Comment le changement climatique et la mondialisation ont aggravé l’insécurité alimentaire des femmes dans les petits Etats insulaires en développement (PEID)

Temps de lecture : 14 minutes

02/06/2023

Autrice : Ilona Barrero

Traductrice : Héloïse Gaud-Morel

Les petits États insulaires en développement (PEID)[1]Antigua and Barbuda, Bahamas, Barbados, Belize, Cabo Verde, Comoros, Cuba, Dominica, Dominican Republic, Fiji, Federated States of Micronesia, Grenada, Guinea-Bissau, Guyana, Haïti, Jamaica, … Continue reading sont composés de plusieurs petites îles situées principalement dans les Caraïbes, le Pacifique, les océans Indien et Atlantique ainsi que dans la mer de Chine méridionale[2]United Nations. (n.d.). About Small Island Developing States | Office of the High Representative for the Least Developed Countries, Landlocked Developing Countries and Small Island Developing States. … Continue reading. Ces îles font face à de nombreux défis, qui sont uniques en raison de leur environnement, de leur situation géographique et de leur relation avec l’économie mondiale. Elles ont en effet été reconnues comme cas particuliers par l’Organisation des Nations Unies en 1992[3]United Nations. (n.d.). About Small Island Developing States | Office of the High Representative for the Least Developed Countries, Landlocked Developing Countries and Small Island Developing States. … Continue reading. Du fait de leur situation géographique et de leurs difficultés à être compétitives sur le marché agricole international, ces États souffrent d’une forte insécurité alimentaire et les femmes sont les personnes les plus touchées par ce phénomène. Les femmes sont confrontées à des inégalités à la fois structurelles et culturelles qui prennent différentes formes : un travail agricole non rémunéré, la pression d’être la principale source de soin ainsi qu’un taux plus élevé de maladies liées à la malnutrition[4]FAO. 2021. Poverty, malnutrition and food security in Pacific Small Island Developing States. Bangkok.. Ainsi, comment la combinaison du changement climatique et de la mondialisation a-t-elle des conséquences sur le niveau d’insécurité alimentaire des femmes dans les PEID ?

L’insécurité alimentaire liée au changement climatique touche les femmes de façon disproportionnée

Le changement climatique et l’augmentation artificielle des températures de la planète ont déjà commencé à avoir un coût humain élevé. Les phénomènes météorologiques extrêmes causés par le changement climatique commencent à se traduire par la baisse des rendements de certaines cultures essentielles comme celles du maïs ou du blé. L’Organisation des Nations Unies pour l’alimentation et l’agriculture (ONUAA) estime que pour assurer la sécurité alimentaire, la production de denrées alimentaires doit augmenter de 60 %[5]United Nations. (2011). The World’s Food Supply is Made Insecure by Climate Change. United Nations. https://www.un.org/en/academic-impact/worlds-food-supply-made-insecure-climate-change.. Le changement climatique entraîne des répercussions à court et long terme sur la sécurité alimentaire, les PEID faisant partie des plus pays les plus vulnérables en raison de leur situation unique. Sur le court terme, le changement climatique provoque des phénomènes météorologiques extrêmes qui peuvent décimer les cultures ; et sur le long terme, des phénomènes tels que la montée des eaux, l’augmentation des émissions de CO2, les pénuries d’eau et la gestion des maladies[6]IPCC. (2019). Chapter 5 — Special Report on Climate Change and Land. Ipcc.ch; Special Report on Climate Change and Land. https://www.ipcc.ch/srccl/chapter/chapter-5/.. Comme pour la plupart des problèmes mondiaux, l’impact de ce phénomène est genré. Ce n’est un secret pour personne que les femmes dans le monde jouent un rôle essentiel dans la sécurité alimentaire et sont en même temps le groupe le plus touché par l’insécurité alimentaire. Sur les 345 millions de personnes qui souffrent gravement de la faim dans le monde, près de 60 % sont des femmes et des filles. Par ailleurs, les femmes effectuent 2,6 fois plus de travail de soin non rémunéré que les hommes. La situation des PEID est particulièrement préoccupante en raison de leur situation géographique et de leurs difficultés d’accès aux marchés étrangers[7]World Food Program USA. (n.d.). Gender Inequality is Causing More Women to Suffer from Hunger. World Food Program USA. https://www.wfpusa.org/drivers-of-hunger/gender-inequality/..

