COP26: un regard de plus près sur le progrès réalisé en matière du genre

Temps de lecture : 7 minutes

Writing by: Avril Chanel

Translated by: Lara Ihab Magdy

Il y a de plus en plus de preuves que le changement climatique a aggravé les inégalités structurelles préexistantes, a un impact plus sévère sur les communautés les plus pauvres et vulnérables, et impacte spécifiquement les femmes. Par exemple, dans le cas d’une urgence climatique, pas tout le monde n’a la même capacité de se déplacer, et les femmes sont souvent abandonnées alors que d’autres évacuent, menant à des différences de genre dans la mortalité. Ceci explique pourquoi les chiffres indiquent que les femmes et les enfants sont 14 fois plus susceptibles de mourir dans une catastrophe naturelle que les hommes[1]Mary Robinson Foundation Climate Justice, “Women’s Participation: An Enabler of Climate Justice”, November 2015, p. 4..

Des études au Bangladesh ont montré que la plupart des femmes ne peuvent pas nager, que leurs responsabilités envers les enfants limitent leur mouvement et que la peur d’un abus sexuel ou physique augmente en dehors de leurs maisons. Par exemple, l’un des cyclones tropicaux les plus meurtriers jamais enregistré a eu lieu dans le pays en 1991, et 90% des victimes ont été des femmes[2]Sonja Ayeb-Karlsson, “When the disaster strikes: Gendered (im)mobility in Bangladesh”, Climate Risk Management, Volume 29, 2020, p. 2.. Ces situations tragiques sont rendues possibles par les disparités de genre existantes, comme la surreprésentation des hommes dans les processus décisionnels et la négligence des besoins des femmes, qui donnent lieu à des politiques climatiques moins effectifs. Dans ce contexte, le monde doit impérativement placer le genre au premier plan de l’action climatique.

Sur le plan international, le traité le plus important luttant contre l’interférence humaine dans le système climatique est la Convention-cadre des Nations Unies sur les changements climatiques (CCNUCC) adoptée en 1992 et dont l’organe directeur suprême, la Conférence des Parties (COP), se rencontre annuellement pour évaluer le progrès dans la lutte contre le changement climatique. Depuis la fin des années 1990, les Parties de la Convention ont mené des efforts pour améliorer la participation des femmes dans tous les processus de la CCNUCC et pour accroître le soutien à la mise en œuvre d’une politique climatique sensible au genre.

L’article actuel va discuter les progrès réalisés pour ces deux objectifs en 2021, particulièrement dans  la 26ème Conférence des Nations Unies sur les changements climatiques- le plus communément connue sous « COP26 »- qui a eu lieu à Glasgow une année plus tard due à la pandémie de la COVID-19 et qui a été présidée par le Royaume-Uni.

Participation des femmes à la CCNUCC : compositions par sexe et temps de parole

Depuis 2012, le secrétariat de la CCNUCC préparait un rapport annuel sur la composition de genre des délégations de parti et des organes sélectionnés établis par la Convention. Selon le rapport de l’année dernière, dans 16 organes techniques subsidiaires, tel que le Comité d’adaptation ou le Comité permanent des finances, les femmes ont occupé une moyenne de 33% de la totalité des positions, comme c’était le cas en 2020. D’autre part, 11 déléguées ont été élues comme présidentes ou co-présidentes d’un organe subsidiaire technique en 2021 sur 23 alors que neuf occupaient de tels postes l’année précédente. En plus, 2 femmes (sur 9 postes) ont été élues au poste de vice-présidente d’un organe subsidiaire technique en 2021, le même chiffre qu’en 2020[3]United Nations Framework Convention on Climate Change, “Gender Composition: Report by the Secretariat”, 20 August 2021, p. 4-5..

Les femmes représentaient 49 % des délégués du Parti et 39 % des chefs et chefs adjoints des délégations du Parti. Par rapport à 2020, la représentation des femmes dans les délégations du Parti a augmenté de 9% et parmi les chefs et chefs adjoints des délégations du Parti de 12%[4]Ibid., p. 7-8..

Plus loin dans le rapport, le secrétariat de la CCNUCC a introduit pour la première fois une analyse des temps de parole des femmes et des hommes, dans le but de donner une compréhension plus détaillée de leur participation durant les négociations. Elle a révélé que, alors que 51% des délégations de Parti étaient des hommes, ils représentaient 63 % du temps de parole total en plénière[5]Ibid., p. 10-12.

Ce panorama montre que les femmes sont encore sous-représentées en termes de présence, et tendent à parler moins que les hommes durant ces événements, mais il y a des exemples qui montrent un progrès dans la participation des femmes par rapport à l’année précédente, spécifiquement parmi les délégations du Parti et aux postes de haut rang.

