Féminisme sous surveillance : entre modernisation autoritaire et répression des féministes contestataires en Arabie saoudite

Temps de lecture : 13 minutes

12/10/2025

Elisa Campon

Introduction

Du 10 au 21 mars 2025 s’est tenue la 69e Commission onusienne sur la condition de la femme, présidée par l’Arabie saoudite. Cette nomination a suscité un nombre important de réactions au sein de la communauté internationale, certains soulignant le positionnement ambigu endossé par Riyad. En effet, malgré son rôle de président de la Commission, l’Arabie saoudite occupe la 131e place sur 146 pays classés en terme d’écart de droits entre hommes et femmes par le Forum économique mondial de Davos.[1]Polémique. L’Arabie saoudite à la tête de la Commission de l’ONU pour les droits des femmes. (2024, mars 29). Courrier international. … Continue reading Le pays essaye de redorer son image, notamment en s’affichant comme acteur de l’amélioration de la condition des femmes saoudiennes, dans le but de s’intégrer davantage aux échanges politiques, économiques et diplomatiques à l’international. Cependant, on peut s’interroger sur la véracité de la transformation de la société saoudienne, tant les contraintes qui pèsent sur les femmes restent omniprésentes.

Les Saoudiennes sont placées, dès leur naissance, et pour toute leur vie, sous l’autorité d’un gardien masculin – leur « mahram », souvent leur père ou leur mari. L’aval de ce gardien est indispensable pour qu’elles puissent travailler, se marier, ou avoir accès à des soins médicaux, eux-mêmes uniquement prodigués par des femmes. Néanmoins, ces dernières années ont été marquées par la promulgation de plusieurs lois en faveur d’une autonomisation des femmes, à l’image de la levée de l’interdiction de conduire tous types de véhicules. Ces réformes ont des effets concrets sur la société saoudienne, permettant notamment une augmentation du nombre de femmes ayant accès au marché du travail. Cette dynamique, portée par le roi Salmane et son fils héritier, et également premier ministre depuis septembre 2022, Mohammed Ben Salmane s’inscrit dans un objectif politique précis : « Vision 2030 », un projet de modernisation et de diversification économique du pays.[2]« Vision 2030 » est un projet de développement de l’Arabie saoudite afin de faire du pays une nation incontournable à la croisée de l’Europe, de l’Afrique et de l’Asie. Ce plan ambitieux … Continue reading Il s’agit pour l’Arabie saoudite de sortir de la dépendance aux revenus pétroliers, qui représentent entre 20 et 30 % de son PIB[3]World Bank Open Data. (s. d.). World Bank Open Data. Consulté 6 septembre 2025, à l’adresse https://data.worldbank.org annuel (entre 2016 et 2021), en favorisant les investissements étrangers et l’implantation d’autres secteurs d’activités, tels que le tourisme. Dans ce contexte, l’élargissement des droits des femmes représente une opportunité de transformer l’image du pays à l’international, mais il permet aussi aux Saoudiennes de travailler et de consommer, et donc de stimuler l’économie nationale. L’État porte alors un discours « féministe » opportuniste qu’il met en place par une démarche top-down, hiérarchiquement descendante et peu démocratique. En effet, les activistes féministes saoudien⸱nes ne sont pas intégré⸱es au processus et sont même toujours sévèrement réprimé⸱es et accusé⸱es de promouvoir des idéaux occidentaux, incompatibles avec l’identité nationale saoudienne. Alors, une opposition conceptuelle est mise en place entre, d’une part, les féministes acceptées, celles qui défendent la doctrine de l’État et qui revendiquent surtout des droits économiques pour participer à l’essor du pays, et d’autre part, les féministes réprimées qui demandent aussi des droits politiques et qui se positionnent souvent en critique du régime saoudien. Les féministes institutionnalisées sont mises en avant dans les médias et servent de vitrine pour la modernisation en cours de l’Arabie saoudite. A l’inverse, les féministes contestataires sont invisibilisées dans l’espace public où elles subissent pression, harcèlement et censure. 

