Implications des femmes ivoiriennes dans la crise militaro-politique de 2002 en Côte d’Ivoire

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27.01.2022

Louis Severin Adji

Longtemps considéré comme un havre de paix et un modèle de stabilité en Afrique, la Côte d‘Ivoire bascule progressivement dans un conflit armé qui durera une décennie. En septembre 2002, la Côte d’Ivoire est frappée par un coup d‘Etat qui se mue finalement en rébellion armée et entraîne la partition du pays. Le nord est dirigé par le Mouvement Patriotique de Côte d’Ivoire (MPCI) composé de soldats mutins, quant à l’ouest, il est tenu par un bloc compact de combattants et de mercenaires venus de pays voisins (Liberia voisin et Sierra-Léone) Front de Libération du Grand Ouest (FLGO), Mouvement pour la Justice et la Paix (MJP), Mouvement Populaire Ivoirien du Grand Ouest (MPIGO). Le Sud est contrôlé par les forces régulières, d’éléments de groupes d’auto-défense, de groupes nationalistes notamment les « jeunes patriotes » et de la Fédération Estudiantine et Scolaire de Côte d’Ivoire (FESCI). En 2008, la signature de l’accord de Ouagadougou conduira le pays vers un début de sortie de crise qui sera entériné par l’organisation consensuelle d’élections présidentielles en Octobre 2010. Ces élections se solderont par une crise post-électorale en 2011 qui occasionnera selon les rapports officiels plus de 3000 morts. Ainsi, cet article se propose d‘examiner la participation des femmes lors de la crise militaro-politique qui a eu cours en Côte d‘Ivoire. Notre postulat sera bâti autour de la problématique suivante: Quels peuvent être les déterminants sociaux, qui ont sous-tendu la participation des femmes durant le conflit armé ivoirien? Quel regard peut-on jeter sur la participation des femmes lors du conflit ivoirien? Quelles sont les implications qui y sont rattachées?

Aussi notre analyse sera-t-elle temporellement circonscrite de 2002 représentant le début de la crise armée à 2008 marquant la signature de l’accord de Ouagadougou.

Quels sont les déterminants qui ont sous-tendu la participation des femmes durant le conflit armé en Côte d ’Ivoire? 

L’image de la femme en tenue de combat, en position de combat et arme au poing, contraste largement de celle qui porte un bébé au dos, soucieuse de l‘équilibre du foyer et pleine d‘attention à laquelle les esprits sont familiers. En réalité, le phénomène de la participation des femmes dans les conflits armés n’est pas un fait nouveau. Déjà, plusieurs mythologies à travers le monde présentent des races de femmes guerrières, cependant, la littérature autour de ces faits reste encore insuffisante. 

A l’instar de plusieurs zones de conflits dans le monde (République Démocratique du Congo, Colombie, Libéria, Sierra Léone etc..) de nombreuses femmes ont intégré les forces belligérantes à l’occasion de la crise ivoirienne. Aussi, l’Autorité pour le Désarmement, la Démobilisation et la Réintégration (ADDR) a recensé jusqu’à la date du 3 novembre 2014, près de 8% de femmes sur un total de 74 068 combattants[1]Narcisse Angan “DDR: 74 068 ex-combattants recensés, 18 261 armes collectées”, Fratmat.info,  février 2012, … Continue reading.

Afin d’évoquer les déterminants qui ont motivé la participation des femmes dans le conflit armé ayant eu cours en Côte d’Ivoire, il convient de jeter un regard panoramique sur les motifs de leur engagement de chaque côté des parties belligérantes. 

Du côté de la rébellion, les soldats déserteurs profitent de la profonde fracture entre les originaires du nord et les institutions de l‘Etat occasionnée par une crise identitaire qui remet en cause la citoyenneté de cette partie de la population. En outre, la question économique a pesé fortement dans la balance au niveau de l’engagement des femmes, car, l‘avènement de la crise impacte directement les activités commerciales, principaux moyens de subsistance des femmes en zones rebelles[2]Kamina Diallo “Quand les femmes s’engagent dans la rébellion le cas des ex-combattantes ivoiriennes”, Noria Research, décembre 2017, url: … Continue reading. Dans les faits, les territoires rebelles sont subdivisés en dix zones, où règnent en maîtres des commandants qui y imposent leur diktat. Aussi, en s‘engageant aux côtés des forces rebelles, les femmes s‘attirent les bonnes grâces de ces seigneurs de guerre.

Au niveau de l’armée régulière, les conditions d‘accès obéissent à des critères bien connus (recrutement par voie de concours) pour tous les sexes sans distinction. Ainsi, les femmes sont présentes dans tous les corps des forces de défense et de sécurité en Côte d’Ivoire D’autres motifs plus subjectifs portant sur la défense de la patrie et l’effet de groupe alimenté par des enrôlements massifs du côté d’autres groupes parallèles notamment la FESCI. Cette organisation guidée par la défense du territoire s’est érigée au fil du temps comme un supplétif des forces de sécurité gouvernementales et a mobilisé des milliers de jeunes au plus fort de la crise[3]Human Rights Watch, “Le militantisme étudiant dans les années 1990 ;  de la clandestinité au schisme politique”, Mai 2008, url: https://www.hrw.org/legacy/french/reports/2008/cdi0508/7.htm.

