La procréation médicalement assistée au Maghreb et au Moyen-Orient : entre progrès et discriminations

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19/09/2023

François Thery 

Les avancées médicales ont, en tout temps, été sujets à débat, tant scientifiques que sociaux. Depuis les années 1980, le développement des techniques de procréation médicalement assistée a considérablement augmenté, notamment divers pays du Maghreb et au Moyen-Orient. De nombreuses questions culturelles et éthiques ont alors émergées, questionnant également l’équité et l’égalité des genres. Les techniques médicales de procréation regroupent les différentes avancées médicales pour la fécondation in vitro ou non d’un ovocyte par les spermatozoïdes. Il est évidemment nécessaire de différencier les techniques qui nécessitent un donneur et celles entre les deux « parents » responsables de l’enfant après la naissance. Les premières cliniques pratiquant la fécondation in vitro au Moyen-Orient et dans les pays du Maghreb sont apparues dès les années 1980[1]Inhorn, Marcia C. & Daphna Birenbaum-Carmeli. (2008). Assisted Reproductive Technologies and Culture Change. Annual Review of Anthropology, 177-196.. Les premiers pays à avoir connu cette révolution ont été la Jordanie, l’Arabie saoudite et l’Égypte. Cette apparition a suscité nombres d’interrogations pour ces pays majoritairement musulman. La procréation médicalement assistée ou l’« assistance médicale à la procréation », qui regroupe toutes les techniques de pratiques cliniques et biologiques permettant à la fécondation a été sujette au même traitement médiatique et politique.           

L’acceptation de la PMA par les clercs musulmans souligne l’importance qu’ils accordent aux questions éthiques en lien direct avec les « fins supérieurs[2]Ghaly, Mohammed. (2019). Les débats au sein de la tradition islamique sur la bioéthique basée sur les principes : Une tâche de longue haleine.Journal International de Bioéthique et … Continue reading comme le besoin de procréation au sein des couples musulmans. Le désir, ainsi que la pression sociale systémique, de devenir parents, s’inscrit parfois dans une logique religieuse. Cependant, ces facteurs alimentent les avancées technologiques biomédicales, comme la fécondation in vitro ou la donation par un conjoint de spermatozoïdes. Ces avancées témoignent de la capacité d’adaptation du cadre normatif musulman. Dès lors, de nouveaux sujets de controverse apparaissent comme le statut de l’embryon, le respect de l’intégrité biologique et de la vie humaine, la parenté et la filiation. De nombreux pays musulmans adoptent ces techniques médicales comme au Maroc, en Tunisie, en Égypte, en Jordanie, au Liban, en Arabie saoudite, au Qatar ou encore à Oman. 

Il est intéressant de se questionner sur l’attrait politique des évolutions qu’ont connues ces révolutions médicales dans différentes aires géographiques, notamment au sein des pays à majorité musulmane. L’accès à des nouvelles pratiques de procréation médicalement assistée questionnent la capacité de la doctrine de l’islam à s’adapter aux avancés technologiques pour les familles souffrantes d’infécondité. Pour se faire, une première partie sera consacrée à l’étude des pressions socio-culturelles en ce qui concerne la création d’une famille, au sein des pays de confession musulmane. Une deuxième partie permettra d’illustrer l’adaptation des normes musulmanes sur la procréation médicalement assistée. Enfin, une dernière partie permettra la mise en exergue de la difficulté d’accès et l’impopularité de ces avancées scientifiques. Ces deux parties permettront de proposer une analyse qui répondra à la question suivante : Comment les juridictions musulmanes ont su s’adapter face aux avancées des techniques médicales, et de quelle manière les femmes musulmanes sont parvenues à affirmer leurs droits sur la question ? 

