Stigmatisation et discrimination systémiques envers la communauté LGBTQIA+ au Moyen-Orient

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16/03/2023

Mathilde Verrier

Malgré l’accroissement des revendications en faveur de la reconnaissance et de l’acquisition des droits et de la protection des personnes LGBTQIA+ dans le monde, les relations homosexuelles sont, encore aujourd’hui, réprimées dans 69 pays. Dans 11 pays, ces relations sont passibles de la peine de mort. Jugées immorales ou contre-nature, les relations entre les personnes du même sexe sont considérées comme criminelles, et ce, principalement dans la région du Moyen-Orient. Le récent rapport de l’ONG Human Rights Watch[1]Human Rights Watch. (2023). All This Terror Because of a Photo. Digital Targeting and Its Offline Consequences for LGBT People in the Middle East and North Africa. [Toute cette terreur à cause … Continue reading, publié le 21 février 2023, pointe du doigt l’urgence et la nécessité d’agir pour les citoyen·ne·s LGBTQIA+ de ces régions, notamment par la dénonciation de pratiques de traque en ligne. L’objectif étant la condamnation voire la mise à mort, dans certains pays, les politiques utiliseraient les réseaux sociaux à des fins de pistage et de ciblage, notamment des hommes homosexuels, pour obtenir des preuves et appliquer une condamnation paraissant justifiée. Dès lors, comment expliquer la stigmatisation et la persistance des discriminations envers les citoyen·ne·s LGBTQIA+ dans les pays du Moyen-Orient ? 

Un encadrement juridique et politique sévère des droits, propice à la violence à l’égard des communautés LGBTQIA+ 

Bien qu’il existe, au regard des gouvernements des différents pays du Moyen-Orient, une différence entre l’homosexualité masculine et féminine, l’ensemble des membres de la communauté LGBTQIA+ est menacée. L’homosexualité féminine est légale sur le territoire palestinien et au Koweït. Au Bahreïn, à Chypre, en Israël, en Jordanie et en Turquie, toutes les orientations sexuelles sont reconnues comme légales. En Israël, la loi reconnaît l’égalité des droits, de privilèges, d’adoption ou encore d’opportunités professionnelles aux personnes homosexuelles[2]Ministery of Foreign Affairs. (2021). Israel Experience, Gay Israel. [Expérience d’Israël. Gay Israël]. https://www.gov.il/en/Departments/General/gay-israel..

Néanmoins, l’acceptation de ces orientations sexuelles multiples n’entraîne aucun droit dans la plupart des autres pays. Au Koweït, en Égypte, à Oman, au Liban et en Syrie, l’homosexualité est considérée comme illégale et est passible d’emprisonnement. Le code pénal syrien le notifie notamment, puisque l’article 520 mentionne la criminalisation des « rapports sexuels contre nature[3]Human Rights Watch. (2018). L’audace face à l’adversité. Activisme en faveur des droits LGBT au Moyen-Orient et en Afrique du Nord. … Continue reading », tandis que l’article 517 condamne « les crimes “d’outrage à la pudeur” commis en public [sont] passibles d’une peine pouvant aller de trois mois à trois ans d’emprisonnement[4]Human Rights Watch. (2018). L’audace face à l’adversité. Activisme en faveur des droits LGBT au Moyen-Orient et en Afrique du … Continue reading ». Ici, il s’agit de tou·te·s les citoyen·ne·s, mais les personnes LGBTQIA+ seront davantage mis en avant. L’homosexualité est considérée comme un crime au Liban, et tout rapport sexuel entre deux personnes du même sexe peut alors entraîner jusqu’à un an de prison.

C’est en Iran, en Irak, en Arabie saoudite, au Qatar et aux Émirats arabes unis que la situation est la plus déplorable puisque les personnes reconnues coupables de crimes homosexuels sont passibles de la peine de mort. Les Émirats arabes unis le prévoient dans leur code pénal fédéral ; l’article 354 dispose : « Quiconque commet un viol sur une femme ou une sodomie avec un homme sera puni de mort[5]Une conférence sur les droits LGBT+ aux Émirats arabes unis, un pays LGBTphobe. (7 Janvier 2021). Komitid. … Continue reading ». Reposant sur la Charia, ce système pénal est violent envers les citoyen·ne·s n’ayant pas une sexualité hétérosexuelle sur le territoire émirien. 