Cette vulnérabilité contextuelle des femmes face à l’insécurité alimentaire et au changement climatique est plus élevée en raison des différences dans les structures de pouvoir et dans la gestion des responsabilités dans les foyers, au travail et au sein de la communauté[8]World Food Program USA. (n.d.). Gender Inequality is Causing More Women to Suffer from Hunger. World Food Program USA. https://www.wfpusa.org/drivers-of-hunger/gender-inequality/.. Dans le contexte des PEID, les femmes et les filles jouent un rôle extrêmement important dans l’agriculture, bien que ce travail ne soit pas rémunéré[9]FAO. (2021). POLICY BRIEF: Food security challenges and vulnerability in Small Island Developing States (SIDS).. Les femmes fournissent à leur famille des revenus monétaires par le biais de travail physique dans les fermes. Elles plantent, désherbent, et récoltent les cultures, elles battent les récoltes puis les transforment pour la vente. Dans les PEID du Pacifique (les îles Fidji, les Palaos, les Tonga, les Samoa, la Papouasie-Nouvelle-Guinée, etc.), il a été estimé que le travail des femmes représente environ 52 % de la main-d’œuvre agricole. Pourtant, elles n’ont qu’un accès limité aux ressources productives qui leur permettraient d’accroître leur efficacité dans ce secteur. Elles ne sont également pas rémunérées pour leur travail puisque ce secteur économique agricole est délaissé[10]FAO. 2021. Poverty, malnutrition and food security in Pacific Small Island Developing States. Bangkok.. Ce phénomène est également observé dans les PEID des Caraïbes, tels que la Dominique, Antigua et Tandon. Dans ces îles, les femmes contribuent de façon significative à la sécurité alimentaire au sein de leur foyer et au niveau national. Cependant, elles ne sont ni rémunérées, ni reconnues pour leur travail, et elles sont sous-évaluées de façon systématique dans ces secteurs agricoles, qui sont encore et toujours délaissés[11]Caribbean Community Climate Change Centre. (2013, October 29). Food Security, Small-scale Women Farmers and Climate Change in Caribbean SIDS. Caribbean Community Climate Change Centre (CCCCC). … Continue reading.

Dans les PEID, les femmes sont extrêmement vulnérables et sont exposées plus fortement à l’insécurité alimentaire dans la mesure où on attend d’elles qu’elles soient les principales responsables des soins à prodiguer aux enfants, mais aussi qu’elles fournissent du travail non rémunéré en dehors du foyer. Par ailleurs, les PEID sont majoritairement classés comme pays à revenu faible ou intermédiaire par l’Organisation des Nations Unies. Ainsi, comme pour bien d’autres problématiques, la sécurité alimentaire des femmes est exacerbée par des indicateurs de pauvreté élevés[12]FAO. 2021. Poverty, malnutrition and food security in Pacific Small Island Developing States. Bangkok.. Pour ce qui est des PEID du Pacifique, les femmes et les enfants sont particulièrement touché·es par la malnutrition et les problèmes de santé qui en découlent. De plus, la difficulté d’accès à l’eau potable accroît également l’insécurité alimentaire des populations vulnérables[13]FAO. 2021. Poverty, malnutrition and food security in Pacific Small Island Developing States. Bangkok.. La conclusion de cette même étude stipule que dans les PEID du Pacifique, l’insécurité alimentaire est plus importante chez les femmes vivant sous le seuil de pauvreté ou dans des zones rurales. Bien que de nombreux PEID s’urbanisent à grande vitesse, de nombreuses îles restent principalement rurales et ont des systèmes de santé défaillants[14]FAO. (2021). POLICY BRIEF: Food security challenges and vulnerability in Small Island Developing States (SIDS).. Par ailleurs, dans les PEID des Caraïbes, on constate que les femmes travaillent de façon significative avec leurs homologues masculins dans les exploitations agricoles et dans les zones de pêche, et qu’elles s’occupent du bétail et de la volaille. Pourtant, c’est à elles qu’incombe la responsabilité de planifier et de préparer les repas pour la famille[15]Centre for Inclusive Growth. (2012). Food Security, Women Smallholders and Climate Change in Caribbean SIDS. https://ipcig.org/sites/default/files/pub/en/IPCPolicyResearchBrief33.pdf..

