Entretien avec Excisions Parlons-en

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Entretien avec Excisions, Parlons-en !


12.01.2021
Entretien réalisé par Lucile Carrouée 
Moïra Sauvage est une ancienne journaliste indépendante et une essayiste spécialisé e dans le droit des femmes et les violences envers les femmes notamment. Elle a été responsable de la commission femmes d’Amnesty France, mais aussi présidente du réseau d’associations Excision, Parlons en qui lutte contre l’excision en France et dans le monde.
Aujourd’hui toujours administratrice d’ Excision, Parlons en elle est également co présidente d ’un réseau de 39 associations qui luttent contre le sexisme en France Ensemble contre le sexisme.
Les violences faites aux femmes sont basées sur le genre féminin. Elles touchent les femmes et non les hommes et sont liées à ces idées toutes faites, ces stéréotypes que les sociétés ont sur ce que doit être une femme. Et lorsqu’elle ne l’est pas, la femme peut subir des violences.
L’excision est une mutilation des organes sexuels féminins qui a toujours existé : on en retrouve des traces sur des momies égyptiennes, donc bien avant Jésus-Christ. Les Nations unies ont défini différentes formes d’excision, qui de toute manière ne respectent pas le droit fondamental des enfants à être protégé·e·s des violences. Il peut s’agir d’une ablation partielle ou totale du clitoris (clitoridectomie) par coupure, ou alors du clitoris et des petites lèvres, mais aussi parfois des grandes lèvres en plus. Il existe certains cas pour lesquels, après que l’on ait coupé le clitoris, les lèvres soient cousues et que l’appareil génital ne soit réouvert que pour les rapports sexuels que la jeune fille aura après le mariage : c’est l’infibulation.
Il existe également des formes non-classées d’excision, que l’on peut trouver par exemple en Indonésie actuellement, ou l’excision prend seulement la forme d’un perforation du clitoris. Mais dans tous les cas bien sûr nous nous y opposons fermement, parce qu’il n’y a aucune raison de porter atteinte aux organes génitaux des filles et des femmes.
IGG : Quelles sont les conséquences sur la santé physique, mais aussi mentale, des jeunes filles qui subissent une excision ? 
Les répercussions de l’excision sont en effet multiples. Les conséquences physiques sont notamment la douleur extrême, l’hémorragie, les infections. Les victimes et surtout les bébés peuvent en mourir, parce que souvent l’excision se déroule dans des villages, loin des hôpitaux et des services de santé, sans anesthésie, ni suivi. De plus, lorsque l’enfant a grandi, d’autres douleurs se créent, pendant les règles, les actes sexuels et l’accouchement. Ces répercussions sont liées à une cicatrisation souvent très mauvaise de l’appareil génital, comme me l’a expliqué le docteur Foldes (« l’inventeur » de la méthode de réparation des dommages causés par une clitoridectomie / ablation partielle ou totale du clitoris / excision).
Il ne faut pas non plus oublier les répercussions psychologiques. Un bébé n’aura peut-être pas de souvenir de ce traumatisme, mais une petite fille, quant à elle, se souviendra que ce sont les personnes qui normalement l’aiment le plus, sa mère, sa tante, sa cousine, … qui lui ont fait ce mal. Il y a aussi la répercussion psychologique plus tard, d’avoir mal lors des rapport et de ne pas pouvoir profiter de sa sexualité normalement, pleinement.
On a aussi vu en France des jeunes femmes qui avaient été excisées très jeunes et qui ne savaient pas qu’elles avaient subi cela. C’est en parlant avec leurs ami·e·s, leurs partenaires, en allant voir des gynécologues et des médecins qu’elles se rendent compte qu’elles ne sont pas comme les autres. Réaliser cela mène bien sûr à de nombreuses remises en question, à de l’incompréhension, voire à une forme de honte pour certaines.
Donc on ne peut pas dire que toutes les femmes vivent l’excision de la même manière. Certaines vont beaucoup souffrir physiquement, d’autres ne s’en rendront pas compte et auront le choc psychologique plus tard. Certaines auront besoin et envie de se reconstruire, d’autres non car auront finalement appris à accepter.
IGG : Existe-t-il une géographie de l’excision dans le monde ? Est-ce un fléau qui touche sans distinction les femmes du monde entier ?
Contrairement à ce que pensent beaucoup de personnes, en France notamment, ce n’est pas une violence qui ne se produit qu’en Afrique. Il ne faut surtout pas généraliser et dire que toutes les femmes d’Afrique sont excisées, ni dire que l’on n’excise qu’en Afrique. En Afrique de l’Ouest par exemple, qui est la région avec laquelle la France a le plus de rapports, il y a des endroits où l’on excise et d’autres où l’on n’excise pas à quelques dizaines de kilomètres d’écart. Il y a des tribus au nord de l’Inde qui excisent leurs filles, et donc des mouvements de femmes qui naissent pour s’opposer à ces pratiques. En Malaisie également, une grande partie des femmes est excisée.