Dans cette région, le cas des personnes trans est extrêmement critiqué. Si la reconnaissance de chaque orientation sexuelle connaît de nombreux freins juridiques, l’expression de genre et la reconnaissance des personnes trans ou non binaires est loin d’être acceptée. Dans l’ensemble des pays du Moyen-Orient, aucun autre genre que féminin et masculin n’est reconnu, hormis en Israël. Ce pays considère tout acte violent envers une personne LGBTQIA+ comme un crime. Selon les rapports de nombreuses associations et le gouvernement israëlien, Israël « est une des sociétés les plus inclusives du monde pour les lesbiennes, gays, bisexuels et transgenres[6]Ministery of Foreign Affairs. (2021). Israel Experience, Gay Israel. [Expérience d’Israël. Gay Israël]. https://www.gov.il/en/Departments/General/gay-israel. ». En 2020, Human Rights Watch publie un rapport[7]Human Rights Watch. (2020). They Treated Us in Monstrous Ways. Sexual Violence Against Men, Boys, and Transgender Women in the Syrian Conflict. [Ils nous ont traités comme des monstres. Les … Continue reading sur les violences faites aux homosexuel·le·s en Syrie, mais surtout sur les pratiques de tortures menées par les acteurs étatiques ou privés sur les citoye·ne·s trans, notamment les femmes et les jeunes filles. Elles sont « ciblées de manière disproportionnée par les violences sexuelles liées aux conflits[8]Human Rights Watch. (2020). They Treated Us in Monstrous Ways. Sexual Violence Against Men, Boys, and Transgender Women in the Syrian Conflict. [Ils nous ont traités comme des monstres. Les … Continue reading ». Seulement quelques pays acceptent les citoyen·ne·s quelque soit leur orientation sexuelle, et peu d’entre eux leur confèrent une reconnaissance juridique et des droits légitimes. Dans la plupart des pays du Moyen-Orient, cela n’est pas le cas.

Les politiques et les lois instaurées à l’égard des personnes homosexuelles et de toutes minorités sexuelles, sont dans ces pays, les premiers facteurs de l’exposition à des violences. De nombreuses discriminations sont commises contre celleux dont les pratiques et l’expression sexuelle et de genre ne sont pas conformes aux mœurs instaurées par la religion et la société. L’Iran est particulièrement confronté à cette réalité, où divers acteurs, tant étatiques que dans les cercles restreints de la famille ou du milieu professionnel sont les bourreaux à différents degrés des membres de la communauté LGBTQIA+. Le harcèlement, la mise en détention, les arrestations et la torture sont des pratiques répandues à l’encontre des homosexuel·le·s et des personnes trans. De plus, les thérapies de conversion sont toujours autorisées et soutenues par l’État islamique, ainsi que la flagellation et la peine de mort. Ces actes inhumains ont des conséquences désastreuses sur ces personnes et constituent des violations de leurs libertés et de leur sécurité. Condamnables par le droit international, ces États ne font pourtant pas l’objet de sanctions de la part des tribunaux internationaux.

L’affaire Maha Al-Mutairi a particulièrement alerté en rasons de la mise en exergue les dispositions prises à l’encontre de celleux qui enfreignent la loi au sujet de la transidentité. Cette jeune femme s’est faite arrêter par un tribunal pénal, au Koweït. Son crime ? Avoir enfreint la loi de 2014 relative aux communications et l’article 198 du Code pénal, textes juridiques dans lesquels est mentionnée l’interdiction « [d’]imiter l’autre sexe de quelque manière que ce soit[9]Amnesty International. (2021). Koweït 2021. https://www.amnesty.org/fr/location/middle-east-and-north-africa/kuwait/report-kuwait/. ». Condamnée à deux ans d’emprisonnement, dans une prison pour hommes, cette femme trans est l’exemple même de l’absence totale de considération et de la démonstration de la violence de la part des tribunaux et du gouvernement koweïtiens. Dans ce pays, bien que l’homosexualité féminine soit légale, aucune autre identité que celle masculine ou féminine n’est reconnue ni autorisée.

L’Égypte a également été le théâtre d’une répression accrue contre les personnes trans. En 2017, la présence de drapeaux arc-en-ciel lors d’un concert avait ébranlé la scène politique égyptienne. S’en sont suivies des dizaines d’arrestations de membres de la communauté LGBTQIA+ menées par la police locale[10]El Massassi, A. (05 Octobre 2017). En Égypte, répression accrue contre la communauté homosexuelle. L’orient-Le-Jour. … Continue reading. Ces arrestations avaient remis en cause la protection des citoyen·ne·s homosexuel·le·s et trans dans le pays. Le rapport d’information publié par Human Rights Watch en 2020[11]Human Right Watch, (2020). Sexual Violence Against Men in Syria: Daily Brief. [Violences sexuelles contre les hommes en Syrie : résumé quotidien]. … Continue reading confirme cette réalité. Les témoignages inclus dans le rapport permettent la mise en lumière d’actes « de mutilations, de chocs électriques, de séances de tabassage, de brûlure des organes génitaux, de viols ou de nudité forcée[12]Burrel, R. (30 Juin 2020). État Islamique, Syrie : les homosexuels et les personnes trans harcelées, violés et mutilés par différents camps. Têtu. … Continue reading », menés sur les prisonnier·ère·s.