Comme il a été mentionné précédemment, beaucoup de PEID dépendent de l’« économie bleue » (les activités économiques marines et liées à la pêche pour subsister) pour s’approvisionner en nourriture : un secteur fortement menacé par le changement climatique. Les femmes sont également confrontées à l’insécurité alimentaire en tant que cheffes de famille, en raison de certaines normes sociales et culturelles. Par exemple, dans certains PEID, il existe la croyance que la présence de femmes à proximité des bateaux de pêche porte malheur, excluant les femmes des activités rémunérées[16]Jenkins, O., & Brown, G. (2023). Women’s economic empowerment in the blue economy in Small Island Developing States. In … Continue reading. Les normes sociales découlent souvent des lois et, dans les PEID des Caraïbes, de nombreuses lois portant atteinte à l’égalité entre les genres sont encore en vigueur, notamment en Haïti. Ainsi, les femmes haïtiennes ne disposent pas des mêmes droits à la propriété que les hommes, ce qui constitue un obstacle pour les femmes qui travaillent dans l’agriculture[17]Jenkins, O., & Brown, G. (2023). Women’s economic empowerment in the blue economy in Small Island Developing States. In … Continue reading.

Des normes culturelles au travail agricole non rémunéré en passant par les lois portant atteinte à l’égalité entre les genres, les facteurs décrits ci-dessus mettent en lumière l’importance d’intégrer la dimension de genre dans les politiques relatives au changement climatique et à l’agriculture dans les PEID du monde entier. Les femmes continueront à souffrir d’insécurité alimentaire et de malnutrition si les gouvernements ne prennent pas des dispositions pour créer et instaurer des politiques centrées sur les problématiques de genre dans divers secteurs économiques. Aussi, le Programme des Nations Unies pour le développement (PNUD) a présenté en 2022 une approche en trois axes pour la prise en compte de la dimension de genre dans les politiques climatiques des PEID[18]The plan was intended for all SIDS nations who wish to implement it, yet the UNDP provides data for only a few of them.. Celle-ci comprend une gouvernance efficace, des politiques intégrées et une planification inclusive. Compte tenu de la grande diversité économique, géographique et culturelle au sein des PEID, les politiques se doivent d’être parfaitement adaptées aux besoins de chaque pays. Pour lutter contre l’insécurité alimentaire, de nombreux PEID ont réussi à mettre en place des politiques centrées sur les problématiques de genre au cours des deux dernières années. C’est le cas des îles Fidji, des Tonga, du Vanuatu et des Îles Salomon qui se sont associé·es pour mettre en place un programme de résilience. Cet outil s’est avéré essentiel pour donner à la dimension de genre une place centrale dans les problématiques liées au changement climatique et dans le développement fondé sur l’analyse des risques. À Cuba, le projet Basal a mis au point des « stratégies de communication sur le changement climatique qui tiennent compte de la dimension de genre ». Né de la collaboration entre l’Environmental Agency (Agence environnementale), le Tropical Geography Institute (Institute de géographie tropicale), le ministère de la science et d’autres acteur·ices entre 2012 et 2020, ce projet sensibilise au rôle majeur que jouent les femmes dans l’agriculture locale[19]UNDP. (2022). TECHNICAL PAPER ON GENDER RESPONSIVE CLIMATE ACTIONS IN SMALL ISLAND DEVELOPING STATES (SIDS) (p. 12). … Continue reading.