Malgré une vitrine féministe et la volonté de se rapprocher des Etats occidentaux, la répression des mouvements féministes s’inscrivant à revers du pouvoir sévit toujours. Il s’agira, dans cet article, de comprendre comment l’Arabie saoudite instrumentalise un « féminisme d’État », outil de légitimation du régime par des réformes symboliques, qui masque un backlash et une répression des mouvements féministes contestataires.

Des réformes en faveur des droits des femmes : une opportunité pour favoriser l’ouverture sur le monde et pour renforcer l’économie nationale

            Depuis le début des années 2010, on assiste à une accélération de la promulgation de droits supplémentaires pour les Saoudiennes, en partie grâce aux révoltes du Printemps arabe qui ont eu lieu dans les Etats voisins[4]Yémen, Oman, Bahreïn et Jordanie, par exemple.. Ainsi, en 2011, les femmes obtiennent l’autorisation de voter et de se présenter aux élections municipales sous le règne du roi Abdallah[5]Arabie : Le roi accorde le droit de vote aux femmes. (2011, septembre 25). Le Figaro. … Continue reading. En 2015, son successeur, le roi Salmane, autorise les Saoudiennes à quitter le territoire sans avoir besoin de la permission de leur gardien masculin auquel chaque femme est attachée. Deux ans plus tard, le roi mettait fin à l’interdiction de conduire pour les femmes, interdiction que le royaume saoudien était le seul au monde à pratiquer[6]Cortes, A. (2018, janvier 18). Sous les promesses de modernisation, l’Arabie saoudite plus répressive que jamais envers les femmes. … Continue reading. D’autres réformes voient ensuite le jour, comme la délivrance d’un passeport pour les Saoudiennes sur simple demande, ou bien l’accès aux terrains de sport pour les femmes en tant que spectatrices et en tant qu’athlètes.

            Pour autant, bien qu’elles constituent des avancées vers plus d’autonomie pour les femmes, ces réformes s’inscrivent aussi dans une perspective de modernisation et d’amélioration de l’image du pays. Ainsi, elles font partie d’une stratégie de soft power[7]Concept du géopolitologue américain Joseph Nye, utilisé en relations internationales, pour désigner la capacité d’un acteur politique à exercer son influence de manière indirecte et non … Continue reading et permettent de présenter l’Arabie saoudite sous un jour plus favorable auprès de ses futurs partenaires commerciaux occidentaux. Comme l’analyse le chercheur David Rigoulet-Roze, la monarchie saoudienne tente de lisser son image pour redevenir un acteur central des échanges internationaux, après plusieurs scandales liés aux droits humains, comme l’assassinat du journaliste Jamal Kashoggi en 2018[8]Le soft power saoudien, comment ça marche ? (2023, juin 16). 20 Minutes. https://www.20minutes.fr/monde/4041393-20230616-entre-soft-power-emancipation-strategie-arabie-saoudite-porte-fruits. Le projet Vision 2030 prévoit ainsi, non seulement une diversification économique pour sortir de la dépendance à la rente pétrolière et se tourner vers des énergies renouvelables, mais aussi une ouverture culturelle pour favoriser, par exemple, le développement du tourisme et les investissements étrangers.

            Par ailleurs, la baisse du prix du pétrole entre 2014 et 2016 a agi comme un révélateur de la faiblesse de l’économie saoudienne, presque exclusivement dépendante de son activité extractive. Alors que la plupart des Saoudiennes ne travaillent pas, le seul revenu masculin ne semble plus suffisant à long terme pour subvenir aux besoins du foyer. Les travaux de la chercheuse Luiza Cerioli montrent alors que les réformes, notamment celles pour permettre aux femmes de conduire, sont en fait un moyen de réorganiser la société et l’économie nationale en favorisant l’accès au marché du travail pour les Saoudiennes[9]Center for Near and Middle Eastern Studies (CNMS), Philipps-Universität Marburg, Alemanha, & Cerioli, L. (2019). Driving in the middle of the road : Paradoxes of women’s role under the New … Continue reading. L’objectif affiché est ainsi de passer de 17 % de femmes actives en 2017 à 25 % en 2020. Selon l’Autorité générale des statistiques d’Arabie saoudite, ce taux s’élèverait en décembre 2024 à 36,2 %[10]GASTAT : Le taux de participation des Saoudiennes à la population active atteint 36,2 %. (s. d.). Consulté 30 juillet 2025, à l’adresse https://spa.gov.sa/. Comme le souligne le chercheur G-F Dumont[11]Dumont, G.-F. (2019). Les femmes face aux inégalités de genre : L’exemple de l’Arabie saoudite. Les Analyses de Population & Avenir, 6(2), 1-23. https://doi.org/10.3917/lap.006.0001, il semble que les évolutions en faveur de plus d’autonomie pour les femmes soient davantage motivées par des raisons économiques et par un souci d’image vis-à-vis de l’international que par des considérations éthiques.

