01/11/2024
Maya Bodet Pavy
À la lumière de la première partie de ce dossier, il est pertinent d’analyser les solutions apportées, soit les politiques migratoires environnementales latinoaméricaines, puis de questionner leur inclusivité en termes de genre, leur pertinence dans un contexte politique régional tumultueux, ainsi que leur efficacité à l’échelle nationale, en étudiant certaines politiques étrangères féministes. Toutefois, une dimension inclusive qu’il est nécessaire de présenter dans cet article concerne les populations rurales et autochtones en Amérique Latine, représentant des stratégies de résilience alternatives, fondées sur des savoir-faire traditionnels et comprenant des femmes dans la réflexion de ces dernières : étant alors inclusives et intersectionnelles.
Les mesures proposées : des actions au cœur du problème
Dans certains cas, pour certaines populations affectées, et lorsqu’elle est gérée de manière adéquate et soutenue par des politiques de développement robustes, la migration peut être une réponse stratégique et efficace aux défis posés par le changement climatique. C’est ce qu’affirme une étude de la Banque Mondiale, qui encourage la création de programmes visant à soutenir ce choix de prendre la route et à établir de véritables plans de développement nationaux – l’objectif étant aussi d’orienter les personnes qui migrent vers des zones où de bonnes conditions de vie seront garanties.
Certains pays latinoaméricains ont déjà mis en place des politiques migratoires au profit des migrant∙es, comme le Brésil qui en 2023, suite à l’élection de Lula, a intégré le Pacte mondial pour des migrations sûres, ordonnées et régulières, qui accorde une certaine importance aux mouvements de populations dus à des risques climatiques. C’est le cas aussi du Pérou, pour pallier les impacts négatifs du dérèglement climatique, qui continue de travailler ses politiques de réinstallation planifiée pour protéger ses déplacé∙es internes, surtout depuis que l’état d’urgence a été déclaré en 2023 suite aux désastres du cyclone Yaku. S’ajoute à cela le Costa Rica, qui semble être un des pays latinoaméricains les plus engagés en termes de politiques globales sur les migrations dues au changement climatique, en ayant adhéré au pacte mondial sur les réfugiés, ou encore, à la Plateforme sur les déplacements liés aux désastres. Ce pays d’Amérique centrale fait aussi partie intégrante de l’organisation régionale qu’est la Conférence Régionale sur la Migration (CRM), un instrument politique latinoaméricain qui œuvre pour la protection des migrant∙es climatiques.
Cependant, selon l’OIM, les politiques à mettre en place doivent être inclusives et prendre en considération les sexospécificités pour être efficaces. À ce sujet, pour répondre aux « catastrophes qui touchent les femmes et les filles de manière disproportionnée en raison de leur statut inférieur et pour des raisons très pratiques », Malini Mehra, avec l’aide de l’UNDR, le Bureau des Nations Unies pour la réduction des risques et catastrophes, a créé une campagne intitulée « Teach a Girl to Swim ». Ce projet donne aux jeunes filles une chance de survivre en cas de catastrophe naturelle. Malini Mehra anime désormais des classes de natation de survie qui se tiennent notamment dans des écoles. L’importance d’inclure les femmes dans les politiques de prévention de risques naturels a été soulignée maintes fois et commence à être appliquée car les mesures établies en ce sens semblent être efficaces, mais aussi pour veiller à ce que ces nouvelles politiques de prévention soient inclusives en termes de genre, et afin de promouvoir le leadership des femmes dans ces dernières. Les femmes concernées deviennent de ce fait tant actrices dans la conception que bénéficiaires de ces mesures environnementales inclusives.
