les enfants contre les actions de leurs propres forces armées .[8]Prosecutor v. Bosco Ntaganda, Second Decision on the Defence’s Challenge to the Jurisdiction of the Court in respect of Counts 6 and 9 (supra note 7), para. 53.

La violence sexuelle et les mariages forcés comme forme de participation active aux hostilités ?

Puisqu’il a été déterminé que les enfants sont également protégés de leurs propres forces armées en droit international, il est désormais nécessaire d’examiner si les violences sexuelles et les mariages forcés peuvent constituer une « participation active aux hostilités » et donc un crime de guerre au sens des articles 8 (2) (b) (xxvi) et 8 (2) (e) (vii) du Statut de Rome.

La CPI ne s’est pas prononcée explicitement sur ce point dans l’affaire Lubanga – la première affaire jamais entendue par la Cour concernant Thomas Lubanga, qui était accusé, entre autres, d’avoir enrôlé et utilisé des enfants dans le conflit armé en RDC. Néanmoins, la juge Odio Benito a soutenu, dans son opinion dissidente, que la portée de la notion de « participation active aux hostilités » devrait être élargie pour inclure les enfants qui ont subi des violences sexuelles au sein du groupe armé dans lequel ils étaient enrôlés.[9]Prosecutor v. Thomas Lubanga Dyilo, Judgment Pursuant to Article 74 of the Statute, ICC-01/04-01/06-2842, 14 March 2012, Lubanga Trial Judgment, Separate and Dissenting Opinion of Judge Odio Benito, … Continue reading Elle a souligné l’importance de développer une définition juridique plus complète de la notion de participation active afin de renforcer les protections des enfants en période de guerre. [10]Prosecutor v. Thomas Lubanga Dyilo, Judgment Pursuant to Article 74 of the Statute (supra note 9), Separate and Dissenting Opinion of Judge Odio Benito, p. 613, para. 15. Selon son raisonnement, « la violence sexuelle est intrinsèquement lié au comportement criminel qu’est le fait d’utiliser des enfants pour « participer activement aux hostilités » » et que « les filles qui sont utilisées comme esclaves sexuelles ou « épouses » de commandants ou d’autres membres du groupe armé apportent un soutien essentiel aux groupes armés”.[11]Prosecutor v. Thomas Lubanga Dyilo, Judgment Pursuant to Article 74 of the Statute (supra note 9), Separate and Dissenting Opinion of Judge Odio Benito, p. 613, para. 20-21. Pour cette raison, elle estimait que ce type de violence devait être inclus dans le crime de guerre consistant à utiliser des enfants – dans le cas contraire, cela serait discriminatoire envers les filles qui restent les principales victimes de violence sexuelle.[12]Prosecutor v. Thomas Lubanga Dyilo, Judgment Pursuant to Article 74 of the Statute (supra note 9), Separate and Dissenting Opinion of Judge Odio Benito, p. 614, para.20; Sturesson, ‘Dismantling … Continue reading

Toutefois, la Cour a décidé qu’une telle analyse irait « clairement au-delà du sens ordinaire de la formulation (de la norme) » et entraînerait une violation du principe de nullum crimen sine lege qui exige que les individus ne peuvent être poursuivis que pour un acte qui était clairement interdit au moment de sa commission.[13]Kurth, ‘The Lubanga Case of the International Criminal Court: A Critical Analysis of the Trial Chamber’s Findings on Issues of Active Use, Age, and Gravity’, Goettingen Journal of International … Continue reading Dans l’affaire Ntaganda, la CPI s’est finalement prononcée sur la question du mariage forcé et des violences sexuelles contre les enfants. Il a été conclu que de tels actes ne peuvent être considérés comme une participation active mais qu’ils constituent plutôt un crime de guerre de viol et d’esclavage sexuel au sens de l’article 8(2)(e)(vi) du Statut de la CPI.[14]Prosecutor v. Bosco Ntaganda, Decision Pursuant to Article 61 (7) (a) and (b) of the Rome Statute on the Charges of the Prosecutor Against Bosco Ntaganda, ICC-01/04-02/06, 09 June 2014, para. 20. La Chambre a décidé que le viol et l’esclavage sexuel ne pouvaient pas être considérés comme une participation active aux hostilités au moment spécifique où ces actes sont commis puisque « le caractère sexuel de ces crimes, qui impliquent des éléments de force et de coercition ou l’exercice de droits de propriété, exclut logiquement une participation active aux hostilités au même moment”.[15]Prosecutor v. Bosco Ntaganda, Decision Pursuant to Article 61 (7) (a) and (b) of the Rome Statute on the Charges (supra note 11), para.

