La déconstruction des normes traditionnelles associées à l’exercice du pouvoir par les hommes : l’exemple de José Mujica en Uruguay

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José Mujica est l’un des fondateurs du Mouvement de libération nationale – Tupamaros (MLN-T), un groupe de guérilla urbaine qui est apparu dans les années 1960, à la suite de la révolution cubaine. En 1972, la structure militaire est démantelée et ses dirigeants sont emprisonnés jusqu’à la fin du régime autoritaire en 1984[1]Adolfo Garcé. (2010). De guerrilleros a gobernantes: El proceso de adaptación del MLN-Tupamaros a la legalidad y a la competencia electoral en Uruguay (1985-2009). Universidade de Santiago de … Continue reading

Après sa libération, José Mujica a joué un rôle clé dans la transition démocratique de l’Uruguay. Il s’est engagé de nouveau dans la vie politique en tant que membre du MLN-T et le groupe a abandonné ses activités guérilleros pour participer au processus politique[2]Adolfo Garcé. (2010). De guerrilleros a gobernantes: El proceso de adaptación del MLN-Tupamaros a la legalidad y a la competencia electoral en Uruguay (1985-2009). Universidade de Santiago de … Continue reading

La modération du discours du MLN-T, introduit par José Mujica, a permis d’élargir l’électorat ciblé, notamment par le biais de l’adhésion du parti à la coalition politique de centre-gauche du Front large. José Mujica est parvenu à adapter une organisation de guérilla à la concurrence électorale au travers de la mise en place d’un leadership innovant, s’opposant à l’image du gouvernant, promue sous la dictature[3]Adolfo Garcé. (2010). De guerrilleros a gobernantes: El proceso de adaptación del MLN-Tupamaros a la legalidad y a la competencia electoral en Uruguay (1985-2009). Universidade de Santiago de … Continue reading. Le contrôle social résultant de l’imposition de normes informelles est particulièrement marqué dans les régions du monde qui ont connu des régimes dictatoriaux, autoritaires et militaires. Ces régimes ont favorisé le maintien et le renforcement de l’idée selon laquelle les hommes perçus comme forts et virils seraient de meilleurs dirigeants.

Or, l’Amérique latine a été particulièrement touchée par l’émergence de régimes autoritaires à partir des années 1960. Ainsi, le contexte politique régional a influencé le modèle de politique uruguayen. Toutefois, José Mujica est parvenu à doter le MLN-T de la capacité à défendre des idées très différentes de celles qui étaient prônées auparavant, sans perdre son identité politique[4]Adolfo Garcé. (2010). De guerrilleros a gobernantes: El proceso de adaptación del MLN-Tupamaros a la legalidad y a la competencia electoral en Uruguay (1985-2009). Universidade de Santiago de … Continue reading

José Mujica est élu député en 1995 et sénateur en 2000. Il a également été ministre de l’Agriculture sous la présidence de Tabaré Vázquez (2005-2010). En 2009, José Mujica remporte l’élection présidentielle, défie les normes traditionnelles renvoyant à la virilité en politique et rejette celles souvent associées aux contextes de guérilla[5]Aguiar, S. (2014). Menant la marche : l’Uruguay et ses trois lois avant-gardistes. Cahiers des Amériques latines, 77. https://doi.org/10.4000/cal.3386

José Mujica a adopté une approche plus inclusive et participative du leadership. L’exercice du pouvoir par les hommes est étroitement encadré par des normes qui dictent les comportements attendus en raison du genre. Ces normes, profondément enracinées dans les sociétés, perpétuent des attentes spécifiques associées à la masculinité. Traditionnellement, le pouvoir masculin est lié aux caractéristiques que sont la domination, la compétitivité, la force et l’assertivité. Les hommes occupant des postes de pouvoir sont, en conséquence, évalués en fonction de leur conformité à ces normes, renforçant ainsi une vision stéréotypée de la masculinité. Toutefois, José Mujica a remis en question l’idée selon laquelle le pouvoir masculin devrait être exercé de manière autoritaire et unilatérale.

