La désinformation genrée contre les femmes en politique : facteur de fragilisation des systèmes démocratiques

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19/06/2023

Philippine Sottas

La désinformation genrée à l’encontre des femmes en politique est un phénomène persistant et préoccupant qui pose des défis significatifs à la promotion de l’égalité des genres et au processus démocratique dans son ensemble. L’experte en genre, Lucina Di Meco, définit la désinformation genrée comme la diffusion d’informations et d’images trompeuses ou inexactes à l’encontre de dirigeantes politiques, de journalistes et de personnalités publiques féminines, en suivant des scénarios qui s’inspirent de la misogynie et des rôles stéréotypés des hommes et des femmes[1]Di Meco, L. (2020). Online threats to women’s political participation and the need for a multi-stakeholder, cohesive approach to address them, 65ème commission sur le Statut des femmes, Nations … Continue reading. La diffusion délibérée[2]À l’inverse de la mésinformation qui est le partage de fausses informations sans intention de nuire, l’objectif premier de la désinformation est de nuire à l’individu visé. de fausses informations, de rumeurs et de préjugés ciblant spécifiquement les femmes occupant des postes de pouvoir nuit non seulement à leur crédibilité et à leur légitimité, mais perpétue également les stéréotypes et les préjugés de genre profondément ancrés, renforçant ainsi les déséquilibres de pouvoir.

La désinformation genrée entrave les progrès vers l’égalité des genres et les structures sociales inclusives. Elle cherche à saper le leadership des femmes et à les dissuader de participer à la vie politique de la cité en déformant les faits, manipulant l’opinion publique et altérant les récits. À mesure que les violences en ligne se multiplient, il devient évident que la lutte contre la désinformation genrée est non seulement indispensable à la promotion des femmes en politique, mais aussi à la santé globale des sociétés démocratiques qui aspirent à l’égalité et à la représentation de l’ensemble de ses citoyens. Le phénomène influence les perceptions sociales, les attitudes et les politiques plus larges concernant le rôle des genres et la participation de chacun·e. Présente aussi bien en Inde, aux États-Unis, au Rwanda ou en Ukraine, la désinformation genrée est une problématique contemporaine universelle, qui s’accroît à mesure que la technologie se développe et que les réseaux sociaux se multiplient. Ceux-ci créent d’ailleurs un nouveau terrain d’agression envers les femmes qui subissent désormais les violences en ligne. La chercheuse Sarah Sobieraj utilise l’expression de « misogynie numérique[3]Sobieraj, S. Sobieraj, (2020). Credible threat: attacks against women online and the future of democracy, Oxford University Press.» pour qualifier ces violences numériques fondées sur le genre. Il est intéressant de constater que, si les hommes peuvent également être les cibles de désinformation quant à leur vie professionnelle et politique, les attaques contre les femmes ciblent principalement leur apparence physique et revêtent le plus souvent un caractère sexuel, pornographique et de menaces sexuelles[4]L’étude « Sex, lies, and stereotypes: gendered implications of fake news for women in politics » met en lumière cet état de fait. En s’appuyant sur les fausses informations relayées pendant … Continue reading. Cet article vise à mettre en lumière la manière dont la désinformation genrée entrave l’inclusion des femmes en politique, à travers l’analyse des facteurs la favorisant, des acteurs engagés dans sa production, de sa diffusion et de ses effets tant individuels que collectifs.

Un terreau médiatique et technologique favorable à la désinformation genrée

Plusieurs facteurs contribuent au développement de la désinformation genrée, tant dans la société que dans les médias qui institutionnalisent les stéréotypes et préjugés de genre. Il est courant de voir les femmes politiques présentées comme faibles, émotionnelles ou inaptes aux postes de leadership. C’est par exemple la chaîne BBC World qui, début 2023, à l’annonce de la démission de la Première ministre de la Nouvelle Zélande Jacinda Ardern, titre « Démission de Jacinda Ardern : les femmes peuvent-elles vraiment tout avoir ?[5](2023). BBC admits error over ‘Can women have it all ?’ headline on Jacinda Ardern resignation story, The journal. … Continue reading». Les médias peuvent influencer la manière dont les informations sont présentées et renforcer les narratifs genrés en présentant des portraits biaisés des femmes politiques ou en les ramenant invariablement à leur identité de femme, ou de mère. Cette banalisation du sexisme crée un terreau favorable et propice au développement de la désinformation genrée.