Visibilité du genre à la COP26 : Sites et événements

Pour renforcer les politiques climatiques sensibles au genre, c’est important de faire le problème visible pour tous, commençant par le site officiel de la COP26. Sur cette plateforme, on peut lire « malgré que la Covid-19 ait posé des défis au processus multilatéral du changement climatique, la présidence du RU de la COP26 s’est engagée de progresser dans une manière transparente et inclusive (emphase ajoutée) et en solidarité avec tous les pays[6]United Nations Climate Change Conference UK 2021, “Negotiations”, URL: https://ukcop26.org/uk-presidency/negotiations/ ». Plus loin sur le même site, c’est cité que plusieurs pays ont avancé des priorités communes pour la COP26, incluant « la promotion d’une action climatique équitable, inclusive[7]Ibid. ». Après une lecture exhaustive du site, il semble que l’achèvement de l’équilibre entre les deux sexes n’est pas le but derrière ces déclarations et que l’inclusivité réfère à la participation internationale de la conférence étant donné les défis produits de la pandémie, comme  les interdictions de voyager et les différents niveaux de vaccination entre les pays.

En fait, le genre n’est mentionné nulle part sur le site de la COP26, y compris dans des documents explicatifs là où l’on s’attendrait à l’inverse, comme la brochure « La COP26 expliquée » et la page « Objectifs de la COP26 ». À moins que l’utilisation implicite du mot « ensemble » (par exemple, « nous ne pouvons relever les défis de la crise climatique qu’en travaillant ensemble »)[8]United Nations Climate Change Conference UK 2021, “COP26 Explained”, URL: https://ukcop26.org/wp-content/uploads/2021/07/COP26-Explained.pdf soit considérée comme une déclaration d’inclusion du genre, il n’y a pas d’indications spécifiques sur le sujet sur la plateforme COP26. Cela montre une détérioration très marquée de l’intérêt pour le rôle que joue le genre dans l’action climatique par rapport à la COP25, présidée par le Chili en 2019 à Madrid, qui énumère le genre comme l’un des principaux enjeux à traiter sur sa page d’accueil.

Dans la COP26, un demi jour sur 10 était dédié aux discussions sur le genre et 6 événements et ateliers officiels ont focalisé sur le thème. Ces chiffres sont inferieurs à la COP précédente qui a tenu un jour entier de débats sur le genre et a eu un total de 8 événements et ateliers officiels relatifs au sujet. D’autre part, les deux conférences ont tenu une réunion à haut-niveau sur le genre et le changement climatique. Concernant les événements parallèles organisés dans le pavillon de la présidence, 10% ont été tenus par le Royaume-Uni en 2021 sur le genre et un thème de changement climatique spécifique comme la finance, énergie, la surveillance et le rapport, alors que moins que 2% ont été organisés en Chili en 2019[9]United Nations Climate Change Conference UK 2021, “UK Presidency Pavilion at COP26: Event Programme”, URL: … Continue reading. En fin de compte, le problème urgent du genre et sa relation avec le changement climatique n’a pas été mis en évidence ni expliqué aux visiteurs du site officiel de la COP26, contrairement à la COP25. A Glasgow, le sujet a été présenté aux participants à un niveau plus au moins égal qu’à Madrid. A la fin, il n’y a pas un progrès majeur à signaler sur la visibilité, mais plutôt un échec de communiquer sur le genre pour le public général qui n’a pas pu assister à la COP26. Il est maintenant nécessaire de voir comment ce défaut est reflété dans les décisions multilatérales adoptées à Glasgow, en comparaison à Madrid.   

Les accords climatiques sensibles au genre de Glasgow : engagements multilatéraux vs plurilatéraux

Etant donné le manque d’accent sur le genre dans la COP26, il n’est pas étonnant que les discussions qui ont eu lieu pendant la conférence n’aient constitué aucune décision décisive. Le Pacte climatique de Glasgow a seulement reconnu l’importance de l’égalité entre les deux sexes et l’autonomisation des femmes comme indiqué dans les traités précédents, y compris l’Accord de Paris de 2015, et a encouragé «les parties à accroître la participation pleine, significative et égale des femmes à l’action climatique[10]United Nations Framework Convention on Climate Change, “Decision -/CP.26: Glasgow Climate Pact”, 13 November 2021, URL: … Continue reading ». Il a appelé les Parties « à renforcer leur mise en œuvre du programme de travail de Lima renforcé sur le genre et de son plan d’action sur le genre» qui ont tous deux été adoptés lors de la COP25.