Alors comment José Mujica est-il parvenu à se détacher des attentes sociales genrées, liées à l’exercice du pouvoir par les hommes ?

La promotion d’une masculinité inclusive comme refus d’adopter des signes extérieurs de pouvoir 

Dès son entrée en politique, José Mujica est apparu comme une figure atypique : en 1990, alors qu’il vient d’être élu député, il arrive en scooter et en jean au Parlement et se voit refuser l’entrée. José Mujica s’est ensuite réapproprié cet évènement afin de remettre en cause l’association traditionnelle faite entre apparence physique des hommes, en accord avec les normes sociales de la sphère politique, et la capacité professionnelle de ces derniers. Cette rupture avec les attentes vestimentaires classiques est un acte symbolique, illustrant la volonté délibérée de José Mujica de ne pas se conformer aux normes genrées traditionnelles, associées au pouvoir politique. La démarche de l’ancien Président avait pour objectif de déconstruire les préjugés liés à l’apparence physique, créant ainsi un espace où les hommes politiques pourraient être jugés sur leurs actions, idées et compétences plutôt que sur leur adhésion à des normes genrées rigides. En adoptant une approche non conventionnelle de son image publique, José Mujica a ouvert la voie à une remise en question plus profonde des normes genrées[6]Aguiar, S. (2014). Menant la marche : l’Uruguay et ses trois lois avant-gardistes. Cahiers des Amériques latines, 77. https://doi.org/10.4000/cal.3386, incarnant ainsi un symbole d’austérité et de dévouement. Le mode de vie de José Mujica a aussi fait l’objet de débats au sein de l’opinion publique et des médias, concernant la pertinence et la nécessité pour les dirigeants de rester connectés aux réalités de la vie quotidienne de la population.

José Mujica a aussi profondément marqué son mandat en tant que Ministre de l’Agriculture (2005-2008) en revendiquant ouvertement ses racines paysannes. Il a mis en avant son expérience dans le domaine agricole et a souligné que cette dernière était primordiale pour la bonne conduite des affaires du pays. José Mujica a, de fait, questionné la notion d’expertise nécessaire pour être ministre dans un domaine spécifique. En refusant de s’inscrire dans les attentes traditionnelles liées à l’apparence et à la formation académique des hommes politiques, José Mujica a démontré que la masculinité peut embrasser une diversité d’expériences et de compétences[7]Adolfo Garcé. (2010). De guerrilleros a gobernantes: El proceso de adaptación del MLN-Tupamaros a la legalidad y a la competencia electoral en Uruguay (1985-2009). Universidade de Santiago de … Continue reading

Les normes sociales de genre attribuent aux hommes des signes extérieurs de pouvoir, renvoyant à des privilèges matériels et économiques. Néanmoins, José Mujica a rejeté ces symboles de virilité étroitement liés à la démonstration ostentatoire de la richesse et du pouvoir. Le refus du protocole traditionnel a été un élément central de l’approche de José Mujica envers le pouvoir. Le Président a tenu a conservé son mode de vie modeste, il a par exemple continué à conduire lui-même sa voiture, une coccinelle. De plus, il s’est engagé à reverser 87% de son salaire à des projets sociaux de son parti[8]Aguiar, S. (2014). Menant la marche : l’Uruguay et ses trois lois avant-gardistes. Cahiers des Amériques latines, 77. https://doi.org/10.4000/cal.3386. Au travers de ces actions, l’ancien Président a démontré sa volonté de mettre en œuvre des actions concrètes en faveur du bien commun. L’objectif de José Mujica était de souligner que les signes extérieurs de pouvoir n’ont pas d’impact tangible sur le bien être de la population, alors même qu’ils sont conférés aux personnes dont le rôle est de gouverner le pays[9]Aguiar, S. (2014). Menant la marche : l’Uruguay et ses trois lois avant-gardistes. Cahiers des Amériques latines, 77. https://doi.org/10.4000/cal.3386