Le fondateur d’Excision, Parlons-en ! est un jeune journaliste ayant vécu en Egypte. C’est lorsqu’il s’est rendu compte que près de 90% des femmes égyptiennes étaient excisées qu’il a pris conscience de l’ampleur de la chose, de la nécessité d’en parler et de la combattre. Bien sûr, la population et les femmes égyptiennes avaient déjà depuis longtemps commencé à lutter contre ce phénomène. Sur le site d’Excision, Parlons-en ! vous pouvez trouver une carte des pays dans lesquels on a identifié des cas d’excision, et les pays sont nombreux, répartis sur tous les continents.
De plus, la religion des populations qui excisent n’est pas uniquement l’Islam comme certaines personnes tendent à le penser. En Egypte toujours, de nombreuses membres de l’Eglise copte par exemple sont excisées. L’Eglise copte est une Eglise chrétienne. Et comme je le disais précédemment, on trouve des traces de cette mutilation avant l’apparition des grandes religions monothéistes.
L’excision a également été pratiquée par des médecins et des psychiatres français au XVIIIème siècle, dans le but de calmer l’hystérie des femmes notamment. Cette pratique aurait perduré dans le monde occidental jusque dans les années 1950, aux États-Unis, dans les hôpitaux psychiatriques dans lesquels on faisait subir toutes sortes de tortures aux patient·e·s.
Finalement c’est donc aussi ça qui est terrible, de se dire que des personnes partout dans le monde ont eu l’idée de cette pratique violente.

L’excision dans le monde (source : https://www.excisionparlonsen.org/)

IGG : Est-ce que l’excision entre dans la catégorie des mutilations sexuelles pratiquées en temps de conflit ? Ou est-ce que la dimension culturelle prévaut ? 
C’est une dimension culturelle, l’excision n’est pas un crime comme le viol que l’on peut caractériser comme une arme durant les guerres. De plus ce n’est pas non plus une exigence religieuse. Bien que de nombreuses familles justifient la pratique par la religion, il n’est demandé ni dans la Bible ni dans le Coran ni dans d’autres textes religieux d’exciser les jeunes filles. C’est vraiment une pratique qui se place dans le cadre de la culture et du rituel. Il y a aussi une peur très forte du « qu’en dira-t-on ? », c’est-à-dire la peur du regard de la société, qui pousse les femmes à infliger ça aux plus jeunes. C’est ce que l’on appelle le sentiment d’obligation sociale.
Avec la Covid-19 cette année, Excision Parlons-en ! a constaté que de nombreuses jeunes filles n’ont pas pu se rendre dans leur pays d’origine pour les vacances, ce qui a sans doute permis à certaines d’éviter de subir ce traumatisme. Cependant à l’inverse dans de nombreux pays pratiquant l’excision, en raison de la crise sanitaire, de nombreuses jeunes filles ne sont pas allées à l’école pendant un moment et restent donc dans la sphère secrète familiale. Malheureusement, il y a eu une augmentation du nombre de cas et une perte des progrès liés à la scolarisation des filles qui permettaient l’émancipation de ces dernières.
IGG : Aujourd’hui, quelles sont les mesures officielles mises en place dans les organisations internationales, et ont-elles un impact réel ? 
Officiellement, les Nations unies, l’Union africaine, et globalement les textes internationaux voire nationaux condamnent l’excision. C’est bien, c’est un bon début car ces outils juridiques permettent notamment de légitimer le combat et les démarches des militant·e·s sur place.
En France cependant, des procès ont eu lieu dans les années 1980-1990. Grâce à ces procès et notamment à l’avocate Linda Weil-Curiel, parents et exciseuses sont désormais condamné·e·s pénalement en France. Cela s’est su dans les communautés immigrées, et ça eu pour effet de ralentir cet acte.
Mais dans des villages où l’excision est grandement pratiquée, ce n’est pas la même chose. La loi semble lointaine, l’excision est toujours perpétrée, par que c’est une pratique qui se déroule dans le privé, dans l’intimité des familles. Donc c’est plus difficile à contrôler, il faut impérativement changer les mentalités et les normes sociales.
IGG : Comment Excision Parlons-en ! aide-t-elle aujourd’hui les femmes ayant subi une excision ? 
Excision parlons-en ! a été créée en 2013 dans le but de faire savoir que l’excision existait toujours y compris en France, alors qu’après les lois des années 1990 les Français.es ne s’imaginaient plus l’excision que comme un problème lointain ne les concernant plus. Des femmes excisées vivent encore en France et ont des enfants, le but était surtout de protéger ces jeunes filles d’un potentiel danger en continuant à alerter les médias et à en parler.
