La Pardada Pardadi Educational Society : la lutte contre la précarité menstruelle en Inde à travers « l’école de l’espoir »

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30/09/2022

Chloé Lenoir

En 2018, la réalisatrice Rayka Zehtabchi présentait au monde la stigmatisation des règles en Inde et ses conséquences déplorables sur l’émancipation des femmes à travers son documentaire «Les règles de notre liberté ». Si le court métrage ne dure que 26 minutes, la justesse du propos et l’enjeu du message ont permis de souligner les conséquences de la précarité menstruelle sur les jeunes femmes et leur éducation, notamment dans les régions les plus rurales du pays.   

Aujourd’hui encore, le tabou sur les règles persiste en Inde en raison des croyances et superstitions. Les femmes sont, de ce fait, soumises aux règles de l’impureté et ont notamment l’interdiction d’entrer dans une cuisine, de se laver les cheveux, de se rendre au temple ou dans certaines écoles. Ainsi, Aditi Gupta, auteure de la bande dessinée Menstrupedia[1]Aditi, G. (2012). Menstrupedia ComicMenstrupedia.https://www.menstrupedia.com/ ,affirme : « la honte est devenue intrinsèque. Ces changements biologiques leurs donnent un sentiment d’infériorité et elles les acceptent comme un handicap[2]Entrepreneure sociale et co-fondatrice de Menstrupedia, elle est nommée en 2014 dans la liste Forbes India 30 Under 30. ». Cette  stigmatisation systémique met en danger toutes les femmes indiennes, quelle que soit leur position sociale et engendre une importante précarité menstruelle. En 2011, l’institut américain d’enquête d’opinions AC Nielsen a montré que près de 88% des femmes ne disposent que de simples chiffons et n’ont pas accès aux infrastructures nécessaires telles que des sanitaires décents[3]Pallavi, G. (21 mars 2017). Les « règles » des femmes en Inde : Comment briser les « mythes menstruels ». Media India … Continue reading. Dans les régions les plus reculées, à l’instar du Punjab, certaines femmes sont parfois forcées d’utiliser de la paille et s’exposent ainsi à de graves maladies du système génital et reproducteur.  

De plus, cette précarité menstruelle persistante a également d’importantes répercussions sur la scolarisation des jeunes filles indiennes. Pour cause, contraintes de rester à la maison durant leur religion mensuelle[4]Azema L. (24 juillet 2017). Avoir ses règles en Inde : un tabou mens(tr)uel. Courrier … Continue reading, celles-ci se voient généralement privées d’éducation. Aussi, les femmes ne peuvent suivre une scolarité égale à celle de leurs homologues masculins en raison de violences physiques et psychologiques[5]En Inde, des étudiantes déshabillées pour voir si elles ont leurs règles. (14 février 2020). Huffington … Continue reading ou de l’absence de moyens adéquats pour gérer leurs menstruations. 

Pour faire face à cela, plusieurs ONG tentent de créer des alternatives à l’école publique afin de permettre aux jeunes filles de poursuivre leur scolarité malgré les difficultés menstruelles qu’elles rencontrent. C’est notamment le cas de l’ONG Pardada Pardadi Educational Society (PPES) qui, depuis 2000, s’efforce de permettre aux jeunes filles indiennes d’être scolarisées tout en leur apportant des connaissances nécessaires sur la santé et l’hygiène.  

Dès lors, comment la PPES, à travers « l’école de l’espoir », parvient-elle à lutter contre la précarité menstruelle afin de réduire l’inégalité daccès à l’éducation en Inde depuis 2000 ? 

Les mesures économiques et éducatives de la Pardada Pardadi Educational Society, « From the Village to the World[6]« Du village au monde » devise de la PPES »   

En 2000, Virendra Singh, un ingénieur revenu des États-Unis dans sa ville natale d’Anupshahr, créait la PPES avec pour objectif le « développement rural par l’émancipation sociale des femmes[7]Pardada Pardadi (2021). https://pardadapardadi.org/». Littéralement « arrière-grands-parents » en Hindi, le terme Pardada Pardadi fait référence à l’ancienne sagesse indienne ainsi qu’à l’éducation et à la connaissance. Plus largement, Virendra Singh souhaite que le savoir-faire et le savoir être, considérés comme essentiels au développement de l’individu, ne soient plus seulement enseignés aux garçons mais soient également enseignés aux jeunes filles. Pour cause, les filles représentent 62% des enfants non-scolarisés et près de 50% d’entre elles sont analphabètes contre seulement 25% des garçons[8]Sur le Chemin de l’école. (2014). En savoir plus sur l’éducation en Inde. https://www.surlechemindelecole.org/leducation-en-inde/ 