Si la Déclaration universelle des droits de l’Homme rappelle dans son article 1er que « Tous les êtres humains naissent libres et égaux en dignité et en droits[13]United Nations Department of Public Information, United Nations. (n. d.). Universal Declaration of Human Rights. … Continue reading », il apparaît dans la réalité que cela ne s’applique pas à tou·te·s. Et si plusieurs pays du Moyen-Orient, comme l’Iran, l’Irak, l’Égypte ou le Liban[14]Perspective Monde (n. d.). 7 décembre 1948. Adoption de la Déclaration universelle des droits de l’Homme. https://perspective.usherbrooke.ca/bilan/servlet/BMEve/490 sont signataires de cette déclaration, les lois nationales priment sur le droit international. Aussi, en analysant les positionnements juridiques et le contexte politique instable qui règne dans ces pays, il est indispensable de mener des campagnes de défense des droits pour les personnes LGBTQIA+. L’hostilité des instances juridiques nationales et des gouvernements envers l’affirmation sexuelle et de genre de chacun·e est un des premiers facteurs de la violence faite aux personnes LGBTQIA+ dans la région du Moyen-Orient. 

La consolidation des discriminations par les discours religieux et politiques, conservateurs et masculinistes 

Plusieurs pays sont régis par des systèmes politiques au sein desquels la séparation de la religion et de l’État n’est pas effective. Le cas du Liban est intéressant puisque son fonctionnement politique est basé sur le modèle du confessionnalisme. Au sein de ce régime politique, chaque fonction est décernée à un membre d’une confession, calculée proportionnellement à la part de chaque religion dans la société. L’appartenance confessionnelle de chaque membre du gouvernement est donc incluse au sein de la sphère politique. La proximité entre le fonctionnement étatique et sa position sur la reconnaissance des personnes LGBTQIA+ peut être observée. La nature du régime peut donc avoir des conséquences sur l’acquisition de certains droits des minorités de genre et sexuelles. 

Le fonctionnement politique iranien illustre cette ambiguïté entre le pouvoir politique et religieux. Comme inscrit dans sa Constitution, la République islamique d’Iran a fondé ses institutions sur la loi coranique, et s’articule autour des principes théocratiques de l’islam. Il est notamment précisé dans le texte constitutionnel que « Le Conseil des Gardiens de la Constitution (Shorā-ye negahbān-e qānune assāssi), composé de faghihs (érudits religieux) et de juristes a pour principale mission de veiller à la conformité des lois adoptées par l’Assemblée à la Constitution et aux préceptes de l’Islam[15]Alhoda. (2010). La Constitution De La République Islamique de l’Iran. http://www.ebrahimemad.net/as-iran/la-constitution-de-la-republique-islamique-d-iran.pdf. ». Ces représentants de la religion au sein du système politique ont donc un poids dans la prise de décision et le verdict des sanctions prises à l’égard des personnes ne respectant pas les valeurs de la Constitution.

Atahualpa Amerise, un universitaire espagnol, précise au sujet du Coran que « des ayatollahs iraniens au grand mufti saoudien, considèrent l’homosexualité comme un crime qui contrevient aux normes de l’islam et doit être sévèrement puni[16]Amerise, A. (15 Décembre 2022). Ce que dit le Coran sur l’homosexualité et pourquoi elle est punie dans le monde musulman. BBC New Afrique. https://www.bbc.com/afrique/articles/c512xzw6zldo. ». Les personnes reconnues comme ayant une identité de genre ou une orientation sexuelle non conventionnelle par leurs textes saints sont donc les marginaux de la société et sont en insécurité permanente. Le Yémen et l’Arabie saoudite sont également dans ce cas[17]((Observatoire des Inégalités. (2022). Dans 69 pays sur 193, l’homosexualité est interdite. https://www.inegalites.fr/Dans-69-pays-sur-193-l-homosexualite-est-interdite. ».