C’est particulièrement le cas d’ONU Femmes, qui encourage la participation de femmes et filles migrantes à la réflexion de politiques migratoires inclusives qui défendent les droits humains et l’égalité des genres. Toute une réflexion approfondie est menée dans cet organisme de l’ONU à ce sujet, afin de pouvoir élaborer de nouvelles politiques et manières de prendre en compte les vulnérabilités spécifiques des femmes et filles lors du processus migratoire, vulnérabilités qui sont exacerbées par la crise climatique. De plus, une alliance a été conjointement créée entre ONU Femmes et l’UNHCR en 2023, afin d’œuvrer pour la protection des femmes et filles migrantes, réfugié∙es comme déplacé∙es internes. Ce partenariat promet une réflexion sur des programmes de réponses humanitaires et des politiques migratoires incluant spécifiquement le genre, et visant à réduire les discriminations et protéger les femmes migrantes. S’ajoute à ces exemples le Programme de Résilience des Femmes aux Catastrophes (ou en anglais, Women’s Resilience to Disasters Programme), dont l’objectif est : « de rendre la vie et les moyens de subsistance des femmes et des filles résilientes aux catastrophes, y compris celles liées au climat et aux pandémies, afin de contribuer à la réduction de la pauvreté, de contribuer à la création de communautés durables, sûres et prospères ».
D’autres projets permettant d’agir contre les conséquences genrées du dérèglement climatique en Amérique latine se sont mis en place récemment, tel que le Réseau des femmes d’Amérique latine et des Caraïbes (ACL) pour la Réduction des Risques de Catastrophes, qui s’est développé en 2021. Ce réseau a été initié par des actions conjointes d’aide au développement d’organisations intergouvernementales, soit par les bureaux régionaux d’ONU Femmes, de l’UNDRR, et du Réseau mondial des organisations de la société civile pour la prévention des catastrophes (GNDR). Ainsi, l’ACL regroupe près de 700 femmes de chaque pays latinoaméricain et caraïbéen qui se sont engagées dans ce réseau, et ont échangé des idées pour réfléchir ensemble, avec une perspective de genre, à la prévention des risques naturels dévastateurs de la région. Un des objectifs de l’ACL est également d’évoquer les pistes de coopération nationale et régionale, dirigées par et mettant l’accent sur les femmes. Pour illustrer la participation active et efficace des femmes dans ces mesures de prévention, nous pouvons citer l’initiative locale de femmes guatémaltèques qui, à la suite de l’éruption du Volcan de Feu au Guatemala en 2018, se sont organisées afin d’apporter du soutien et des secours nécessaires à la protection des femmes et des filles ayant perdu leurs foyers dans l’éruption volcanique. Cela inclut la distribution de kits d’hygiène intime aux résidentes des refuges, fournis par ONU Femmes, ainsi que la mise en place d’espaces sécurisés pour garantir la protection et les soins appropriés aux femmes et filles affectées par l’éruption.
En tout état de cause, avec le développement de politiques nationales, des coopérations établies entre organisations intergouvernementales, gouvernements locaux et des initiatives de la société civile, l’Amérique latine bénéficie d’actions en faveur des réfugié∙es climatiques. Cependant, ces politiques migratoires et de prévention des risques climatiques présentent des limites dans certains cas et régions spécifiques. En réalité, elles peuvent s’avérer parfois inefficaces au vu de la réalité du problème immédiat à résoudre, et des réalités politiques nationales qui peuvent se heurter à la conception et au bon déroulement de ces programmes, donc des contrastes sont à étudier.
Un compromis entre aspirations et défis : Limites de ces politiques migratoires et environnementales
Dans le cadre d’un contexte politique latinoaméricain tumultueux, marqué tant par les divergences d’opinions entre pays voisins que par l’alternance de présidences aux orientations diamétralement opposées, la mise en place de politiques migratoires et environnementales s’est révélée parfois particulièrement difficile. Au-delà des actions de l’ONU et autres organisations internationales, il reste à s’interroger sur les nouvelles dynamiques politiques latinoaméricaines qui peuvent potentiellement bouleverser, de manière positive comme négative, ce qui a été préalablement mis en place pour lutter contre les conséquences genrées du dérèglement climatique. Par exemple, l’élection de Javier Milei en Argentine à la fin de l’année 2023 remet en cause ces mesures, considéré comme un chef d’Etat d’extrême droite, misogyne et fermement opposé à l’avortement, rejetant toutes informations concernant le réchauffement climatique, étant climatosceptique, convaincu que le dérèglement climatique se réduit à un cycle sans aucune répercussion sur l’activité humaine. Alors que l’élection de Claudia Sheinbaum au Mexique en 2024 nous permet d’imaginer que des politiques d’adaptation climatique pourraient davantage être établies dans cette région, la nouvelle présidente de gauche est engagée dans la lutte contre les violences faites aux femmes, et a été membre du GIEC.