La pression sociale et culturelle de fonder une famille

L’Islam définit un nombre de droits et de devoirs pour les couples musulmans dans ses textes religieux et interprétations des paroles du prophète Muhammad. Ces devoirs se définissent parfois par les cinq piliers ou alors les fameuses « fins supérieurs ». Ces dernières définissent notamment la nécessité, dûes aux pression sociétales et familiales, d’avoir une descendance légitime et de transmettre la religion à ses enfants comme un principe fondamental de la foi musulmane. Les pays musulmans montrent un intérêt pour ces opérations médicales car leurs habitant·tes cherchent un moyen de pallier la stérilité ou l’infertilité. Auparavant, la tradition voulait que les femmes soient jugées responsables de la fertilité alors que les hommes n’étaient pas inquiétés[3]Fortier, Corinne. (2019). Procréations médicalement assistées, sexualité et religions. Ateliers d’anthropologie.Dire qu’un homme était stérile représentait une honte ; l’infertilité était considérée comme une atteinte à leur virilité et semblait démontrer  leur impuissance. Au sein des couples qui n’arrivaient pas à avoir d’enfant accusaient, la femme accusée de stérilité, se voyait  répudiée[4]Houot, S. (2010). Des usages éthiques du droit islamique : Une réponse aux enjeux posés par la reproduction médicalement assistée. Droit et cultures, 331‑355Aujourd’hui, et depuis quelques années, les couples victimes d’infertilité ou en incapacité de procréation font appel aux techniques de procréation médicalement assisté pour avoir des enfants tout en se conformant aux principes de la foi musulmane

Médicaliser la procréation a donc permis d’instaurer une plus grande reconnaissance des problématiques d’infertilité au sein du couple. Ainsi, ces pratiques ont permis aux spécialistes de poser des diagnostics qui soulagent les femmes des fausses accusations d’infertilité mentionnées précédemment. L’infertilité et donc l’incapacité de fonder une famille est une épreuve créant un isolement social et religieux puisque le foyer familial est central dans la croyance musulmane. L’époux musulman est considéré comme un chef de famille et un chef religieux ; il doit pouvoir diriger la prière et d’apprendre à ses fils à diriger à leurs tours la prière. Ainsi, ne pas avoir d’enfant est impensable pour une grande partie des musulman·e·s vivant dans les pays du Maghreb et du Moyen-Orient. Cela illustre la forte domination du système patriarcal, qui ne prend que peu, ou pas du tout en compte les considérations, les envies ou les droits des femmes musulmanes.

Par ailleurs, la possibilité de recourir à la PMA pour un couple marié permet l’effacement d’une forme de pression sociale sur le fait de ne pas procréer. Le phénomène de stérilité chez les conjoints musulmans justifie alors des moyens exceptionnels, des moyens mal vus par la société civile. Ainsi, le « besoin d’enfant » supplante les restrictions dites « illicites » comme la masturbation ou la rupture des ablutions. Cette vision ouvre donc à une plus grande tolérance concernant les pratiques médicales. Au Maghreb et au Moyen-Orient, deux techniques de procréation sont admises au sein du couple par ces écoles de pensée. L’une d’elle est l’insémination artificielle intra-utérine avec sperme du conjoint (IAC), caractérisée par l’injection de spermatozoïdes choisis pour leur qualité et mobilité dans l’utérus de la femme lors de l’ovulation après un traitement hormonal. L’insémination artificielle se sépare en deux branches, entre l’IAC, insémination par les spermatozoïdes du conjoint et l’IAD, insémination par les spermatozoïdes d’un donneur, pratique interdite dans de nombreux pays musulmans[5]Fortier, Corinne. (s. d.). Genre, sexualité et techniques reproductives en islam. In Normes religieuses et genre. Mutations, résistances et reconfiguration (XIXe-XXIe siècle), Armand Colin.. La suivante est la fécondation in vitro (FIV) ou fécondation extracorporelle engendrant la fécondation du sperme de l’époux et les ovocytes de l’épouse prélevés après une stimulation ovarienne, permettant de détenir des embryons. 

La fécondation in vitro existe sous deux formes : l’une s’effectue avec les gamètes du couple, appelée FIVC et l’autre en utilisant des gamètes obtenus par un don, autrement dit FIVD. Les gamètes sont les cellules reproductrices, appelées spermatozoïdes chez l’homme, et ovule chez la femme. La seconde  est l’ICSI (Intra Cytoplasmique Sperme Injection) qui consiste à injecter un spermatozoïde de qualité, mobile, dans le cytoplasme d’un ovocyte après une stimulation et ponction ovarienne. Ces techniques sont donc autorisées par l’islam toutefois l’intervention d’un tiers est considérée comme de l’adultère et tout enfant naissant de la suite de celle-ci serait qualifié d’illégitime.  Ainsi, comme l’utilisation de donneurs tiers est prohibée, il est impossible de recourir à la fécondation in vitro par donneur (FIVD). 