Comment s’est manifestée la participation des femmes dans les groupes armés? 

Même si dans l’un ou l‘autre camp, les femmes sont soumises aux mêmes règlements et traitements que leurs collègues, elles exercent essentiellement des activités de soutien aux opérations militaires, d’assistance administrative, d’exercice de tâches domestiques, de soins médicaux, d’espionnage, etc.).

Il faut également remarquer qu’elles sont peu présentes au niveau des postes touchant à l’opérationnel ou n’impliquant pas un grand pouvoir de décision ou de gestion et de contrôle et plutôt présentes dans les tâches d’exécution et d’administration. 

Paradoxalement, rares sont celles qui ont effectivement pris part aux combats aux côtés des hommes. En réalité le fait qu’elles occupent des postes subalternes dans l’administration, la santé, la cuisine permet de les maintenir dans leur condition de femmes attribuée et cautionnée par la société. 

Ainsi, l’on peut déduire que la participation des femmes au conflit n’implique pas une réelle transformation des rapports de pouvoir au sein des groupes armés. 

Par ailleurs, cette participation ne peut être considérée comme un indicateur de changement social eu égard à la division du travail pratiqué à l’intérieur des groupes armés. Aussi l’engagement des femmes à l’occasion du conflit ivoirien, n’entraîne pas en soi un véritable bouleversement de la hiérarchisation des composantes de la nation ivoirienne[4]Kamina Diallo “Quand les femmes s’engagent dans la rébellion le cas des ex-combattantes ivoiriennes”, Noria Research, décembre 2017, url: … Continue reading. A titre d’illustration, à ce jour, le personnel féminin constitue 1,76% des effectifs des forces armées de Côte d’Ivoire. Ces chiffres indiquent clairement que le chemin à parcourir afin de parvenir à une intégration réussie des femmes au sein des Forces de Défense et de Sécurité tel que voulu par les autorités gouvernementales est encore long. En effet, l’on dénombre à ce jour, 296 femmes sur un effectif global de 44597 soldats. Ce qui représente un taux global d’effectif féminin de 0.66 %. La Gendarmerie étant l’entité affichant le plus faible taux de féminisation, à savoir 0.20 % contre 1.45 % pour l’Armée de l’Air, 1.01 % pour l’Armée de Terre et 0.55 % pour la Marine Nationale. Par catégorie, les officiers représentent 11,19%, les sous-officiers 36,25% et les militaires du rang 51,58% du personnel féminin[5]“Les femmes engagées dans la défense nationale”, Le magazine du ministère de la Défense, Janvier 2017, Page 77, url: … Continue reading.

Conclusion

Réaliser une analyse portant sur la participation des femmes durant le conflit ivoirien n’est pas chose aisée. Pour cause, la société ivoirienne présente les femmes comme des victimes de la crise et au contraire dénie leurs statuts de combattantes. 

Aussi l’engagement des femmes dans le conflit armé en Côte d‘Ivoire, qui est en réalité un milieu masculin violent, est une forme d’émancipation et de déviation du champ qui leur est traditionnellement assigné par la société. Cependant, à travers leur degré d’implication durant ce conflit nous pouvons supposer que ce processus d’émancipation n’est pas achevé. En termes de pistes de recherche pouvant permettre d’élucider un peu plus le phénomène de la participation des femmes aux conflits armés, en Côte d’ivoire, nous nous  sommes intéressés à la question du genre à la lumière de l’engagement de chaque côté des parties belligérantes (notamment en termes de rôles). Il en ressort qu’il serait judicieux de dépasser le rôle de victime des femmes, mais aussi d’analyser son rôle d’actrice de premier plan en situation de guerre afin de la protéger efficacement dans les deux cas de figure. 

Pour citer cet article : Louis Severin Adji, “ Implications des femmes ivoiriennes dans la crise militaro-politique de 2002 en Côte d’Ivoire ”, 27.01.2022, Institut du Genre en Géopolitique.

Les propos contenus dans cet article n’engagent que l’auteur.ice.

References

References
1 Narcisse Angan “DDR: 74 068 ex-combattants recensés, 18 261 armes collectées”, Fratmat.info,  février 2012, url:https://www.fratmat.info/article/66929/60/ddr-74-068-ex-combattants-recenses-18-261-armes-collectees
2 Kamina Diallo “Quand les femmes s’engagent dans la rébellion le cas des ex-combattantes ivoiriennes”, Noria Research, décembre 2017, url: https://noria-research.com/ex-combattantes-ivoiriennes/
3 Human Rights Watch, “Le militantisme étudiant dans les années 1990 ;  de la clandestinité au schisme politique”, Mai 2008, url: https://www.hrw.org/legacy/french/reports/2008/cdi0508/7.htm
4 Kamina Diallo “Quand les femmes s’engagent dans la rébellion le cas des ex-combattantes ivoiriennes”, Noria Research, décembre 2017, url: https://noria-research.com/ex-combattantes-ivoiriennes//
5 “Les femmes engagées dans la défense nationale”, Le magazine du ministère de la Défense, Janvier 2017, Page 77, url: https://www.defense.gouv.ci/uploads/magazine/Magazine_D%c3%a9fense_N%c2%b03.pdf