De plus, le système patriarcal comme organisation sociale dans laquelle l’homme a tous les pouvoirs, et prédomine sur chaque interaction, tant au sein du cercle familial qu’en dehors, est dominant dans les pays du Moyen-Orient. Aussi, il en découle une organisation familiale et sociétale, considérée comme classique ou idéale, dans laquelle chaque individu·e a sa place en fonction de son genre et de son orientation sexuelle. Or, les personnes n’ayant pas une identité de genre ou une orientation sexuelle s’accordant à cette construction, sont non seulement rejetées mais dans certains cas punies, voire tuées. La longévité du système patriarcal dans les pays du Moyen-Orient s’illustre notamment par le maintien du pouvoir par des hommes, et dans certains pays par une hérédité du pouvoir. Les idéologies conservatrices tendent à entretenir cette longévité du patriarcat comme un acquis. Les manifestations des citoyen·ne·s s’y opposant sont fortement réprimées par les forces de l’ordre.

La religion est donc un des facteurs principaux de cette persistance de stigmatisation. Si le Coran ne condamne pas explicitement l’homosexualité, l’interprétation de l’islam et son enseignement dans les écoles coraniques démontrent l’impact néfaste que peut avoir la religion à l’égard de la communauté LGBTQIA+. Aujourd’hui, un acte sexuel entre deux personnes est davantage punissable que l’adultère[18]Amerise, A. (15 Décembre 2022). Ce que dit le Coran sur l’homosexualité et pourquoi elle est punie dans le monde musulman. BBC New Afrique. https://www.bbc.com/afrique/articles/c512xzw6zldo., tant dans les textes législatifs nationaux que dans les textes saints. L’historien spécialiste du Moyen-Orient et de l’Islam, Gerardo Ferrara, explique pour BBC Mundo que dans la Sunnaune des principales sources de la législation islamique – « l’homosexualité est assimilée à l’adultère. C’est un crime appelé hadd et est généralement sanctionné par la peine de mort, dans les cas les plus graves, ou le fouet[19]Amerise, A. (15 Décembre 2022). Ce que dit le Coran sur l’homosexualité et pourquoi elle est punie dans le monde musulman. BBC New Afrique. https://www.bbc.com/afrique/articles/c512xzw6zldo . ». La jurisprudence islamique condamne toute relation sexuelle ayant lieu hors des liens sacrés et divins du mariage ; ici est entendue toute relation sexuelle autre qu’hétérosexuelle. Se revendiquant comme les représentants de Dieu sur terre, de nombreux juristes musulmans interprètent de manière arbitraire les versets du texte saint. 

Aussi, si plusieurs allusions comme l’interdiction de la pratique de la sodomie entre deux personnes du même sexe, ou l’obligation d’épouser une personne du sexe opposé dans le but de procréer sont identifiables dans le Coran, les punitions et châtiments ne sont nullement dictés. Les hommes se sont donc emparés d’un texte saint pour asseoir leur pouvoir religieux, et justifier, au nom de Dieu, ces violences. Cette construction de la violence justifiée par la religion s’observe en Iran, en Syrie ou encore en Arabie saoudite, qui « pourraient recourir à la peine de mort, sans que cela soit explicitement mentionné dans la loi[20]Observatoire des Inégalités. (2022). Dans 69 pays sur 193, l’homosexualité est interdite. https://www.inegalites.fr/Dans-69-pays-sur-193-l-homosexualite-est-interdite. » en raison de relations homosexuelles. Néanmoins, il est important de constater que ce sont les personnes issues de communautés minoritaires qui en payent toujours le prix, qu’ils s’agissent de minorités de genre, sexuelles, ethniques ou religieuses. 

Une des mesures de plus en plus courantes et des plus criminelles est le pistage des homosexuel·le·s sur les réseaux sociaux ou les sites de rencontres. Les personnes concernées, répondant à la proposition sont piégées par des officiers de police qui se font passer pour des membres de la communauté LGBTQIA+ sur des sites de rencontres. Entre répressions violentes sur les lieux de rendez-vous, arrestations et tortures dans les postes de police, les victimes sont nombreuses. Les cinq pays dans lesquels ces mesures ont été recensées sont  l’Égypte, l’Irak, la Jordanie, le Liban et la Tunisie. Les témoignages des victimes sont glaçants[21]Human Rights Watch. (2023). All This Terror Because of a Photo. Digital Targeting and Its Offline Consequences for LGBT People in the Middle East and North Africa. [Toute cette terreur à cause … Continue reading et illustrent la persistance de l’hostilité des États à l’égard des membres de la communauté LGBTQIA+. Ici, aucun cadre légal n’est fixé par les États, il ne s’agit que d’une forme de « chasse » et d’un déchaînement de violences. 