Au travers de sa manière d’exercer le pouvoir, José Mujica a fait la promotion d’une masculinité inclusive reconnaissant les dangers d’une masculinité hégémonique, imposant un modèle unique de masculinité toxique et oppressant. La masculinité inclusive est caractérisée par son ouverture à tous les hommes, indépendamment de leur orientation sexuelle, leur origine ethnique, leur classe sociale ou leur religion. Elle encourage les hommes à développer leur capacité d’empathie et de compassion. Ce concept défend l’idée que la masculinité n’est pas monolithique, chaque homme a le droit de vivre sa masculinité de manière singulière[10]Anderson, E. (2009). Inclusive Masculinity: The Changing Nature of Masculinities. Routledge

José Mujica a ainsi proposé une façon de gouverner alternative et nouvelle[11]Adolfo Garcé. (2010). De guerrilleros a gobernantes: El proceso de adaptación del MLN-Tupamaros a la legalidad y a la competencia electoral en Uruguay (1985-2009). Universidade de Santiago de … Continue reading. De plus, la popularité de José Mujica n’a pas pris fin après son mandat présidentiel, qui est resté un acteur clé du débat public en Uruguay. José Mujica a continué d’exercer une influence morale sur la société uruguayenne, notamment au travers du maintien de son engagement concernant les questions sociales que sont la réduction de la pauvreté ainsi que les droits humains. Il est resté actif sur la scène politique par le biais de son mandat de sénateur qui lui a donné la possibilité de participer aux débats parlementaires. En outre, l’ancien président a aussi été invité à participer à des forums internationaux à l’instar du Forum international sur la démocratie de 2018.

L’écoute de la population au centre de la politique de revitalisation de la participation sociale

L’approche participative de José Mujica a profondément influencé la dynamique politique en Uruguay, par le biais du rejet de l’idée de domination du politique sur la société civile. José Mujica avait pour objectif de réduire l’écart existant entre le politique et la société civile, plaçant la population uruguayenne au centre de la prise de décision. La société civile a alors bénéficié d’une voix active vis-à-vis des arbitrages la concernant, à l’instar de la consultation d’organisations féministes lors de l’élaboration de la loi relative à la légalisation de l’avortement. De plus, en 2010 le gouvernement de José Mujica a créé le Conseil national de participation sociale, une instance consultative qui a permis à la société civile de contribuer à l’élaboration des politiques publiques[12]Réforme sociale. (2011). Ministère du développement social. … Continue reading. Cette dernière renvoie à une forme d’écoute active des préoccupations des uruguayennes et de véritable démocratie participative[13]Aguiar, S. (2014). Menant la marche : l’Uruguay et ses trois lois avant-gardistes. Cahiers des Amériques latines, 77. https://doi.org/10.4000/cal.3386

Concernant la représentation des femmes en politique, le gouvernement du Président était presque paritaire, avec la présence de cinq femmes ministres sur treize.  Il s’agit du premier gouvernement d’Amérique latine à atteindre ce ratio qui illustre l’engagement de José Mujica vis-à-vis de l’égalité des genres. Si certains ministres ont démissionné durant le mandat de José Mujica, le ratio femmes-hommes au sein du gouvernement est demeuré inchangé. De plus, la proportion de femmes au Parlement est passée de 13% en 2004 à 25% en 2010 grâce à l’adoption de quotas issus d’un projet de loi qui avait été présenté par José Mujica lorsqu’il était sénateur en 2009[14]Aguiar, S. (2014). Menant la marche : l’Uruguay et ses trois lois avant-gardistes. Cahiers des Amériques latines, 77. https://doi.org/10.4000/cal.3386. Au cours du mandat de José Mujica, le Parlement a pu élaborer et adopter des lois importantes relatives aux droits des femmes, à l’image de la loi sur les violences domestiques de 2012 ou encore de la loi de 2014 instaurant un programme d’aide pour les femmes entrepreneures. L’approche inclusive de José Mujica coïncide avec une phase d’expansion des mouvements sociaux et met en avant les valeurs que sont l’empathie, la collaboration et la déconstruction de la hiérarchie traditionnelle aussi bien dans ses discours que dans sa manière d’exercer le pouvoir. Celles-ci favorisent le développement des compétences relationnelles chez les hommes politiques, qui sont essentielles à la mise en place d’une politique fondée sur l’écoute de la population[15]Aguiar, S. (2014). Menant la marche : l’Uruguay et ses trois lois avant-gardistes. Cahiers des Amériques latines, 77. https://doi.org/10.4000/cal.3386