Les attitudes et les préjugés sociétaux à l’égard des genres alimentent également la diffusion de la désinformation. Les idées préconçues sur les capacités des femmes et les attentes sociales quant à leur légitimité en politique contribuent à l’acceptation de récits dénigrant leur valeur dans les sphères de pouvoir. De tels biais peuvent être renforcés par les normes culturelles, les systèmes éducatifs et les structures de pouvoirs historiques qui ont traditionnellement marginalisé les femmes à des postes de responsabilité politique.

La technologie renforce les campagnes de désinformation à l’encontre des femmes, à travers la possibilité de produire des « mèmes[6]Selon Le Robert qui a inscrit le mot dans le dictionnaire en 2013, le ‘mème’ est une « image, vidéo ou texte humoristique se diffusant largement sur Internet, notamment sur les réseaux … Continue reading» ou des vidéos Deepfakes[7]Le terme « Deepfake » se réfère à une technique qui utilise des algorithmes d’intelligence artificielle pour créer ou altérer du contenu numérique, généralement des vidéos ou des images, … Continue reading, notamment des vidéos pornographiques[8]Un rapport de l’institut Deeptrace alerte sur le nombre de Deepfake à caractère sexuel. Sur une analyse de 14 678 vidéos de deepfakes en ligne, 96% sont à caractère sexuel et de nature … Continue reading
mettant en scène les femmes ciblées. Dans d’autres cas, des bots[9]Un bot est un agent logiciel fonctionnant sur Internet de manière automatisée et effectuant des tâches répétitives. sur des applications de messagerie peuvent créer des milliers d’images pornographiques fabriquées avec des photos de femmes politiques. Nancy Pelosy, présidente de la Chambre des représentants, fait partie de ces victimes de Deepfakes. En 2019, une vidéo relayée sur les réseaux sociaux la présente comme étant dans un état d’ébriété certain[10](2020). Fact check : “Drunk” Nancy Pelosi video is manipulated, Reuters. https://www.reuters.com/article/uk-factcheck-nancypelosi-manipulated-idUSKCN24Z2BI. Cette vidéo, devenue virale, étant en réalité une altération de la vidéo originale, 75% plus lente, afin de créer une distorsion de la parole et ainsi faire passer la politicienne comme ivre. La vidéo, vue par plus de 2,3 millions de personnes, a été largement partagée par des partisan·es de Donald Trump. Les plateformes de médias sociaux jouent un rôle significatif dans la propagation de la désinformation genrée et des violences en ligne. La nature de ces plateformes, caractérisée par leur portée rapide et étendue peut amplifier les rumeurs et autres fausses informations à l’encontre de femmes en politique. Les espaces en ligne fournissent un terrain propice à la multiplication du phénomène en raison du manque de mécanismes de vérification des faits, de l’effet de « chambre d’écho » et des biais algorithmiques qui perpétuent les croyances existantes. L’anonymat et la distance offerts par un écran d’ordinateur ou de smartphone incitent les individus à se livrer à des violences en ligne, des menaces, de la diffamation et des rumeurs à l’encontre des femmes politiques. ·

Une pluralité d’acteur·ices impliqué·es dans la diffusion de la désinformation genrée

Qui sont donc ces acteur·ices sui produisent, transmettent et amplifient la désinformation genrée ? La création et la diffusion de celle-ci est le fruit d’une pluralité d’individus issus de différents milieux, ainsi que de groupes ou de réseaux organisés ayant des agendas spécifiques. Ces acteur·ices peuvent avoir des motivations diverses pour discréditer, remettre en question la légitimité ou entraver l’avancement des femmes en politique. Les personnes et les groupes qui créent et diffusent intentionnellement de la désinformation le font par attrait pour le gain politique, pour défendre un agenda idéologique ou dans le cadre d’attaques personnelles. Deux grandes catégories d’acteur·ices peuvent être identifiées : les acteur·ices individuel·les et les réseaux organisés.

