L’absence de parité dans le numérique : un sujet toujours d’actualité

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L’absence de parité dans le numérique : un sujet toujours d’actualité


Illustratrice Yona. Instagram : @welcome_univers
21.04.2020 Par Alice Apostoly
Le manque de diversité de genre dans le numérique n’est pas un sujet récent. Et pourtant, il continue de faire débat tant le problème ne semble pas s’atténuer alors que l’on trouve une parité dans le domaine de l’informatique en Inde ou en Malaisie par exemple. Il y a un consensus quant aux besoins de diversité dans l’innovation mais aucun effort concret n’a  jusqu’à présent inversé la tendance. Le monde de demain sera numérique, et il est primordial que les femmes participent à sa création.
Contrairement aux idées reçues, on doit aussi le numérique aux femmes
En informatique, et ce depuis le XVIIIe siècle, les femmes sont des pionnières. Pour ne citer qu’elles : Ada Lovelace et la rédaction du premier algorithme, Hedy Lamarr et la création d’un système de radio haute fréquence qui deviendra le Wi-Fi, ou encore l’équipe féminine menée par Jean Bartick qui a programmé le superordinateur ENIAC puis qui s’est penché sur l’UNIVAC – ordinateur à portée commerciale. D’ailleurs, chacune des membres de l’équipe a su laisser un héritage en matière d’informatique, comme par exemple Milly Koss qui est une pionnière du traitement de texte.
Durant le XIXe et jusqu’à la première moitié du XXe siècle, programmer était un métier de femmes. Les calculatrices humaines étaient notamment présentes à Harvard avec les Harvard Computers), Bletchey Park et la NASA. Leur travail a permis de nombreuses avancées dans le domaine de l’ingénierie spatiale et informatique. On ne peut oublier la célèbre Margaret Hamilton, sans qui la mission Apollo n’aurait pu réussi .
Ainsi, on estime que, dans les années 1960, les femmes représentaient entre 30 % et 50 % des effectifs. Traditionnellement relayées aux postes de calculatrices humaines, la plupart des femmes dans l’informatique et la technologie effectuaient un travail rébarbatif – mais nécessaire – qui n’attirait pas les hommes. Seules certaines d’entre elles se voyaient promues et toutes étaient moins rémunérées que leurs pairs masculins.
Au fur et à mesure, ces calculatrices ont su se faire une place dans la conception de nouveaux programmes et de nouveaux outils. Milly Koss a conçu, avec sa collègue Grace Hopper, le premier compilateur ; Susan Kara travaille avec Steve Jobs sur la conception du Macintosh.
La proportion de femmes en étude informatique augmentait constamment, jusqu’à atteindre un pic en 1980. Puis, en 1985, se produit une baisse brutale de la part de femmes qui travaillent en informatique : en 1986, seulement 37 % des étudiants en sciences de l’informatique étaient des femmes.
Pourquoi si peu de femmes sont présentes dans les milieux de la technologie et de l’informatique ?
Plusieurs hypothèses sont présentées pour expliquer ce déclin abrupt. D’abord l’arrivée d’un ordinateur dans les foyers. La fin des années 1980 marque l’arrivée du micro-ordinateur et PC, technologies de rupture qui vont cibler les pères de famille puis les garçons avec l’arrivée des jeux vidéo. L’image que la société avait de l’informatique a changé : ce n’est plus un secteur peu prestigieux féminin du tertiaire mais un métier d’avenir masculin.
Le décrochage des étudiantes s’expliquerait ainsi par un engouement masculin qui joue en leur faveur : en première année à l’université se côtoient des étudiants qui ont déjà des prérequis, ayant utilisé un ordinateur à la maison, et des étudiantes pour qui ce n’était pas le cas. Cette différence de niveaux, sans mise à niveau scolaire, pousse beaucoup d’étudiantes à se reconvertir.