Le seul nouveau résultat obtenu comprenant un aspect du genre convenu lors de la COP26 est le programme de travail de Glasgow sur Action for Climate Empowerment (ACE). Ce programme de 10 ans renforce la mise en œuvre d’ACE, un concept initié dans le texte de la CCNUCC de 1992 et plus défini au cours des années, qui vise à responsabiliser tous les membres de la société, y compris les femmes, pour s’engager dans l’action climatique à travers l’éducation, la sensibilisation et la participation du public.

En revanche, quelques gouvernements et acteurs non-étatiques se sont engagés progressivement en dehors des négociations multilatérales menant au Pacte Climatique de Glasgow, lors  rencontres et  d’événements informels.   Par exemple, Canada s’est engagé à ce que 80% de ses 4,3 milliards de Dollars d’investissements climatiques pendant les 5 années prochaines visent des résultats d’équilibre entre les deux sexes. La Sierra Leone s’est engagée à lutter contre les pratiques foncières discriminatoires de longue date. Une société de capital-risque appelée « Gender Equity Diversity and Investments » a été fondée par un groupe d’experts, d’investisseurs et de PDG, et vise à combler le déficit de financement des entreprises dirigées par des femmes liées au développement durable.

Ainsi, plus de résultats prometteurs ont pris place en marge du forum international et, en comparaison à la COP25 qui a adopté un programme de travail et un plan d’action, le sexe n’était pas au centre d’une décision révolutionnaire à Glasgow. Les négociateurs à la COP26 ont principalement répété les principes généraux, ont invité les Parties de mettre en œuvre des accords passés et se sont mis d’accord sur un programme qui renforce l’ancien concept d’ACE.

Aller de l’avant : la COP27 en Égypte

L’Egypte a été choisie pour présider la COP prochaine, prévue pour novembre 2022. Parmi ses différentes tâches, la présidence fixe l’ordre du jour du sommet et porte l’ambition au niveau international. L’Egypte va mener les négociations formelles et surveiller la vision et les priorités de la COP27. En fin de compte, elle sera responsable de faire avancer les discussions sur le genre et le changement climatique. Comme c’était mentionné au long de l’article, il y a encore autant de travail à accomplir comme la COP26 n’a fait que peu de progrès sur le sujet. Les femmes sont encore sous-représentées et le problème était discret. Le Pacte Climatique de Glasgow n’était pas innovant, et des initiatives plus audacieuses ont été prises en dehors des discussions officielles, par les Etats et les entités privées.

Ce phénomène pourrait suggérer que le système multilatéral de la CCNUCC glisse lentement vers une situation d’impasse dans le domaine du genre. Des cadres alternatifs, peut-être avec moins ou différents acteurs, peuvent être privilégiés par les plus ambitieux, comme en témoigne Glasgow. Cependant, alors que fleurissent des alliances multi-acteurs et des actions dynamiques au niveau national, il ne faut ignorer que l’inclusion des femmes dans l’action climatique doive se faire collectivement et universellement.

L’Egypte n’aura probablement pas de grand impact pour cet objectif. L’agenda de la session prochaine n’est pas encore disponible mais étant donné la faible représentation des femmes en Egypte et le grand écart entre les 2 sexes, c’est peu probable que la question soit au cœur de la présidence à venir et que la COP27 réussisse à aborder le changement climatique d’une manière inclusive.

 

Pour citer cet article : Avril Chanel, « COP26 : A closer look at the progress made on gender », 25.03.2022, Institut du Genre en Géopolitique, https://igg-geo.org/?p=9430

Les propos contenus dans ce texte n’engagent que l’autrice.

References

References
1 Mary Robinson Foundation Climate Justice, “Women’s Participation: An Enabler of Climate Justice”, November 2015, p. 4.
2 Sonja Ayeb-Karlsson, “When the disaster strikes: Gendered (im)mobility in Bangladesh”, Climate Risk Management, Volume 29, 2020, p. 2.
3 United Nations Framework Convention on Climate Change, “Gender Composition: Report by the Secretariat”, 20 August 2021, p. 4-5.
4 Ibid., p. 7-8.
5 Ibid., p. 10-12
6 United Nations Climate Change Conference UK 2021, “Negotiations”, URL: https://ukcop26.org/uk-presidency/negotiations/
7 Ibid.
8 United Nations Climate Change Conference UK 2021, “COP26 Explained”, URL: https://ukcop26.org/wp-content/uploads/2021/07/COP26-Explained.pdf
9 United Nations Climate Change Conference UK 2021, “UK Presidency Pavilion at COP26: Event Programme”, URL: https://ukcop26.org/wp-content/uploads/2021/11/UK-Presidency-Pavilion-at-COP26-Event-Programme-1104.pdf
10 United Nations Framework Convention on Climate Change, “Decision -/CP.26: Glasgow Climate Pact”, 13 November 2021, URL: https://unfccc.int/sites/default/files/resource/cop26_auv_2f_cover_decision.pdf