Fondée sur des valeurs de discipline, d’honnêteté et de respect, la Pardada Pardadi offre une éducation gratuite, en accord avec le système scolaire Satya Bharti[9]L’objectif de ce système scolaire est de permettre aux enfants défavorisés de profiter d’un enseignement axé autour de l’entraide et du développement de la communauté. Les … Continue reading. Dans cette région particulièrement pauvre de l’Inde, la Pardada Pardadi permet aux jeunes filles de poursuivre leur cursus scolaire grâce à la bourse et aux repas distribués. En outre, l’ONG fournit gratuitement du matériel d’étude, des installations de santé, des transports ainsi que trois repas par jour généralement inaccessible financièrement. Enfin, alors que la majorité des écoles indiennes n’ont pas les infrastructures suffisantes à la poursuite d’une bonne scolarité pour les enfants, à la Pardada Pardadi les élèves peuvent profiter d’un programme sportif complet, d’un laboratoire scientifique, d’un laboratoire de mathématiques et d’anglais ainsi que d’une salle informatique.  

Alors qu’à sa création en 2000, la Pardada Pardadi Educational Society ne comptait que 44 filles, désormais l’école en compte 2 014 et permet également à 5 431 jeunes filles de participer à des groupes d’entraide[10]“Le groupe d’entraide est un collectif de 10 à 12 femmes qui se réunissent chaque semaine pour discuter de leurs problèmes et créer une cagnotte collective grâce à laquelle elles … Continue reading. L’ONG est aujourd’hui composée de 2 écoles : l’école préprimaire, « Emma Horne School » ainsi que l’école secondaire, « Pardada Pardadi Inter College ». Chacune située près de l’État d’Uttar Pradesh, les deux écoles ont exercé une réelle influence sur 120 villages et ont permis à 332 jeunes filles de sortir diplômées de l’école et à 118 d’entre elles de poursuivre des études supérieures. En outre, la Pardada Pardadi est également associée à la Bhagwati Sarla Paliwal Inter College Jattari à Aligarh en tant que « partenaire de connaissances » favorisant ainsi la diffusion des valeurs de l’organisation.  Ces chiffres, en constante augmentation, démontrent l’important rayonnement de ces « écoles de l’espoir », qui permettent chaque année à des milliers de jeunes filles de néficier d’une éducation complète ainsi que d’un accompagnement pour gérer les différentes problématiques[11]Mariages forcés, grossesses précoces, violence à l’école, extrême pauvreté, sous-nutrition. auxquelles elles font face.  

La vision de la PPES ne se limite pas à l’éducation des jeunes filles. L’organisation a mis en place différents programmes venant compléter celui lié à l’éducation.  Dès sa création, la Pardada Pardadi a développé des ateliers autour de l’autonomisation économique. L’objectif est de permettre aux femmes de devenir indépendantes financièrement en les professionnalisant et en développant des partenariats avec IVillage[12]IVillage est une entreprise sociale  quisociale   emploiequi emploie des jeunes filles provenant de familles défavorisées afin de leur  apprendre la création de produits et de services … Continue reading afin de favoriser leur recherche d’emploi. 72 diplômées de la PPES travaillent aujourd’hui dans des domaines divers, tels que la médecine ou l’informatique. Le partenariat avec IVillage permet aussi l’apparition de formations en couture et en broderie afin d’aider les femmes non diplômées à acquérir de nouvelles qualifications.   

La PPES a également instauré un programme favorisant le développement communautaire[13]Pardada PardadiCommunity Development Division .[Division du développement communautaire]. https://pardadapardadi.org/community-development/. La PPES favorise le prêt d’argent entre les femmes qui participent aux groupes d’entraide afin de leur éviter des taux d’intérêts trop importants leur empêchant d’acquérir une indépendance financière durable.