En effet, tant qu’une pratique n’est pas dans notre culture proche on peut en avoir vaguement entendu parler mais nous ne la connaissons pas pour autant. Nous souhaitions donc aussi éduquer la population et expliquer cette pratique qu’est l’excision. Nous avons également fait du lobbying auprès des autorités, du gouvernement, du Ministère du droit des femmes qui nous ont heureusement écouté·e·s et soutenu·e·s. De nombreux colloques ont été organisés par Excision, Parlons-en !, des groupes de réflexion pour faire connaître le problème aussi aux professionnel·le·s qui pourraient rencontrer des victimes d’excision dans l’exercice de leur profession qu’iels soient juristes, médecins, infirmier·e·s…
Excision Parlons-En ! a également fait partie d’un réseau européen appelé End FGM (End Female Genital Mutilation), basé à Bruxelles. Nous avons participé à des réunions rassemblant plusieurs pays dans le but de partager des expériences, des idées, des bonnes actions. Avec ce réseau, nous avons aussi travaillé sur un outil d’apprentissage en ligne à destination des professionnel·le·s. Cet outil nous l’avons traduit en français, et il existe en une dizaine de langues européennes.
Le but est donc à la fois d’accompagner les victimes d’excision, mais aussi de faire de la prévention à tous les niveaux. Nous essayons d’être de plus en plus en contact avec les personnes directement issues de l’immigration, et depuis quelques années nous avons tissé des liens avec des associations de femmes issues de la diaspora pour les mettre  en lumière, faire ressortir leurs témoignages. Notre conseil d’administration est d’ailleurs composé pour moitié de femmes issues de l’immigration africaine. L’idée est de montrer que l’on peut lutter ensemble, concerné·e·s ou non, contre l’excision.
Si des victimes nous contactent directement, l’association regroupe entre autres une gynécologue spécialisée dans la réparation du clitoris et une juriste spécialisée dans les demandes d’asile pour cause d’excision. Nous les dirigeons aussi vers la fédération nationale GAMS qui aide directement les femmes sur le terrain.
IGG : Pourquoi selon vous un abandon de l’excision est-il si difficile à mettre en place ?
L’excision relève de la tradition et il est toujours compliqué d’abandonner un rituel présent depuis si longtemps. Comme je le disais auparavant, il y a toujours la peur du changement, la peur du regard des autres pour les parents d’une jeune fille. L’excision a pour but d’empêcher les femmes de ressentir du plaisir et donc aussi d’être tentées par l’adultère. Certains hommes refusent donc de se marier avec une femme n’ayant pas subi d’excision, et il est inenvisageable dans beaucoup d’endroits qu’une jeune fille ne soit pas mariée.
De plus, autre facteur, les exciseuses sont souvent payées pour leurs actes. Cela explique qu’évidemment elles ne soient pas les premières à souhaiter que cette pratique arrive à son terme. Il existe cependant désormais de nouvelles cérémonies durant lesquelles l’exciseuse reste payée, mais pour faire de bonnes actions et plus pour exciser. Cette initiative permet une transition plus douce et gagnante pour tout le monde.
En Afrique de l’Est, nous nous sommes aussi aperçu·e·s que le fait de donner des téléphones portables aux jeunes filles leur permettait de communiquer sur l’existence, les risques et les moyens de fuir l’excision.
IGG : D’une façon générale, à travers l’excision, peut-on encore aujourd’hui parler d’une volonté tenace de maîtriser la sexualité et le corps des femmes ?
Oui tout à fait, et cette volonté est toujours très présente dans nos sociétés. La peur du corps des femmes, du plaisir féminin persiste. La volonté de maintenir une domination masculine est encore très forte partout dans le monde par de nombreux moyens. On peut se rassurer un peu en constatant que des actions sont menées dans les pays pratiquant l’excision, ou dans les diasporas. Une association anglaise du nom de Forward (Foundation of Women’s Health Research and Development) dirigée par des femmes d’origine africaine avait réalisé une campagne qui consistait à montrer à des hommes comment se pratiquait l’excision au moyen d’entrejambe en pâte à modeler et de paires de ciseaux. Bien évidemment, la première réaction était l’horreur, ce qui montre à quel point les hommes sont ignorants à ce sujet et n’imaginent pas le traumatisme potentiel. Même si certains hommes continuent à vouloir que leur femme soit excisée afin qu’elle n’aille pas voir ailleurs, on observe chez les jeunes hommes un désir de vivre une sexualité épanouie et un plaisir partagé avec leur partenaire.
IGG : Quelles avancées avez-vous constatées depuis la création de l’association en 2013 ?
