Les violences sexuelles dans le conflict armé interne guatémaltèque

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Les violences sexuelles dans le conflit armé interne guatémaltèque

06.07.2021 Béatrice Cosentino

Introduction

A partir de 1962 et jusqu’en 1996, le Guatemala est plongé dans un conflit interne dont l’éclatement et le déroulement cristallisent les effets d’un Etat militarisé héritier de l’Etat colonial et d’une société profondément polarisée, au système raciste et patriarcal.

Les années du conflit armé, à situer dans le contexte de la guerre froide, enregistrent des taux de violence non égalés dans l’histoire du pays. En employant une méthodologie intersectionnelle, nous nous focaliserons sur les violences sexuelles perpétrées spécifiquement envers les femmes et les filles mayas par les forces de sécurité étatiques guatémaltèques.

En 2014, l’activiste et auteure Aura Marina Yoc COSAJAY écrit : « La violence sexuelle perpétrée à l’encontre des femmes est une pratique commune et massive dans toutes les guerres et les génocides. De façon contradictoire, elle est systématiquement passée sous silence[1]Aura Marina Yoc Cosajay, “Violencia sexual a mujeres indígenas durante el conflicto armado interno y el genocidio en Guatemala”, Caravelle, 102 | 2014, 157-162. ». C’est donc dans l’objectif de les visibiliser, bien que de façon succincte, que nous nous attellerons à nommer les violences sexuelles perpétrées à l’encontre des femmes mayas guatémaltèques dans le cadre des stratégies contre-insurrectionnelles et génocidaires des années 1980 ainsi que leurs origines et conséquences. Cet article vise également à participer au travail d’analyse des dynamiques et conséquences des violations massives et différenciées des droits fondamentaux de milliers de femmes et filles décédées à ce jour ou y ayant survécu.

Rappelons que l’ensemble des sources citées et sur lesquelles s’appuie ce travail est le résultat d’un grand travail de témoignages et d’analyse et par là, de lutte contre l’invisibilisation de ces crimes.

Le conflit armé interne guatémaltèque : exacerbation de la violence d’Etat et violation des droits de la population civile guatémaltèque

Officiellement à partir de 1962, le Guatemala plonge dans plus de 30 ans de conflit armé interne (CAI) opposant l’Etat et la guérilla de l’Union révolutionnaire nationale guatémaltèque (URNG)[2]Ancienne guérilla et actuel parti politique, l’URNG a été fondée le 7 février 1982. Il est le résultat de l’union des 4 principaux groupes guerrilleros, Ejército Guerrillero de los … Continue reading. Si le conflit oppose deux parties, dans les faits, la violence qu’il implique est généralisée, éclabousse et vise un plus large pan de la société civile guatémaltèque. Commise en grande majorité par les agents de l’Etat, elle est portée par les stratégies contre-insurrectionnelles[3]Ayant pour objectif l’élimination des dissident.e.s, l’accaparement des pouvoirs et des territoires et l’extermination des personnes autochtones dans une logique de domination intégrale et … Continue reading lancées par les gouvernements militaires successifs.

