Trois pas en avant seront-ils suffisants? Retour sur le forum pour l’égalité de genre 2022

Temps de lecture : 7 minutes

09.11.2022

Zoé Moreau

Le 23 et 24 octobre 2022 se tenait le forum pour l’égalité de genre, organisé par l’EIGE, l’Institut Européen pour l’égalité de genre. Au cours de ces deux jours, de nombreuses interventions ont été faites autour du même constat : il est temps de faire trois pas en avant sur le chemin de l’égalité entre tous les genres, et ce dans tous les domaines. Lors de cette conférence, tou·te·s les intervenant·e·s ont rappelé les conséquences dramatiques des diverses crises auxquelles le monde a fait face ces dernières années. Le lancement de l’édition 2022 de l’index de l’égalité de genre en Europe a d’ailleurs démontré un faible progrès de ces droits au sein des pays des pays de l’Union européenne au cours de la dernière décennie, et même un recul dans certains cas, notamment en matière de sécurité, d’éducation, d’accès au travail, ou encore à la santé[1]European Institute for Gender Equality. (2022, octobre 23). Gender Equality Index 2022 : The COVID-19 pandemic and care. … Continue reading.

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Preuve de l’urgence de la situation, ces chiffres ont toutefois rappelé que la crise sanitaire n’a pas été le seul élément catalyseur des inégalités entre les genres, mais que l’inaction des gouvernements au cours de cette dernière décennie en est tout autant responsable. Convaincue qu’intégrer la dimension du genre au sein de toutes les politiques publiques ne pourrait que profiter à la société, c’est dans un esprit de discussion vers le progrès que le forum s’est ouvert.

Une conférence aux multiples débats

Le ton est donné, l’égalité de genre doit être atteinte dans tous les domaines. C’est pourquoi, lors de ce forum, une diversité de sujets a été abordé comme la gestion de crises, les marchés publics, l’audiovisuel, le climat, la cyberviolence, le domaine du travail, de la santé, de l’analyse, mais également du plaidoyer. Tous les acteur·rice·s se sont rejoint·e·s sur plusieurs points. 

D’abord, en termes d’implémentation, il y a un besoin de convaincre les décisionnaires politiques que promouvoir un agenda tourné vers l’égalité de genre ne pourrait que leur bénéficier. Pour cela, Anna Collins Falk, coordinatrice de l’agence suédoise pour l’égalité de genre, a rappelé que ce n’est pas assez de mettre en place des obligations légales, il faut également inclure l’égalité de genre dans leurs stratégies politiques et leur fournir des guides sur la manière de le faire ainsi que des outils pour les accompagner dans ce processus, et ce de manière coordonnée dans toute l’Europe. 

Ensuite, en ce qui concerne la représentation des femmes, elle doit se faire dans tous les domaines: dans les médias, dans le cinéma, la politique, les entreprises, etc… La discussion autour du film ‘La Conductrice’ produit par Bernadette Wegenstein a démontré que la société doit s’habituer à voir plus de femmes à la tête d’organisation de décisions. Pour cela, ces dernières ont besoin d’être confiantes en elles, d’avoir des modèles mais aussi et surtout qu’on leur donne une chance de réussir, comme de perdre. Travailler sur une inclusion plus importante des femmes et des filles par exemple pourrait apporter de nouvelles idées, solutions et des enjeux différents qui peuvent échapper à d’autres, particulièrement dans des domaines où les hommes sont majoritaires. Dans cet objectif, Katharina Wiese, chargée de mission pour la transition économique et l’égalité des genre au bureau européen de l’environnement, a introduit l’idée d’ intégrer la dimension de genre à toutes les étapes de la vie, notamment dans les systèmes d’éducation qui doivent pousser les jeunes femmes et filles à s’investir dans les activités associées aux besoins économiques, technologiques et sociaux de la société. Il faut également inclure les hommes, pas seulement en tant que partie du problème mais aussi de la solution, leur silence ne peut plus continuer, il faut identifier ceux qui voudraient voir les choses changer et qui ont le pouvoir de le faire. 