À partir de 2005, l’Uruguay a vu émerger des mouvements sociaux autonomes par rapport au système de partis politiques, mettant en lumière le désir croissant de la jeunesse d’influencer directement les décisions gouvernementales. L’arrivée au pouvoir de José Mujica en 2010 a marqué un tournant à gauche dans les politiques publiques de l’Uruguay, témoignant de l’écoute des mobilisations antérieures et contemporaines. En réponse au Mouvement pour un Uruguay durable, fondé en 2011, qui s’est opposé aux projets gouvernementaux d’exploitation minière et portuaire, José Mujica a annulé ces derniers. Les mouvements sociaux qu’a connu le pays ont réussi à s’institutionnaliser tout en maintenant leur caractère autonome, participant activement à l’élaboration de politiques progressistes, axées sur les besoins de la population. José Mujica est ainsi parvenu à répandre l’idée selon laquelle, l’adversaire du peuple n’est pas l’État mais le noyau dur et conservateur de la société uruguayenne[16]Moreira, C. (2015). Uruguay: social movements during Jose Mujica’s government (2010-2015). Revista do Programa de Pós‑Graduação em Sociologia da USP, 22 66-82. 268346574.pdf (core.ac.uk).

Le rejet de l’approche individualiste a été au cœur de la vision sociale de José Mujica, érigeant ainsi un modèle inspirant et transcendant l’individu·e pour éveiller une identité collective. Cette approche, guidée par des valeurs telles que la démocratie participative, l’inclusivité, l’éthique environnementale et la solidarité sociale, a positionné José Mujica en tant que héros culturel, dynamisant l’engagement politique des citoyen·nes au-delà des rivalités individuelles[17]Sarasqueta, G. (2022). CARTOGRAPHY OF A GLOBAL EPIC: THE POLITICAL STORY OF PRESIDENT JOSÉ MUJICA (2010-2015). Revista internacional de Pensamiento Político, 17, 663-685. Vista de Cartografía de … Continue reading. En favorisant la création d’un collectif orienté vers la résolution des problèmes sociaux, José Mujica a cherché à prévenir l’émigration persistante de la population uruguayenne. Malgré la transition démocratique, près de 20 000 personnes ont continué chaque année de quitter le pays[18]Morató, V. (2015). Social problems: the demographic emergency in Uruguay. JANUS.NET e-journal of International Relations,6,1. https://repositorio.ual.pt/handle/11144/1757

Cette émigration s’explique notamment par la décroissance qu’a connu l’Uruguay en 2012, en raison du déséquilibre de sa balance commerciale. L’inflation qui a atteint un pic de 9% en 2014[19]Banque mondiale. (2024). Uruguay. https://data.worldbank.org/country/uruguay ainsi que le chômage qui touchait 7% de la population en 2015 ont conduit la population à quitter le pays[20]Banque mondiale. (2024). Uruguay. https://data.worldbank.org/country/uruguay. En outre, la répartition de la richesse est demeurée fortement inégalitaire sous le mandat de José Mujica, le coefficient de Gini est passé de 0,44 à 0,41[21]Banque mondiale. (2024). Uruguay. https://data.worldbank.org/country/uruguay. Enfin, l’importante criminalité présente en Uruguay est aussi l’un des facteurs ayant motivé de nombreux nationaux à s’établir à l’étranger.