Rétrospectivement, la Commission d’éclaircissement historique (CEH)[4]La Commission d’éclaircissement historique ou CEH est la commission de vérité et de réconciliation organisée au Guatemala mise en place à la fin du conflit guatémaltèque. Elle a pour mandat … Continue reading mise en place au lendemain du conflit, définit le CAI comme « une étape hautement tragique et dévastatrice[5]Comisión de Esclarecimiento Histórico (CEH), Guatemala: Memoria del Silencio, 1999, Consultable sur http://biblio3.url.edu.gt/Libros/memoria_del_silencio/indice.pdf. » de l’histoire du Guatemala « aux coûts humains, matériels, institutionnels et moraux extrêmement élevés[6]Ibid. ». Il se caractérise notamment par de massives exécutions extrajudiciaires, déplacements forcés, privation de liberté, répression et terrorisme d’Etat, actes de torture et de violences sexuelles et basées sur le genre. Plus de 200 000 personnes sont mortes ou ont disparu (hommes, femmes, enfants, bébés) ; au minimum 30 000 femmes mayas ont été victimes de violences sexuelles ; possiblement jusqu’à 1,5 millions de personnes ont été forcées de se déplacer entre 1981 et 1983 ; 440 villages de personnes autochtones ont été effacés de la carte ; 658 massacres ont eu lieuI[7]bid.. En 1999, la CEH révèle que « les opérations militaires de l’Etat contre les communautés mayas ont constitué un génocide[8]ICTJ, Guatemala [En ligne], Consultable sur https://www.ictj.org/es/our-work/regions-and-countries/guatemala. ». Ces actes de violence extrême ont ainsi constitué une violation massive d’un ensemble de droits humains d’une partie de la population civile guatémaltèque, y compris des droits à la vie, à la sécurité et à la dignité, et du droit international humanitaire (DIH).

Focus sur les violences sexuelles : une pratique stratégique, commune et systématique de répression d’Etat

Plus particulièrement, la CEH, alors chargée de mettre la lumière avec « pleine objectivité, équité et impartialité[9]Comisión de Esclarecimiento Histórico (CEH), “Prologo”, Guatemala: Memoria del Silencio, 1999, Consultable sur http://biblio3.url.edu.gt/Libros/memoria_del_silencio/indice.pdf. » sur les actes illégaux de violence commis, identifie les violences sexuelles comme une « une pratique commune et systématique[10]Comisión de Esclarecimiento Histórico (CEH), Guatemala: Memoria del Silencio, 1999, Consultable sur http://biblio3.url.edu.gt/Libros/memoria_del_silencio/indice.pdf. », exécutées à 98% par les forces de sécurité étatique ou étant sous leur commandement[11]Notamment les Patrouilleurs d’auto-défense civile (PAC).. Tel que le Statut de Rome de la Cour pénale internationale (CPI) de 1998 le définit, nous entendrons violence sexuelle comme tout acte de « viol, esclavage sexuel, prostitution forcée, grossesse forcée, stérilisation forcée ou toute autre forme de violence sexuelle de gravité comparable[12]Chapitre 1, Art. 7 du Statut de Rome de la Cour pénale internationale. Document distribué sous la cote A/CONF.183/9 du 17 juillet 1998, amendé par les procès-verbaux des 10 novembre 1998, 12 … Continue reading ». Depuis cette date, les cas généralisés et systématiques de violences sexuelles dans le cadre d’un conflit sont reconnus et punissables par le Statut comme « crime de guerre, crime contre l’humanité et actes de génocides[13]Ibid. ». Ils sont également condamnables comme tels dans l’Etat du Guatemala à partir de 2012, suite à la ratification du Statut[14]« Le 1er juillet 2012, l’État guatémaltèque ratifie le Statut de Rome et devient le 121e État partie au traité, ce qui le contraint légalement, à échelle nationale comme … Continue reading, la pratique des violences sexuelles est analysée comme étant un élément constitutif de la stratégie de terreur et de démonstration du rapport de domination commanditées par l’Etat. Celle-ci a particulièrement été utilisée dans le cadre de la politique de la terre brûlée (1980-1983) appliquée dans les départements de Quiché, Huehuetenango, Alta Verapaz, Chimaltenango et Baja Verapaz[15]55% pour des violences sexuelles rapportées ont eu lieu dans le départememnt de Quiché ; 25% pour Huehuetenango ; 7% pour Alta Verapaz ; 3% à Chimaltenango ; 3% pour Baja Verapaz., tactique répondant à la stratégie génocidaire menée à l’encontre des populations autochtones mayas par le militaire à la tête du pays, Efrain Rios MONTT. Selon le Tribunal de Conscience guatémaltèque de 2019, les violences sexuelles ont été utilisées comme « une stratégie de soumission, d’exploitation et d’oppression dans les domaines politiques, sociaux, économique et idéologiques[16]FGER, TRIBUNAL DE CONCIENCIA 2019, Juin 2019, Consultable sur https://www.fger.org/tribunaldeconciencia2019/. ».

