Entre sanctions internationales et accord sur le nucléaire iranien : l’importance de l’indicateur économique pour comprendre les évolutions de la condition des femmes en Iran 3/3

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Avec le retour des sanctions, quel avenir peut-on espérer pour la condition des Iraniennes ?

Illustrateur Nato Tardieu

28.08.2019

Par Deborah Rouach

La déclaration officielle du retrait des États-Unis de l’accord nucléaire et de la reprise de sanctions économiques par le président Donald Trump, le 8 mai 2018, annoncent une nouvelle période sombre pour la République islamique d’Iran. En cette période de crise économique et avec les tensions géopolitiques qui en découlent, la question de la condition des femmes n’est clairement pas perçue comme une priorité pour le gouvernement, elle a donc été mise de côté, voire a fait l’objet d’un regain de sectarisme par les plus traditionalistes.

Expression d’un profond malaise de la société, les manifestations qui ont eu lieu en fin de l’année 2017 et au début de l’année 2018 dénoncent le régime et son système clientéliste corrompu. Ces mécontentements montrent que le pays se trouve dans une impasse. La société qui subit une situation de plus en plus étouffante souhaite une amélioration de ses conditions de vie comme cela leur a été promis par le président Rohani. Le gouvernement a, de ce fait, perdu sa légitimité sans toutefois risqué d’être renversé par la population qui n’en a pas les moyens et n’a pour l’instant aucune alternative politique au régime actuel. Même si les Iraniens se contentent d’une absence de chaos total, cette situation va entrainer des bouleversements au niveau politique et différents scénarios sont à prévoir.

Dans un contexte géopolitique très intense où la République islamique se retrouve sous pression, il est possible que le régime ne soit pas en position de refuser les demandes de libéralisation de la société et doive lâcher du lest afin de réduire la pression subie par la population. Il est néanmoins plus probable que la désillusion de la société et la résurgence des tensions face à l’échec de la stratégie du président Rohani favorisent le camp des conservateurs à la prochaine présidence en 2021. La position opposée à l’ouverture du pays se verra alors consolidée. D’après les propos de Thierry Coville, « le contexte international et économique a conduit Rohani à reculer sur ces questions et ses adversaires à avancer. La politique américaine renforce le camp de ceux qui veulent réprimer en Iran, la question des droits de l’Homme et des femmes passent de ce fait à la trappe. Il y a un renforcement des « durs » en Iran qui n’est pas terminé, les gens sont déçus et ne vont pas soutenir le président Rohani [1]Entretien réalisé avec Monsieur COVILLE Thierry, mené le 25 juin 2019. ».

Il y a de fortes chances pour que cette situation alimente le ressentiment des Iraniens contre les puissances occidentales qui n’ont pas respecté leur engagement et ne sont pas capables de proposer des solutions à la politique unilatéraliste des États-Unis. La montée des tensions socio-économiques risque de rassembler la population contre l’extérieur même si l’incapacité du gouvernement à établir un système économique viable ne sera pas oubliée. Thierry Coville met en avant cette double origine du mécontentement de la population : « L’Iran est un pays nationaliste, il y a un sentiment d’injustice face à la situation actuelle. Même si la population n’est pas d’accord avec le régime politique, il y a une partie d’entre elle qui est anti-américaine et soutient les « durs ». Dans cette situation, il peut y avoir un mouvement de ralliement au camp des « durs » ce qui affaiblirait les modérés. [2]Entretien réalisé avec Monsieur COVILLE Thierry, mené le 25 juin 2019. »

Face à cette perte de contrôle du gouvernement sur la situation économique, c’est sur les femmes qu’il va déployer une emprise abusive. Le gouvernement n’entend pas laisser entrevoir une once de relâchement mais bien au contraire exprimer sa résignation à maintenir les normes sociétales. Pour le chercheur Thierry Coville, cette stratégie est « une manière de poser les jalons et de faire peur [3]Entretien réalisé avec Monsieur COVILLE Thierry, mené le 25 juin 2019. ». Cette position renforce le déséquilibre entre hommes et femmes qui repose sur l’essentialisation des différences basée sur le genre et leur complémentarité. De ce déséquilibre découle tout un système inégalitaire qui affecte les opportunités, les choix et l’existence de l’individu en Iran. La valorisation de ce modèle apparaitra comme le dernier rempart au chaos qui règne au sein de l’économie et des relations internationales du pays afin qu’il ne s’étende pas à la société où le respect des normes religieuses doit être préservé.

