19/09/2022
Laura Chabot
Il est de plus en plus établi que la période « post-conflit » permet l’ouverture d’un espace d’autonomisation pour les femmes, en particulier depuis l’adoption de la résolution 1325 visant à accroître leur participation au sein des processus de paix. Après un conflit, les transitions présentent souvent des opportunités pour renforcer le leadership, les droits des femmes et l’égalité des sexes dans les processus de gouvernance. Ainsi, les femmes ne sont plus considérées uniquement au travers du prisme de la « victime », mais également comme des actrices de changement, en raison de « la rupture des normes de genre restrictives ».
La guerre civile au Népal a pris fin en 2006 à l’issue de l’accord de paix global entre le gouvernement népalais et le parti communiste maoïste, amenant peu à peu le pays à renforcer le rôle des femmes dans la prise de décisions politiques. Le nombre important de femmes élues à l’Assemblée constituante (AC) lors des élections de 2008 (à savoir 33 %) a été alors perçu comme prometteur, en termes de démocratie et d’inclusion du genre, dans la gouvernance post-conflit au Népal.
Toutefois, la littérature féministe a mis l’accent sur la réaffirmation du contrôle patriarcal dans les sociétés post-conflit et un retour à la case départ des progrès obtenus par les femmes durant la guerre. Ainsi, la réalité peut s’avérer éloignée des objectifs initiaux quant à la participation effective des femmes aux prises de décisions post-conflit. Par exemple, l’adoption de la nouvelle Constitution en 2015 a entraîné des protestations contre des dispositions discriminatoires. En effet, malgré son côté progressiste concernant les droits des femmes, elle criminalise certaines pratiques culturelles, religieuses ou traditionnelles. Par conséquent, il est intéressant de voir si la fin du conflit au Népal a été vectrice de changements significatifs dans l’inclusion et la participation des femmes aux prises de décisions politiques.
Cet article vise à analyser la manière dont les femmes au Népal ont lutté pour obtenir une égalité lors de la période post-conflit de 2006 jusqu’à nos jours, en s’attachant à montrer d’une part l’opportunité politique des femmes pendant la guerre et d’autre part leurs capacités d’actions, en matière de participation politique, mais aussi face aux défis qui persistent.
La guerre, une opportunité pour l’engagement des femmes dans la politique
Durant la guerre civile, de nombreuses femmes se sont retrouvées célibataires ou veuves et en l’absence d’hommes au sein des foyers ; une grande majorité de ménages a été dirigée par des femmes. En parallèle, des milliers de femmes issues des zones rurales ont rejoint à la fois l’armée populaire de libération (APL) maoïste et leurs organisations politiques. Le parti communiste maoïste avait basé son programme politique sur l’égalité des sexeset en le rejoignant, les femmes issues de différentes catégories sociales ont, pour la première fois, participé à des activités politiques au sein d’organisations maoïstes ou ont combattu auprès de leurs forces armées. La guerre civile a contraint les femmes à travailler à l’extérieur de leur foyer pour subvenir à leurs besoins, voire à se battre au même titre que les hommes. En conséquence, cette situation singulière a modifié les pratiques, les normes sociales et la perception quant aux capacités des femmes.
Il s’avère que les femmes n’ont pas été incluses aux négociations de paix de 2006 par le gouvernement, ni par le parti maoïste. En revanche, la lutte opérée par les organisations féminines, ainsi que par les femmes des partis politiques, a permis de garantir la représentation politique des femmes dans la nouvelle Constitution provisoire de 2007, leur réservant un quota de 33 % dans les instances étatiques. En 2008, l’élection de la première Assemblée constituante a représenté une étape significative dans la participation des femmes à la politique népalaise. En effet, celles qui ont été élues n’étaient pas seulement issues de l’élite politique, mais appartenaient à diverses ethnies et castes (35,7% étaient issues de l’ethnie des Janajati). À compter de 2015, dans le cadre de la nouvelle Constitution, la représentation de 33 % des femmes est obligatoire dans les instances politiques de l’État, en incluant a minima une femme à des postes à responsabilités élevées. En conséquence, les élections locales de 2017 ont permis à 41 % des femmes d’être élues, et dans les assemblées provinciales, 34% des sièges ont été obtenus par ces dernières. Par le biais de ces élections, l’autonomisation politique des femmes a été progressivement mise à l’honneur, car on dénombre parmi les électeur‧rice‧s et les candidat‧e‧s des personnes marginalisées.