Violences spécifiques basées sur le genre et l’ethnie

Si les violences sexuelles ont été une pratique commune, elles ont spécifiquement été dirigées envers les femmes et les filles mayas guatémaltèques[17]Selon les personnes identifiées par la CEH, les victimes directes ont principalement été des femmes[1] et des filles ; 62% de femmes adultes –entre 18 et 60 ans, 3% de femmes âgées : 1/3 soit … Continue reading qui en ont été victimes à 88,7% durant la période. Cette donnée met en exergue l’existence d’une forte composante ethnique et de genre dans ce qui a déterminé leur usage. C’est l’appartenance au genre féminin et à l’ethnie maya qui ont constitué un critère dans l’emploi généralisé et stratégique de la violence sexuelle par les forces armées, indiquant une intention spécifique et la recherche d’effets particuliers. Selon la CEH, cette pratique a été dirigée à « le [le corps] dégrader, l’humilier et le contrôler[18]Sandra Xinico Batz, La insistencia de la resistencia por la justicia de las mujeres Achí en Guatemala, Janvier 2020 [En ligne], Consultable sur … Continue reading » et ainsi « détruire la dignité de la personne dans l’une de ses dimensions les plus intimes et vulnérables[19]Comisión de Esclarecimiento Histórico (CEH), Guatemala: Memoria del Silencio », 1999, Consultable sur http://biblio3.url.edu.gt/Libros/memoria_del_silencio/indice.pdf.  » aux niveaux individuel et collectif. La sexualité et la capacité reproductive des femmes sont alors devenues un « territoire de bataille symbolique et réel [20]Aura Marina Yoc Cosajay, “Violencia sexual a mujeres indígenas durante el conflicto armado interno y el genocidio en Guatemala”, Caravelle, 102 | 2014, 157-162.».

La chercheuse en Science politique et Sociologie, Marta Casaus ARZU, et l’anthropologue féministe Marisa RUIZ TREJO, respectivement guatémaltèque et mexicaine, définissent ces actes massifs de violences sexuelles envers les femmes mayas comme un  « ethnocide sexuel[21]Marisa RUIZ TREJO, Marta Casaus ARZU, « Procesos de justicia y reparación: el caso «Sepur Zarco» por violencia sexual, violación y esclavitud doméstica en Guatemala y su sentencia … Continue reading » alors destiné à détruire l’identité culturelle des groupes mayas par la destruction des femmes sur le temps long. Ainsi, les femmes et les filles mayas ont simultanément été victimes de « la violence armée, la violence basée sur le genre et la discrimination ethnique[22]Béatrice COSENTINO, « Le combat de 36 femmes Maya Achí pour les droits à la vérité, la justice et la réparation », Solidarité Guatemala, N°229, Novembre 2019 [En ligne], Consultable sur … Continue reading » subissant triplement la violence du conflit armé ; cela s’est spécifiquement cristallisé dans les actes de violences sexuelles perpétrés à leur encontre. Différents rapports et témoignages indiquent que ces pratiques « coexistaient avec d’autres violations de droits humains[23]Comisión de Esclarecimiento Histórico (CEH), Guatemala: Memoria del Silencio », 1999, Consultable sur http://biblio3.url.edu.gt/Libros/memoria_del_silencio/indice.pdf. », se superposant ainsi dans l’espace et le temps. La survivante et défenseure des droits humains Maya Achí Paulina IXTAPA témoigne que les patrouilleurs et les soldats auteurs de violences sexuelles « ont également volé nos [leurs] animaux, brûlé nos [leurs] maisons, tué [leurs] nos familles. Nous [Elles] n’oublierons jamais[24]Impunity Watch Guatemala, Mujeres Achi buscando justicia, Mars 2020 [En ligne], Consultable sur https://www.youtube.com/watch?v=TghhTqeur_c ». De plus, les violences sexuelles en tant que telles ont majoritairement eu lieu lors des privations de liberté[25]1/3 des cas selon les données de la CEH., dans les détachements militaires (détention, disparition forcée), en amont des massacres[26]25% des cas selon les données de la CEH., durant lesquels les femmes enceintes étaient particulièrement visées, et durant les épisodes de torture. Le témoignage de la défenseure des droits humains et survivante de violences sexuelles Juana Garcia de PAZ atteste de cela : « Moi, ils m’ont prise et emmenée à pieds jusqu’au détachement militaire. J’y ai beaucoup souffert parce que […] l’on m’a violée. J’ai vu qu’ils faisaient ça à d’autres femmes aussi. […] Je les ai vues et entendues de mes propres yeux et oreilles[27]PNUD Guatemala, Juana Garcia de Paz, 30 novembre 2016, [En ligne], disponible sur https://www.youtube.com/watch?v=olnsPUQXlhk&t=9s.».