Adaptation des normes musulmanes sur la procréation médicalement assistée

Le courant sunnite de l’Islam, se construit sur quatre écoles de pensées majeures[6]Fortier, Corinne. (2019). Procréations médicalement assistées, sexualité et religions. Ateliers d’anthropologie.qui se prononcent respectivement sur les techniques de PMA. Ces savants interprètent de manière souvent différente les sources primaires de l’Islam. Pourtant, elles s’entendent sur les questions de fécondations in vitro puisqu’elles acceptent toutes l’utilisation des trois méthodes au sein du couple. Néanmoins, des spécificités sur les questions de gestation restent respectées à chacune de ces interprétations. La PAM, reconnue par ces courants de pensée comme pratique interdite, reste un grand sujet chez les hommes hétéros cisgenres musulmans. Les oulémas – savant musulmans qui interprètent les textes religieux – égyptiens d’Al-Azhar ont pourtant expliqué que la masturbation au sein du couple dans la logique d’avoir un enfant et de procréer soulève le maqsud, une fin supérieure. Il s’agit donc donc d’un recours exceptionnel aux techniques de procréation médicalement assistée est autorisé[7]Ghaly, Mohammed. (2019). Les débats au sein de la tradition islamique sur la bioéthique basée sur les principes : Une tâche de longue haleine.Journal International de Bioéthique et … Continue reading

En revanche, l’utilisation de gamètes d’une personne étrangère aux conjoints, donc au couple, est interdite. Ces dernières sont en contradiction avec les interprétations du courant chiite, qui sont ouvertes à une plus grand liberté de pensée. Un homme, qu’il soit célibataire ou marié, est autorisé à avoir une relation sexuelle légitime avec une femme en contractant un mariage temporaire avec elle. Ce type de contrat permet à un homme et une femme de se marier temporairement afin de ne pas avoir une relation hors mariage, donc interdite et réprimable par les lois édictées par les écoles religieuses. Cette pratique doit inclure un accord des deux parties, une promesse de dot et un contrat de mariage valable pour un an et renouvelable. Ce cadre normatif permet alors aux hommes de procréer avec l’« épouse temporaire »[8]Ghaly, Mohammed. (2019). Les débats au sein de la tradition islamique sur la bioéthique basée sur les principes : Une tâche de longue haleine.Journal International de Bioéthique et … Continue reading. Bien sûr, cette dernière doit remplir un certain nombre de conditions, définies par les institutions religieuses. L’« épouse temporaire » doit être célibataire et s’accomoder d’un mariage temporaire durant toute la durée du processus médical de procréation, jusqu’au transfert de l’embryon, et à la fécondation dans l’utérus de la première épouse, « épouse officielle ». 

Cette pratique masculine est souvent encouragée par le désir de prouver sa virilité en ayant une descendance. Ces mariages, s’ils sont consentis par les deux partis, peuvent entraîner des répercussions sur les femmes ayant contracté leur accord.  Dans certains cas l’« épouse temporaire » ne sera utilisée que pour sa capacité à procréer. Ces cas extrêmes existent en Iran[9]Kooli, Chokri. (2019). Review of assisted reproduction techniques, laws, and regulations in Muslim countries. Middle East Fertility Society Journal., et permet à un couple infertile de procréer sans être dans l’illégalité. Le don de sperme n’est, par exemple, pas autorisé par la loi parlementaire iranienne alors que celui d’ovocyte l’est depuis 2003[10]Inhorn, Marcia C. & Daphna Birenbaum-Carmeli. (2008). Assisted Reproductive Technologies and Culture Change. Annual Review of Anthropology, 177-196.. Si le don du sperme n’est proposé que depuis une vingtaine d’années, cela peut se comprendre au regard du système patrilinéaire sacré, promu par la tradition musulmane. Les hommes hétérosexuels, désireux d’avoir une descendance, utilisent des techniques de procréation plus facilement avec des « épouses temporaires »[11]Inhorn, Marcia C. & Daphna Birenbaum-Carmeli. (2008). Assisted Reproductive Technologies and Culture Change. Annual Review of Anthropology, 177-196.. Ces « épouses temporaires » sont parfois considérées comme de simple mère porteuse sans aucune compensation ou même aide de la part de l’Etat. Cela peut donc drastiquement nuire à leurs conditions de vie, mais aussi à leur statut social. De fait, elles peuvent être stigmatisées et victimes de nombreuses discriminations.