Les violences en ligne à l’encontre de femmes politiques est le produit de la misogynie quotidienne. Des individus s’en prennent à des femmes qui, selon eux, remettent en question le schéma traditionnel de la carrière politique qui devrait être le domaine réservé des hommes. Ces individus, ce sont des masculinistes[11]L’historienne française Christine Bard, spécialiste de l’histoire des femmes et du genre décrit le masculinisme comme « l’une des manifestations contemporaines de l’antiféminisme dans … Continue reading et leur voix est de plus en plus présente sur les réseaux sociaux où ils diffusent des contenus misogynes en s’appuyant sur un argumentaire de supériorité de l’homme et la perpétuation des rapports de domination sur les femmes[12](2022). Toxic masculinity on social media, Bonpote. https://bonpote.com/en/toxic-masculinity-on-social-media/. Le phénomène est d’autant plus préoccupant qu’il tend à se banaliser et s’intensifier, notamment chez les plus jeunes. Le Haut Conseil à l’égalité dénonce ainsi que « parmi les hommes de moins de 35 ans, on observe un ancrage plus important des clichés ‘masculinistes’ et une plus grande affirmation d’une ‘masculinité hégémonique’[13]Rapport annuel 2023 sur l’état des lieux du sexisme en France, Haut Conseil à l’égalité entre les femmes et les hommes, 23 janvier 2023.». La désinformation genrée contre les femmes en politique par les masculinistes est renforcée par l’anonymat qu’offre Internet. Les attaques de ces individus sont majoritairement des insultes sexistes et des messages quotidiens affirmant que les femmes ne sont pas assez éduquées et n’ont pas leur place en politique[14]Dafyyd M. (2020). Women in politics face ‘daily’ abuse on social media », BBC News. https://www.bbc.com/news/uk-wales-politics-52785157.

La désinformation genrée peut également être le résultat d’une campagne de harcèlement engagée par des réseaux organisés ou des individus proches d’un gouvernement. En Inde, par exemple, une armée de trolls[15]Un troll est un utilisateur d’Internet qui s’engage délibérément dans un comportement visant à provoquer, irriter, critiquer ou perturber les autres. Il publie des commentaires offensants sur … Continue reading d’extrême droite s’en est prise à des femmes politiques nationales à l’aide de vidéos pornographiques, de menaces sexuelles en tout genre et de Deepfakes. Ainsi, en 2020, la critique du Bharatiya Janata Party (BJP), le parti du Premier ministre Narendra Modi, a valu à l’activiste Kavita Krishnan entre 50 et 100 messages par jour sur Twitter. Cette dernière confie : « ces trolls « … » me poursuivent régulièrement, pour ma couleur de peau, pour mon apparence, en me disant que je ne vaux pas la peine d’être violée, à quel genre de torture et de viol je devrais être soumise[16]Mackintosh, E. Gupta, S. (2020). Troll armies, ‘deepfake’ porn videos and violent threats. How Twitter became so toxic for India’s women politicians, CNN. … Continue reading». Le Premier ministre lui-même encourage ces pratiques, en suivant les comptes qui harcèlent. Swati Chaturvedi, autrice de I am a troll : Inside the secret world of the BJP’s digital army, écrit que : « Le BJP a cet écosystème où tout est orienté vers l’attaque des personnes, en particulier sur le plan sexuel. Il partage des insultes diffamatoires, des insultes sexuelles à l’encontre des femmes, les journalistes, les activistes, les femmes politiques, avec qui il n’est pas d’accord pour l’essentiel[17]Chaturvedi, S. (2016) I am a troll : Inside the secret world of the BJP’s digital army, Juggernaut Publication.».

Dans le cadre de la poursuite d’un agenda politique ou idéologique, la désinformation genrée peut dépasser les frontières internes d’un pays pour être organisée par des acteurs étrangers. Ce sont souvent à travers les ressources médiatiques, les réseaux sociaux et le contrôle de l’information que les acteurs des États étrangers diffusent ce type de désinformation. L’offensive en Ukraine a ainsi catalysé les attaques d’individus pro-russes à l’égard de femmes politiques ukrainiennes. Rappelons que si la désinformation russe en Ukraine peut toucher des femmes engagées en politique, c’est plus généralement l’intégralité des femmes ukrainiennes qui est visée, avec des attaques particulièrement violentes sur des thématiques pouvant faire l’objet de crimes de guerre : le viol et les agressions sexuelles de citoyennes par les forces armées russes[18]Une étude intitulée « Prostitution will save Ukraine from the default : Investigating Russian gender disinformation in social networks » traite de cette question et donne plusieurs exemples de … Continue reading.