L’importance de l’idée de recherche du bonheur dans la société dans les discours de Mujica 

José Mujica a justifié l’orientation pacifiste de sa politique au travers de son passé de prisonnier. L’ancien président a été détenu pendant près de 14 ans durant la dictature et a passé 10 de ces années en isolement. José Mujica s’est réapproprié son passé et n’a pas hésité à évoquer son récit personnel en soulignant la souffrance physique qu’il a connu, tout en mettant en exergue les difficultés émotionnelles et mentales qu’il a rencontrées durant sa détention. En allant à l’encontre de normes de genre, José Mujica a défié la notion de masculinité toxique qui associe la vulnérabilité émotionnelle à la honte.

L’implication de José Mujica pour la justice et le rejet de toute forme d’impunité s’est manifestée en 2011 par la tentative d’annulation des lois d’amnistie qui protégeaient certains criminels de guerre ayant violé le droit humanitaire durant la dictature (1973-1985). Son action reflète une volonté de faire face au passé de l’Uruguay et de poursuivre une quête collective de vérité et de réconciliation au sein de la société uruguayenne entre les partisans et les opposants de la dictature. Toutefois, la Cour Suprême uruguayenne a déclaré en 2013 que cette nouvelle loi était inconstitutionnelle[22]Pitushca, N. (2016). Post-transition human rights performance in Peru, Uruguay, and South Korea. Open AccessDissertations, 739. https://docs.lib.purdue.edu/open_access_dissertations/739. La démarche de José Mujica est liée à l’idée de recherche du bonheur et la simplicité dans la société, telle qu’ exprimée dans ses discours, à l’image de son intervention en 2012 devant l’Assemblée générale des Nations unies où il a soutenu qu’« une civilisation contre la simplicité, contre la sobriété, contre tous les cycles naturels, et, ce qui est pire, une civilisation contre la liberté de disposer du temps de vivre les relations humaines, l’amour, l’amitié, l’aventure, la solidarité, la famille »[23]Courrier international. (2013). URUGUAY. Le discours « poétique » du président Mujica plébiscité sur le Net. URUGUAY. URUGUAY. Le discours « poétique » du président Mujica plébiscité … Continue reading. Pour José Mujica, la recherche du bonheur ne peut être pleinement réalisée que dans un contexte de justice, de transparence et de responsabilité[24]Aguiar, S. (2014). Menant la marche : l’Uruguay et ses trois lois avant-gardistes. Cahiers des Amériques latines, 77. https://doi.org/10.4000/cal.3386

Au travers de son refus de se conformer au stéréotype associant la réussite professionnelle à la réussite matérielle, le Président de l’Uruguay a tenté de remettre en question l’impact du consumérisme sur les changements climatiques. Il a notamment été à l’origine d’investissements étatiques dans les énergies renouvelables, comme l’énergie solaire et l’éolienne et il a créé un système national de gestion des déchets[25]Ponce, M. (2017). Pepe Mujica ¿el secreto de la viralidad? Más poder local, 33. 13-15. https://dialnet.unirioja.es/servlet/articulo?codigo=6325973. José Mujica a ainsi rompu avec l’idée traditionnelle liant le pouvoir à l’exploitation des ressources naturelles et avec celle de maîtrise des humains sur la nature. Pour lui, le consumérisme est une perte de temps au niveau individuel dans la mesure où ce concept conduit à la nécessité d’accomplir des tâches ingrates dans l’objectif d’accéder à divers biens de consommation[26]Ponce, M. (2017). Pepe Mujica ¿el secreto de la viralidad? Más poder local, 33. 13-15. https://dialnet.unirioja.es/servlet/articulo?codigo=6325973