Dans certains pays du Maghreb, la condition unique pour recourir aux techniques de procréation est l’infertilité. Ainsi au Maroc, la loi dispose que « L’assistance médicale à la procréation a pour objet de remédier à l’infertilité dont le caractère pathologique a été médicalement diagnostiqué »[12]Lagdami, Khaoula. (2013).La prise en considération de l’intérêt supérieur de l’enfant dans l’évolution du droit de la famille : Etude comparative des systèmes juridiques français et … Continue reading. En Tunisie, la loi n°2001-93[13]Lagdami, Khaoula. (2013).La prise en considération de l’intérêt supérieur de l’enfant dans l’évolution du droit de la famille : Etude comparative des systèmes juridiques français et … Continue reading. relative à la médecine de reproduction établit elle aussi un cadre pour les couples mariés. Si l’objectif de l’assistance médicale à la procréation est de lutter contre l’infertilité au sein d’un couple marié, le recours à un tiers donneur est interdit. Ainsi, la clinique Alyssa en Tunisie pratique différentes techniques, uniquement accessibles aux couples musulmans en incapacités de procréer : l’insémination artificielle, la FIV, la stimulation ovarienne avec une limite d’âge de 50 ans[14]Fortier, Corinne. (s. d.). Genre, sexualité et techniques reproductives en islam. In Normes religieuses et genre. Mutations, résistances et reconfiguration (XIXe-XXIe siècle), Armand Colin..

Dans d’autres pays arabo-musulmans, comme en Égypte les recommandations et interprétations des textes musulmans font acte de lois ordinaires. Dès 1980, le cheikh – dans la société musulmane, il s’agit d’un homme respecté, principalement reconnu pour ses connaissances dans divers domaines, en particulier religieux et scientifique – Ali Gad El Hak a émis une fatwa[15]Fatwa : Consultation juridique sur un point de religion, donnant parfois lieu à condamnation.. Cette consultation juridique basée sur les principes de la religion, autorise le recours aux techniques de reproduction assistée. Toutefois, elle exclut l’assistance par un tiers[16]Fortier, Corinne. (s. d.). Genre, sexualité et techniques reproductives en islam. In Normes religieuses et genre. Mutations, résistances et reconfiguration (XIXe-XXIe siècle), Armand Colin.. à la suite d’une demande des femmes musulmanes. Ces dernières se regroupent et s’organisent pour leurs droits et s’inscrivent parfois dans le mouvement du féminisme islamique[17]Fortier, Corinne. (s. d.). Genre, sexualité et techniques reproductives en islam. In Normes religieuses et genre. Mutations, résistances et reconfiguration (XIXe-XXIe siècle), Armand Colin.. afin de faire avancer les débats au sein des sociétés musulmanes du Maghreb et du Moyen-Orient. Dès 1989, des débats émergent, et un consensus a permis de reconnaître la FIV et l’insémination intra utérine  comme légales et éthiques. En Égypte, le don de sperme, d’ovules et d’embryons reste interdit par le décret 238[18]Fortier, Corinne. (s. d.). Genre, sexualité et techniques reproductives en islam. In Normes religieuses et genre. Mutations, résistances et reconfiguration (XIXe-XXIe siècle), Armand Colin.. datant de 2003 puisque les utilisations de donneurs tiers est interdit dans l’islam. L’insémination artificielle par don (IAD) est interdite par la loi et seule la FIV est pratiquée et légale depuis 2011. Ces évolutions font suite à de nombreuses demandes de la société civile égyptienne qui doivent être approuvées par les savants musulmans. Ces évolutions sont difficiles à quantifier, puisqu’au regard des situation politiques tendues, les pays du Maghreb et du Moyen-Orient empêchent un accès libre aux ressources juridiques. De plus, ces avancées dans les techniques médicales pour lutter contre les femmes sont des réformes fantômes lorsque d’autres indicateurs sont pris en compte (chômage des femmes, droits électoraux, droit au loisir…).

D’autres pays arabes, jugés plus rigoristes dans leur foi comme les pays du Golfe acceptent une utilisation de ces pratiques dans le cadre conjugal mais ils mettent en place des critères sélectifs lourds. Le ministère de la Santé d’Oman établit des conditions strictes afin de pouvoir bénéficier des services de fertilité. Cela comprend notamment les limites au diagnostic préimplantatoire. Plusieurs critères ont été édictés par l’instiution nationale de la santé : la patiente concernée doit avoir moins de 40 ans, aucune sélection ne doit être opérée pour le futur sexe de l’enfant, seuls les gamètes des patients concerés doivent être utilisés[19]Kooli, Chokri. (2019). Review of assisted reproduction techniques, laws, and regulations in Muslim countries. Middle East Fertility Society Journal.. Aux Émirats arabes unis, la loi fédérale de 2008 concernant la procréation dans le couple marié précise que les couples mariés, et plus précisément pour ceux dont la conception « naturelle » n’a pas abouti au bout d’un an, peuvent utiliser les techniques de reproduction médicale[20]Fortier, Corinne. (s. d.). Genre, sexualité et techniques reproductives en islam. In Normes religieuses et genre. Mutations, résistances et reconfiguration (XIXe-XXIe siècle), Armand Colin.. Le divorce ou le décès entraînent la destruction des ovules et spermatozoïdes conservés afin de ne pas permettre leur utilisation par d’autres couples. En Jordanie et au Liban, il n’existe pas de loi ni de réglementation spécifiquement dédiée aux pratiques de reproduction. Pour autant, le recours à ces techniques médicales de procréation s’effectue dans des cliniques privées, avec une faible régulation par l’État[21]Mathieu, Séverine. (2012). Religion et assistance médicale à la procréation. Sociologie, 267‑281..