Focus sur les survivantes : la multiplicité des conséquences des violences sexuelles[28]Commission d’éclaircissement historique (CEH), Chapitre 3, conséquences et effets de la violence, Guatemala: Memoria del silencio, Guatemala, 1999 [En ligne] Consultable sur … Continue reading

Les violences sexuelles perpétrées durant le conflit ont eu de lourdes conséquences, dans différentes sphères, aux niveaux individuel et collectif, ne s’arrêtant donc pas à la sortie du conflit et prolongeant les effets de cell
es-ci dans la vie des survivantes sur le temps long.

Certains témoignages recueillis par la CEH soulignent le fait que pendant des offensives, les femmes, suite aux viols par plusieurs soldats, « n’ont pas été tuées mais en sont ressorti très malades[29]Comisión de Esclarecimiento Histórico (CEH), Guatemala: Memoria del Silencio », 1999, Consultable sur http://biblio3.url.edu.gt/Libros/memoria_del_silencio/indice.pdf. ». Dans la plupart des cas, les systèmes reproductifs et sexuels sont fortement endommagés. Selon l’expertise effectuée par le Tribunal de sentence de 2019, l’emploi des violences sexuelles comme outil stratégique et tactique a provoqué des problèmes d’ordre « émotionnels, de la santé physique, intellectuels, des maladies sexuellement transmissibles (MST), dans beaucoup de cas des grossesses non désirées, du stress, et de l’anxiété pouvant mener à la mort dans certains cas[30]Ibid.  » ; s’en est suivi « l’annulation de projets de vie, les tentatives de suicide, le déplacement forcé[31]Ibid. ». En 1991, les chercheuses Adrianne ARON, Shawn CORNE, Anthrea FURSLAND et Barbara ZELWER analysent les troubles liés au stress post-traumatique ou Post-Traumatic Stress Disorder (PTSD), pouvant apparaître à la suite de violences sexuelles, alors utilisées comme outil de répression politique sur les femmes au Salvador et au Guatemala. Dans la plupart des cas, les symptômes du PTSD décrits sont la perte de la mémoire, les cauchemars, la colère, la perte d’appétit, le sommeil prolongé, la tristesse[32]Mervyn CHRISTIAN, Octave SAFARI, Paul RAMAZANI, Gilbert BURNHAM, Nancy GLASS, « Sexual and gender based violence against men in the Democratic Republic of Congo: effects on survivors, their families … Continue reading. Notons que ceux-ci peuvent s’accroître en cas d’absence de reconnaissance de ces violences ou d’indifférence[33]Daniel NEUMANN, Ann CHAN, Otim PATRICK, 32:00, Gender against men, 4 juin 2009 [En ligne], Kampala (Ouganda), Refugee law project production (RLP), Consultable sur https://vimeo.com/17616733..  De même, le Tribunal souligne des effets de long terme sur le propre sentiment de sécurité, rapport à soi et aux autres ; dans le post-conflit, ces violences génèrent ainsi « de la peur, de l’insécurité, de la méfiance, de la culpabilisation[34]Ibid. ».