Des avancées concernant l’hygiène menstruelle à l’origine d’un meilleur accès à l’éducation pour les jeunes filles  

Si l’extrême pauvreté en Inde, notamment dans les régions rurales, reste un des principaux freins à la scolarisation des jeunes filles, d’autres problématiques, notamment celle des règles, font barrage à une éducation égale entre filles et garçons. Pour cause, les établissements scolaires ne permettent pas aux femmes d’avoir accès aux infrastructures nécessaires à une bonne hygiène menstruelle. Aujourd’hui encore, seulement 12% des indiennes disposent de serviettes hygiéniques[14]Wemaëre A. (23 février 2019). Un documentaire sur le tabou des règles en Inde récompensé aux Oscars. … Continue reading. L’absence de sanitaires, de protections ou simplement de poubelles prévues à cet effet les contraignent à manquer de nombreux jours de cours voire à ne pas être scolarisées[15]Pardada Pardadi. (3 septembre 2020). Menstruation and It’s Impacts on Education .[La menstruation et ses impacts sur l’éducation]https://www.youtube.com/watch?v=APaCRqIZKaA. Au total, ce sont 23 millions de femmes qui sont contraintes d’arrêter l’école à cause des difficultés liées à lhygiène menstruelle[16]Karuna-Shechen(28 avril 2021). L’hygiène menstruelle – l’impact de la pandémie. https://karuna-shechen.org/fr/actualite/hygiene-menstruelle-impact-de-la-pandemie/ 

Pour faire face à cette inégalité, la Pardada Pardadi a développé un programme d’aide pour accompagner les élèves dans la gestion de leur menstruation. En 2008, la PPES a créé « the Rags to Pads Project[17]Des tampons aux chiffons” Cairns, M. (n. d.) Rags to pads project [Des tampons aux chiffons]. http://pranahealthcenter.org/2022/05/29/rags-to-pads-project/ » avec la volonté de produire des serviettes hygiéniques afin de les vendre à bas prix aux femmes du village et aux élèves. Après plusieurs années, la production a finalement été arrêtée car l’entretien de l’équipement était difficile et les tampons n’étaient pas de très bonne qualité. Malgré cela, l’école continue encore de distribuer et de vendre à bas prix des serviettes hygiéniques grâce aux différents dons de la part d’entreprises, d’associations et de particuliers.  

De plus, les professeur·e·s, aidé·e·s de gynécologues donnent aux jeunes filles des cours d’éducation sexuelle tout en leur parlant des dangers de l’utilisation de produits non adaptés pour gérer leurs flux menstruels afin qu’elles puissent à leur tour sensibiliser leur entourage. À travers le centre de santé, l’école sensibilise aussi aux syndromes tels que les hémorragies, les douleurs régulières ou les ménorragies qui peuvent annoncer des complications ou des maladies à linstar du fibrome utérin[18]Les fibromes utérins sont des tumeurs non-cancéreuses (bénignes) situées sur la paroi de l’utérus. Généralement indolores, les fibromes peuvent tout de même être gênants et entraîner … Continue reading ou de l’endométriose[19]L’endométriose est une maladie gynécologique chronique de la femme qui se caractérise par le développement d’une muqueuse utérine (l’endomètre) en dehors de l’utérus. Elle se … Continue reading.   

En outre, l’école œuvre également pour l’hygiène menstruelle des jeunes filles à travers la construction d’infrastructures. La Pardada Pardadi a installé des sanitaires propres[20]Pardada Pardadi Educational Society (PPES) (n. d.). Education4change. https://www.globalgiving.org/pfil/11961/projdoc.pdf et respectueux de l’intimité afin de permettre aux jeunes filles d’aborder sereinement leur cycle menstruel. Les étudiantes peuvent ainsi bénéficier de toilettes, de douches et de poubelles sans craindre la transmission d’infections et de maladies. Toutes bénéficient aussi de savons et de linges propres, souvent considérés comme un luxe inaccessible pour les familles modestes indiennes.  

Pardada Pardadi Education Society est parvenue à scolariser de nombreusesjeunes filles venant de familles indiennes pauvres. Selon le S.P Jain Institute of Management and Research, ce sont seulement 15,4% des étudiantes du PPES qui ont quitté l’école contre 47,3% des élèves·e·s des autres écoles Si labandon n’est pas dû qu’à la problématique des règles, de meilleures conditions d’accompagnement ont permis à de nombreuses jeunes filles de poursuivre leur scolarité à l’instar d’autres écoles où les élèves continuent de souffrir de difficultés liées à lhygiène menstruelle.  

Conclusion  

Ainsi, en permettant aux jeunes filles indiennes de poursuivre une scolarité égale à celle des jeunes garçons, la Pardada Pardadi Educational Society accroît leur chance d’ascension sociale grâce à leur émancipation, auparavant impossible en raison de l’inégalité daccès à l’éducation. En outre, la scolarisation des jeunes filles se révèle essentielle pour accéder à l’autonomie financière et, par conséquent, à leur indépendance. Pour ces raisons, la PPES et ses élèves espèrent continuer de développer ce système éducatif et étendre leur influence à de nouvelles régions pauvres indiennes afin d’accompagner un maximum de jeunes filles.  