Les avancées dans l’intégration de la dimension de genre dans les politiques centrées sur le changement climatique varient considérablement d’un PEID à l’autre, et ce en raison de facteurs sociopolitiques et économiques. Toutefois, les PEID se sont avérés très prometteurs dans leur volonté d’inclure des dispositions relatives à l’égalité des genres dans des politiques consciencieuses centrées sur le changement climatique. Il reste du chemin à parcourir, et il est de la plus haute importance que toute politique adoptée pour défendre l’égalité entre les genres et la protection contre l’insécurité alimentaire causée par le changement climatique bénéficie d’un soutien institutionnel pour être mise en œuvre de façon efficace.

La mondialisation et l’insécurité alimentaire dans les PEID

Bien que le changement climatique soit en grande partie responsable de l’insécurité alimentaire à laquelle sont confrontées les femmes dans les PEID, la mondialisation rapide des marchés internationaux ces 100 dernières années a également fortement réduit l’accès à des aliments nutritifs dans ces pays. La distance géographique qui sépare les PEID des grands marchés agricoles freine les exportations et favorise les importations. Dans ces îles, l’agriculture est essentiellement familiale et à faible échelle puisque le secteur agricole, dans son ensemble, se voit délaissé par les instances dirigeantes[20]FAO. (2021). POLICY BRIEF: Food security challenges and vulnerability in Small Island Developing States (SIDS).. La place de l’agriculture dans le PIB des différents PEID varie, mais elle se situe entre 1,9 % pour Antigua-et-Barbuda, 11,8 % pour Sao Tomé-et-Principe et 22,3 % pour la Dominique[21]CIA. (2022). Countries – The World Factbook. Www.cia.gov. https://www.cia.gov/the-world-factbook/countries/..

L’insécurité alimentaire se manifeste de façons très diverses, outre la sous-nutrition déjà mentionnée. L’un des principaux défis auxquels les habitant·es et les femmes des PEID sont confronté·es est l’obésité, qui touche les femmes plus que les hommes. Dans les PEID des Caraïbes, 33 % des adultes sont en situation d’obésité, avec deux fois plus de femmes obèses que d’hommes. Ces pays se distinguent par des taux d’obésité et de maladies non transmissibles (MNT) les plus élevés au monde. L’obésité s’accompagne d’une multitude de complications sanitaires. C’est en particulier dû au fait que les taux d’obésité dans les PEID sont liés à des carences en micronutriments essentiels[22]Massa, I. (2021). Food security challenges and vulnerability in Small Island Developing States. United Nations.. Les PEID sont qualifiés de déserts alimentaires à cause du manque d’accès à des aliments sains et riches en nutriments : les femmes n’ont essentiellement accès qu’à des aliments importés et fortement transformés. Les femmes sont les premières touchées car elles sont généralement chargées de nourrir les membres de leur foyer et sont susceptibles de les privilégier à leur détriment. Les carences en micronutriments et les maladies graves dues à une mauvaise alimentation touchent particulièrement les femmes en âge de procréer, augmentant ainsi le risque de mortalité et altérant la qualité de vie[23]Massa, I. (2021). Food security challenges and vulnerability in Small Island Developing States. United Nations..

Au cours des trois dernières décennies, en raison de la diminution des prix des importations, les habitudes alimentaires dans les PEID ont radicalement changé et se sont tournées vers la consommation d’aliments riches en graisses saturées, en sucre ajouté et en sodium, et en particulier vers les aliments transformés et ultra-transformés[24]Hickey, G. M., & Unwin, N. (2020). Addressing the triple burden of malnutrition in the time of COVID-19 and climate change in Small Island Developing States: what role for improved local food … Continue reading. Pour ce qui est des PEID du Pacifique, les femmes et les enfants sont particulièrement vulnérables aux facteurs de risques relatifs aux MNT[25]These include diabetes, anemia, obesity, digestive issues, cardiovascular diseases, and mortality. liés à la malnutrition, tels que la mortalité maternelle. La situation est particulièrement préoccupante pour les femmes qui vivent sous le seuil de pauvreté et/ou dans les zones rurales, où l’accès aux services de santé et à une alimentation saine peut se révéler plus complexe[26]FAO. 2021. Poverty, malnutrition and food security in Pacific Small Island Developing States. Bangkok.. Par ailleurs, la prévalence des MNT chez les femmes entraîne des répercussions extrêmement négatives sur la promotion de l’égalité entre les genres pour les femmes et les filles. Comme mentionné précédemment, dans de nombreux PEID, on attend des femmes qu’elles soient les principales responsables des soins prodigués, indépendamment de leur état de santé. Cette situation fait porter aux femmes la charge supplémentaire du travail domestique et réduit leurs possibilités de poursuivre des activités économiques, académiques ou productives[27]Massa, I. (2021). Food security challenges and vulnerability in Small Island Developing States. United Nations..