L’impossible défense des droits des membres de la communauté LGBTQIA+ en raison de l’invisibilisation sociétale et de la répression étatique 

Dans un reportage mené par Mélanie Houé, une journaliste freelance au Liban, en 2019, plusieurs témoignages recueillis rendent compte de la difficulté pour les personnes homosexuelles et trans de faire leur coming-out. La crainte du rejet est d’autant plus difficile à appréhender ; celui-ci est souvent effectif au moment des aveux. Au sein du cercle familial, beaucoup sont confrontés à un fort mépris de la part de leur proche. C’est le cas d’Éli, un jeune libanais homosexuel, dont Mélanie Houé a recueilli le témoignage. Il se confie en expliquant : « Mon frère ne l’accepte pas et ma sœur, elle, ne me laisse plus seul avec ma nièce. Elle a peur que je l’abuse sexuellement[22]Houé, Mélanie. (17 Mai 2019). La difficile dépénalisation de l’homosexualité au Liban. Middle East Eye. … Continue reading ». La dureté du rejet de certains membres de sa famille est courante ; nombre de personnes LGBTQIA+ se sont retrouvées dans la même situation suite à leur coming-out. Les mots d’Éli prononcés lors d’un entretien pour un journal anglais en 2022 font écho à ceux de Nas Mohamed, médecin qatari, et premier ressortissant à faire son coming-out : « j’ai pensé au risque que quelqu’un le découvre. Je me suis dit que je serais tué si quelqu’un savait[23]Ravier-Regnat, S. (23 Mai 2022). Homophobie. Je me suis dit que je serais tué si quelqu’un savait : un Qatari parle de son homosexualité à visage découvert, une première. Libération. … Continue reading ». Le risque d’être découvert·e·s est multiplié, alors que les les citoyen·ne·s LGBTQA+ sont déjà confronté·e·s à masquer leur propre sexualité. Les témoignages partagés par les journalistes pour mettre en lumière les dangers encourus par les membres de la communauté LGBTQIA+ dans la région du Moyen-Orient, rendent bien compte de la situation dramatique. 

Et cette peur est en permanence accentuée par une stagnation des mentalités des citoyen·ne·s et par une conformation globale de la société. Cette invisibilisation d’autres sexualités ou orientations de genre que l’hétérosexualité ou la cisidentité est totale au Moyen-Orient. Le flou systémique autour de l’existence des personnes LGBTQIA+ est entretenu, y compris par les personnes concernées pour se protéger, ce qui tend à invisibiliser totalement cette communauté. Ce mécanisme d’invisibilisation est entretenu par les politiques et peut prendre une certaine forme d’anti-propagande. La culture est par ailleurs un moyen efficace pour accentuer le manque d’information général. Cela s’est produit en Arabie saoudite, en avril 2022. L’État a demandé la suppression d’une référence dans un Disney, où deux mamans apparaissaient[24]Borne, T. (27 Mai 2022). L’Arabie saoudite exige le retrait d’une « référence LGBTQ » d’un film Disney. La Croix. … Continue reading.

Ces références d’identification n’étant pas autorisées, les personnes concernées ne sauront donc pas à qui se référer. L’élimination de toutes références LGBTQIA+ entretient la méconnaissance et donc le rejet de cette communauté. Les signes d’ouverture sont peu nombreux et fortement restreints par les autorités. L’État saoudien a les pleins pouvoirs pour contrôler sa population. Cela passe notamment par la censure de certaines références. Cette conformisation des États du Moyen-Orient, entretient la stigmatisation des personnes LGBTQIA+ et renforce les multiples discriminations à leur égard. 

De plus, la défense des droits humains des membres de la communauté LGBTQIA+ au Moyen-Orient s’inscrit dans une complexité sans pareille. La liberté d’expression et de réunion n’est pas assurée dans de nombreux pays du Moyen-Orient, et ces droits fondamentaux sont parfois réprimés par la violence et l’incarcération. Au Koweït, en 2021, de nombreux·ses militant·e·s ont été interpellé·e·s et arrêté·e·s pour avoir émis des critiques contre le gouvernement ou être reconnu·e·s responsables d’activités militantes pour la protection des droits des minorités, tels que ceux des citoyen·ne·s LGBTQIA+. Pour, ces personnes, « le droit de réunion pacifique était un outil de changement [qui] n’avait pas faibli et […] les manifestantes ne se laisseraient pas intimider par la violence des autorités[25]Amnesty International. (2021). Moyen-Orient et Afrique du Nord. Dix ans après les soulèvements massifs de 2011, la répression et la violence n’ont pas eu raison du militantisme arabe. … Continue reading ». La liberté d’expression étant une des manières les plus adéquates pour acquérir des droits, elle doit être défendue contre les régimes conservateurs. La démocratie se pose donc comme garant de la sécurité des droits pour les LGBTQIA+. 