Un « féminisme d’Etat » saoudien, entre inertie et pouvoir normatif.

            Néanmoins, Alexandra Pomeon, responsable d’une étude menée par la Fédération internationale pour les droits humains, explique, dans un article du magazine Marianne : « Il y a eu un emballement médiatique autour de réformes symboliques. Mais au quotidien, rien n’a changé »[12]Cortes, A. (2018, janvier 18). Sous les promesses de modernisation, l’Arabie saoudite plus répressive que jamais envers les femmes. … Continue reading. Ainsi, les droits des femmes, consacrés par des décrets présidentiels, restent soumis à l’accord du gardien. Si officiellement, les Saoudiennes ont le droit de travailler, d’étudier, et de voter, leur tuteur masculin ou mahram, peut s’y opposer, ce qui est tout à fait légal[13]Dumont, G.-F. (2019). Les femmes face aux inégalités de genre : L’exemple de l’Arabie saoudite. Les Analyses de Population & Avenir, 6(2), 1-23. https://doi.org/10.3917/lap.006.0001. Dès lors, tant que le système de tutelle masculine ne sera pas remis en cause, la promulgation de nouveaux droits restera limitée dans la pratique.

            La société saoudienne se caractérise elle-même par ce qu’Eman Alhussein[14]Alhussein E. (2014). Triangle of change : The situation of women in Saudi Arabia. NOREF désigne sous le terme anglais d’« exclusiveness », traduisible en français par l’idée de particularité et d’exceptionnalité. Cette caractéristique expliquerait en partie l’inertie et la difficulté à transformer fondamentalement la condition des femmes. Selon la chercheuse, cet exceptionnalisme saoudien correspond à la perception de l’identité saoudienne comme étroitement liée à l’islam dont l’Arabie saoudite serait le lieu de naissance et de vie à travers des sites sacrés tels que La Mecque ou Médine. Dès lors, les évolutions sociales, notamment en faveur de plus d’autonomie pour les femmes, sont perçues, par une partie de la population, comme contraires à l’identité saoudienne et menaceraient donc ce particularisme national.

            En conséquence, la nouvelle place accordée aux femmes par le projet Vision 2030 pousse à la conceptualisation d’un nouvel idéal féminin saoudien, celui de femmes patriotes, fières de soutenir l’économie nationale et de participer au renouveau de la société. Nora A. Doaiji[15]Doaiji, N. A. (2018). From Hasm to Hazm: Saudi Feminism beyond Patriarchal Bargaining. Oxford University Press and Hurst & Co., 117–144. nomme ces femmes « Hazm », en référence à une mouvance nationaliste saoudienne, Hazm (signifiant « déterminant », ou « décisif », avec une connotation militaire), qui émerge avec l’intervention du pays dans la guerre au Yémen. Les femmes Hazm se caractérisaient donc par leur fidélité au régime et leur sentiment de fierté de pouvoir participer à la transformation de l’Arabie saoudite par l’émancipation économique. Ce n’est pas un mouvement contestataire : il n’est pas critique du régime, ne demande pas de droit politique, et plus largement, il ne remet pas en cause la structure patriarcale de la société. Le féminisme Hazm est donc un féminisme en phase avec l’État saoudien. Il constitue un mouvement perçu comme juste et accepté par le régime, ce qui favorise par contraste, l’exclusion et la répression des autres mouvements féministes, considérés comme trop radicaux.

            En dehors du cadre étatique, des initiatives et revendications féministes sévèrement et systématiquement réprimées.