Il y a des avancées positives, en France en tout cas. C’est un sujet dont les gouvernements se sont emparés, on a compris que l’excision concernait aussi les jeunes filles françaises issues notamment de l’immigration. On en a beaucoup parlé, il y a eu des campagnes de prévention dans les écoles qui ont aujourd’hui mené à un vrai progrès. Notre campagne actuelle Alerte Excision a, je le pense, atteint un bon nombre de personnes. Nous l’avons développée sur trois ans et elle a bien circulé, à travers des affiches, mais aussi par des moyens de communication modernes comme des chats par exemple.
Après nous avons aussi toujours voulu faire attention à ce que nos propos ou nos campagnes ne soient pas récupéré·e·s par certaines personnes malveillantes. Il y a malheureusement toujours des gens qui ont comme but de diaboliser certaines communautés, les populations immigrées notamment, et qui sont donc à la recherche d’arguments pour les critiquer toujours plus.
IGG : Faire évoluer les mentalités est crucial, toutefois ce n’est pas suffisant. Quels sont les autres acteur·rices qui doivent être impliqué.es dans la lutte contre l’excision ?
De nombreuses associations agissent dans le sens d’un changement de mentalité, en allant au plus près du terrain, en prenant le temps de réunir les femmes notamment pour leur expliquer les dangers pour leur santé et celle de leurs filles. Mais je crois que les hommes ont aussi leur rôle à jouer. En effet, si les familles persistent à penser que leur fille ne sera jamais épousée si elle n’est pas excisée, alors les choses ont peu de chance de changer. Il faut aussi que les hommes apprennent à se détacher de la tradition, soient renseignés sur l’excision et acceptent de contribuer au changement. Et les hommes ayant tendance à n’écouter principalement que d’autres hommes, il en faut donc qui s’engagent aux côtés des femmes contre l’excision. Mais ce n’est pas simple…
Concernant les gouvernements, s’ils souhaitaient mettre un peu plus d’argent dans des campagnes contre l’excision ils le pourraient sans doute. Investir dans des formateurs et formatrices pour intervenir auprès des populations, des écoles, des hôpitaux, etc… reste toujours une possibilité pour faire évoluer les méthodes de pensée sur le long terme.
Mais l’excision apparaît trop souvent comme une pratique relevant du domaine privé et les gouvernements ne se sentent pas concernés par cela. Beaucoup estiment qu’ils n’ont pas à s’immiscer dans la vie et les choix des familles, tout comme pour les violences domestiques. C’est un argument pour ne pas avoir à gérer le problème. Pour ne rien arranger, il est question avec l’excision de la sexualité et plus précisément de la sexualité des femmes. Celle-ci représente un tabou phénoménal qui met encore trop mal à l’aise pour que l’on juge bien de l’aborder publiquement. D’où l’importance du plaidoyer, du lobbying pour faire pression sur les gouvernements.
IGG : Quelles sont les prochaines actions et campagnes qu’Excision, parlons-en ! prévoit de mener ?
Nous préparons comme depuis les dernières années des évènements particuliers pour le 6 février (journée mondiale de la lutte contre l’excision). Nous sommes soutenu·e·s par le gouvernement, certain·e·s ministres viennent, la presse en parle, et nous organisons tout cela en lien avec les diasporas.
Pour la suite rien n’est encore parfaitement défini, récemment nous avons réorganisé le comité administratif de l’association et nous y travaillons. Mais nous gardons comme optique l’information, nous visons de pouvoir collaborer avec l’Éducation nationale dans le but de faire des formations dans les écoles. Nous en avons déjà réalisé quelques-unes mais ponctuellement, sur demande d’un établissement. L’idéal serait que ce soit plus régulier et organisé avec l’aval de l’éducation nationale. Quant à notre campagne Alerte Excision, elle ne sera probablement pas reconduite une quatrième année en revanche.
IGG : Quelle est la meilleure chose à faire pour lutter, à son échelle en France, contre l’excision ?
Les premières personnes qui peuvent agir sont les potentielles concernées, les familles. Ensuite, ce sont les professionnel·le·s potentiellement au contact de femmes excisées qui pourraient agir de façon concrète dans le cadre de leur métier. Néanmoins, pour les personnes n’ayant pas de lien particulier avec l’excision mais qui souhaiteraient tout de même soutenir cette cause et les victimes, il faut surtout s’informer au maximum et en parler. Il ne faut pas les oublier. Eventuellement s’inscrire sur les réseaux sociaux des associations comme Excision, parlons-en ! qui se battent contre l’excision pour se tenir au courant des avancées et être présent aux potentielles actions.
Pour citer cet article : « Entretien avec Excisions, Parlons-en ! », 12.01.2021, Institut du Genre en Géopolitique.