Les violences sexuelles ont également eu « de graves effets de caractère collectif [35]Commission d’éclaircissement historique (CEH), Chapitre 3, conséquences et effets de la violence, Guatemala: Memoria del silencio, Guatemala, 1999 [En ligne] Consultable sur … Continue reading » sur le groupe ethnique des personnes victimes et survivantes. Par son modus operandi, elles ont provoqué l’exode de femmes, la dispersion des communautés, la rupture des liens conjugaux et sociaux ; elles ont aussi entrainé « l’isolement social, la honte communautaire, des avortements[36]Ibid. ». Certaines femmes, afin de ne pas subir le stigma qui engendre la culpabilisation et leur rejet par la famille et/ou la communauté, se sont déplacées. Cela a favorisé la grande fragilisation du tissu social et des communautés autochtones.

Pour l’auteure guatémaltèque Kaqchikel, Sandra XINICO BATZ, il est également nécessaire de penser les violences sexuelles et ses effets dans le cadre d’autres formes de violences dont les femmes et les filles mayas ont souffert, soit la vie de fuite, la vie cachée, la douleur d’avoir survécu à ces violences mais également à l’ensemble des autres violences dont elles ont été victimes et témoins. Si une grande proportion d’hommes sont morts pendant l’affrontement armé[37]77% des exécutions arbitraires pour les hommes ; 23% pour les femmes., un grand pan de femmes y ont survécu et portent en elles la mémoire et la douleur de ce dernier. La survivante et défenseure Maya achí, Juana Garcia de PAZ, témoigne de cela: « En 1981, ils ont tué mon mari, en 1982 ils ont tué mes parents, en 1983, ils ont tué ma fille […].L’on m’a violée. Tout ce que j’ai vu m’a heurté le cœur[38]PNUD Guatemala, Juana Garcia de Paz, 30 novembre 2016, [En ligne], Disponible sur https://www.youtube.com/watch?v=olnsPUQXlhk&t=9s. ».

Les violences sexuelles ou la reproduction d’un système patriarcal et raciste

Par ailleurs, s’il a été établi que l’usage des violences sexuelles a été employé à des fins stratégiques, il est nécessaire d’identifier et d’analyser les déterminants du choix de cette méthode et de sa réalisabilité. Selon l’auteure guatémaltèque Kaqchikel, Sandra XINICO BATZ, durant les 500 dernières années, soit depuis l’invasion et le génocide espagnols, il a existé au Guatemala une « violence systématique[39]Sandra Xinico Batz, La insistencia de la resistencia por la justicia de las mujeres Achí en Guatemala, Janvier 2020 [En ligne], Consultable sur … Continue reading » dans le cadre de laquelle le « patriarcat s’est nourri du racisme et vice-versa[40]Ibid. » mettant « les femmes mayas au plus bas de l’échelle sociale[41]Ibid. ». Ces violences sont définies comme étant systématiques et reproduisant les « logiques du système de racisme structurel dont l’imaginaire les [femmes mayas] place sur une échelle inférieure de la hiérarchie humaine pour être des femmes, des autochtones et des pauvres[42]Ibid. ». Dans le cadre de la sentence[43]FGER, TRIBUNAL DE CONCIENCIA 2019, Juin 2019, Consultable sur https://www.fger.org/tribunaldeconciencia2019/. délivrée par le Tribunal de Conscience guatémaltèque de 2019[44]Les tribunaux de conscience se sont inspirés des principes éthiques d’International War Crimes Tribunal ou Tribunal Russel Sartre, dirigé par Jean-Paul Sartre en 1967. Ensuite, ces tribunaux ont … Continue reading, la violence sexuelle envers les femmes, et notamment autochtones, est définie comme « historique[45]FGER, TRIBUNAL DE CONCIENCIA 2019, Juin 2019, Consultable sur https://www.fger.org/tribunaldeconciencia2019/ » et « continue[46]Ibid. ». Les violences sexuelles basées sur le genre et l’ethnie commises durant le conflit armé, alors exacerbées, sont donc le résultat d’un système patriarcal et raciste, établi, continu dans l’histoire du pays et toujours en vigueur aujourd’hui. Ceci est visible par le taux quasi-total d’impunité quant aux crimes de guerre, crime contre l’humanité et génocide sous forme de violences sexuelles perpétrés durant le conflit. A ce jour, bien que la pratique ait été commune, seul un cas juridique a été jugé comme tel[47]15 survivantes Mayas Q’eqchi, à travers leur lutte intégrale pour obtenir justice et l’appui d ’une partie de la société civile, ont réussi à faire condamner, pour la première fois dans … Continue reading. Cette culture de l’impunité généralisée favorise la répétition de ces crimes ainsi qu’un sentiment d’extrême injustice et d’insécurité pour les survivant.e.s.