La guerre civile au Népal a contribué à la création d’une fenêtre d’opportunité propice à la lutte féminine pour l’égalité et a conduit à une transformation politique plus large, jusqu’à confier la présidence du pays, du parlement et de la Cour suprême à des femmes. Par ailleurs, la diversité des femmes élues dans les instances politiques, qu’elles soient issues de castes, de groupes ethniques ou de lieux géographiques divers, a permis aux femmes même marginalisées de prendre conscience de leurs droits en matière de participation politique.
La capacité des femmes à influencer le processus décisionnel de la reconstitution post-conflit
Après la première élection de l’Assemblée constituante, les femmes membres ont influé sur le processus décisionnel, par le biais de la création d’un caucus en janvier 2009. L’objectif était d’exercer une pression sur cette instance politique, pour que les problématiques liées aux femmes soient prises en considération. Par exemple, elles ont contribué de manière significative à l’approbation du projet de loi relatif à la violence domestique, adopté en 2009, du fait de la part importante de femmes membres de l’Assemblée constituante et de leur influence. De même, en tant que membre de l’Assemblée constituante, elles ont participé à différents projets relevant de la santé publique, de l’éducation et de la gestion d’infrastructures liées à l’eau potable, en raison de leurs responsabilités envers le Parlement législatif et leurs circonscriptions. Durant la seconde Assemblée constituante, les femmes membres ont poursuivi leurs actions sans pour autant former un caucus qui s’exprimerait de manière collective sur les problèmes des femmes. Néanmoins, elles ont lutté en faveur d’une représentation proportionnelle des femmes dans tous les domaines et ont également priorisé leur inclusion, notamment par le biais d’un accès à des postes à plus grandes responsabilités.
Par ailleurs, le renforcement de la participation politique des femmes népalaises a nécessité l’action collective de différent‧e‧s acteur‧rice‧s, en particulier des organisations de femmes qui ont également joué un rôle central dans la sensibilisation à l’égalité des sexes, à la fois dans la promotion des droits et dans la dénonciation des discriminations subies par les femmes. Ainsi, les organisations féminines ont réussi à attirer l’attention des décideurs politiques sur les lois et les pratiques discriminatoires vis-à-vis des femmes. Elles ont joué un rôle majeur dans l’adoption de lois et de réglementations visant à protéger le droit des femmes. On peut citer par exemple trois lois importantes, portant sur la citoyenneté népalaise (2006), sur l’égalité des sexes (2006), ainsi que sur le contrôle et la réglementation de la traite des êtres humains (2007/2008) .
Les défis sous-jacents entravant une participation effective
Le système patriarcal népalais et les normes de genre imposées par la société persistent, limitant l’engagement actif et le leadership des femmes en politique. Cela se matérialise par l’entrave des femmes à l’accès à des fonctions à responsabilités dans les différentes instances politiques, du fait du manque de confiance en leur efficacité. Ainsi, la nomination de membres féminins à des postes hauts placés s’avère complexe dans les partis politiques, en dépit de la promotion de l’égalité des sexes dans leurs programmes politiques.
De même, dans le cadre des élections municipales de 2017, 91 % des postes d’adjoint‧e‧s dans les municipalités (maires-adjoint‧e‧s ou vice-président‧e‧s dans les municipalités rurales) ont été obtenus par des femmes, alors que 98 % des postes principaux (maires et président‧e‧s) l’ont été par des hommes.
De plus, la mise en œuvre d’initiatives politiques, en matière d’égalité des sexes, a été « marquée davantage par la rhétorique que par des actions concrètes ». Par exemple, les femmes ont le droit d’hériter, mais la pleine mise en œuvre de ce droit reste difficile et prend du temps dans sa normalisation. Il subsiste l’idée que les filles sont considérées comme rattachées à la propriété d’une personne : dans la pratique, l’héritage pour une fille peut nuire à la relation avec sa famille, du fait de son déménagement dans le cadre de son mariage. Un constat similaire peut être fait avec la citoyenneté. La nouvelle Constitution de 2015 a permis des avancées pour les droits des femmes, mais a renforcé le caractère discriminant de la citoyenneté.