Les effets néfastes de la désinformation sur les femmes et les systèmes démocratiques

L’objectif premier de la désinformation est de réduire au silence les femmes et de les inciter à quitter la sphère politique et l’espace public en général. Il y a dans la désinformation genrée une réelle stratégie d’invisibilisation et de dépersonnalisation des femmes au sein de l’espace en ligne. De plus, la nature virale des médias sociaux permet aux campagnes de désinformation d’atteindre rapidement un large public, nuisant ainsi à la réputation et à la crédibilité des politiciennes. Les acteur·ices produisant et transmettant de la désinformation genrée jouent sur les capacités émotionnelles de leurs cibles dont une en particulier : la peur. Faire peur aux femmes politiques, notamment avec des messages de menaces, afin qu’elles se retirent elles-mêmes de l’espace public.

La désinformation genrée est également un moyen d’orienter le débat des femmes politiques en réduisant leur espace d’expression. Ces rumeurs et ces fausses informations les obligent à démentir, à dénoncer, à se justifier. Ce temps qu’elles passent à se défendre est du temps en moins pour mettre en avant leurs idées politiques. La désinformation oriente le débat de sorte qu’au lieu de présenter leur programme et leur ligne partisane, elles sont souvent incitées, médiatiquement, à contrecarrer les narratifs de désinformation. Surtout, ces fausses informations peuvent les suivre sur un temps long et s’inscrire dans les esprits de certain·es.

En 2017, la députée ukrainienne Svitlana Zalishchuk a été victime de désinformation, lorsqu’est apparu un faux tweet affirmant qu’elle avait promis de courir nue dans les rues de Kiev si l’armée ukrainienne perdait une bataille importante. Le tweet, accompagné de fausses images de la politicienne censées la représenter nue, est apparu à l’origine sur des plateformes pro-russes. Plusieurs mois après l’apparition de ce tweet, une journaliste allemande lui demanda, à la fin d’une interview, si elle allait vraiment courir nue[19]Jankowicz, N. (2017). How disinformation became a new threat to women, Coda. https://www.codastory.com/disinformation/how-disinformation-became-a-new-threat-to-women/. Cet exemple illustre parfaitement deux problématiques majeures. La première est celle de la difficulté de contrer la désinformation en ligne, cet espace universel dont les informations sont difficilement effaçables. La seconde revêt d’une échelle plus large : la perpétuation des préjugés de genre et l’inscription des fausses rumeurs dans la mémoire des individus. Celles-ci, qui ne sont souvent dénoncées qu’à l’échelle de la victime, s’inscrivent dans les esprits et les mentalités sur le temps long et peuvent maintenir une vision réductrice de la femme.

Si la désinformation genrée en général n’est pas encore assez étudiée par la communauté scientifique, ses conséquences sur les personnes de couleur sont encore moins analysées. Peu de travaux de recherche décrivent le phénomène et les mécaniques de la désinformation genrée sur des catégories de personnes racisées. Les résultats de l’une d’entre elles, intitulée « An unrepresentative democracy: how disinformation and online abuse hinder women of color political candidates in the United States » indique néanmoins que ces femmes seraient plus visées par la désinformation, sur la base de leur couleur de peau[20]Thakur, D. Handerson, D. (ed.), (2022). An unrepresentative democracy: how disinformation and online abuse hinder women of color political candidates in the United States, CDT Research.. Les chercheur·ses affirment que « les attaques s’appuient sur des croyances racistes, telle que la conviction qu’une candidate est ‘trop foncée’, qu’elle est peut-être une immigrée comme en témoigne son teint ou qu’elle n’est pas assez blanche pour être considérée comme une dirigeante[21]Thakur, D. Handerson, D. (ed.), (2022). An unrepresentative democracy: how disinformation and online abuse hinder women of color political candidates in the United States, CDT Research. ». Ici, c’est en s’appuyant sur une rhétorique raciste que les individus tentent de dénigrer et décrédibiliser les femmes politiques. Une recherche menée en 2018 par Amnesty International révèle que les femmes noires sont 84% plus susceptibles d’être visées par des violences en ligne sur Twitter que les femmes blanches[22]Rapport Amnesty International (2018). Toxic Twitter is failing women by letting online violence thrive..