Remarques finales

En résumé, les filles utilisées à des fins sexuelles et matrimoniales ne peuvent être considérées comme participant activement aux hostilités et, par conséquent, les individus responsables de tels actes ne peuvent être tenus pénalement responsables du crime de guerre consistant à utiliser des enfants dans des conflits armés. Bien qu’il puisse sembler décevant que la CPI ait décidé de réduire le champ d’application de la notion de « participation active » pour exclure de tels comportements, il est pourtant très encourageant que les questions des mariages forcés et de la violence sexuelle contre les enfants, et en particulier les filles, soient aujourd’hui considérées comme des priorités en droit international pénal. Ceci est le résultat d’une tendance croissante du droit international à protéger de plus en plus les femmes et les filles contre toutes les formes de violation de leurs droits.

Pour citer cet article : Lefeuve Justine, « Le crime de guerre consistant à utiliser un enfant pour participer activement aux hostilités d’un point de vue du genres ​ », 26.04.2020, Institut du Genre en Géopolitique.

References

References
1 Wenger and Mason, ‘The Civilianization of Armed Conflict: Trends and Implications’, International Review of the Red Cross, Volume 90 Number 872, 2008, p. 842.
2 Waschefort, International Law and Child Soldiers, Oxford: Hart Publishing, 2015, p. 26.
3 Yuvaraj, ‘When Does a Child ‘Participate Actively in Hostilities’ under the Rome Statute? Protecting Children from Use in Hostilities after Lubanga’, Utrecht Journal of International and European Law, Volume 32 (83), 2016, p. 69.
4 Rome Statute of the International Criminal Court, United Nations, Treaty Series, Volume 2187, Number 38544, 17 July 1998, p. 6 and 7.
5 Waschefort, International Law and Child Soldiers (supra note 2), p. 5.
6 Grey, ‘Sexual Violence Against Child Soldiers – The Limits and Potential of International Criminal Law’, in International Feminist Journal of Politics, Vol. 16, No. 4, 2014, p. 608.
7 Prosecutor v. Bosco Ntaganda, Second Decision on the Defence’s Challenge to the Jurisdiction of the Court in respect of Counts 6 and 9, ICC-01/04-02/06, 4 January 2017, para. 20.
8 Prosecutor v. Bosco Ntaganda, Second Decision on the Defence’s Challenge to the Jurisdiction of the Court in respect of Counts 6 and 9 (supra note 7), para. 53.
9 Prosecutor v. Thomas Lubanga Dyilo, Judgment Pursuant to Article 74 of the Statute, ICC-01/04-01/06-2842, 14 March 2012, Lubanga Trial Judgment, Separate and Dissenting Opinion of Judge Odio Benito, p. 613-615, para. 15-21.
10 Prosecutor v. Thomas Lubanga Dyilo, Judgment Pursuant to Article 74 of the Statute (supra note 9), Separate and Dissenting Opinion of Judge Odio Benito, p. 613, para. 15.
11 Prosecutor v. Thomas Lubanga Dyilo, Judgment Pursuant to Article 74 of the Statute (supra note 9), Separate and Dissenting Opinion of Judge Odio Benito, p. 613, para. 20-21.
12 Prosecutor v. Thomas Lubanga Dyilo, Judgment Pursuant to Article 74 of the Statute (supra note 9), Separate and Dissenting Opinion of Judge Odio Benito, p. 614, para.20; Sturesson, ‘Dismantling the Notion of “Participate Actively in Hostilities”: A Gender Analysis of the Crime of Using Child Soldiers’, Lund University Press, 2017, p. 38-
39.
13 Kurth, ‘The Lubanga Case of the International Criminal Court: A Critical Analysis of the Trial Chamber’s Findings on Issues of Active Use, Age, and Gravity’, Goettingen Journal of International Law, Volume 5, Issue 2, 2013, p. 442; Kreß, ‘Nulla Poena Nullum Crimen Sine Lege’, Max Planck Encyclopedia of Public International Law, 2010, para. 1.
14 Prosecutor v. Bosco Ntaganda, Decision Pursuant to Article 61 (7) (a) and (b) of the Rome Statute on the Charges of the Prosecutor Against Bosco Ntaganda, ICC-01/04-02/06, 09 June 2014, para. 20.
15 Prosecutor v. Bosco Ntaganda, Decision Pursuant to Article 61 (7) (a) and (b) of the Rome Statute on the Charges (supra note 11), para.