José Mujica a prôné un changement culturel fondamental qui repose sur une éducation axée sur l’être plutôt que sur l’avoir. Dans son discours d’investiture au Sénat, José Mujica a insisté sur la nécessité de socialiser différemment les individu·es pour remodeler les relations de pouvoir entre « dominants » et « dominés » et établir un nouveau système de liens sociaux dépourvu d’exploitation. Les ambitions de Mujica en la matière se sont concrétisées dans la définition des principaux objectifs qui ont guidé l’action de son gouvernement. Ainsi, la lutte contre la pauvreté s’est traduite dans la mise en place de programmes d’éducation et de santé gratuits. La promotion d’une économie sociale et solidaire s’est quant à elle manifestée dans la consultation et le dialogue continus instaurés avec les syndicats de travailleurs[27]Aguiar, S. (2014). Menant la marche : l’Uruguay et ses trois lois avant-gardistes. Cahiers des Amériques latines, 77. https://doi.org/10.4000/cal.3386

De plus, les idées de José Mujica ont transcendé les frontières nationales, comme en témoigne sa prise de parole au Sommet de Rio en 2012 qui a atteint des millions de vues sur YouTube. Le Président de l’Uruguay a fait la promotion du bien-être commun plutôt que de la simple satisfaction individuelle, soulignant que l’équité sociale doit être le pilier essentiel au sein dans la société internationale[28]Sarasqueta, G. (2022). CARTOGRAPHY OF A GLOBAL EPIC: THE POLITICAL STORY OF PRESIDENT JOSÉ MUJICA (2010-2015). Revista internacionalde Pensamiento Político, 17, 663-685. Vista de Cartografía de … Continue reading

À partir des années 1980, des mouvements tels que la Coordinadora anti-razzias et des publications universitaires, comme celle de Rafael Bayce, ont remis en question l’approche prohibitionniste des gouvernements successifs, renvoyant à une interdiction stricte de la vente et de la consommation de cannabis. La position de l’ancien président Jorge Batle en faveur de la légalisation de toutes les drogues au cours des années 2000 a contribué à alimenter le débat, qui s’est intensifié sous la présidence de Tabaré Vasquez marquée par une politique de guerre contre les drogues.

En 2010, José Mujica a, par la suite, saisi l’opportunité d’organiser un débat national sur la question, aboutissant à la loi sur la légalisation du cannabis. Toutefois, cette loi ne renvoie pas à la reconnaissance des éventuels bénéfices qui seraient liés à une consommation « saine » de cannabis. En outre, José Mujica a aussi augmenté les effectifs de police afin de lutter contre le trafic de drogue et il a mis en place des programmes de prévention ayant pour visée de dissuader les jeunes uruguayen·nes de se tourner vers ce type d’activité criminelle. L’objectif du président était de lutter contre le trafic de drogues et les violences qui y sont associées dans une approche pragmatique, inclusive et adaptée à la réalité locale[29]Aguiar, S. (2014). Menant la marche : l’Uruguay et ses trois lois avant-gardistes. Cahiers des Amériques latines, 77. https://doi.org/10.4000/cal.3386

L’Uruguay a longtemps été considéré comme l’un des pays les plus stables et les plus sûrs d’Amérique latine, avec des taux de criminalité relativement bas par rapport à d’autres pays de la région. Cependant, il est important de noter que le pays a connu des défis liés au trafic de drogue, aux gangs et à la violence. José Mujica a essayé d’endiguer la violence, associée au trafic de drogue, qui a affecté la sécurité et la santé publiques, au travers de l’augmentation des effectifs de police. Il a aussi mis en place des programmes de réinsertion sociale des anciens détenus dans le but de briser le cycle d’exclusion et de violence dans lequel certains d’entre eux ont pu se trouver.

Toutefois, les moyens mis à disposition du pouvoir judiciaire n’ont pas été renforcés durant le mandat du Président, ayant pour conséquence de générer une importante pression sur les magistrats et les procureurs. En raison de l’augmentation du nombre d’affaires pénales et des besoins accrus de ressources afin d’assurer le respect de la loi, le délai de jugement des affaires a été considérablement allongé. José Mujica a, de fait, mis en place des dispositifs conséquents dans le but de réduire la violence liée au trafic de drogue, mais les contraintes institutionnelles et budgétaires ont entravé la pleine réalisation de cet objectif.