Cela étant, certaines politiques d’adaptation actuelles en Amérique latine ne sont guère pertinentes, voire insuffisantes, et sont particulièrement discriminatoires selon le genre, par exemple lors d’une demande de visa, comme cela a été exposé ci-dessus, ou encore ne prennent pas en compte certains enjeux cruciaux tel que l’augmentation du nombre de réfugié∙es climatiques dans certaines régions. Par exemple, en 2021 le Chili a introduit de nouvelles réformes restrictives sur l’immigration, qui compliquent désormais l’obtention de permis de séjour, et autorisent le renvoi de migrant∙es sans papiers alors qu’il est particulièrement difficile pour les réfugié∙es climatiques de répondre à ces attentes dans la mesure où le plus souvent, ils⋅elles ont perdu leurs biens et documents suite à un désastre naturel. De plus, certains pays latinoaméricains aspirent à une coopération multilatérale régionale pour une meilleure gestion de la crise migratoire et environnementale. Cette coopération est perçue comme une véritable solution d’adaptation face aux enjeux de cette crise qui touche particulièrement l’Amérique latine. Et faisons observer, comme mentionné ci-dessus, que c’est spécialement le cas du Brésil et du Costa Rica.
Si l’OIM promeut des politiques d’adaptation inclusives qui prennent en compte le genre, certaines politiques étrangères féministes de pays latinoaméricaines adressent aussi spécifiquement ces enjeux, ce qui est particulièrement novateur et important. Toutefois, leur cohérence est à discuter. Prenons l’exemple du Chili, selon le rapport « Pérenniser l’effort pour l’égalité : tout savoir sur la politique étrangère féministe », publié par l’Institut du Genre en Géopolitique : en 2022, Antonia Urrejola, ancienne ministre chilienne des Affaires étrangères, a annoncé que le Chili adoptait une politique étrangère féministe. Le Chili a été ainsi un des tout premiers pays d’Amérique latine à promouvoir une politique étrangère féministe. Les successeurs d’Antonia Urrejola sous le gouvernement de Gabriel Boric ont confirmé cette déclaration d’intention en implantant des mesures pour encourager l’égalité des genres. Conscient de l’intersection des enjeux de genre et de climat, le Chili a présidé en 2020 la conférence régionale sur les femmes en Amérique latine et dans les Caraïbes (ALC), en abordant les sujets que sont le changement climatique et le genre. Carolina Schmidt, ministre chilienne de l’Environnement et présidente de la COP25, a souligné lors de cette conférence l’importance d’une participation équitable et active des femmes dans les processus décisionnels de programmes de prévention climatique, et a même déclaré : « Quand des femmes dirigent des transformations, des communautés entières en bénéficient ». Pourtant, bien que la politique étrangère féministe chilienne aspire à coopérer avec ses voisins latinoaméricains, notamment pour mettre en place des stratégies multilatérales inclusives, il semblerait que le pays n’ait pas pris position quant à la hausse des discours intolérants, notamment ceux antiféministes régionaux, tel que celui du nouveau président argentin Javier Milei. Ceci pourrait alors freiner la volonté chilienne de coopération multilatérale, et donc la mise en place de politiques d’adaptation migratoires et environnementales liées au genre dans cette région du monde.