La situation économique des importations et des exportations de produits alimentaires dans les PEID des Caraïbes est similaire. Par exemple, Haïti, un pays très instable, importe au moins 60 % de ses produits alimentaires. Haïti est également l’un des pays les plus vulnérables à la hausse des prix des denrées alimentaires en raison des conditions d’ajustement structurel fixées par les prêts du Fonds monétaire international (FMI). Il est alors moins cher d’acheter des produits agricoles importés des États-Unis que d’acheter certains produits locaux[28]Centre for Inclusive Growth. (2012). Food Security, Women Smallholders and Climate Change in Caribbean SIDS. https://ipcig.org/sites/default/files/pub/en/IPCPolicyResearchBrief33.pdf.. Il est intéressant de noter que Haïti affiche également l’un des taux les plus élevés de femmes impliquées dans l’agriculture rurale. Cependant, elles ne jouissent pas des mêmes droits de succession que les hommes. Les conditions locales se cumulent aux pratiques internationales d’importation et d’exportation de produits alimentaires et exposent les femmes, en particulier les femmes sous le seuil de pauvreté, aux risques d’insécurité alimentaire qui en découlent. Donner la priorité à l’agriculture dans les PEID des Caraïbes contribuerait grandement à lutter contre l’insécurité alimentaire à laquelle sont confrontées les femmes. Dans le Commonwealth de la Dominique, les villageoises cultivent la plupart des légumes et des produits locaux, mais elles restent dépendantes des importations étrangères pour des ingrédients essentiels comme la farine, puisqu’elles ne sont pas en mesure de produire ces denrées sur leurs terres. De plus, ces femmes vivant dans les zones rurales sont fortement impliquées dans l’agriculture de subsistance (agriculture pratiquée dans le but de répondre aux besoins alimentaires, et non pour le profit), alors que le pays importe environ 24 millions de dollars US de denrées alimentaires par an[29]Centre for Inclusive Growth. (2012). Food Security, Women Smallholders and Climate Change in Caribbean SIDS. https://ipcig.org/sites/default/files/pub/en/IPCPolicyResearchBrief33.pdf.. Le niveau d’investissement dans les importations de produits alimentaires ne correspond pas aux valeurs culturelles de la pêche et de l’agriculture, plus particulièrement dans les communautés les plus pauvres.  Les femmes sont ainsi exposées au risque de ne pas avoir accès à des aliments sains ou même à celui de ne pas avoir assez à manger. Si le gouvernement de la Dominique investissait une partie de ses moyens financiers dans l’agriculture locale au lieu de financer les importations, les agricultrices pourraient cultiver du blé ou d’autres denrées pour subvenir à leurs besoins et à ceux de leur famille, sans pour autant dépendre des produits alimentaires étrangers.

