L’Indonésie, entre conservatismes et progressismes : quelle place pour les féministes ?

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07/10/2024

Olivia Scheire

Le 14 février 2024, l’actuel ministre de la Défense Prabowo Subianto sort victorieux au premier tour des élections présidentielles indonésiennes. 96 millions d’électeurs (c’est-à-dire que 60% de l’électorat indonésien s’est rendu aux urnes) ont voté en faveur du leader du parti de la grande Indonésie – aussi connu sous le nom de Gerindra – qui a fait campagne sur un agenda politique nationaliste et populiste, prenant la suite de la rhétorique du président sortant, Joko Widodo (surnommé Jokowi). Ancien militaire et gendre du dictateur Suharto (1965-1998), le président élu est accusé d’avoir commis des crimes contre l’humanité au Timor oriental et en Papouasie en 1998 alors que des manifestations contre le dictateur Suharto éclatent. Cependant, en quelques semaines le président élu, dont l’investiture est prévue pour le 20 Octobre prochain, a réussi à se construire une nouvelle image de « bon père de famille » proche de la population dont il écouterait les besoins, notamment économiques.

Cette victoire montre que les divisions politiques du pays sont toujours d’actualité et que la page dictatoriale n’a pas été totalement tournée. Le « Nouvel Ordre » instauré par Suharto pourrait potentiellement prendre un second tournant. Le dictateur avait développé le pays économiquement, ceci au détriment des libertés et du multipartisme en orchestrant une purge sanglante des communistes[1]Miller, S. (2018). Zombie anti-communism? Democratization and the demons of Suharto-era politics in contemporary Indonesia. The Indonesian genocide of 1965: Causes, dynamics and legacies, 287-310.. Cette dictature qui fut aussi un temps de diabolisation des féministes en les associant aux communistes[2]Wieringa, S. E. (2000). Communism and women’s same-sex practises in post-Suharto Indonesia. Culture, Health & Sexuality2(4), 441–457. https://doi.org/10.1080/13691050050174440, a donc découragé de nombreuses femmes de s’engager politiquement. Dans l’Indonésie post-Suharto (après 1998), les droits politiques deviennent plus souples et les organisations de la société civile se développent, autant par leur nombre que par les thématiques abordées. Les mouvements féministes prennent donc de plus en plus d’ampleur dans l’espace public, se plaçant comme porte-paroles des femmes indonésiennes et de leurs problématiques quotidiennes. 

Cependant, ces nouvelles revendications font face à un conservatisme grandissant, provenant des inquiétudes des dirigeants de l’Etat et du monde religieux islamiste qui est moteur dans le rejet des valeurs humanistes. Les enjeux identitaires sont de plus en plus importants au sein des débats politiques, cela s’est notamment remarqué lors de l’élection présidentielle de 2019 où la religion de chaque candidat était une question prédominante d’orientation de vote. Jowoki qui était sorti vainqueur du scrutin contre Prabowo Subianto avait alors remporté la majorité des provinces non musulmanes de Java alors que son adversaire avait quant à lui gagné les votes des provinces conservatrices, à savoir parties occidentale et méridionale de l’île de Sumatra, l’ouest de Java et les petites îles de la Sonde orientale.

La montée du conservatisme religieux est depuis des décennies le corollaire de la hausse du conservatisme politique, rejetant les valeurs humanistes défendues par les organismes de la société civile, ONG et mouvement minoritaires. Après avoir pris le pouvoir en 1967, le général Suharto a essayé d’unifier le pays autour du concept de Pancasila en célébrant « l’unité dans la diversité » et ce, en maintenant la sécularisation du régime. Au tournant des années 1970 apparait toutefois une résistance du monde musulman à cette division entre sphère politique et religieuse, qui se matérialise lors des élections de 1971 avec un vote communautaire islamique en faveur d’un islam politique. C’est alors la porte d’entrée à la contestation de la politique de Suharto organisée autour de groupes universitaires conservateurs musulmans, décriant la corruption du dirigeant et proposant une idéologie religieuse comme unique solution. Alors que la menace était devenue trop importante, Suharto introduit une loi en 1978 pour interdire les activités relevant de l’islam politique sur les campus des universités[3]Defense of the Student Movement Documents from the Recent Trials. (1979). Indonesia, 27, 1–32. https://doi.org/10.2307/3350813. Une période de stagnation, voire de décroissance pour le conservatisme islamique s’étend jusque dans les années 2000, avant l’introduction d’une nouvelle politique de décentralisation[4]Bennet, R. (2010). Decentralizing authority after Suharto: Indonesia’s big bang, 1998-2010. Innovations Jor SuccesssJul Societies. Princeton University, 1-11. qui donne alors plus d’autonomie aux provinces à majorité conservatrice et musulmane. Grace à ce nouveau degré d’autonomie, les provinces de Aceh et Sumatra de l’Ouest ont reçu l’autorisation parlementaire de mettre en place un régime juridique relevant de l’Islam politique, appelé aussi « Sharia », forçant alors les autres minorités religieuses de la région à pratiquer l’Islam.