Conclusion

Somme toute, les violences sexuelles basées sur le genre et l’ethnie perpétrées durant le conflit à l’encontre des femmes et des filles mayas ont été employées à des fins stratégiques, servant la volonté de prise d’ascendance en vue de la victoire ainsi que celle de détruire les peuples mayas. Cela met en lumière un système continu bien établi, raciste et patriarcal. Aujourd’hui, nombre de survivantes de violences sexuelles et de toute la violence liée au conflit portent en elles le souvenir et fardeau de ce passé. Depuis plusieurs années, plusieurs groupes de survivant.e.s et d’accompagnateur.trice.s[48]Ces personnes en particulier sont considérées comme des personnes défenseures des droits humains et une partie d’entre elles s’auto-identifient comme telles. travaillent en faveur de la rupture et la transformation non-violente de ces systèmes par différentes voies – juridique, militante, psychosociale, spirituelle – menant et intégrant des luttes tant directement liées à la violence basée sur le genre qu’à la défense de la terre et des territoires ancestraux. De facto, iels proposent de nouveaux modèles de société non-violents, pluriculturels, équitables, dans lesquels les défenseures des droits humains intègrent et réinventent les espaces (publics, communautaires, privés) par leur présence et l’objet de leurs luttes, rompent avec les rôles de genre issus du système patriarcal et tissent la protection des générations futures, un Etat et une société respectueux des droits de tou.te.s.  

Pour plus d’informations sur les différentes luttes menées à bien, consulter les articles du Collectif Guatemala : https://collectifguatemala.org/2019-1-numero-355.

Pour citer cet article : Béatrice COSENTINO, “Les violences sexuelles dans le conflict armé interne guatémaltèque”, 06.07.2021, Institut du Genre en Géopolitique.

Les propos contenus dans cet article n’engagent que l’auteur.ice.