Les PEID sont donc confrontés à de nombreux défis lorsqu’ils essaient d’être compétitifs sur le marché international, les obligeant ainsi à importer la majorité des produits alimentaires consommés. Les barrières tarifaires et non tarifaires, les infrastructures de mauvaise qualité et les coûts logistiques élevés sont autant de freins qui empêchent les PEID de vendre leurs produits sur le marché international. Par ailleurs, les pratiques agricoles au sein de ces pays sont souvent sous-financées, en particulier lorsque la plupart du travail est effectué par les femmes. Les PEID doivent donc mettre en œuvre des politiques et des programmes pour réduire les maladies liées à la malnutrition et investir dans des politiques agricoles centrées sur l’égalité des genres afin de promouvoir la consommation de produits locaux. La responsabilité incombe aux gouvernements des PEID de restructurer les programmes agricoles au sein de leurs pays afin de soutenir les familles d’agriculteur·ices locaux·les et de soulager les femmes qui doivent concilier toutes les responsabilités relatives à leur sécurité alimentaire et celle de leur famille. Comme le propose le PNUD, la principale mesure à prendre est de renforcer l’accès des femmes aux ressources productives dans le domaine agricole. Renverser les politiques misogynes et renforcer la capacité des femmes à accéder à des crédits, à la propriété foncière et aux innovations technologiques dans le domaine de l’agriculture, permet à la fois de gagner du temps mais aussi de contribuer à l’économie et de redynamiser l’agriculture locale pour lutter contre la malnutrition[30]Habtezion, S. (2016). Gender, climate change and food security (pp. 6–8). UNDP. … Continue reading.

Dans ce contexte, les gouvernements des PEID doivent veiller à ce que les nouvelles technologies répondent aux besoins des femmes. L’introduction de certains types de culture, de machines ou de techniques d’irrigation doit être adaptée aux besoins et aux préférences des femmes, dans la mesure où elles constituent la majorité des agriculteur·ices non rémunéré·es dans les PEID[31]Habtezion, S. (2016). Gender, climate change and food security (pp. 6–8). UNDP. … Continue reading. Ces propositions sont toutes étroitement liées au principe de renforcement des réseaux de production alimentaire locaux et leurs relations avec les instances dirigeantes. Selon une étude réalisée à Saint-Vincent-et-les-Grenadines et dans les îles Fidji, le ministère de l’agriculture joue un rôle essentiel dans l’aide apportée aux agriculteur·ices sur place dans ces îles, et ce par le biais de subventions pour l’équipement agricole et l’évaluation des sols. Cependant, peu de discussions ont eu lieu à propos des politiques agricoles incluant des dispositions relatives à l’égalité entre les genres[32]Guell, C., Brown, C. R., Navunicagi, O. W., Iese, V., Badrie, N., Wairiu, M., Saint Ville, A., Unwin, N., Kiran, S., Samuels, T. A., Hambleton, I., Tukuitonga, C., Donato-Hunt, C., Kroll, F., Nugent, … Continue reading. L’intégration de la dimension de genre dans ces branches du gouvernement est la principale étape à franchir pour les PEID afin de combler le décalage entre la compréhension des besoins des femmes et les politiques gouvernementales. Par conséquent, des comités et des programmes éducatifs axés sur l’intégration de la dimension de genre doivent être mis en place pour créer un flux d’informations entre les administrations centrales et les agricultrices rurales afin de promouvoir la production alimentaire locale.

La plupart des objectifs décrits ci-dessus ont été envisagés et ont même commencé à être mis en place dans certains PEID, notamment dans le Pacifique et dans les Caraïbes. Toutefois, il faut souligner que l’éducation est le pilier fondamental de la réussite de tous ces programmes. Réformer massivement l’agriculture et les politiques sans d’abord passer par des initiatives éducatives dans les écoles, dans les entreprises locales, dans les institutions publiques, et plus particulièrement dans les zones rurales, serait un obstacle à la compréhension des raisons qui font de l’intégration de la dimension de genre dans les politiques agricoles un point primordial pour lutter contre la sécurité alimentaire dans les PEID. De plus, l’égalité entre les genres se traduit également par d’autres facteurs : notamment, la sensibilisation de la population au fait que les femmes se chargent davantage des tâches physiques et émotionnelles que leurs homologues masculins, qu’elles sont plus exposées aux risques de mortalité dus aux maladies liées à la malnutrition et qu’elles sont toujours stigmatisées dans les secteurs de la pêche et de l’agriculture.