L’engagement pour la défense des droits des minorités

José Mujica a mis en œuvre des dispositifs progressistes visant à promouvoir l’égalité et à lutter contre les discriminations raciales. En premier lieu, il a déployé des politiques d’action positive dans les domaines d’éducation et d’emploi, dans l’objectif d’augmenter l’insertion et la représentation des personnes racisées. Cela s’est concrétisé par le financement de programmes éducatifs et de sensibilisation aux cultures autochtones, contribuant à combattre les préjugés et à favoriser une compréhension plus profonde des diverses identités culturelles uruguayennes. De plus, José Mujica a permis l’adoption d’une loi historique en 2013 relative aux droits des peuples autochtones. Cette législation reconnaît la propriété collective des terres ancestrales et garantit aux peuples autochtones le droit à leur propre culture, langue et religion[30]FIJACION DE DISPOSICIONES CON EL FIN DE FAVORECER LA PARTICIPACION EN LAS AREAS EDUCATIVA Y LABORAL, DE LOS AFRODESCENDIENTES. (2013). Centro de informacion oficial. … Continue reading

Les mesures prises par José Mujica concernant la sensibilisation de l’ensemble de la population uruguayenne à la diversité culturelle du pays ont renforcé l’identité culturelle des communautés autochtones, par le biais de la mise en valeur de leurs langues, traditions et histoires. De plus, le travail de sensibilisation, s’attaquant aux stigmates et aux préjugés, a pu contribuer à une plus grande inclusion sociale des communautés autochtones. Par ailleurs, José Mujica a aussi œuvré pour la création d’une loi contre la discrimination raciale en 2013, renforçant ainsi le cadre juridique de la lutte contre toute forme de discrimination basée sur l’origine ethnique[31]FIJACION DE DISPOSICIONES CON EL FIN DE FAVORECER LA PARTICIPACION EN LAS AREAS EDUCATIVA Y LABORAL, DE LOS AFRODESCENDIENTES. (2013). Centro de informacion oficial. … Continue reading

José Mujica a, en outre, relancé le débat concernant le droit à l’avortement en Uruguay. Son prédécesseur Tabare Vasquez avait opposé son véto à la loi sur la santé sexuelle et reproductive de 2007. Seules des mesures intermédiaires relatives aux soins pré et post avortement avaient été mises en place par le biais de la loi Napiloti[32]Aguiar, S. (2014). Menant la marche : l’Uruguay et ses trois lois avant-gardistes. Cahiers des Amériques latines, 77. https://doi.org/10.4000/cal.3386. En 2012, José Mujica a permis à l’Uruguay de devenir le troisième pays du continent à légaliser l’avortement. Selon la nouvelle législation, la seule volonté de la femme était suffisante pour que toutes les institutions de santé du pays soient tenues de proposer ce service. La légalisation de l’avortement a été mise en place dans le but de mettre fin aux réseaux de cliniques clandestines, particulièrement utilisées par les femmes issues de classes défavorisées, exposant ces dernières à des risques sanitaires et de santé importants. Cette avancée législative a consolidé les droits reproductifs des femmes. Toutefois, la loi uruguayenne reconnait aussi l’objection de conscience, permettant aux professionnel·les de la santé de refuser de participer directement à un avortement en raison de leurs convictions personnelles ou religieuses. La loi impose également aux établissements de santé de garantir la disponibilité d’un·e professionnel·le pour effectuer l’avortement[33]Aguiar, S. (2014). Menant la marche : l’Uruguay et ses trois lois avant-gardistes. Cahiers des Amériques latines, 77. https://doi.org/10.4000/cal.3386