Au mois de février 2023, les manifestations se poursuivent en Israël pour la protection du droit de chaque minorité, dont ceux de la communauté LGBTQIA+. Le parlement israélien a pour projet une réforme de la justice et un accès aux pleins pouvoirs. Cette réforme s’articule autour de la « mise en œuvre des propositions [qui] pourrait transformer Israël en un État dans lequel il n’y aurait, en pratique, qu’une seule branche du gouvernement, puisque la Knesset et l’exécutif sont déjà contrôlés par la coalition[26]8 doyens d’universités de droit fustigent la réforme judiciaire de Yariv Levin. (8 Janvier 2023). The Times of Israël. … Continue reading ». Cette réforme constitue une entrave à la liberté de la Cour Suprême[27]Israël: les manifestations contre les plans du gouvernement pour la justice continuent. (20 Février 2023). RFI. … Continue reading et permettrait aux personnalités conservatrices de mener une politique plus restrictive en matière de droits des personnes LGBTQIA+. Certains membres du gouvernement ont mis en avant leur mépris pour l’avancée des droits accordés aux personnes LGBTQIA+ sur le territoire israélien. En 2022, Simcha Rothman, membre de la Knesset avait déclaré que les personnes LGBTQIA+ pourraient se voir refuser la location d’une chambre d’hôtel. La même année, la députée Orit Strook, membre du parti Atid Eha, avait évoqué la possibilité du refus des entreprises pour toute opération médicale à destination des personnes souhaitant un changement de sexe[28]En Israël, une future ministre propose que les médecins puissent refuser de soigner les personnes LGBT. (27 Décembre 2022). L’OBS. … Continue reading. Malgré la garantie donnée par Benjamin Netanyahou, qui avait assuré « [qu’]aucun mal [ne sera fait] aux personnes LGBT ou aux droits de tout citoyen en Israël[29]En Israël, une future ministre propose que les médecins puissent refuser de soigner les personnes LGBT. (27 Décembre 2022). L’OBS. … Continue reading ». Ainsi, bien que le pays soit aujourd’hui considéré comme le plus ouvert et protecteur des droits des minorités sexuelles et de genre de la région, cette réforme serait la porte d’entrée à une alliance de partis conservateurs, opposés à la reconnaissance des droits des personnes LGBTQIA+. La protection de la Cour suprême sur les droits de tou·te·s ne serait plus effective. L’actualité politique israélienne permet de comprendre qu’y compris dans les pays où les droits semblent acquis, ils restent fragiles et le système de protection de ces droits, particulièrement vulnérable. 

Dans la région du Moyen-Orient, les politiques sont les seuls gardiens du pouvoir. Les conséquences sur les droits des citoyen·ne·s LGBTQA+ sont considérables. Mais si la peur est un des moteurs de l’absence réelle de mouvement pour la promotion des droits des membres de la communauté LGBTQIA+, de nombreux témoignages tendent vers une lueur d’espoir. Rapporté par Human Rights Watch en 2018, un nombre important de personnes du Moyen-Orient et d’Afrique du Nord affirmaient leur détermination à faire valoir leurs droits : « Ils racontent leurs histoires, construisent des alliances, établissent des réseaux qui dépassent les frontières, développent des mouvements nationaux et régionaux et adoptent des moyens créatifs pour combattre l’homophobie et la transphobie[30]Human Rights Watch. (2018). L’audace face à l’adversité. Activisme en faveur des droits LGBT au Moyen-Orient et en Afrique du Nord. … Continue reading »

Dans l’attente de mesures prises en faveur d’une reconnaissance et d’une égalité pour tou·te·s 

Le Moyen-Orient compte parmi les régions les moins ouvertes en termes de reconnaissance des droits et de l’existence des membres de la communauté LGBTQIA+. En conséquence de cette atteinte aux droits humains, les citoyen·ne·s concerné·e·s sont donc fortement stigmatisés et exposés aux discriminations tant physiques que morales. Si au Moyen-Orient, les droits de chacun·e des citoyen·ne·s LGBTQIA+ ne sont encore aujourd’hui, ni acquis dans de nombreux pays, ni respectés dans les autres, les revendications civiles continuent. 