De plus, en Colombie, la vice-ministre des Affaires étrangères, Elizabeth Taylor Jay, a affirmé l’adoption d’une politique étrangère féministe, notamment dans l’optique de promouvoir une justice environnementale. En 2023, lors du forum du bicentenaire Colombie-Chili, une discussion sur le genre et la lutte contre le changement climatique a été évoquée. Suite à ce forum, il a été décidé que les deux gouvernements collaboreraient sur différents domaines, tels que la transition énergétique et l’adaptation au climat, l’inclusion sociale, et qu’ils renforceraient leur relation bilatérale vis-à-vis de leur propre politique étrangère féministe. Cependant, la Colombie reste timide sur la scène internationale, et semble ne pas oser employer le terme « féministe » pour évoquer ses politiques étrangères ayant une perspective de genre. Laura Gil, l’ancienne ministre colombienne chargée des affaires multilatérales, a déclaré ne pas vouloir une politique étrangère féministe «clichée » et a déclaré : « le féminisme continue d’être considéré comme un gros mot et nous ne pouvons pas continuer ainsi ». Donc un paradoxe se dresse entre les aspirations et les actions de la politique étrangère féministe colombienne, qui une nouvelle fois freine grandement l’avancée de la réflexion sur des politiques d’adaptation régionales.
Donc, malgré des efforts en termes de réflexion sur le genre, et la volonté individuelle de certain∙es responsables politiques des pays latinoaméricains à travailler conjointement pour œuvrer pour des solutions d’adaptation migratoires et environnementales inclusives, nous pouvons affirmer que des failles existent. Ceci tant par l’incohérence des politiques étrangères féministes, qui reposent sur des causes variées, que des stratégies d’adaptation insuffisantes, ou encore par le climat politique divisé de plusieurs pays d’Amérique latine. Alors, à quelles conditions cela serait–il envisageable de parvenir à une solution efficace, viable et inclusive, pour les personnes victimes ou qui sont menacées par des risques climatiques et leurs enjeux ? Il semblerait que de l’espoir est permis en prenant en compte des mesures réfléchies par des populations autochtones et rurales, se trouvant en première ligne des conséquences du dérèglement climatique, notamment par l’intégration des savoir-faire des femmes rurales et autochtones, soit de manière inclusive et intersectionnelle.
Les populations rurales et autochtones : entre vulnérabilité et solutions d’adaptation reposant sur les savoirs traditionnels
Les zones rurales et reculées d’Amérique latine sont particulièrement impactées par les risques du dérèglement climatique. Sont ainsi menacés les moyens de subsistance traditionnels et donc, les conditions de vie des populations rurales et autochtones, ce qui a rendu vulnérables certaines régions d’un point de vue économique, social et environnemental. Pour illustrer ce phénomène, nous pouvons à nouveau citer en exemple le Corridor Sec : selon l’Organisation des Nations Unies pour l’Alimentation et l’Agriculture, le Corridor Sec connaît une importante pauvreté rurale : 82% de la population en ce qui concerne le Honduras, 77% au Guatemala, ou encore 49% au Salvador. Dans les faits, les peuples autochtones sont disproportionnellement affectés par les risques climatiques et ce, pour plusieurs raisons : ils constituent les communautés les plus pauvres, dépendent des ressources naturelles renouvelables, vivent dans des régions particulièrement exposées au changement climatique, et manquent souvent de reconnaissance et de soutien institutionnel. C’est pourquoi ils∙elles sont parfois contraint∙es de migrer. À cela s’ajoute que des inégalités de genre s’entremêlent à ces facteurs de risque. Alors que les femmes autochtones et rurales contribuent au bon fonctionnement de la communauté d’un point de vue économique, social et culturel, elles subissent souvent des discriminations liées à leur genre, telles que des violences sexistes et le risque d’exclusion sociale. En raison des pratiques discriminatoires qui entraînent la marginalisation de certaines populations déplacées dans des quartiers à risque élevé, et du fait que les peuples autochtones sont souvent exclus des processus décisionnels et privés d’accès à l’éducation, aux soins de santé, ainsi qu’aux informations sur les programmes d’assistance et de secours, les femmes autochtones et rurales sont particulièrement exposées et vulnérables aux impacts des crises. À titre d’exemple, les ouragans Eta et Iota qui se sont déroulés en Amérique centrale en 2020, ont mis l’accent sur plusieurs enjeux genrés des conséquences climatiques en zones rurales ; notamment, l’impossibilité d’accès à l’information, au système d’alerte, mais aussi l’absence de protection au lendemain d’une catastrophe naturelle. Cela contribue à expliquer que les désastres naturels et autres conséquences climatiques entraînent des migrations forcées des peuples autochtones, qui sont manifestement vouées à s’intensifier au vu de l’accélération permanente du phénomène climatique.