Ce regain du conservatisme islamique a joué un grand rôle dans les élections récentes et l’on pourrait penser qu’il ferme la porte aux femmes pour laisser un jeu politique exclusivement masculin, fait pour et par les hommes. Bien au contraire, ces conclusions sont à nuancer par la participation grandissante des femmes lors de l’élection de 2019, en tant que militantes mais aussi candidates aux élections législatives. Au parlement, les femmes sont 20.9% à avoir été élues en 2019, contre seulement 8.8% en 1999. Cette représentation est-elle ici une réelle avancée pour les droits des femmes ? La nouvelle participation féminine est en réalité moins féministe qu’il n’y parait, c’est un nouveau défi pour l’égalité[5]White, S., Warburton, E., Pramashavira, Hendrawan, A., & Aspinall, E. (2023). Voting against Women: Political Patriarchy, Islam, and Representation in Indonesia. Politics & Gender, 1–31.. Outre les barrières monétaires, de reconnaissance et autres discriminations auxquelles font face les candidates, la plupart des militantes sont engagées en réalité dans le champ politique et font campagne pour les ultraconservateurs, prenant la parole contre ce qu’elles pensent être une « nouvelle crise de la moralité » au sein de la société – à savoir, les revendications féministes d’une partie de la société civile.

L’enjeu pour les féministes est donc de convaincre une population sur des questions hautement politiques, qui touchent à la fois à des thématiques de vivre ensemble mais également chacun.e dans leurs valeurs les plus intimes et aussi liées à leur foi. A l’aune des élections de 2024, dans quelle mesure l’opposition entre conservateur.ice.s et progressistes peut-elle faire vivre un débat démocratique ? Quelle place les féministes occupent-elles dans une société de plus en plus polarisée ? Quelles ripostes reste-t-il pour les féministes indonésiennes face à la montée en puissance des conservatismes politiques ? Le progressisme que les féministes proposent semble aller à l’encontre des intérêts des conservateurs à l’égard de la population indonésienne. On assiste donc à un choc des mondes militants au sein d’une société civile divisée entre rhétorique passéiste et moderne mais où le traditionalisme semble gagner peu à peu.

Des récits antiféministes divisent le pays et jouent le jeu de l’agenda politique conservateur

Le projet de loi contre les violences sexuelles et son instrumentalisation politique traditionnaliste en est le point de départ. L’enquête sur les violences à l’égard des femmes en Indonésie (2016)[6]Key Findings of 2016 VAW (Violence Against Women) Survey in Indonesia by the United Nations Population Fund … Continue reading a montré que 1 femme sur 3 entre 15-64 ans déclare avoir subi des violences physiques ou sexuelles dans leur vie, commises par leur partenaire ou non. Cela vient faire échos aux données de l’instance indonésienne, la Commission sur la violence à l’égard des femmes, qui fait le lourd constat de l’augmentation de 74% du nombre de cas de violences à l’encontre des femmes entre 2016 et 2017. Ce pourcentage est ici à interpréter précautionneusement : cela ne signifie pas forcément que les violences ont augmenté significativement mais plus que les langues se délient au niveau de ces sujets, permettant aux victimes de prendre la parole et de briser le silence dans lequel elles sont souvent cantonnées. Cela est donc vu comme une vraie victoire féministe (et une des premières à un tel niveau) lorsque « Jokowi », Joko Widodo, a amnistié Baiq Nuril qui était alors emprisonnée pour avoir dénoncé un cas de harcèlement sexuel. Après un manque de réponses gouvernementales vis-à-vis de ces chiffres, l’Indonésie a adopté en avril 2022 une loi contre les violences sexuelles, ce qui permet désormais de protéger les victimes légalement[7]Liko, A. M., Nasamputu, M. C., Meti, M. N., & Widiartana, G. (2023). Sexual violence in Indonesian law number 12 of 2022: Viewed from the concept of radical Feminism. International Journal of … Continue reading. Cette loi définit neuf formes de violence comme violences sexuelles, comprenant la torture sexuelle, le mariage forcé, le cyber harcèlement sexuel ou encore le harcèlement sexuel physique et non physique. Ce projet de loi élaboré par la Commission nationale pour l’éradication de la violence contre les femmes (Kommas Perempuan, créée en 1998) a été l’objet de débat parlementaire à l’Assemblée depuis 2016, donnant alors l’occasion aux islamo-conservateurs de répandre de fausses informations à l’approche de la campagne électorale de 2019 et semer le trouble parmi les électeurs. Cheval de bataille du très conservateur Parti de la justice et de la prospérité (PKS), l’opposition à cette loi est aussi une opposition à ce qui lui est sous-jacent, à savoir ici la notion de consentement dans toute relation sexuelle, comprenant les relations homosexuelles qui seraient alors reconnues implicitement dans le cadre légal. 