Si les conséquences de la désinformation genrée sur les femmes politiques sont nombreuses, le phénomène a également une influence sur la bonne santé des systèmes démocratiques. En ciblant ainsi les femmes politiques et en les poussant à se retirer de la scène politique, la désinformation genrée limite la participation d’une partie de la population et fragilise les dynamiques de représentation et d’inclusion en politique. Pourtant, le propre d’une démocratie est d’inclure l’intégralité des voix, et surtout de protéger cette diversité en prenant des mesures pour contrer toute forme de potentielle attaque. La désinformation genrée est ainsi une attaque claire contre les femmes et les systèmes démocratiques, qui doit être prise en compte tant par la classe politique que par les plateformes de médias et réseaux sociaux qui laissent se développer ce phénomène sans prendre de mesures suffisamment fortes pour l’empêcher.

Dans cette volonté de fragiliser un système démocratique, les campagnes de désinformation sont organisées par des individus proches de gouvernements, de services de police, de l’armée ou encore de partis politiques. C’est le cas du parti du président Paul Kagame, le Front politique rwandais (RFP), que la candidate à l’élection présidentielle de 2017 du Rwanda accuse d’avoir trafiqué et diffusé de fausses photos d’elle nue[23]Shima Rwigara, D. (2017) « I wanted to be Rwanda’s first female president. Then fake nude photos appeared online », The Washington post.. Les photos de Diane Shima Rwigara ont circulé seulement un jour après qu’elle ait déclaré son intention de se présenter aux élections présidentielles. La candidate accuse ses adversaires politiques d’être les responsables de cette tactique visant à la décrédibiliser : « Les fausses photos de nues ne sont qu’une des nombreuses tactiques utilisées pour me faire taire ». L’objectif en faisant circuler ces photos est d’échapper à toute forme de débat politique afin que la candidate ne puisse présenter ses arguments et son projet politique pour le pays sans que son image publique ne soit assimilée à ces photos. Quelques mois plus tard, en juillet 2017, alors que Shima Rwigara était censée annoncer le lancement de sa campagne électorale, de nouvelles photos nues supposées la représenter circulent sur Internet. Finalement, la candidature de Diane Shima Rwigara a été disqualifiée par la Commission électorale nationale, cette dernière affirmant que la candidate n’avait pas recueilli les 600 signatures requises, alors qu’elle en avait fourni plus de 1100.

Toujours dans cet esprit de fragilisation des systèmes démocratiques, la problématique des cyber opérations[24]Selon une définition actualisée du Center for Strategic and International Studies, une cyber opération consiste en « l’utilisation de piratage informatique, de virus ou d’autres méthodes … Continue reading mises en œuvre par des trolls des agents étatiques dans le but d’influencer le résultat politique d’un pays en particulier est également préoccupante. Elle l’est d’autant plus que les campagnes de désinformation fomentées par des agents étrangers tendent à se multiplier, comme ce fut le cas avec l’implication de la Russie dans les élections américaines de 2016[25](2020). Fact check US: What is the impact of Russian interference in the US presidential election? The Conversation. … Continue reading. À l’heure de la prégnance des théories du complot et de la baisse de confiance des citoyen.nes en leurs institutions publiques, la désinformation genrée est un élément de plus fragilisant la crédibilité des processus et des institutions démocratiques. La menace est d’autant plus préoccupante que les réseaux sociaux deviennent pour certain.es leur première source d’information[26]Coleman, V. (2013). Social media as a primary source: a coming of age, Educause. https://er.educause.edu/articles/2013/12/social-media-as-a-primary-source-a-coming-of-age.