La mise en place de dispositifs progressistes pour les droits des personnes LGBTI+ a été une composante majeure de l’engagement de José Mujica en faveur de l’égalité et de la diversité. Dès son entrée en fonction en 2010, José Mujica a publiquement exprimé son soutien au mariageentre personnes de même sexe, affirmant que le mariage est un droit fondamental pour tous les couples, indépendamment de leur orientation sexuelle[34]Morató, V. (2015). Social problems: the demographic emergency in Uruguay. JANUS.NET e-journal of International Relations,6,1. Camões – Repositório Institucional da Universidade Autónoma de … Continue reading. En 2012, le Président a pris des mesures concrètes en présentant un projet de loi visant à légaliser le mariage pour les couples de même sexe. Ce projet de loi a été élaboré en collaboration avec des organisations LGBTI+ et des défenseur·es des droits humains, démontrant l’importance de la participation de la communauté concernée dans le processus législatif. José Mujica a activement plaidé en faveur de cette loi qui a été promulgée en 2013, rencontrant des parlementaires et participant à des manifestations soutenant le mariage entre personnes de même sexe. L’Uruguay est ainsi devenu le troisième pays d’Amérique latine à légaliser le mariage pour les personnes de même sexe[35]Morató, V. (2015). Social problems: the demographic emergency in Uruguay. JANUS.NET e-journal of International Relations,6,1. Camões – Repositório Institucional da Universidade Autónoma de … Continue reading.

Il a également initié d’autres réformes pour promouvoir les droits des personnes LGBTI+ à l’image de l’instauration de quotas spécifiques pour les personnes trans dans les programmes sociaux en 2014, facilitant leur accès à la formation, l’éducation et l’emploi. Cette démarche vise à atténuer les obstacles auxquels les personnes trans sont confrontées dans leur vie quotidienne[36]La construcción de agenda y políticas públicas de diversidad sexual. (2017). OPP. … Continue reading. En 2015, il a mis en place des mesures de prise en charge médicale globale pour les personnes trans, incluant le traitement hormonal. Ces initiatives témoignent de son engagement à créer une société uruguayenne plus inclusive et égalitaire pour tous·tes, indépendamment de l’orientation sexuelle ou de l’identité de genre des individu·es[37]La construcción de agenda y políticas públicas de diversidad sexual. (2017). OPP. … Continue reading

L’héritage de José Mujica comme inspiration et redéfinition de la masculinité en politique

La déconstruction des normes traditionnelles associées à l’exercice du pouvoir par les hommes, telle que démontrée par José Mujica en Uruguay, se présente comme un modèle inspirant de leadership. À travers son parcours politique marqué par une rupture avec les attentes conventionnelles de virilité et de pouvoir, José Mujica a ouvert la voie à une réflexion profonde sur les normes genrées dans la sphère politique. En refusant de se conformer aux stéréotypes traditionnels et en adoptant une approche inclusive et participative, José Mujica a transcendé les aspirations individuelles pour incarner une vision collective de la gouvernance. En outre, son engagement pour les personnes racisées, les femmes et les personnes LGBTI+ reflète un souci profond de justice sociale et d’égalité des chances.

De même, la promotion faite par José Mujica de l’importance du dialogue que tout gouvernement doit entretenir avec la société civile renvoie à une vision holistique du bonheur et de la justice. Ainsi, l’héritage de José Mujica réside dans sa capacité à défier les normes genrées et à inspirer une nouvelle génération de leaders à embrasser une masculinité inclusive au sein de laquelle la compassion et la solidarité guident l’action politique.

 

 

Pour citer cet article: Institut du Genre en Géopolitique (2024), « La déconstruction des normes traditionnelles associées à l’exercice du pouvoir par les hommes : l’exemple de José Mujica en Uruguay », https://igg-geo.org/?p=18941

References

References
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5, 6, 8, 9, 13, 14, 15, 24, 27, 29, 32, 33 Aguiar, S. (2014). Menant la marche : l’Uruguay et ses trois lois avant-gardistes. Cahiers des Amériques latines, 77. https://doi.org/10.4000/cal.3386
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