Bien que la migration soit une stratégie d’adaptation, comme évoqué ci-dessus, elle impose des conséquences dramatiques sur ces communautés provenant de zones reculées. Ces conséquences sont visibles aux niveaux de la détérioration des conditions de vie, de l’aggravation de la pauvreté, mais aussi de de la perte du savoir et des compétences traditionnelles, car ces connaissances ne sont pas reconnues dans certaines zones développées. D’autre part, le mépris envers ces cultures résulte en un poids de remise en question de l’identité culturelle de ces populations. Les données quantitatives recueillies par l’Organisation des Nations Unies pour l’Alimentation et l’Agriculture révèlent que la situation au Corridor Sec et les conséquences climatiques qui impactent cette région ont engendré un taux significatif de migration d’origine rurale : pour le Honduras, on compte 68% de migrant∙es d’origine rurale, au Guatemala 61%, et au Salvador 45%. Dans la majorité des cas, l’insécurité alimentaire est la principale raison de quitter son habitat, dans ces pays déjà touchés par la famine et la sous-nutrition.
La Cordillère des Andes est également une région significativement concernée par ces enjeux. Les peuples autochtones de la région andine sont particulièrement touchés par les menaces pesant sur leurs moyens de subsistance, et leur migration entraîne des conséquences sur leur identité. De fait, ils∙elles assistent à l’accélération de la destruction des ressources naturelles, à la raréfaction de l’eau et à la propagation de maladies affectant plantes et animaux. L’insécurité alimentaire prédomine dans cette région, entraînant un exode rural massif. Les populations autochtones se voient alors contraintes de s’installer dans des quartiers défavorisés en milieu urbain. Par exemple, en Bolivie, outre des populations autochtones travaillant temporairement dans des régions comme Yungas ou la ville de La Paz, une grande partie des jeunes autochtones a déjà quitté la région, ce qui accentue le dépeuplement et conduit à la perte des savoirs traditionnels et de l’identité culturelle. En outre, l’émergence de projets industriels dans les régions de certaines populations rurales et autochtones mène à leur migration forcée et participent à l’accélération du dérèglement climatique. C’est spécifiquement le cas dans la partie orientale de l’Amazonie colombienne, où un grand nombre de personnes se font exclure de force de leur habitat, pour permettre à des entreprises de mener à bien leur projet de déforestation, ou encore de culture de produits illégaux. Cette violence politique a entraîné d’autant plus de migrations forcées de zones colombiennes enclavées, motivées par le fait d’échapper aux insécurités grandissantes dans leur région. Bien que des accords nationaux veillant à protéger un nombre de zones naturelles indigènes ont été mis en place, l’État colombien se retrouve avec un pouvoir limité quant à ce sujet, au profit d’acteurs industriels importants dans cette partie de la Colombie.
Par ailleurs, une étude récente du BIT sur le salaire minimum dans dix pays en développement a révélé que : « les travailleurs issus de communautés autochtones risquaient plus que d’autres de pâtir du non-respect de la législation en la matière et que parmi eux, les femmes étaient encore plus désavantagées ». Il est important d’étudier la fragilité des femmes autochtones et rurales dans le processus migratoire, qui vivent trois formes de vulnérabilités différentes : en tant que femmes, en tant qu’étrangères et en tant que personnes d’origine rurale. Aussi est-il particulièrement difficile pour les femmes rurales de partir reconstruire leur vie ailleurs, car la migration impose des ressources, qu’elles n’ont souvent pas, étant les plus démunies des zones rurales. Pour les femmes rurales vivant dans des zones très reculées et isolées, un autre facteur est l’impossibilité d’avoir accès à des papiers officiels d’identité, pourtant essentiels pour s’installer dans d’autres zones rurales ou urbaines, voire dans un autre pays. Cependant, lorsque certains peuples autochtones et ruraux se retrouvent dans l’impossibilité de migrer, soit ils∙elles se retrouvent face à des réels murs qui bloquent l’entrée ou le maintien dans un processus de résilience, soit ils∙elles sont soutenu∙es, s’organisent, et mettent en place des actions visant à répondre de façon viable et inclusive aux conséquences du dérèglement climatique sur leurs terres.