La campagne de désinformation est organisée par le groupe conservateur féminin Family Love Alliance (AILA), fondée par des organisations islamistes et dont les membres du conseil d’administration sont exclusivement des femmes, à l’exception de Bachtiar Nasir (important dirigeant salafiste) occupant un poste de conseiller. Les fake news s’enchaînent, allant jusqu’à la création d’un faux projet de loi qui prétend que la loi veut interdire le port du voile pour les femmes musulmanes et que des contraceptifs distribués aux jeunes seraient alors financés par le gouvernement[8]Sya’rani, A. R. (2023). Muslim Women Against Feminism: The Family Love Alliance (Aliansi Cinta Keluarga) and Its Impact on Women’s and Sexual Rights in Contemporary Indonesia. TRaNS: Trans … Continue reading. Le discours de l’AILA reprend une rhétorique qui provoque une réticence identitaire et profondément intime à la loi de 2022 et aux valeurs progressistes qu’elle porte, dans une population indonésienne à 86% musulmane. 

L’AILA est d’autant plus influente qu’elle axe sa communication sur un double argumentaire, à la fois persuasif (touchant aux émotions directes des destinataires) et académique avec l’appui d’intellectuels influents qui agissent alors comme argument d’autorité dans le débat. Ce projet de loi et l’opposition qui lui est faite est la porte ouverte à la campagne des conservateur.trice.s, notamment sur les plateformes numériques. Sur les réseaux sociaux, comptes, tweets, vidéos et autres contenus circulent pour faire valoir un message anti féministe promouvant le retour à un rôle traditionnel des femmes.

La question religieuse indonésienne est donc vectrice de traditionalisme tout en utilisant de nouveaux outils de diffusion. Le nouveau mouvement très conservateur et islamique l’Hijrah (hégire en français, qui renvoie aux sens de migration, changement…) et son utilisation des réseaux sociaux en est l’exemple. Depuis 2014, le mouvement s’est vite développé à travers le pays pour encourager les musulman.e.s à changer de mode de vie et à se conformer à une vie plus pieuse. Ce phénomène a été organisé principalement par des groupes extrémistes, dont l’organisation Hizbut Tahrir Indonesia (HTI) qui vient d’une scission avec les Frères musulmans[9]Rijal, S. (2022). The origins of Hizbut Tahrir Indonesia: Global and local interactions. Islamic Studies Review1(1), 110-127. et qui a été interdite en Indonésie par Joko Widodo en 2017. L’avènement d’un tel mouvement a été rendu possible à la fin du mandat de Suharto en rejetant les idées démocratiques et de l’Etat-nation pour instaurer une société plus juste, unifiée par un Califat[10]Burhanuddin Muhtadi (2009), in a journal article entitled “The Quest for Hizb ut-Tahrir in Indonesia”. C’est un mouvement assez disparate avec un nombre « d’adhérent.e.s » imprécis et des figures dirigeantes peu définies mais qui suscite beaucoup d’approbation au sein de la société civile, notamment avec le soutien de nombreuses célébrités qui permettent de toucher un public plus large et plus jeune. Le prosélytisme est encore une fois organisé de manière méthodique[11]Kibtiah, T. M., & Putri, M. R. (2021). The Existence of Hizbut Tahrir Indonesia: Strategies for Engaging in Indonesian Politics. Indonesian Journal of Political Research (IJPR)2, 93-108., à la fois physiquement (avec des séminaires, des conférences ou encore la publication de livres) mais aussi en ligne sur les médias digitaux en utilisant les codes du développement personnel pour devenir une « meilleure version de soi-même ». 