Aussi, pour ce qui est du monde professionnel, il a été rappelé qu’un besoin d’équilibrer le travail et la vie personnelle était nécessaire à l’épanouissement de tou·te·s. Toutefois, il faut prendre en compte le fait que les obligations familiales et domestiques impactent cette balance de manière plus importante chez les femmes. Bien que prendre soin de ses proches relève du domaine privé, les compétences développées lors de ces activités dites de “care” sont autant sollicitées dans le monde professionnel et devraient donc être plus valorisées. Ce temps, selon Thomas Fisher, chef du ministère du travail allemand, doit aussi être partagé équitablement entre les hommes et les femmes, nécessitant des congés parentaux équitables et l’accès à des établissements de soins et de puériculture gratuits. Une attention spécifique doit être apportée à la paternité dès le plus jeune âge, pour que les futures femmes ne soient pas les seules garantes de la prise en charge des membres de leur famille. 

De plus, il est important d’agir sur la protection des femmes qui sont les populations les plus vulnérables, que ce soit en temps de crises, mais pas seulement. Elles doivent être en mesure de trouver soutien, refuge et justice lorsqu’elles sont victimes de violences. Cela vaut pour les travailleu·r·se·s qui sont les plus sous-payé·e·s, travaillent dans des conditions difficiles, et dont le bien-être est le plus impacté, mais également pour les migrantes qui sont souvent les principales cibles des violences en Europe. En effet, Marceline Naudi, professeure à l’université de Malte a mis l’accent sur la prévention et l’importance des outils européens en la matière, notamment sur la ratification sporadique de la convention d’Istanbul qui pourrait pourtant réduire et punir la violence dans le milieu professionnel, domestique, institutionnel ou en ligne.

Enfin, il est nécessaire de comprendre que la manière dont nous analysons les faits a le pouvoir de créer un système égalitaire et inclusif. Promouvoir des données plus diverses et genrées, c’est-à-dire basées sur des concepts et définitions qui reflètent la diversité des femmes et des hommes, est un premier pas. Les données doivent démonter les biais de genre, c’est à dire qu’elles doivent être collectées et présentées de manière à ce que les stéréotypes et les facteurs culturels et sociaux soient pris en compte. Selon Jolanta Reingarde, analyste et chercheuse pour l’EIGE, que ce soit l’Union européenne ou les gouvernements eux-mêmes, ces acteur·rice·s n’incluent pas assez la notion d’intersectionnalité alors qu’elles permettraient une analyse d’impact affinée des politiques publiques. 

Les oublié·e·s du Forum

En dépit de la grande variété de sujets abordés, la question des droits sexuels et reproductifs n’a été mentionnée que brièvement pendant la conférence du European Women’s Lobby. Au vu des débats houleux concernant le droit à l’avortement au sein de l’UE, ce sujet aurait amplement mérité sa place durant la conférence. D’autres enjeux, pourtant très actuels, ont eux aussi manqué à l’appel, tels que : la liberté d’expression, la santé mentale et les migrations (toutes deux abordées très brièvement), l’utilisation des violences sexuelles pendant les conflits ou en temps de paix, les enjeux liés à la communauté LGBTQIA+, les violences économiques, ou encore les questions de genre liées au racisme qui affectent de plus en plus le continent.

De manière générale, bien que le thème central était la planification du futur, la conférence est demeurée concentrée sur l’héritage de la crise sanitaire. Bien que cela soit un sujet important, il aurait également fallu voir plus loin. L’Europe doit certes se concentrer sur les leçons à tirer post-Covid, mais aussi et surtout transposer ces dernières aux nouvelles crises qui se dessinent afin de prendre de l’avance, et donc de faire trois pas en avant. 

De plus, le fait de se concentrer sur la collecte de données était plutôt répétitif. De manière générale, il n’y a pas assez de données qui reflètent la diversité de genre, mais en revanche, il y a une nécessité de réduire les inégalités entre les genres maintenant, et ce dans tous les domaines. Il serait alors temps de trouver des alternatives pour combler ce manque de données et continuer d’avancer malgré cela.

Un grand panel d’intervenant·e·s aux engagements nuancés

Malgré sa courte durée, l’agenda de ce Forum n’était pas restreint. Au contraire, un total de seize sessions ont eu lieu sur de nombreux sujets, rassemblant plus de cinquante intervenant·e·s ainsi que plus de huit-cent participant·e·s en ligne et sur place. C’est avec une présentation du travail des différents acteur·rice·s européen·ne·s que les débats ont débuté et que les premiers besoins ont pu être mentionné, à savoir : une transparence sur les inégalités, un changement d’attitude en ce qui concerne la représentation des femmes, ainsi que de nouvelles initiatives vers plus de justice sociale. 