Vers la sécurité alimentaire des femmes dans les PEID

À l’échelle mondiale, les femmes sont davantage exposées à l’insécurité alimentaire par rapport à leurs homologues masculins. Ce phénomène est d’autant plus vrai dans les petits États insulaires en développement (PEID). Ces îles sont extrêmement vulnérables au changement climatique et peinent à être compétitives sur le marché agricole international. Cette situation engendre des conditions d’insécurité alimentaire extrêmes, en particulier pour les femmes qui cumulent des facteurs de pauvreté, le statut de cheffe de famille ou qui vivent en milieu rural. La mondialisation et le changement climatique s’entremêlent et génèrent une insécurité alimentaire pour les femmes de ces pays et il importe de développer davantage d’outils pour lutter contre ce phénomène. La réforme la plus importante est l’intégration de la dimension de genre dans les politiques relatives au changement climatique et à l’agriculture, de manière à prendre en compte les expériences et les besoins des femmes dans le cadre du développement de la production alimentaire locale. Enfin, pour que toutes ces stratégies soient couronnées de succès, des initiatives éducatives individualisées doivent être mises en place pour sensibiliser aux problèmes auxquels sont confrontées les femmes dans les PEID afin de garantir la sécurité alimentaire. Lors de la 26ème Conférence des Parties (COP), le président du Tuvalu a tenu un discours immergé jusqu’aux genoux dans l’océan pour attirer l’attention de la communauté internationale sur les défis auxquels les PEID sont confrontés en matière de changement climatique. C’est pourquoi la communauté internationale doit coopérer pour aider ces nations dans leur lutte pour la sécurité alimentaire et l’égalité entre les genres.

 

 

Pour citer cet article : Ilona Barrero (2023), « Comment le changement climatique et la mondialisation ont aggravé l’insécurité alimentaire des femmes dans les petits Etats insulaires en développement (PEID) », traduit par Héloïse Gaud-Morel, Institut du Genre en Géopolitique. https://igg-geo.org/?p=19071

Les propos contenus dans cet article n’engagent que l’autrice.

