Que révèlent les discriminations envers la communauté LGBT en Europe de l’Est ?
Illustrateur Nato Tardieu
06.03.2020 Par Deborah Rouach
Les droits LGBT constituent un marqueur de l’européanité et participe à la définition des frontières symboliques de l’Union européenne. Toutefois en Europe de l’Est, le développement d’un discours politique et religieux contre la communauté LGBT charme une part grandissante de la société. Ainsi, la question des droits des personnes LGBT a déplacé les frontières symboliques au sein même de l’Union européenne marquant une rupture entre l’Europe de l’Est et de l’Ouest.
Une mouvance politique anti-LGBT croissante en Europe orientale
Ces dernières années plusieurs pays de l’Est de l’Union européenne ont affirmé ouvertement leur intolérance vis-à-vis de la communauté LGBT. En Pologne, l’année 2019 marque un tournant sur la question des minorités sexuelles dans le pays. En mars 2019, la mouvance conservatrice religieuse du gouvernement a conquis les collectivités conservatrices [1]D’après l’Eurobaromètre, ILGA Europe, près de 31,6 % de la population polonaise se trouve dans les collectivités ayant voté ce texte de l’Est du pays où une déclaration, sans valeur juridique, établissait des zones libres de « l’idéologie LGBT ». Ce texte se positionne en réaction à l’adoption en février 2019 d’une charte municipale LGBT à Varsovie qui établit des mesures anti-discriminatoires. Il y a donc une polarisation croissante de la société polonaise quant aux valeurs identitaires nationales et à la question des droits des personnes issues de minorités sexuelles. En octobre 2019, la préservation des valeurs traditionnelles de la société polonaise est devenue le fer de lance de la campagne législative du parti conservateur nationaliste PiS soutenu par l’influente Église catholique. L’homophobie ouvertement assumée et revendiquée par les pouvoirs politiques et religieux participe à accroitre les persécutions dont souffrent les personnes LGBT en Pologne, comme en témoigne les gay prides sous protection policière.
En Europe de l’Est, la lutte contre les revendications des minorités sexuelles a participé à renforcer l’alliance entre les partis gouvernementaux conservateurs, les mouvements catholiques néoconservateurs et les organisations d’extrême droite. En ce cens, le référendum tenu en Roumanie en 2018 afin d’essayer d’institutionnaliser l’interdiction du mariage pour les couples homosexuels avait vu la création d’une coalition entre l’Église orthodoxe et des mouvements évangéliques, sans toutefois réussir à obtenir plus de 30% des votes. En Bulgarie, les mouvements évangéliques se sont rapprochés des ministres d’extrême-droite au gouvernement contre les questions de genre. En Hongrie, la politique familiale conservatrice du premier ministre Viktor Orban a marqué une rupture avec le progressisme du pays suite à l’inscription en 2012 dans la Constitution d’une définition uniquement hétérosexuelle du mariage. Depuis, Viktor Orban et son parti ne cessent d’attaquer la communauté LGBT, ce qui participe à alimenter les violences perpétrées par des mouvements néo-nazis sur des personnes issues de minorités sexuelles.
Source : ILGA Europe
Comment expliquer cette intolérance croissante vis-à-vis de la communauté LGBT ?
Le recul des droits pour les personnes LGBT et l’intolérance anti-LGBT en Europe de l’Est peuvent s’expliquer grâce à différents facteurs propres à ces pays. Tout d’abord, il faut rappeler qu’il n’y a pas eu de libération sexuelle dans cette région, au passé soviétique, fortement marquée par les valeurs conservatrices du christianisme qui perçoit l’homosexualité comme un maux pervertissant la société. D’après un sondage du Pew Research Center réalisé entre 2015 et 2017, la religion est considérée comme un élément central de l’identité nationale en Europe centrale et orientale. L’influence des pouvoirs religieux a un impact non négligeable sur l’évolution préoccupante des mentalités de la société dans ces pays, d’autant plus quand les pouvoirs religieux et politiques s’allient. Cette coalition participe en outre à renforcer cette guerre des valeurs. De manière générale, les questions relatives au genre sont controversées et considérées comme une idéologie menaçant l’identité nationale en Europe de l’Est. Par ailleurs, les vives réactions provoquées parmi les pays d’Europe orientale concernant la convention d’Istanbul adoptée par le Conseil de l’Europe en 2011 qui évoque la notion de genre démontre le seuil de tolérance relativement faible des instances politiques en Europe de l’Est. Il faut également prendre en considération le déclin démographique et le départ des jeunes pour comprendre la cristallisation des craintes des gouvernements d’Europe orientale par rapport aux questions de sexualité.