References

References
1 Aura Marina Yoc Cosajay, “Violencia sexual a mujeres indígenas durante el conflicto armado interno y el genocidio en Guatemala”, Caravelle, 102 | 2014, 157-162.
2 Ancienne guérilla et actuel parti politique, l’URNG a été fondée le 7 février 1982. Il est le résultat de l’union des 4 principaux groupes guerrilleros, Ejército Guerrillero de los Pobres (EGP), la Organización del Pueblo en Armas (ORPA), las Fuerzas Armadas Rebeldes (FAR), y el Partido Guatemalteco del Trabajo (PGT).
3 Ayant pour objectif l’élimination des dissident.e.s, l’accaparement des pouvoirs et des territoires et l’extermination des personnes autochtones dans une logique de domination intégrale et hégémonique.
4 La Commission d’éclaircissement historique ou CEH est la commission de vérité et de réconciliation organisée au Guatemala mise en place à la fin du conflit guatémaltèque. Elle a pour mandat d’enquêter sur les violations de droits humains perpétrées durant le CAI (1962-1996).
5, 10 Comisión de Esclarecimiento Histórico (CEH), Guatemala: Memoria del Silencio, 1999, Consultable sur http://biblio3.url.edu.gt/Libros/memoria_del_silencio/indice.pdf.
6, 13, 30, 31, 34, 36, 40, 41, 42, 46 Ibid.
7 bid.
8 ICTJ, Guatemala [En ligne], Consultable sur https://www.ictj.org/es/our-work/regions-and-countries/guatemala.
9 Comisión de Esclarecimiento Histórico (CEH), “Prologo”, Guatemala: Memoria del Silencio, 1999, Consultable sur http://biblio3.url.edu.gt/Libros/memoria_del_silencio/indice.pdf.
11 Notamment les Patrouilleurs d’auto-défense civile (PAC).
12 Chapitre 1, Art. 7 du Statut de Rome de la Cour pénale internationale. Document distribué sous la cote A/CONF.183/9 du 17 juillet 1998, amendé par les procès-verbaux des 10 novembre 1998, 12 juillet 1999, 30 novembre 1999, 8 mai 2000, 17 janvier 2001 et 16 janvier 2002. Le Statut est entré en vigueur le 1er juillet 2002.
14 « Le 1er juillet 2012, l’État guatémaltèque ratifie le Statut de Rome et devient le 121e État partie au traité, ce qui le contraint légalement, à échelle nationale comme internationale, à juger les cas de violences sexuelles comme tels », Béatrice COSENTINO, « Le combat de 36 femmes Maya Achí pour les droits à la vérité, la justice et la réparation », Novembre 2019 , Solidarité Guatemala, N°229, [En ligne], Consultable sur http://collectifguatemala.org/IMG/pdf/sg_229_v.def.pdf.)
).

Selon le rapport du Proyecto Interdiocesano de Recuperación de la Memoria Histórica – REMHI((Rapport  REHMI, Proyecto Interdiocesano de Recuperación de la Memoria Histórica (REMHI), Guatemala: Nunca Más, 1998.