Par la suite, la réputation masculine de ces métiers de l’informatique a découragé les filles dès le plus jeune âge et polarise encore le choix d’orientation des jeunes femmes. En effet, la normalisation de l’ordinateur à la maison a créé de nombreux boys clubs, notamment dans le domaine du jeu vidéo. Ce phénomène persiste encore aujourd’hui. Comme le constate l’association Women in Games, la moitié des utilisateurs de jeu vidéo sont des femmes et pourtant elles ne sont que 14% à en développer. Ce manque s’expliquerait par l’hostilité misogyne à laquelle elles se heurtent comme en témoigne la controverse du Gamergate et les témoignages récurrents d’insultes lors de parties en ligne.
La Silicon Valley n’est pas non plus réputée accueillante envers les femmes . De nombreuses employées relatent une certaine exclusion involontaire de par le majorité masculine et volontaire de par les nombreuses accusations d’harcèlement sexuel au travail. Selon l’enquête réalisée par Emily Zhang pour son livre « Brotopia », les soirées décadentes où se côtoient les investisseurs et les entrepreneurs de renom ferment les portes à beaucoup de femmes. Les femmes entrepreneures font aussi face à une inégalité de financements. En effet, les entreprises créées par des femmes obtiennent en moyenne moitié moins de financements que les entreprises créées par des hommes. [1]Selon le rapport “Women Entrepreneurs 2014: Bridging the Gender Gap in Venture Capital” de Babson College
Quelles solutions pour pallier à ce manque de représentation ?
Le manque de diversité heurte l’innovation. De nombreuses femmes ont l’originalité et les capacités de participer aux conceptions de nouveaux produits, et à la perfection de projets déjà en cours. Comme l’explique plus en détail l’article de Déborah Rouach, l’intelligence artificielle reflète une perception biaisée de la société et de ses acteurs, notamment des préjugés sexistes. La notion de neutralité dans la tech ne peut être garantie quand seuls des hommes blancs travaillent à sa conception.
Il est donc nécessaire de diversifier les équipes et les cadres dirigeants en recrutant plus de femmes dans les entreprises mais pas seulement. Les facteurs qui empêchent les femmes de se tourner vers les sciences informatiques et technologiques se manifestent dès le plus jeune âge.
Il reste donc un défi de représentation à relever pour espérer une certaine parité dans le futur : un accès égalitaire aux ordinateurs et aux formations dès la primaire, une lutte contre la division sexuée du travail et la fin du sexisme dans les milieux de l’informatique et la technologie. En bref, une évolution des mentalités.
Sources
EVANS Claire L., «Broad Band, The Untold story of the women who made the Internet», New York, Portfolio/Penguin, 2018
CHANG Emily, “Brotopia”, New York, Portfolio/Penguin, 2018
COLLET Isabelle, « La disparition des filles dans les études d’informatique : les conséquences d’un changement de représentation », janvier 2004, Carrefours de l’éducation, disponible sur : https://www.cairn.info/revue-carrefours-de-l-education-2004-1-page-42.htm
COLLET Isabelle, MOSCONI Nicole,  « Les informaticiennes : de la dominance de classe aux discriminations de sexe ? », Février 2010, Nouvelles Questions Féministes, disponible sur : https://www.cairn.info/revue-nouvelles-questions-feministes-2010-2-page-100.htm
STENGEL Geri, « Is Change In The Wind For Women Entrepreneurs Raising Capital?”, 13 avril 2016, Forbes.com, disponible sur : https://www.forbes.com/sites/geristengel/2016/04/13/is-change-in-the-wind-for-women-entrepreneurs-raising-capital/#70ee93fd5eaf
 Pour citer cet article : Apostoly Alice,  » L’absence de parité dans le numérique : un sujet toujours d’actualité « , 21.04.2020, Institut du Genre en Géopolitique.

References

References
1 Selon le rapport “Women Entrepreneurs 2014: Bridging the Gender Gap in Venture Capital” de Babson College