Devenant alors un relais politique, le mouvement Hijrah joue un rôle clé dans l’élection du gouverneur de Jakarta en 2017 qui cristallise le vote autour de la question identitaire. Le mouvement devient alors un vrai atout politique et la mobilisation de masse se fait dans la rue et sur Internet avec l’hashtag #MuslimvoteMuslim[12]Juliansyahzen, M. I. (2023). Ideologization of Hijrah in Social Media: Digital Activism, Religious Commodification, and Conservative Domination. Millah: Journal of Religious Studies, 155-180.. C’est dans ce mouvement que se développent et se relaient des messages antiféministes mais diffusés principalement par des femmes elles-mêmes. Le mouvement « Indonesia without feminism »[13]Maryani, E., Janitra, P. A., & Ratmita, R. A. (2021). @Indonesiatanpafeminis.id as a Challenge of Feminist Movement in Virtual Space. Frontiers in sociology, 6, 668840. … Continue reading (connu sous le nom « Indonesia Tanpa Feminis ») voit le jour et gagne des milliers d’abonnés sur Instagram en militant pour un retour plus global à un rôle traditionnel des femmes, sans féminisme (#UnistallFeminism). 

Les nouveaux outils numériques utilisés par les ultras conservateurs ne se font pas au détriment d’autres pratiques qui font du lien entre les militant.e.s. Les Majelis Taklim, notamment, sont des cercles d’études islamiques quasiment exclusivement investis par des femmes, prenant la forme de regroupements religieux informels non mixtes dans des espaces publics locaux. Développés à travers le pays, autant dans les plus grandes villes que dans les communautés rurales, ces lieux sont devenus pour les participantes un moyen de discuter de sujets religieux mais aussi quotidiens, tout en ouvrant leur spiritualité avec d’autres croyantes venant de différents milieux sociaux. Pas toujours politiques, ces groupes restent une institution de socialisation pour les femmes et permettent l’expression commune d’une identité religieuse locale qui peut donc ensuite s’identifier plus facilement à des mouvements nationaux dont les valeurs sont, elles, plus conservatrices que celles défendues par le mouvement qui s’est auto-nommé l’Hijrah.

Les réponses des mondes féministes 

Les discours identitaires et conservateurs se sont multipliés pendant les élections de 2019, ce que les nouvelles narrations féministes ont essayé de freiner. Cependant, la pluralité des mouvements en fait sa complexité à le saisir : un ou des féminismes indonésiens ?

Utiliser le terme « féminisme » en Indonésie, comme dans toute l’Asie en général, est assez controversé. C’est une terminologie venant d’occident et dont certains mouvements et figures ne se reconnaissent pas, préférant l’usage de « mouvement des femmes », « feminologie » ou encore « women’s studies »[14]Arivia, G., & Subono, N. I. (2017). A hundred Years of Feminism in Indonesia. An Analysis of Actors, Debates and Strategies. Friedrich-Ebert-Stiftung, Jakarta: fes, Country study.. Certain.e.s penseur.e.s conviennent toutefois qu’il est pertinent de qualifier ces mouvements de féministes tant que ceux-ci « analysent le problème des femmes » et « agissent pour s’opposer aux discriminations qu’elles subissent »[15]Blackburn, S. (2010). Feminism and the women’s movement in the world’s largest Islamic nation. In Women’s Movements in Asia (pp. 31-43). Routledge.

Les idées féministes étaient déjà présentes lors de la colonisation hollandaise avec quelques figures qui portaient des voix autres que le discours dominant, mais c’est après l’indépendance (le 17 août 1945) que les organisations se structurent et grandissent réellement. Avec ses revendications politiques que l’on considère souvent comme socialistes, l’organisation GERWANI (Indonesian Women’s Movement) fondée en 1950 a été l’une des principales, regroupant jusqu’à 1.5 million de membres au début des années 1960. Proche idéologiquement du parti communiste indonésien, GERWANI est par la suite dissout par les forces armées en 1965 sous les ordres du général Suharto qui chasse toute organisation de gauche proche du peuple. C’est après le Nouvel Ordre que se développent davantage les mouvements féministes au sein des universités et des organisations non gouvernementales.