References

References
1 Antigua and Barbuda, Bahamas, Barbados, Belize, Cabo Verde, Comoros, Cuba, Dominica, Dominican Republic, Fiji, Federated States of Micronesia, Grenada, Guinea-Bissau, Guyana, Haïti, Jamaica, Kiribati, Maldives, Marshall Islands, Mauritius, Nauru, Palau, Papua New Guinea, Saint Kitts and Nevis, Saint Lucia, Saint Vincent and the Grenadines, Samoa, São Tomé and Príncipe, Seychelles, Singapore, Solomon Islands, Suriname, Timor-Leste, Tonga, Trinidad and Tobago, Tuvalu, Vanuatu.
2 United Nations. (n.d.). About Small Island Developing States | Office of the High Representative for the Least Developed Countries, Landlocked Developing Countries and Small Island Developing States. Www.un.org. https://www.un.org/ohrlls/content/about-small-island-developing-states#:~:text=The%20three%20geographical%20regions%20in
3 United Nations. (n.d.). About Small Island Developing States | Office of the High Representative for the Least Developed Countries, Landlocked Developing Countries and Small Island Developing States. Www.un.org. https://www.un.org/ohrlls/content/about-small-island-developing-states#:~:text=The%20three%20geographical%20regions%20in
4, 10, 13, 26 FAO. 2021. Poverty, malnutrition and food security in Pacific Small Island Developing States. Bangkok.
5 United Nations. (2011). The World’s Food Supply is Made Insecure by Climate Change. United Nations. https://www.un.org/en/academic-impact/worlds-food-supply-made-insecure-climate-change.
6 IPCC. (2019). Chapter 5 — Special Report on Climate Change and Land. Ipcc.ch; Special Report on Climate Change and Land. https://www.ipcc.ch/srccl/chapter/chapter-5/.
7 World Food Program USA. (n.d.). Gender Inequality is Causing More Women to Suffer from Hunger. World Food Program USA. https://www.wfpusa.org/drivers-of-hunger/gender-inequality/.
8 World Food Program USA. (n.d.). Gender Inequality is Causing More Women to Suffer from Hunger. World Food Program USA. https://www.wfpusa.org/drivers-of-hunger/gender-inequality/.
9, 20 FAO. (2021). POLICY BRIEF: Food security challenges and vulnerability in Small Island Developing States (SIDS).
11 Caribbean Community Climate Change Centre. (2013, October 29). Food Security, Small-scale Women Farmers and Climate Change in Caribbean SIDS. Caribbean Community Climate Change Centre (CCCCC). https://www.caribbeanclimate.bz/blog/2013/10/29/food-security-small-scale-women-farmers-and-climate-change-in-caribbean-sids/.
12 FAO. 2021. Poverty, malnutrition and food security in Pacific Small Island Developing States. Bangkok.
14 FAO. (2021). POLICY BRIEF: Food security challenges and vulnerability in Small Island Developing States (SIDS).
15, 28 Centre for Inclusive Growth. (2012). Food Security, Women Smallholders and Climate Change in Caribbean SIDS. https://ipcig.org/sites/default/files/pub/en/IPCPolicyResearchBrief33.pdf.
16 Jenkins, O., & Brown, G. (2023). Women’s economic empowerment in the blue economy in Small Island Developing States. In https://www.sddirect.org.uk/sites/default/files/2023-03/QUERY-73-WEE-in-blue-economy-in-SIDS.pdf.UKAid.
17 Jenkins, O., & Brown, G. (2023). Women’s economic empowerment in the blue economy in Small Island Developing States. In https://www.sddirect.org.uk/sites/default/files/2023-03/QUERY-73-WEE-in-blue-economy-in-SIDS.pdf.UKAid.
18 The plan was intended for all SIDS nations who wish to implement it, yet the UNDP provides data for only a few of them.
19 UNDP. (2022). TECHNICAL PAPER ON GENDER RESPONSIVE CLIMATE ACTIONS IN SMALL ISLAND DEVELOPING STATES (SIDS) (p. 12). https://www.undp.org/sites/g/files/zskgke326/files/2022-05/undp-rblac-AOSIS-Technical_Paper_on-Gender-Responsive-Climate-Actions-in-SIDS-Final-for-Publication.pdf.
21 CIA. (2022). Countries – The World Factbook. Www.cia.gov. https://www.cia.gov/the-world-factbook/countries/.
22, 23, 27 Massa, I. (2021). Food security challenges and vulnerability in Small Island Developing States. United Nations.
24 Hickey, G. M., & Unwin, N. (2020). Addressing the triple burden of malnutrition in the time of COVID-19 and climate change in Small Island Developing States: what role for improved local food production? Food Security. https://doi.org/10.1007/s12571-020-01066-3.
25 These include diabetes, anemia, obesity, digestive issues, cardiovascular diseases, and mortality.
29 Centre for Inclusive Growth. (2012). Food Security, Women Smallholders and Climate Change in Caribbean SIDS. https://ipcig.org/sites/default/files/pub/en/IPCPolicyResearchBrief33.pdf.
30 Habtezion, S. (2016). Gender, climate change and food security (pp. 6–8). UNDP. https://www.undp.org/sites/g/files/zskgke326/files/publications/UNDP%20Gender,%20CC%20and%20Food%20Security%20Policy%20Brief%203-WEB.pdf.
31 Habtezion, S. (2016). Gender, climate change and food security (pp. 6–8). UNDP. https://www.undp.org/sites/g/files/zskgke326/files/publications/UNDP%20Gender,%20CC%20and%20Food%20Security%20Policy%20Brief%203-WEB.pdf.
32 Guell, C., Brown, C. R., Navunicagi, O. W., Iese, V., Badrie, N., Wairiu, M., Saint Ville, A., Unwin, N., Kiran, S., Samuels, T. A., Hambleton, I., Tukuitonga, C., Donato-Hunt, C., Kroll, F., Nugent, R., Forouhi, N. G., & Benjamin-Neelon, S. (2022). Perspectives on strengthening local food systems in Small Island.