Des mesures insuffisantes pour lutter contre la désinformation genrée

Si la désinformation fragilise tant les femmes politiques, que les valeurs libérales et les principes démocratiques, elle reste au demeurant un sujet peu étudié. Pour l’instant, aucune définition scientifique universelle n’existe pour caractériser ce type d’attaque. Cela serait pourtant nécessaire pour une meilleure prise en considération de cette problématique et un traitement efficace de celle-ci. La prise en charge des violences en ligne par les grandes plateformes devrait être une priorité. Combattre la désinformation liée au genre nécessite une approche multidimensionnelle impliquant tant les individus, les organisations et la société dans son ensemble afin de mettre fin au climat d’impunité qui règne pour les auteurs de violences en ligne. Cela ne peut être possible sans une stratégie de régulation des contenus incluant les problématiques de désinformation. Les plateformes en ligne doivent pouvoir s’appuyer sur des politiques étatiques conscientes et désireuses de renforcer la représentation des femmes en politique. Les États doivent également s’investir dans des campagnes visant à dénoncer, rendre publique, et lutter contre cette forme de désinformation. La sensibilisation doit aussi se faire en amont, notamment auprès des plus jeunes, pour informer sur les mécanismes de la désinformation et sensibiliser les individus à la pensée critique et aux techniques de vérification des faits. Cela devrait être fait en encourageant des programmes d’éducation aux médias dans les lieux d’apprentissage. Enfin, il est indispensable de soutenir les voix des femmes et de les amplifier en mettant en avant leur expertise. Il s’agit d’encourager une représentation diversifiée dans les médias, dans les espaces politiques et autres espaces d’influence afin de contrecarrer les stéréotypes et lutter contre la désinformation.

Pour citer cet article : Philippine Sottas (2023). La désinformation genrée contre les femmes en politique : facteur de fragilisation des systèmes démocratiques. Institut du Genre en Géopolitique. https://igg-geo.org/?p=12691

Les propos contenus dans cet article n’engagent que l’autrice.