Bien qu’intéressants, ces discours préliminaires de la part des représentant·e·s de l’Union européenne ont entraîné une grande frustration du public qui n’a pas manqué de rappeler que ces objectifs étaient déjà ceux des présidences européennes précédentes, sans résultat significatif dans les différents États. Au cours des différentes séances, l’implémentation des politiques européennes au niveau national est souvent revenue comme l’un des défis majeurs à l’avancée de l’égalité de genre. À celà, il a été répondu par Robert Franken, co-fondateur de l’organisation masculine pour le féminisme en Europe, qu’un changement de perspective était également nécessaire, en particulier sur l’inclusivité. Le système actuel de parité, principalement basé sur des quotas, n’inclut pas les femmes ou encore les minorités de genre de manière constructive. De ce fait, ces dernières ne se sentent ni comprises ni intégrées au sein des structures institutionnelles, ce qui ne leur permet pas d’affirmer leurs points de vue dans les politiques publiques. Ainsi, sans cette véritable participation équitable, les décisions ne peuvent pas être adaptées aux sociétés. 

Parmi les organisations militantes, toutes se sont engagées à poursuivre leur lutte pour l’égalité des genres. Si certaines se sont contentées de discours, d’autres ont mentionné de réelles mesures et appels à action. L’organisation European Women’s Lobby a notamment été la plus concrète. Durant leur conférence, EWL a exprimé le besoin de plus de coordination afin d’impacter les niveaux régionaux et locaux. Pour ce faire, la priorité doit se tourner vers le lobby dans le but d’identifier ce qui unie les femmes et d’en faire une base pour travailler, échanger, créer un réseau et organiser des évènements comme celui-ci. De son côté, l’agence de l’Union européenne pour les droits fondamentaux à identifier dix éléments clés à suivre afin de fournir un guide pour faire campagne pour l’égalité de genre[2]A savoir: Mettre en évidence ses objectifs;  Stimuler l’audience (comprendre ce motive les citoyens, cibler des enjeux commun, créer une confiance);  Partager des valeurs communes (les opinions … Continue reading.

Tout au long de cette intervention, l’organisation a promu une action primordiale : il faut mobiliser les troupes, diversifier les acteur·rice·s engagé·e·s dans le processus de l’égalité de genre, les éduquer aux inégalités femmes-hommes (en particulier les hommes), et construire des standards légaux, politiques mais aussi moraux afin de changer les normes de la société. Toutefois, bien que le mot d’ordre était d’intégrer le plus grand nombre dans la promotion de l’égalité de genre, le forum n’était pas ouvert à l’opinion publique. La parole n’a été donnée qu’aux intervenant·e·s, tou·te·s déjà convaincu·e·s de l’importance de l’égalité de genre au sein de nos sociétés. De ce fait, faire participer le public en ligne aurait pu montrer l’exemple en matière d’inclusivité, mais également diversifier les débats.

Conclusion 

Les mots de la directrice de l’EIGE, Carlien Scheele, sont clairs : il y a une dimension de genre à tous les problèmes qui surviennent au sein de nos sociétés, des données doivent être collectées, rassemblées et présentées aux acteurs gouvernementaux afin que des actions concrètes soient prises. Beaucoup de besoins ont été identifiés, il est temps d’y trouver des solutions afin de mettre fin aux violences faites aux femmes, de promouvoir leurs droits civiques mais aussi économiques, en temps de crises mais également en temps normaux. Les femmes, dans toute leur diversité, ne doivent pas être perdant·e·s, ces discussions doivent être tournées en actions, et cela commence maintenant. D’ici au prochain Forum sur l’Égalité des Genres en 2024, il faudra avoir fait trois pas en avant.

References

References
1 European Institute for Gender Equality. (2022, octobre 23). Gender Equality Index 2022 : The COVID-19 pandemic and care. https://eige.europa.eu/publications/gender-equality-index-2022-covid-19-pandemic-and-care
2 A savoir:

  1. Mettre en évidence ses objectifs; 
  2. Stimuler l’audience (comprendre ce motive les citoyens, cibler des enjeux commun, créer une confiance); 
  3. Partager des valeurs communes (les opinions divisent mais les valeurs rassemblent); 
  4. Créer des coalitions (pour multiplier les messages, atteindre plus de monde);
  5. Mobiliser les messagers (trouver les bonnes personnes à mettre en avant);
  6. Garder espoir (se concentrer sur ce pour quoi on se bat pas contre);
  7. Partager son histoire;
  8. Choisir sa plateforme (adaptée au public que l’on vise);
  9. Adapter son langage (les mots comptent, il faut les garder simple, positif et inclusif);
  10. Adapter le calendrier (il doit être ambitieux mais aussi réaliste).