            Le rapport d’Amnesty International de 2024[16]Arabie saoudite : La situation des droits humains. (s. d.). Amnesty International. Consulté 4 juillet 2025, à l’adresse … Continue reading concernant la situation des droits humains en Arabie saoudite exprime ses préoccupations quant à la persistance des inégalités hommes-femmes, à travers notamment la continuité du système de tutelle masculine. Human Rights Watch publiait en 2016, un rapport intitulé Boxed In (« Enfermées »)[17]Beckerle, K. (2016). Boxed In. Human Rights Watch. https://www.hrw.org/report/2016/07/17/boxed/women-and-saudi-arabias-male-guardianship-system alertant sur les conditions de vie des femmes saoudiennes contraintes à presque chaque étape de leur vie par le système de tutelle masculine. Des militantes se sont mobilisées sur les réseaux sociaux en lançant plusieurs campagnes comme le hashtag #IamMyOwnGuardian (« je suis ma propre gardienne ») pour demander son abrogation. Cependant, la mobilisation, bien que massive, avec notamment une pétition atteignant plus de 14000 signatures[18]Sidahmed, M. (2016, septembre 26). Thousands of Saudis sign petition to end male guardianship of women. The Guardian. … Continue reading, n’a pas réussi à convaincre le pouvoir de modifier sa position. Celui-ci continue de réprimer les nouvelles initiatives qui émergent régulièrement.

            Au-delà de la tutelle masculine, d’autres droits restent à obtenir, comme l’évoque G-F Dumont[19]Dumont, G.-F. (2019). Les femmes face aux inégalités de genre : L’exemple de l’Arabie saoudite. Les Analyses de Population & Avenir, 6(2), 1-23. https://doi.org/10.3917/lap.006.0001. Par exemple, le pouvoir saoudien exerce toujours un contrôle important sur les déplacements des femmes à l’étranger, craignant une émigration massive. Certains lieux publics font toujours l’objet d’une séparation selon le sexe, à l’image des parcs ou des transports en commun. Il existe par ailleurs des contraintes vestimentaires pour les femmes, comme celles de cacher intégralement leurs cheveux et de porter une tenue sombre, ample et couvrante. Enfin, G-F Dumont souligne le relativement faible écart d’espérance de vie entre hommes et femmes, par comparaison avec d’autres pays au PIB par habitant équivalent. Cet écart s’explique par un taux d’obésité féminine important, causé en partie par les contraintes associées aux activités physiques et aux déplacements des femmes, souvent cantonnées au foyer. Les Saoudiennes sont encore loin de l’égalité, d’autant plus que le régime réprime toute mobilisation en faveur des droits des femmes.

            Avec la signature par Riyad de la déclaration de consensus de Genève[20]La Déclaration de consensus de Genève : Une coalition internationale pro-vie sans précédent. (2021, janvier 13). European Centre for Law and Justice. … Continue reading sur la promotion de la santé de la femme et le renforcement de la famille, prévoyant notamment l’interdiction complète de l’avortement, le pays soutient un backlash global contre l’égalité des genres. A l’échelle nationale, les modes de répression sont systémiques et visent les militantes dont les actions ne sont pas en accord avec le régime et son projet pour les Saoudiennes. Cela passe tout d’abord par la limitation de la liberté d’expression, avec l’interdiction de critiquer les lois ou l’État sous peine de sanctions, à l’image des trois sœurs al-Otaibi, arrêtées pour des publications sur les réseaux sociaux en désaccords avec les restrictions des droits des femmes imposées par le régime[21]Levitt, T. (2024, mai 7). ‘They’ve destroyed us because of some tweets’ : Why has Saudi Arabia targeted these three sisters? The Guardian. … Continue reading. Une enquête menée par Amnesty International en 2018 avait révélée l’emploi d’outils de surveillance, comme le logiciel Pegasus, pour espionner des défenseurs des droits humains en Arabie saoudite[22]Arabie saoudite : La situation des droits humains. (s. d.). Amnesty International. Consulté 4 juillet 2025, à l’adresse … Continue reading.