15 55% pour des violences sexuelles rapportées ont eu lieu dans le départememnt de Quiché ; 25% pour Huehuetenango ; 7% pour Alta Verapaz ; 3% à Chimaltenango ; 3% pour Baja Verapaz.
16 FGER, TRIBUNAL DE CONCIENCIA 2019, Juin 2019, Consultable sur https://www.fger.org/tribunaldeconciencia2019/.
17 Selon les personnes identifiées par la CEH, les victimes directes ont principalement été des femmes[1] et des filles ; 62% de femmes adultes –entre 18 et 60 ans, 3% de femmes âgées : 1/3 soit 35% ont entre 0 et 17 ans. Les hommes et les garçons ont également, de façon minoritaire, été victimes de violences sexuelles.
18, 39 Sandra Xinico Batz, La insistencia de la resistencia por la justicia de las mujeres Achí en Guatemala, Janvier 2020 [En ligne], Consultable sur https://rudagt.org/la-insistencia-de-la-resistencia-por-la-justicia-de-las-mujeres-achi-en-guatemala/.
19, 23, 29 Comisión de Esclarecimiento Histórico (CEH), Guatemala: Memoria del Silencio », 1999, Consultable sur http://biblio3.url.edu.gt/Libros/memoria_del_silencio/indice.pdf.
20 Aura Marina Yoc Cosajay, “Violencia sexual a mujeres indígenas durante el conflicto armado interno y el genocidio en Guatemala”, Caravelle, 102 | 2014, 157-162.
21 Marisa RUIZ TREJO, Marta Casaus ARZU, « Procesos de justicia y reparación: el caso «Sepur Zarco» por violencia sexual, violación y esclavitud doméstica en Guatemala y su sentencia paradigmática para la jurisprudencia internacional », Janvier-mars 2017, Pacarina del Sur, Vol. 8/30, [En ligne], Consultable sur https://www.researchgate.net/publication/313366707_Procesos_de_justicia_y_reparacion_el_caso_Sepur_Zarco_por_violencia_sexual_violacion_y_esclavitud_domestica_en_Guatemala_y_su_sentencia_paradigmatica_para_la_jurisprudencia_internacional.
22 Béatrice COSENTINO, « Le combat de 36 femmes Maya Achí pour les droits à la vérité, la justice et la réparation », Solidarité Guatemala, N°229, Novembre 2019 [En ligne], Consultable sur http://collectifguatemala.org/IMG/pdf/sg_229_v.def.pdf.
24 Impunity Watch Guatemala, Mujeres Achi buscando justicia, Mars 2020 [En ligne], Consultable sur https://www.youtube.com/watch?v=TghhTqeur_c
25 1/3 des cas selon les données de la CEH.
26 25% des cas selon les données de la CEH.
27 PNUD Guatemala, Juana Garcia de Paz, 30 novembre 2016, [En ligne], disponible sur https://www.youtube.com/watch?v=olnsPUQXlhk&t=9s.
28, 35 Commission d’éclaircissement historique (CEH), Chapitre 3, conséquences et effets de la violence, Guatemala: Memoria del silencio, Guatemala, 1999 [En ligne] Consultable sur http://www.centrodememoriahistorica.gov.co/descargas/guatemala-memoria-silencio/guatemala-memoria-del-silencio.pdf
32 Mervyn CHRISTIAN, Octave SAFARI, Paul RAMAZANI, Gilbert BURNHAM, Nancy GLASS, « Sexual and gender based violence against men in the Democratic Republic of Congo: effects on survivors, their families and the community », 2011, Medecine, Conflict and Survival, Vol. 27/4, pp227-245.
33 Daniel NEUMANN, Ann CHAN, Otim PATRICK, 32:00, Gender against men, 4 juin 2009 [En ligne], Kampala (Ouganda), Refugee law project production (RLP), Consultable sur https://vimeo.com/17616733.
37 77% des exécutions arbitraires pour les hommes ; 23% pour les femmes.
38 PNUD Guatemala, Juana Garcia de Paz, 30 novembre 2016, [En ligne], Disponible sur https://www.youtube.com/watch?v=olnsPUQXlhk&t=9s.
43 FGER, TRIBUNAL DE CONCIENCIA 2019, Juin 2019, Consultable sur https://www.fger.org/tribunaldeconciencia2019/.
44 Les tribunaux de conscience se sont inspirés des principes éthiques d’International War Crimes Tribunal ou Tribunal Russel Sartre, dirigé par Jean-Paul Sartre en 1967. Ensuite, ces tribunaux ont commencé à être mis en place en Amérique latine en se centrant notamment sur les crimes commis envers les femmes. Au Guatemala, ceux-ci ont été organisés par différentes organisations de femmes : celui de 1998 des femmes du Guatemala, de 2010 contre les violences sexuelles envers les femmes durant le CAI et celui de 2019. Les tribunaux sont nourris des témoignages des survivantes, de preuves et expertises relatives à la violence sexuelle.
45 FGER, TRIBUNAL DE CONCIENCIA 2019, Juin 2019, Consultable sur https://www.fger.org/tribunaldeconciencia2019/
47 15 survivantes Mayas Q’eqchi, à travers leur lutte intégrale pour obtenir justice et l’appui d
’une partie de la société civile, ont réussi à faire condamner, pour la première fois dans le monde dans des Cours nationales, 2 perpétrateurs de violences sexuelles pour crime de guerre, crime contre l’humanité et acte de génocide. Cf UN Women, « Affaire Sepur Zarco: Les femmes guatémaltèques qui se sont levées pour obtenir justice dans un pays déchiré par la guerre », Octobre 2018, Consultable sur https://www.unwomen.org/fr/news/stories/2018/10/feature-sepur-zarco-case
48 Ces personnes en particulier sont considérées comme des personnes défenseures des droits humains et une partie d’entre elles s’auto-identifient comme telles.