References

References
1 Di Meco, L. (2020). Online threats to women’s political participation and the need for a multi-stakeholder, cohesive approach to address them, 65ème commission sur le Statut des femmes, Nations unies
2 À l’inverse de la mésinformation qui est le partage de fausses informations sans intention de nuire, l’objectif premier de la désinformation est de nuire à l’individu visé.
3 Sobieraj, S. Sobieraj, (2020). Credible threat: attacks against women online and the future of democracy, Oxford University Press.
4 L’étude « Sex, lies, and stereotypes: gendered implications of fake news for women in politics » met en lumière cet état de fait. En s’appuyant sur les fausses informations relayées pendant la campagne américaine de 2016, les chercheur.euses ont trouvé que le nom d’Hillary Clinton était deux fois plus associé à de la tromperie et à des agressions sexuelles que celui de Trump, alors même que le candidat était accusé de harcèlement sexuel. Stabile, B. Grant, A. Grant, Purohit, H. Harris, K. (2019). « Sex, lies, and stereotypes: gendered implications of fake news for women in politics », Routledge.
5 (2023). BBC admits error over ‘Can women have it all ?’ headline on Jacinda Ardern resignation story, The journal. https://www.thejournal.ie/bbc-admits-error-jacinda-ardern-headline-5974462-Jan2023/
6 Selon Le Robert qui a inscrit le mot dans le dictionnaire en 2013, le ‘mème’ est une « image, vidéo ou texte humoristique se diffusant largement sur Internet, notamment sur les réseaux sociaux, et faisant l’objet de nombreuses variations ».
7 Le terme « Deepfake » se réfère à une technique qui utilise des algorithmes d’intelligence artificielle pour créer ou altérer du contenu numérique, généralement des vidéos ou des images, de manière convaincante en remplaçant le sujet original par quelqu’un d’autre ou en générant des vidéos entièrement fabriquées. « Deepfake » est une combinaison de « deep learning » et « fake ».
8 Un rapport de l’institut Deeptrace alerte sur le nombre de Deepfake à caractère sexuel. Sur une analyse de 14 678 vidéos de deepfakes en ligne, 96% sont à caractère sexuel et de nature pornographique.
Deeptrace, « The state of deepfakes : landscape, threats, and impact », septembre 2019.
9 Un bot est un agent logiciel fonctionnant sur Internet de manière automatisée et effectuant des tâches répétitives.
10 (2020). Fact check : “Drunk” Nancy Pelosi video is manipulated, Reuters. https://www.reuters.com/article/uk-factcheck-nancypelosi-manipulated-idUSKCN24Z2BI
11 L’historienne française Christine Bard, spécialiste de l’histoire des femmes et du genre décrit le masculinisme comme « l’une des manifestations contemporaines de l’antiféminisme dans les pays occidentaux. Le masculinisme défend l’idée que les femmes dominent désormais les hommes, qui sont appelés à se révolter, à organiser la résistance, à restaurer l’identité virile perdue et à revendiquer des droits notamment en tant que maris et pères divorcés. ». Les masculinistes défendent la domination masculine en érigeant la supériorité des hommes sur les femmes. La perpétuation de cette domination vise à protéger la société de toute forme de changement en faveur des droits des femmes et des personnes LGBTQI+. Voir C. Bard, « Masculinism in Europe », EHNE, 2019.
12 (2022). Toxic masculinity on social media, Bonpote. https://bonpote.com/en/toxic-masculinity-on-social-media/
13 Rapport annuel 2023 sur l’état des lieux du sexisme en France, Haut Conseil à l’égalité entre les femmes et les hommes, 23 janvier 2023.
14 Dafyyd M. (2020). Women in politics face ‘daily’ abuse on social media », BBC News. https://www.bbc.com/news/uk-wales-politics-52785157
15 Un troll est un utilisateur d’Internet qui s’engage délibérément dans un comportement visant à provoquer, irriter, critiquer ou perturber les autres. Il publie des commentaires offensants sur les réseaux sociaux afin de susciter de fortes réactions émotionnelles. Les trolls prospèrent en ciblant des individus ou des groupes spécifiques en utilisant diverses tactiques telles que les attaques personnelles, la diffusion de désinformation ou l’emploi de sarcasme et d’ironie.
16 Mackintosh, E. Gupta, S. (2020). Troll armies, ‘deepfake’ porn videos and violent threats. How Twitter became so toxic for India’s women politicians, CNN. https://edition.cnn.com/2020/01/22/india/india-women-politicians-trolling-amnesty-asequals-intl/index.html
17 Chaturvedi, S. (2016) I am a troll : Inside the secret world of the BJP’s digital army, Juggernaut Publication.
18 Une étude intitulée « Prostitution will save Ukraine from the default : Investigating Russian gender disinformation in social networks » traite de cette question et donne plusieurs exemples de phrases et commentaires postés en ligne par les utilisateurs pro-russes. L’un d’eux a ainsi écrit concernant le viol d’une femme : « Si elle n’avait pas résisté au viol, elle n’aurait pas été tuée ». Detector Média, 2022.
19 Jankowicz, N. (2017). How disinformation became a new threat to women, Coda. https://www.codastory.com/disinformation/how-disinformation-became-a-new-threat-to-women/
20, 21 Thakur, D. Handerson, D. (ed.), (2022). An unrepresentative democracy: how disinformation and online abuse hinder women of color political candidates in the United States, CDT Research.
22 Rapport Amnesty International (2018). Toxic Twitter is failing women by letting online violence thrive.
23 Shima Rwigara, D. (2017) « I wanted to be Rwanda’s first female president. Then fake nude photos appeared online », The Washington post.
24 Selon une définition actualisée du Center for Strategic and International Studies, une cyber opération consiste en « l’utilisation de piratage informatique, de virus ou d’autres méthodes pour mener une guerre de l’information, causer des dommages physiques, perturber les processus politiques, punir des concurrents économiques ou commettre d’autres actes de malveillance dans le cyberespace ». https://kolesnyk.fr/posts/le-csis-propose-une-nouvelle-definition-des-cyber-operations/
25 (2020). Fact check US: What is the impact of Russian interference in the US presidential election? The Conversation. https://theconversation.com/fact-check-us-what-is-the-impact-of-russian-interference-in-the-us-presidential-election-146711
26 Coleman, V. (2013). Social media as a primary source: a coming of age, Educause. https://er.educause.edu/articles/2013/12/social-media-as-a-primary-source-a-coming-of-age