              En parallèle, la justice est très sévère à l’égard des activistes féministes saoudien⸱nes. Le rapport d’Amnesty International[23]Arabie saoudite : La situation des droits humains. (s. d.). Amnesty International. Consulté 4 juillet 2025, à l’adresse … Continue reading soulève l’existence de procès inéquitables, prenant l’exemple de Manahel al-Otaibi, militante pour les droits des femmes condamnée à 11 ans de prison pour avoir affiché sur les réseaux sociaux son opposition au système de tutelle masculine. Les arrestations sont nombreuses, comme celles des militantes féministes Loujain al-Hathloul, Aziza al-Yousef et Eman al-Nafjan. Plusieurs témoignages indiquent que les prisonnières sont torturées et victimes de violences sexuelles[24]Arabie saoudite : Les militantes emprisonnées victimes d’abus sexuels. (18/11/2020). Middle East Eye édition française. Consulté 1 août 2025, à l’adresse … Continue reading.  En mai 2025, The Guardian[25]Levitt, T., & Parent, D. (2025, mai 28). Revealed : Saudi Arabia’s secretive rehabilitation ‘prisons’ for disobedient women. The Guardian. … Continue reading publiait une enquête sur les « Dar Al-Re’aya », des « maisons de soin » pour femmes. Loin d’être des établissements de santé, ce sont en réalité des lieux de détention et de torture pour les femmes jugées déviantes, c’est-à-dire ayant osé s’opposer à l’autorité de leur gardien. Elles sont alors envoyées dans ces prisons où elles subissent des actes de torture et ne peuvent en sortir qu’avec l’accord de leur tuteur. Les conditions de détention sont si difficiles que plusieurs femmes auraient tenté de mettre fin à leurs jours. Enfin, l’année 2024 a été marquée par une augmentation de 50 % du nombre de femmes exécutées par le régime saoudien, passant de 6 à 9, selon le rapport de l’European Saudi Organisation for Human Rights[26]Blood Era : A Historic Record of Executions in Saudi Arabia 2024. (2025, janvier 5). European Saudi organisation for Human Rights. Consulté le 1 août 2025, à l’adresse … Continue reading.

            Face aux contraintes, les militantes saoudiennes des droits des femmes adaptent leurs pratiques pour échapper à la répression.

              Être militant⸱es pour les droits humains en Arabie saoudite comporte ainsi de nombreux risques. La sévérité du régime se traduit ainsi par la limitation de la liberté d’expression, une justice brutale et intraitable et le recours aux sévices physiques, notamment dans les prisons et dans les « maisons de soin ». Toutes ces pratiques ont pour objectifs d’étouffer et de décourager la remise en cause de la société saoudienne qui demeure patriarcale. Face à la répression systémique, les militant⸱es des droits des femmes adaptent leurs pratiques militantes.

            Alors que des publications sur les réseaux sociaux peuvent être un motif d’arrestation en Arabie saoudite[27]Levitt, T. (2024, mai 7). ‘They’ve destroyed us because of some tweets’ : Why has Saudi Arabia targeted these three sisters? The Guardian. … Continue reading, une étude de 2022[28]Reelfs, J. H., Hohlfeld, O., & Henckell, N. (2022). Anonymous Hyperlocal Communities : What do they talk about? Companion Proceedings of the Web Conference 2022, 639-647. … Continue reading a montré que des plateformes anonymes, telles que Jodel, devenaient des lieux de discussions et d’échanges sur des sujets sensibles, tels que le harcèlement sexuel. Les actes de résistance sont ainsi plus discrets et échappent à la répression. D’autres militantes font le choix de l’exil pour continuer à faire entendre leur voix, à l’image de Manal al-Sharif, activiste saoudienne ayant notamment participé à la contestation pour obtenir le droit de conduire. Après de nombreuses pressions et plusieurs séjours en prison, elle décide de s’exiler pour poursuivre le combat de l’étranger. Elle participe alors à plusieurs événements[29]al-Sharif, M. (Réalisateur). (1371205341). A Saudi woman who dared to drive [Enregistrement vidéo]. https://www.ted.com/talks/manal_al_sharif_a_saudi_woman_who_dared_to_drive et publie un livre[30]Home. (s. d.). Consulté 2 août 2025, à l’adresse https://www.manal-alsharif.com/ afin de médiatiser la cause des Saoudiennes à l’international. Malgré la pression exercée par le pouvoir saoudien, les militantes des droits des femmes adaptent leurs pratiques pour continuer leur contestation.