Une crise des valeurs européennes
La résistance à certains marqueurs de l’identité européenne par les pays de l’Europe de l’Est, dont les droits des LGBT, n’est pas récente. Elle s’est exprimée suite à leur adhésion à l’Union européenne en 2004 exigeant de leur part qu’ils s’approprient de nouvelles valeurs et notamment qu’ils adaptent leur législation en faveur de l’égalité des personnes issues de minorités sexuelles. Pour certains pays cela a été vécu comme un choix imposé représentant une menace pour la nation. Le manque d’homogénéité de la « communauté de valeurs » de l’Union européenne met ainsi en évidence les frontières culturelles entre les pays de l’Est et ceux de l’Ouest au sujet des droits des LGBT. Loin d’être figées, ses frontières évoluent constamment au gré des crises qui redessinent et renforcent la définition de l’identité nationale.
L’égalité des droits des personnes LGBT considérée comme un des aspects de la construction de l’identité de l’Union européenne constituent désormais une source de crise identitaire. Les crises d’identité peuvent survenir à la suite d’événements externes, à l’instar de la question migratoire, provoquant une remise en cause du système d’identité et une nécessité renouvelée de réaffirmer sa différence par rapport aux personnes différentes, notamment les personnes LGBT. Ces bastions européens des valeurs conservatrices traditionnelles mettent ainsi en danger les valeurs de l’Union européenne et creusent le fossé culturel qui sépare désormais les pays de l’Est et de l’Ouest et tend à s’accroitre avec le temps.
Source : Special Eurobarometer 493 – « Discrimination in the European Union ». Fieldwork: May 2019
Source : Special Eurobarometer 493 – » Discrimination in the European Union « . Fieldwork : May 2019
Source : Special Eurobarometer 493 – » Discrimination in the European Union ». Fieldwork : May 2019
Que peut-on envisager pour les années à venir ?
L’évolution à prévoir des droits des personnes LGBT en Europe de l’Est dépend de plusieurs éléments : l’orientation politique des futurs gouvernements, l’emprise du religieux dans la sphère politique et privée, la vitalité de la société civile et les éventuelles crises qui affecteront ces pays. Il en revient également de la responsabilité des instances européennes de mettre en place des mesures coercitives contre les pays qui tenteraient, à l’exemple de la Bulgarie, la Croatie, la Hongrie, la Slovaquie, la Pologne, de bloquer la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme ou de la Cour de justice de l’Union européenne en inscrivant l’interdiction du mariage homosexuel dans leur Constitution. Les juridictions européennes ont jusqu’à présent refusé de contraindre les pays à se conformer aux lois protégeant les personnes LGBT et leur droit à l’égalité, elles se doivent donc de s’ériger contre les mesures discriminatoires envers la communauté LGBT au sein de l’Union européenne.
Pour citer cet article : Deborah ROUACH, « Que révèlent les discriminations envers la communauté LGBT en Europe de l’Est ? », 06.03.2020, Institut du Genre en Géopolitique.
Sources
CHASTAND Jean-Baptiste, IWANIUK Jakub, HIVERT Anne-Françoise, « En Europe de l’Est, la guerre du genre est déclarée », 21 février 2020, Le Monde, disponible sur : https://www.lemonde.fr/international/article/2020/02/21/europe-de-l-est-la-guerre-du-genre-est-declaree_6030359_3210.html
DIAMANT Jeff et GARDNER Scott, « In EU, there’s an East-West divide over religious minorities, gay marriage, national identity », 29 octobre 2018, Pew Research Center, disponible sur : https://www.pewresearch.org/fact-tank/2018/10/29/east-west-divide-within-the-eu-on-issues-including-minorities-gay-marriage-and-national-identity/
Étude demandée par la Commission européenne, Eurobarometer on Discrimination 2019 : The social acceptance of LGBTI people in the EU, National Data, 23 septembre 2019.
LIPKA Michael et MASCI David, « Where Europe stands on gay marriage and civil unions », 28 octobre 2019, Pew Research Center, disponible sur : https://www.pewresearch.org/fact-tank/2019/10/28/where-europe-stands-on-gay-marriage-and-civil-unions/
SLOOTMAECKERS Koen, Constructing EU Identity through LGBT Equality Promotion: Crises and Shifting Othering Processes in the EU Enlargement, Political Studies Review, Université de Londres, 2019.
References
↑1 | D’après l’Eurobaromètre, ILGA Europe, près de 31,6 % de la population polonaise se trouve dans les collectivités ayant voté ce texte |
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