Comme la société indonésienne, les mouvements féministes sont empreints de diversité tant dans leur appartenance politique, religieuse ou thématique. Ainsi, certains se concentrent davantage sur les droits reproductifs, d’autres sur les droits des personnes LGBT+ ou encore l’égalité dans le monde du travail. De manière globale, les théories féministes indonésiennes s’inscrivent dans un mouvement international, expliquant pourquoi et comment les femmes sont oppressées, tout en structurant la lutte et en donnant de réelles clés pour refuser la subordination. 4000 personnes ont participé en 2019 à la marche féministe de Jakarta, notamment pour soutenir la loi contre les violences sexuelles qui était encore discutée à l’Assemblée. Cette loi a donc ouvert la voie à l’opposition des conservateurs et à une hausse du discours masculiniste dans l’espace public mais cela a aussi permis aux mouvements féministes de s’organiser en soutenant une cause précise (à savoir la loi) tout en faisant face à des adversaires clairs. Avec une revendication matérielle, les féministes indonésiennes, bien que de différentes appartenances politiques, tendent à gommer leur différence idéologique pour faire front face au conservatisme. L’engagement dans l’espace public passe par la rue mais aussi par le monde digital dans lequel l’utilisation des réseaux sociaux comme plateforme pour contrer les messages misogynes et de désinformation est un atout important. Les féministes les plus mobilisées sont jeunes, éduquées et connectées sur les réseaux sociaux, porte ouverte aux différents mouvements internationaux. Les conservateurs utilisent les médias sociaux pour diffuser leurs messages, les féministes indonésiennes utilisent elles aussi ces moyens digitaux pour contrer le discours identitaires et antiféministes. 

Le mouvement féministe musulman indonésien, regroupé par plusieurs organisations comme Alimat ou Fahmina, a un réseau assez large de membres à travers le pays qui militent en faveur de (ou du moins soutiennent) la justice entre les sexes[16]Kartika, D. A. (2019). Indonésie: les féministes face à l’agenda politique conservateur1. Asie: des pouvoirs et des luttes26, 123.. Les féministes musulmanes indonésiennes utilisent donc des sources théologiques pour justifier et expliquer le combat en faveur de l’égalité des genres en réinterprétant les sources islamiques[17]Anwar, Etin. 2018. A Genealogy of Islamic Feminism: Pattern and Change in Indonesia. Islamic Studies Series 28. London and New York: Routledge, Taylor & Francis Group.CrossRefGoogle Scholar. Cela s’inscrit dans un mouvement plus global de féminisme musulman dont les principaux travaux (notamment de Fatima Mernissi[18]

Mernissi, F. (1983). Beyond the Veil: Male-Female Dynamics in Muslim Society. 1975, Rept.
, Riffat Hassan[19]Hassan, R. (1994). Women’s interpretation of Islam. Women and Islam in Muslim Society, The Hague: Ministry of Foreign Affairs. ou encore Asghar Ali Engineer) ont été traduit en indonésien à la fin du XXème siècle et sont devenus alors plus accessibles. Dans les années 2010, c’est l’amélioration de l’accès à internet qui permet aux féministes musulmanes de diffuser plus facilement leurs idées par les médias sociaux ou sur des sites directement[20]Nurmila, N. (2021). The spread of Muslim feminist ideas in Indonesia: before and after the digital era. Al-Jami’ah: Journal of Islamic Studies59(1), 97-126.. Ce mouvement féministe et musulman a obtenu une grande avancée à ce sujet, en regroupant 2 000 oulémas au sein du « Congrès des femmes oulémas d’Indonésie » à Java Ouest qui a abouti à la condamnation formelle des violences sexuelles, du mariage infantile et de la dégradation de l’environnement. Cette réunion, tout comme le mouvement féministe musulman dans son ensemble, est crucial pour montrer qu’un discours mêlant genre et islam n’est pas uniquement réservé au champ des conservateurs et peut aussi être construit par les personnes qui en sont concernées.

Quels futurs pour les féministes indonésiennes ? 

Les féministes indonésiennes rallient peu en comparaison à ce que les conservateurs galvanisent autour d’eux. Le féminisme indonésien est donc toujours perçu par une grande partie de la population comme « la guerre des sexes », ne parvenant pas à diffuser son message initial. Le féminisme indonésien est fait actuellement par des femmes issues des classes urbaines moyennes et supérieures, ayant notamment accès à une éducation poussée et occidentalisée. Leurs discours peuvent donc parfois paraître hors sol par rapport à la réalité quotidienne. Pour que ce mouvement prenne plus d’ampleur, il est nécessaire de décentrer le discours féministe vers des problématiques locales touchant une majorité des femmes indonésiennes, pour que celles-ci saisissent l’enjeu et l’importance de le soutenir.