Les propos contenus dans cet écrit n’engagent que l’autrice.

Pour citer cette production : VERRIER Mathilde, « Stigmatisation et discrimination systémiques envers la communauté LGBTQIA+ au Moyen-Orient », 16/03/2023, Institut du Genre en Géopolitique. https://igg-geo.org/?p=11710

References

References
1 Human Rights Watch. (2023). All This Terror Because of a Photo. Digital Targeting and Its Offline Consequences for LGBT People in the Middle East and North Africa. [Toute cette terreur à cause d’une photo. Le ciblage numérique et ses conséquences hors-ligne pour les personnes LGBT au Moyen-Orient et en Afrique du Nord]. https://www.hrw.org/report/2023/02/21/all-terror-because-photo/digital-targeting-and-its-offline-consequences-lgbt.
2, 6 Ministery of Foreign Affairs. (2021). Israel Experience, Gay Israel. [Expérience d’Israël. Gay Israël]. https://www.gov.il/en/Departments/General/gay-israel.
3 Human Rights Watch. (2018). L’audace face à l’adversité. Activisme en faveur des droits LGBT au Moyen-Orient et en Afrique du Nord. https://www.hrw.org/sites/default/files/report_pdf/lgbt_mena0418fr_annex.pdf.
4 Human Rights Watch. (2018). L’audace face à l’adversité. Activisme en faveur des droits LGBT au Moyen-Orient et en Afrique du Nord.

https://www.hrw.org/sites/default/files/report_pdf/lgbt_mena0418fr_annex.pdf.