Au Népal, l’acquisition de la citoyenneté peut être transmise par un homme népalais à son épouse de nationalité étrangère et à son enfant, alors que cette règle ne s’applique pas aux femmes népalaises si elles se marient avec un étranger. Dans ce cas, les enfants nés hors du Népal ne pourront pas avoir la nationalité népalaise. Se pose alors la question des migrantes ou des femmes victimes de traite des êtres humains ayant eu des enfants en-dehors du Népal. En dépit du nombre important de femmes au sein de l’Assemblée constituante et de leur influence, elles ne sont pas parvenues à œuvrer pour l’égalité des droits des femmes en matière de citoyenneté.
Conclusion
La période post-conflit a permis aux femmes népalaises de s’organiser au sein de l’Assemblée constituante, dans les partis politiques et dans les organisations féminines, afin de contribuer à l’autonomisation des femmes de manière collective. L’accroissement de la représentation féminine a façonné un nouvel espace politique dans lequel ces dernières ont pu participer à des décisions et à des réformes politiques, voire les influencer, afin d’améliorer continuellement leur situation. En revanche, cette influence reste restreinte dans la prise de décisions politiques. Malgré l’accès d’une minorité de femmes à des postes plus élevés, la grande majorité d’entre elles est toujours confrontée à la discrimination de la caste et à la domination masculine. Les acquis obtenus jusqu’à présent ne sont pas suffisants pour permettre une participation effective des femmes à la prise de décisions politiques. C’est pourquoi il est essentiel de combattre le patriarcat par l’éducation qui pourrait constituer un levier pour les générations futures, afin de dépasser ces barrières politiques.
Bibliograhie
Bourdieu, Pierre and Eagleton Terry.” Doxa and common life”. New Left Review 191: 111-121, 1992.
Brück, Tilman and Kati Schindler.” The Impact of Violent Conflicts on Households: What Do We Know and What Should We Know about War Widows?” Oxford Development Studies, 2009.
Deuba, Arzu R. “A National Study on Changing Roles of Nepali Women Due to Ongoing Conflict and its Impact”. Samanata Studies No.6. Kathmandu: Samanata Institute for Social and Gender Equality, 2005.
Falch, Ashild. “Women’s political participation and influence in post-conflict Burundi and Nepal”. Peace Research Institute Oslo Working Paper, 2010.
Haviland, Charles. “Why Is Nepal’s New Constitution Controversial?” BBC, 2015. Available at www.bbc.com/news/world-asia-34280015?source=post_page.
IDEA (International Institute for Democracy and Electoral Assistance). ”Women members of the constituent assembly: A study on contribution of women in constitution making in Nepal”, 2011
Kolås, Åshild. “Women, Peace and Security in Nepal: From Civil War to Post-Conflict Reconstruction”. Abingdon: Routledge, 2017.
Mahat, Ishara. “Women’s Development in Nepal: The Myth of Empowerment.” The Fletcher Journal of International Development, 2003.
Upreti, Bishnu Raj, Drishti Upreti and Yamuna Ghale. “Nepali Women in Politics: Success and Challenges”. Journal of International Women’s Studies, 2020.
Yadav, Punam. “Women in the Parliament: Changing Gender Dynamics in the Political Sphere in Nepal”. In: Ahmed, N. (eds) Women in Governing Institutions in South Asia, 2018.
Yadav, Punam. “Social Transformation in Post-Conflict Nepal: A Gender Perspective”. London: Routledge, 2016.
UNDP [United Nations Development Programme]. “Annual Report 2017”. Kathmandu: United Nations Development Programme, 2017
UN Women. “A Global Study on the Implementation of United Nations Security Council Resolution 1325”, 2015 https://www.peacewomen.org/sites/default/files/UNW[2]GLOBAL-STUDY-1325-2015%20(1).pdf
Election Commission. “Gender-based Elected Representatives. Numerical Description”, 2017. Available at http://result.election.gov.np/GenderWiseElectedSummary.aspx
Webster, Kaitlyn, Chong Chen, and Kyle Beardsley. “Conflict, Peace, and the Evolution of Women’s Empowerment.” International Organization 73, no. 2 (2019): 255–89. doi:10.1017/S0020818319000055