 

Les propos contenus dans cet article n’engagent que l’autrice. 

Pour citer cet article : SCHEIRE, Olivia, « L’Indonésie, entre conservatismes et progressismes : quelles places pour les féministes ? », Institut du Genre en Géopolitique, 2024, https://igg-geo.org/2024/10/07/lindonesie-entre-conservatismes-et-progressismes-quelle-place-pour-les/ 

References

References
1 Miller, S. (2018). Zombie anti-communism? Democratization and the demons of Suharto-era politics in contemporary Indonesia. The Indonesian genocide of 1965: Causes, dynamics and legacies, 287-310.
2 Wieringa, S. E. (2000). Communism and women’s same-sex practises in post-Suharto Indonesia. Culture, Health & Sexuality2(4), 441–457. https://doi.org/10.1080/13691050050174440
3 Defense of the Student Movement Documents from the Recent Trials. (1979). Indonesia, 27, 1–32. https://doi.org/10.2307/3350813
4 Bennet, R. (2010). Decentralizing authority after Suharto: Indonesia’s big bang, 1998-2010. Innovations Jor SuccesssJul Societies. Princeton University, 1-11.
5 White, S., Warburton, E., Pramashavira, Hendrawan, A., & Aspinall, E. (2023). Voting against Women: Political Patriarchy, Islam, and Representation in Indonesia. Politics & Gender, 1–31.
6 Key Findings of 2016 VAW (Violence Against Women) Survey in Indonesia by the United Nations Population Fund https://indonesia.unfpa.org/sites/default/files/pubpdf/2016_SPHPN_%28VAW_Survey%29_Key_Findings1_0.pdf
7 Liko, A. M., Nasamputu, M. C., Meti, M. N., & Widiartana, G. (2023). Sexual violence in Indonesian law number 12 of 2022: Viewed from the concept of radical Feminism. International Journal of Social Science and Humanities6(2).
8 Sya’rani, A. R. (2023). Muslim Women Against Feminism: The Family Love Alliance (Aliansi Cinta Keluarga) and Its Impact on Women’s and Sexual Rights in Contemporary Indonesia. TRaNS: Trans -Regional and -National Studies of Southeast Asia, 1–17. doi:10.1017/trn.2023.6
9 Rijal, S. (2022). The origins of Hizbut Tahrir Indonesia: Global and local interactions. Islamic Studies Review1(1), 110-127.
10 Burhanuddin Muhtadi (2009), in a journal article entitled “The Quest for Hizb ut-Tahrir in Indonesia”
11 Kibtiah, T. M., & Putri, M. R. (2021). The Existence of Hizbut Tahrir Indonesia: Strategies for Engaging in Indonesian Politics. Indonesian Journal of Political Research (IJPR)2, 93-108.
12 Juliansyahzen, M. I. (2023). Ideologization of Hijrah in Social Media: Digital Activism, Religious Commodification, and Conservative Domination. Millah: Journal of Religious Studies, 155-180.
13

Maryani, E., Janitra, P. A., & Ratmita, R. A. (2021). @Indonesiatanpafeminis.id as a Challenge of Feminist Movement in Virtual Space. Frontiers in sociology6, 668840. https://doi.org/10.3389/fsoc.2021.668840

14 Arivia, G., & Subono, N. I. (2017). A hundred Years of Feminism in Indonesia. An Analysis of Actors, Debates and Strategies. Friedrich-Ebert-Stiftung, Jakarta: fes, Country study.
15 Blackburn, S. (2010). Feminism and the women’s movement in the world’s largest Islamic nation. In Women’s Movements in Asia (pp. 31-43). Routledge.
16 Kartika, D. A. (2019). Indonésie: les féministes face à l’agenda politique conservateur1. Asie: des pouvoirs et des luttes26, 123.
17 Anwar, Etin. 2018. A Genealogy of Islamic Feminism: Pattern and Change in Indonesia. Islamic Studies Series 28. London and New York: Routledge, Taylor & Francis Group.CrossRefGoogle Scholar
18

Mernissi, F. (1983). Beyond the Veil: Male-Female Dynamics in Muslim Society. 1975, Rept.

19 Hassan, R. (1994). Women’s interpretation of Islam. Women and Islam in Muslim Society, The Hague: Ministry of Foreign Affairs.
20 Nurmila, N. (2021). The spread of Muslim feminist ideas in Indonesia: before and after the digital era. Al-Jami’ah: Journal of Islamic Studies59(1), 97-126.