Selon un rapport du BIT de Genève sur les peuples autochtones et les changements climatiques, étant victimes d’injustice, les peuples autochtones sont souvent exclus des processus décisionnels et de réflexion sur le climat, alors qu’ils∙elles sont les plus touchés∙es par ses conséquences. Le manque de prise en compte de la participation de ces personnes marginalisées dans des stratégies d’adaptation aux changements climatiques ouvre la possibilité de créer des politiques allant à l’encontre de leurs droits et accentuant leur vulnérabilité. Il s’avère donc essentiel de considérer les peuples autochtones dans ces réflexions et plans d’adaptation, notamment grâce à leurs savoir-faire traditionnels. Cela permet également de conserver ces savoirs, pour une meilleure inclusivité et efficacité de mise en œuvre. Les populations locales deviennent donc, selon le rapport, « des partenaires et des agents de changement indispensables pour une action climatique efficace, un développement durable et une croissance verte ». En guise d’illustration, selon une étude de l’Union Internationale pour la Conservation de la Nature (UICN), parmi plusieurs méthodes d’adaptation traditionnelles et innovantes, se trouve par exemple un renforcement de techniques agricoles protégeant des bassins d’eaux souterraines et en surfaces. Ces savoir-faire ancestraux ont déjà fait leur preuve en s’adaptant aux conséquences climatiques, en favorisant une agriculture plus durable et en contribuant à réduire les émissions liées à la déforestation.
De plus, des programmes contribuant à la protection sociale des populations autochtones et répondant à des objectifs environnementaux existent, tel que le programme brésilien de la Bolsa Verde, qui offre la possibilité de diminuer la pauvreté tout en protégeant les forêts. Les familles participantes reçoivent une contribution financière sur un temps donné en échange de leur engagement à mener des actions écologiques pour protéger les ressources naturelles. Afin de remédier à l’inégalité de genre et ses conséquences au sein des peuples autochtones, les femmes sont encouragées à faire partie des processus décisionnels et à la mise en place de ce type de programme. Par exemple, selon une étude du BIT au Pérou, les femmes indigènes péruviennes rencontrent des obstacles sur le marché du travail, notamment pour accéder à des financements, ce qui freine le développement d’activités commerciales artisanales, ainsi que la fluidité de l’économie locale. Alors, certaines femmes latinoaméricaines s’organisent pour trouver des solutions d’adaptation aux conséquences climatiques viables et inclusives. À titre d’exemple, les femmes indigènes équatoriennes dans l’écosystème du Páramo, situé dans la cordillère des Andes, mènent des projets d’agriculture durable pour remédier aux conséquences climatiques qui menacent grandement leurs moyens de subsistance. Cela leur permet de prendre part aux processus décisionnels dans leurs communautés autochtones, et de promouvoir l’égalité de genre dans des politiques environnementales. Plusieurs femmes de la province en question, celle d’Azuay, se regroupent fréquemment pour discuter et partager leurs savoir-faire et expériences concernant la gestion de leurs terres et richesses naturelles. Compte tenu des résultats obtenus grâce à ces initiatives, inclure les populations autochtones et rurales dans les stratégies d’adaptation au dérèglement climatique semble être nécessaire pour répondre au mieux à ces conséquences, et pour ne pas exclure davantage et entraver les droits des personnes les plus vulnérables à celles-ci.