References

References
1 Aditi, G. (2012). Menstrupedia ComicMenstrupedia.https://www.menstrupedia.com/
2 Entrepreneure sociale et co-fondatrice de Menstrupedia, elle est nommée en 2014 dans la liste Forbes India 30 Under 30.
3 Pallavi, G. (21 mars 2017). Les « règles » des femmes en Inde: Comment briser les « mythes menstruels ». Media India Group. https://mediaindia.eu/dossier/les-regles-des-femmes-en-inde/
4 Azema L. (24 juillet 2017). Avoir ses règles en Inde: un tabou mens(tr)uelCourrier International https://blog.courrierinternational.com/ma-decouverte-de-l-inde/2017/07/24/avoir-ses-regles-en-inde-un-tabou-menstruel/
5 En Inde, des étudiantes déshabillées pour voir si elles ont leurs règles. (14 février 2020). Huffington post https://www.huffingtonpost.fr/entry/en-inde-des-etudiantes-deshabillees-pour-voir-si-elles-ont-leurs-regles_fr_5e468be1c5b64433c614d85a
6 « Du village au monde » devise de la PPES
7 Pardada Pardadi (2021). https://pardadapardadi.org/
8 Sur le Chemin de l’école. (2014). En savoir plus sur l’éducation en Inde. https://www.surlechemindelecole.org/leducation-en-inde/
9 Lobjectif de ce système scolaire est de permettre aux enfants défavorisés de profiter dun enseignement axé autour de lentraide et du développement de la communauté. Les enseignements sont centrés autour des valeurs de partage, de respect et de confiance.  Bharti Foundation. (31 mars 2022). Satya Bharti School Porgram .[Programme scolaire Satya Bharti]. https://bhartifoundation.org/satya-bharti-school-program/ 
10 Le groupe d’entraide est un collectif de 10 à 12 femmes qui se réunissent chaque semaine pour discuter de leurs problèmes et créer une cagnotte collective grâce à laquelle elles peuvent épargner et prêter de l’argent.”  Pardada Pardadi. (2021). https://pardadapardadi.org/community-development/
11 Mariages forcés, grossesses précoces, violence à l’école, extrême pauvreté, sous-nutrition.
12 IVillage est une entreprise sociale  quisociale   emploiequi emploie des jeunes filles provenant de familles défavorisées afin de leur  apprendre la création de produits et de services de qualité. Leur mission : Autonomiser les femmes par l’éducation et l’employabilité, et leur permettre d’être autonomes”.  IVillage. (2022). https://www.ivillagefamily.in/
13 Pardada PardadiCommunity Development Division .[Division du développement communautaire]. https://pardadapardadi.org/community-development/
14 Wemaëre A. (23 février 2019). Un documentaire sur le tabou des règles en Inde récompensé aux Oscars. France 2 https://www.france24.com/fr/20190222-inde-oscars-documentaire-regles-menstruations-serviettes-hygieniques-Zehtabchi
15 Pardada Pardadi. (3 septembre 2020). Menstruation and It’s Impacts on Education .[La menstruation et ses impacts sur l’éducation]https://www.youtube.com/watch?v=APaCRqIZKaA
16 Karuna-Shechen(28 avril 2021). L’hygiène menstruelle – l’impact de la pandémie. https://karuna-shechen.org/fr/actualite/hygiene-menstruelle-impact-de-la-pandemie/
17 Des tampons aux chiffons” Cairns, M. (n. d.) Rags to pads project [Des tampons aux chiffons]. http://pranahealthcenter.org/2022/05/29/rags-to-pads-project/
18 Les fibromes utérins sont des tumeurs non-cancéreuses (bénignes) situées sur la paroi de lutérus. Généralement indolores, les fibromes peuvent tout de même être gênants et entraîner des saignements menstruels anormalement abondants. Ces tumeurs demeurent assez fréquentes chez les femmes.
19 Lendométriose est une maladie gynécologique chronique de la femme qui se caractérise par le développement dune muqueuse utérine (lendomètre) en dehors de lutérus. Elle se traduit le plus souvent par des douleurs durant les règles, les rapports sexuels et est parfois à lorigine dune infertilité.
20 Pardada Pardadi Educational Society (PPES) (n. d.). Education4change. https://www.globalgiving.org/pfil/11961/projdoc.pdf