5 Une conférence sur les droits LGBT+ aux Émirats arabes unis, un pays LGBTphobe. (7 Janvier 2021). Komitid. https://www.komitid.fr/2021/01/07/une-conference-sur-les-droits-lgbt-aux-emirats-arabes-unis-un-pays-lgbtphobe/.
7 Human Rights Watch. (2020). They Treated Us in Monstrous Ways. Sexual Violence Against Men, Boys, and Transgender Women in the Syrian Conflict. [Ils nous ont traités comme des monstres. Les violences sexuelles faites aux hommes, aux garçons et aux femmes transgenres pendant le conflit syrien]. https://www.hrw.org/report/2020/07/29/they-treated-us-monstrous-ways/sexual-violence-against-men-boys-and-transgender.
8 Human Rights Watch. (2020). They Treated Us in Monstrous Ways. Sexual Violence Against Men, Boys, and Transgender Women in the Syrian Conflict. [Ils nous ont traités comme des monstres. Les violences sexuelles faites aux hommes, aux garçons et aux femmes transgenres pendant le conflit syrien]. https://www.hrw.org/report/2020/07/29/they-treated-us-monstrous-ways/sexual-violence-against-men-boys-and-transgender
9 Amnesty International. (2021). Koweït 2021. https://www.amnesty.org/fr/location/middle-east-and-north-africa/kuwait/report-kuwait/.
10 El Massassi, A. (05 Octobre 2017). En Égypte, répression accrue contre la communauté homosexuelle. L’orient-Le-Jour. https://www.lorientlejour.com/article/1076227/en-egypte-repression-accrue-contre-la-communaute-homosexuelle.html
11 Human Right Watch, (2020). Sexual Violence Against Men in Syria: Daily Brief. [Violences sexuelles contre les hommes en Syrie : résumé quotidien]. https://www.hrw.org/the-day-in-human-rights/2020/07/29.
12 Burrel, R. (30 Juin 2020). État Islamique, Syrie : les homosexuels et les personnes trans harcelées, violés et mutilés par différents camps. Têtu. https://tetu.com/2020/07/31/syrie-les-homosexuels-et-les-personnes-trans-harceles-violes-et-mutiles-par-les-deux-camps/.
13 United Nations Department of Public Information, United Nations. (n. d.). Universal Declaration of Human Rights. https://www.ohchr.org/en/human-rights/universal-declaration/translations/french?LangID=frn.
14 Perspective Monde (n. d.). 7 décembre 1948. Adoption de la Déclaration universelle des droits de l’Homme. https://perspective.usherbrooke.ca/bilan/servlet/BMEve/490
15 Alhoda. (2010). La Constitution De La République Islamique de l’Iran. http://www.ebrahimemad.net/as-iran/la-constitution-de-la-republique-islamique-d-iran.pdf.
16 Amerise, A. (15 Décembre 2022). Ce que dit le Coran sur l’homosexualité et pourquoi elle est punie dans le monde musulman. BBC New Afrique. https://www.bbc.com/afrique/articles/c512xzw6zldo.
17 ((Observatoire des Inégalités. (2022). Dans 69 pays sur 193, l’homosexualité est interdite. https://www.inegalites.fr/Dans-69-pays-sur-193-l-homosexualite-est-interdite.
18 Amerise, A. (15 Décembre 2022). Ce que dit le Coran sur l’homosexualité et pourquoi elle est punie dans le monde musulman. BBC New Afrique. https://www.bbc.com/afrique/articles/c512xzw6zldo.
19 Amerise, A. (15 Décembre 2022). Ce que dit le Coran sur l’homosexualité et pourquoi elle est punie dans le monde musulman. BBC New Afrique. https://www.bbc.com/afrique/articles/c512xzw6zldo .
20 Observatoire des Inégalités. (2022). Dans 69 pays sur 193, l’homosexualité est interdite. https://www.inegalites.fr/Dans-69-pays-sur-193-l-homosexualite-est-interdite.
21 Human Rights Watch. (2023). All This Terror Because of a Photo. Digital Targeting and Its Offline Consequences for LGBT People in the Middle East and North Africa. [Toute cette terreur à cause d’une photo. Le ciblage numérique et ses conséquences hors-ligne pour les personnes LGBT au Moyen-Orient et en Afrique du Nord]. https://www.hrw.org/report/2023/02/21/all-terror-because-photo/digital-targeting-and-its-offline-consequences-lgbt.
22 Houé, Mélanie. (17 Mai 2019). La difficile dépénalisation de l’homosexualité au Liban. Middle East Eye. https://www.middleeasteye.net/fr/reportages/la-difficile-depenalisation-de-lhomosexualite-au-liban.
23 Ravier-Regnat, S. (23 Mai 2022). Homophobie. Je me suis dit que je serais tué si quelqu’un savait : un Qatari parle de son homosexualité à visage découvert, une première. Libération. https://www.liberation.fr/international/moyen-orient/je-me-suis-dit-que-je-serais-tue-si-quelquun-savait-un-qatari-parle-de-son-homosexualite-a-visage-decouvert-une-premiere-20220523_JQO37KUGOBGNBEV5VQWQNJRB2M/.
24 Borne, T. (27 Mai 2022). L’Arabie saoudite exige le retrait d’une « référence LGBTQ » d’un film Disney. La Croix. https://www.la-croix.com/Monde/LArabie-saoudite-exige-retrait-dune-reference-LGBT-dun-film-Disney-2022-04-27-1201212417.
25 Amnesty International. (2021). Moyen-Orient et Afrique du Nord. Dix ans après les soulèvements massifs de 2011, la répression et la violence n’ont pas eu raison du militantisme arabe. https://www.amnesty.org/fr/latest/press-release/2021/02/mena-repression-and-violence-fail-to-stamp-out-arab-activism-10-years-since-mass-uprisings-of-2011/.
26 8 doyens d’universités de droit fustigent la réforme judiciaire de Yariv Levin. (8 Janvier 2023). The Times of Israël. https://fr.timesofisrael.com/8-doyens-duniversites-de-droit-fustigent-la-reforme-judiciaire-de-yariv-levin/.
27 Israël: les manifestations contre les plans du gouvernement pour la justice continuent. (20 Février 2023). RFI. https://www.rfi.fr/fr/moyen-orient/20230220-isra%C3%ABl-les-manifestations-contre-les-plans-du-gouvernement-pour-la-justice-continuent.
28 En Israël, une future ministre propose que les médecins puissent refuser de soigner les personnes LGBT. (27 Décembre 2022). L’OBS. https://www.nouvelobs.com/monde/20221227.OBS67629/en-israel-une-future-ministre-propose-que-les-medecins-puissent-refuser-de-soigner-les-personnes-lgbt.html.
29 En Israël, une future ministre propose que les médecins puissent refuser de soigner les personnes LGBT. (27 Décembre 2022). L’OBS. https://www.nouvelobs.com/monde/20221227.OBS67629/en-israel-une-future-ministre-propose-que-les-medecins-puissent-refuser-de-soigner-les-personnes-lgbt.html.
30 Human Rights Watch. (2018). L’audace face à l’adversité. Activisme en faveur des droits LGBT au Moyen-Orient et en Afrique du Nord. https://www.hrw.org/fr/report/2018/04/16/laudace-face-ladversite/activisme-en-faveur-des-droits-lgbt-au-moyen-orient-et-en.