Face à l’épreuve climatique, un regard vers les savoir-faire locaux pour une réponse inclusive
Au-delà des violences de genre particulièrement présentes en Amérique latine, les femmes de cette région vivent une double contrainte en étant impactées de manière disproportionnée par les conséquences du dérèglement climatique. Ces conséquences climatiques genrées affectent la sécurité et la santé des femmes latinoaméricaines, qu’il s’agisse de l’augmentation des violences sexistes et sexuelles, ou encore en impactant considérablement le domaine de l’agriculture, en faisant souffrir d’insécurité alimentaire et économique les femmes de cette région.
Ces facteurs, comme la destruction de son habitat voire de sa région dans son entièreté, motivent le choix de prendre la route, et ainsi de devenir réfugié∙e climatique. La décision peut être immédiate, comme progressive, exacerbée par une crise sociale et politique nationale, en plus des conséquences climatiques. Toujours est-il que devenir réfugié∙e climatique s’impose parfois comme seule solution d’adaptation. Toutefois, des sexospécificités de la migration sont à prendre en compte, surtout concernant les routes migratoires genrées, telles que les migrations internes, ou encore les couloirs de migration de main d’œuvre, impactant la destination finale des femmes migrantes ainsi que leur intégration sur un nouveau territoire.
Cependant, des politiques spécifiques doivent être encadrées de manière à protéger les différents parcours migratoires, ainsi que les conditions de vie des migrant∙es. Il s’agit d’une autre stratégie d’adaptation face aux conséquences genrées du réchauffement climatique. Pourtant, pour être efficaces ces mesures doivent être inclusives, alors intégrer les femmes dans la réflexion et l’établissement de celles-ci est nécessaire, démontré par certains exemples latinoaméricains féministes. Or, malgré ces efforts en termes de genre, certaines politiques migratoires et environnementales sont contrastées dans leur pertinence et leur efficacité, à cause de politiques gouvernementales pouvant être hostiles à celles-ci, et les freiner dans leur mise en place.
Alors, comme stratégie d’adaptation alternative, il a été évoqué celles concernant les populations rurales et autochtones. Bien que ces peuples se retrouvent en première ligne face aux conséquences du dérèglement climatique, ils∙elles se retrouvent trop souvent évincé∙es des processus décisionnels de mesures environnementales. Alors qu’ils∙elles sont vouées, dans certaines régions, à vivre des migrations forcées, peu de mesures sont mises en place pour les protéger, et les aider à s’adapter dans un nouveau territoire. Donc, l’intégration de ces populations et de leurs savoir-faire traditionnels dans de nouvelles mesures environnementales semblerait s’avérer efficace, viable et même inclusive. C’est notamment le cas lorsque ces stratégies sont pensées et mises en place par des femmes rurales et autochtones.
A présent, il serait intéressant de s’interroger davantage sur les luttes écoféministes déployées en Amérique latine, qui conçoivent que les racines des luttes féministes et écologiques s’entremêlent, puisqu’elles subissent l’oppression du même adversaire. Il existe plusieurs mouvements de lutte contre le réchauffement climatique qui prennent en compte cette corrélation, et qui sont menés par des femmes paysannes et autochtones, tels que les collectif Caleidoscopo en Uruguay, ou encore Gaïa au Venezuela. Puis, ce sont dans les années 1990 que l’écoféminisme a commencé à se faire connaître véritablement en Amérique latine, du moins l’appellation et ses théories, notamment avec les travaux de la mexicaine Elsa Thamez, ou encore la chilienne Mary Judith Ress, qui sont à consulter pour une meilleure compréhension des pratiques écoféministes de la région latinoaméricaine.
Les propos contenus dans cet article n’engagent que l’autrice.
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Pour citer cet article: Maya Bodet Pavy, “Initiatives locales, migrations et résiliences face à l’épreuve climatique: quels enjeux pour les femmes latinoaméricaines? (2/2)”, 01.11.2024, Institut du Genre en Géopolitique, https://igg-geo.org/?p=20473