Conclusion

            Pour conclure, le pouvoir saoudien s’appuie donc sur des réformes symboliques et médiatisées pour améliorer son image auprès de la communauté internationale. C’est ce que souligne la militante saoudienne des droits humains Maryam Aldossari dans un article de The Guardian, repris par Courrier International[31]“C’est un enfer” : Les terribles foyers de redressement pour femmes en Arabie saoudite. (2025, juillet 14). Courrier international. … Continue reading : « Le régime saoudien fait de femmes triées sur le volet une vitrine de sa modernité. […] C’est un spectacle soigneusement chorégraphié pour un public international. Les gros titres sur une Saoudienne grimpant sur l’Everest, pilotant un avion ou devenant astronaute […] sont destinés à éblouir des diplomates, à séduire des investisseurs et à obtenir les applaudissements des médias occidentaux. »

            Ce faisant, le régime modifie également l’organisation sociale en favorisant le travail des femmes, permettant la diversification économique dont le pays a besoin. Le pouvoir s’appuie sur le soutien d’une partie des femmes, dites Hazm, patriotes et fières de participer à la modernisation de leur nation tandis qu’il discrédite des militantes des droits des femmes en quête de davantage de droits politiques et de l’abolition du système de tutelle masculine. Ces femmes subissent alors une répression systémique et extrêmement violente qui les pousse à adapter leurs pratiques militantes, vers la clandestinité ou l’exil.

Bibliographie

Les propos contenus dans cet article n’engagent que l’autrice.

Pour citer cette production : Elisa Campon, « Féminisme sous surveillance: entre modernisation autoritaire et répression des féministes contestataires en Arabie Saoudite », Institut du Genre en Géopolitique. https://igg-geo.org/2025/10/12/feminisme-sous-surveillance-entre-modernisation-autoritaire-et-repression-des-feministes-contestataires-en-arabie-saoudite/