Ce durcissement qui a pour objectif de montrer que la République islamique d’Iran tient les rênes et reste aux commandes de la destinée du pays, n’est pas un comportement nouveau. En 2009, Ali Rastbeen évoquait l’intensification des « pressions sécuritaires et sociales  [4]RASTBEEN Ali, « L’Iran et les enjeux géostratégiques au XXIe siècle », Hérodote, vol. 133, n°2, 2009, p. 180-197. » du gouvernement en période de tensions économiques. Il ne faut pas oublier que si les modes de vie défendus par le gouvernement iranien sont considérés comme dépassés par la plupart des Iraniens, le pays est extrêmement influent dans la région du Moyen-Orient et est donc très attentif à l’image qu’il reflète à l’étranger notamment par rapport au contrôle qu’il maintient sur sa société.

La société est donc la première à subir les conséquences des sanctions internationales et non pas l’État qui les instrumentalise afin de justifier sa politique coercitive qui empêche toute réforme libérale et lui permet d’invoquer l’état d’urgence et la menace d’une guerre pour réprimer l’opposition. Les sanctions ont donc un impact contre-productif sur la société qui se traduit également par l’intransigeance des conservateurs au pouvoir qui, sous prétexte que le pays est menacé, vont réprimer la population et condamner les militantes féministes de « collusion en vue de nuire à la sécurité nationale  [5]IMBERT Louis, « L’avocate Nasrin Sotoudeh, militante des droits humains, martyre de Téhéran », 20/06/2019, disponible sur : … Continue reading » et « [d’]acte de propagande contre l’État [6]IMBERT Louis, « L’avocate Nasrin Sotoudeh, militante des droits humains, martyre de Téhéran », 20/06/2019, disponible sur : … Continue reading » comme cela a récemment été le cas pour l’avocate des droits de l’Homme, Nasrin Sotoudeh. Les groupes sociaux les plus ouverts sur le monde se voient donc particulièrement fragilisés, on peut alors parler d’une précarisation des mutations sociales concernant les femmes en Iran. Les femmes pourraient en effet être moins enclines à se rebeller en raison des risques encourus en cas de comportement jugé déplacé ou de voile mal porté en public ce qui fragiliserait encore plus leur situation.

Dans ce contexte de crises multiples et sans alternative politique avantageuse pour la société, les perspectives d’évolution de la condition des Iraniennes à court terme ne sont pas encourageantes. Les femmes vont subir les conséquences des sanctions économiques actuelles, en étant plus sujettes que les hommes au chômage, au licenciement sous prétexte d’accaparer des emplois au détriment des hommes et à la paupérisation de leur quotidien. Quant à savoir si cela entrainera un retour en arrière concernant les normes imposés aux femmes, l’échec de l’accord renforce la position conservatrice qui soutient l’appartenance des femmes à la sphère privée, ce qui risque d’entraîner le recul de l’accès des femmes à l’éducation et au marché du travail et un accroissement du nombre
de mariages précoces.

Certes, la modernité des mentalités de la population iranienne et la capacité de mobilisation de la société lorsqu’elle est démesurément maintenue sous contrôle lui octroie un moyen de pression sur le gouvernement. Toutefois, il ne faut pas sous-estimer la résilience du régime iranien qui parvient à s’adapter aux mœurs de la société tout aussi bien qu’à la réprimer afin de rester la seule force en puissance.

Pour citer cet article : Deborah Rouach, ” Comprendre les mutations qui affectent l’Iran à travers la question de la condition des femmes”, Mémoire de master, sous la direction de M. Thierry Coville, Iris Sup’, 2019, 56 p.

References

References
1, 2, 3 Entretien réalisé avec Monsieur COVILLE Thierry, mené le 25 juin 2019.
4 RASTBEEN Ali, « L’Iran et les enjeux géostratégiques au XXIe siècle », Hérodote, vol. 133, n°2, 2009, p. 180-197.
5, 6 IMBERT Louis, « L’avocate Nasrin Sotoudeh, militante des droits humains, martyre de Téhéran », 20/06/2019, disponible sur : https://www.lemonde.fr/international/article/2019/06/20/nasrin-sotoudeh-martyre-du-regime-iranien-et-icone-des-droits-humains_5478791_3210.html