References

References
1 Polémique. L’Arabie saoudite à la tête de la Commission de l’ONU pour les droits des femmes. (2024, mars 29). Courrier international. https://www.courrierinternational.com/article/polemique-l-arabie-saoudite-a-la-tete-de-la-commission-de-l-onu-pour-les-droits-des-femmes
2 « Vision 2030 » est un projet de développement de l’Arabie saoudite afin de faire du pays une nation incontournable à la croisée de l’Europe, de l’Afrique et de l’Asie. Ce plan ambitieux repose sur le redressement de l’économie saoudienne avec le développement d’autres sources de revenus et la concentration d’investissements étrangers.
3 World Bank Open Data. (s. d.). World Bank Open Data. Consulté 6 septembre 2025, à l’adresse https://data.worldbank.org
4 Yémen, Oman, Bahreïn et Jordanie, par exemple.
5 Arabie : Le roi accorde le droit de vote aux femmes. (2011, septembre 25). Le Figaro. https://www.lefigaro.fr/flash-actu/2011/09/25/97001-20110925FILWWW00075-arabie-le-roi-annonce-le-droit-de-vote-aux-femmes.php
6, 12 Cortes, A. (2018, janvier 18). Sous les promesses de modernisation, l’Arabie saoudite plus répressive que jamais envers les femmes. https://www.marianne.net/monde/sous-les-promesses-de-modernisation-l-arabie-saoudite-plus-repressive-que-jamais-envers-les
7 Concept du géopolitologue américain Joseph Nye, utilisé en relations internationales, pour désigner la capacité d’un acteur politique à exercer son influence de manière indirecte et non coercitive par, notamment, la culture, la diplomatie ou le commerce.
8 Le soft power saoudien, comment ça marche ? (2023, juin 16). 20 Minutes. https://www.20minutes.fr/monde/4041393-20230616-entre-soft-power-emancipation-strategie-arabie-saoudite-porte-fruits
9 Center for Near and Middle Eastern Studies (CNMS), Philipps-Universität Marburg, Alemanha, & Cerioli, L. (2019). Driving in the middle of the road : Paradoxes of women’s role under the New Saudi Arabian Nationalism. Ex Aequo – Revista Da Associação Portuguesa de Estudos Sobre as Mulheres, 40. https://doi.org/10.22355/exaequo.2019.40.04
10 GASTAT : Le taux de participation des Saoudiennes à la population active atteint 36,2 %. (s. d.). Consulté 30 juillet 2025, à l’adresse https://spa.gov.sa/
11, 13, 19 Dumont, G.-F. (2019). Les femmes face aux inégalités de genre : L’exemple de l’Arabie saoudite. Les Analyses de Population & Avenir, 6(2), 1-23. https://doi.org/10.3917/lap.006.0001
14 Alhussein E. (2014). Triangle of change : The situation of women in Saudi Arabia. NOREF
15 Doaiji, N. A. (2018). From Hasm to Hazm: Saudi Feminism beyond Patriarchal Bargaining. Oxford University Press and Hurst & Co., 117–144.
16, 22, 23 Arabie saoudite : La situation des droits humains. (s. d.). Amnesty International. Consulté 4 juillet 2025, à l’adresse https://www.amnesty.org/fr/location/middle-east-and-north-africa/middle-east/saudi-arabia/report-saudi-arabia/
17 Beckerle, K. (2016). Boxed In. Human Rights Watch. https://www.hrw.org/report/2016/07/17/boxed/women-and-saudi-arabias-male-guardianship-system
18 Sidahmed, M. (2016, septembre 26). Thousands of Saudis sign petition to end male guardianship of women. The Guardian. https://www.theguardian.com/world/2016/sep/26/saudi-arabia-protest-petition-end-guardianship-law-women
20 La Déclaration de consensus de Genève : Une coalition internationale pro-vie sans précédent. (2021, janvier 13). European Centre for Law and Justice. https://eclj.org/abortion/un/the-geneva-consensus-declaration-an-unprecedented-international-pro-life-coalition?lng=fr
21, 27 Levitt, T. (2024, mai 7). ‘They’ve destroyed us because of some tweets’ : Why has Saudi Arabia targeted these three sisters? The Guardian. https://www.theguardian.com/global-development/article/2024/may/07/family-three-sisters-saudi-arabia-fawzia-manahel-mariem-al-otaibi
24 Arabie saoudite : Les militantes emprisonnées victimes d’abus sexuels. (18/11/2020). Middle East Eye édition française. Consulté 1 août 2025, à l’adresse https://www.middleeasteye.net/fr/actu-et-enquetes/arabe-saoudite-militantes-prison-victimes-abus-sexuels
25 Levitt, T., & Parent, D. (2025, mai 28). Revealed : Saudi Arabia’s secretive rehabilitation ‘prisons’ for disobedient women. The Guardian. https://www.theguardian.com/global-development/2025/may/28/saudi-arabia-women-girls-rehabilitation-prisons-dar-al-reaya
26 Blood Era : A Historic Record of Executions in Saudi Arabia 2024. (2025, janvier 5). European Saudi organisation for Human Rights. Consulté le 1 août 2025, à l’adresse https://www.esohr.org/en/عهدالدمرقمتاريخيللإعدامفيالسعودي/
28 Reelfs, J. H., Hohlfeld, O., & Henckell, N. (2022). Anonymous Hyperlocal Communities : What do they talk about? Companion Proceedings of the Web Conference 2022, 639-647. https://doi.org/10.1145/3487553.3524644
29 al-Sharif, M. (Réalisateur). (1371205341). A Saudi woman who dared to drive [Enregistrement vidéo]. https://www.ted.com/talks/manal_al_sharif_a_saudi_woman_who_dared_to_drive
30 Home. (s. d.). Consulté 2 août 2025, à l’adresse https://www.manal-alsharif.com/
31 “C’est un enfer” : Les terribles foyers de redressement pour femmes en Arabie saoudite. (2025, juillet 14). Courrier international. https://www.courrierinternational.com/article/enquete-c-est-un-enfer-les-terribles-foyers-de-redressement-pour-femmes-en-arabie-saoudite_231418