Une pratique qui demeure peu accessible et impopulaire

Ces pratiques sont acceptées au sein des foyers conjugaux dans plusieurs pays comme en Égypte, au Koweït ou au Liban. Ces pays, et plusieurs autres, acceptent l’insémination artificielle sans forcément accepter la fécondation in vitro (FIV). C’est au Moyen-Orient que la FIV est la plus répandue, avec en 2003, 50 centres de FIV, 15 au Liban seulement pour les couples mariés.  Même si les législations ont connu des avancées et que certains pays ont développé leurs centres pour aider les couples ne pouvant avoir des enfants, ils restent des exceptions au sein du Moyen-Orient et du Maghreb.  Ainsi, le constat se maintient : elles ne sont pas populaires au sein de toutes les sociétés des pays musulmans[22]Kooli, Chokri. (2019). Review of assisted reproduction techniques, laws, and regulations in Muslim countries. Middle East Fertility Society Journal.. et ce, pour deux raisons principales. La première, la masturbation est interdite par l’Islam, même si dans ce cadre les savants musulmans ont accepté cette pratique. Les hommes musulmans restent réticents à cette pratique considérée comme un péché. Ensuite, il est clair que les recours aux aides à la procréation sont des techniques onéreuses et donc plus difficiles d’accès pour les couples à faibles revenus. Il existe une différence notable au Maroc entre les couples souffrant d’infertilité soit 825 000 et le nombres de FIV/an soit 3500 avec pour un total de 32,5 Millions d’habitants[23]Ouardighi, Samir. (2014, juin 30). La procréation médicalement assistée au Maroc, hors de prix pour la plupart des couples. Medias24. https://medias24.com/2014/06/30/la-procreation-medicalement … Continue reading. Ainsi, une discrimination plus forte se créer puisque les ménages les plus pauvres ne peuvent avoir accès à ces pratiques médicales.

En Tunisie, il y a eu près de 10 000 FIV par an en raison de la prise en charge des techniques de PMA par le système de santé tunisien[24]Fortier, Corinne. (s. d.). Genre, sexualité et techniques reproductives en islam. In Normes religieuses et genre. Mutations, résistances et reconfiguration (XIXe-XXIe siècle), Armand Colin.. En Iran, il existe 60 centres de traitements de l’infertilité[25]Labib-Sami, Shams. (2011). L’enfant virtuel des parents en cours de fécondation in vitro : Entre espoir thérapeutique et précarité traumatique. Spirale, 61‑70. mais 30 sont privés et l’État ne peut prendre en charge que 40 000 fécondations in vitro par an. En Iran, le coût de cette procédure médicale s’élève à 2 000 dollars, soit cinq fois le salaire mensuel moyen d’un employé, sans compter que ce coût est celui d’une première injection qui a 30% de chances de réussite[26]Kooli, Chokri. (2019). Review of assisted reproduction techniques, laws, and regulations in Muslim countries. Middle East Fertility Society Journal.. Pour ce qui est de la Turquie, les cliniques de FIV sont assez présentes dans le paysage urbain avec plus de 140 cliniques à Istanbul, Ankara, Izmir et Antalya. Ce sont des centres réputés et formés le plus souvent en Europe[27]Kooli, Chokri. (2019). Review of assisted reproduction techniques, laws, and regulations in Muslim countries. Middle East Fertility Society Journal.Les docteur·e·s de ces cliniques sont connu·e·s dans la région et hautement qualifié·e·s. La plupart des gynécologues de ces centres turcs sont recommandé·e·s par l’État turc et les pays occidentaux pour les dernières techniques et des coûts réduits. Se développe même un tourisme médical en Turquie avec des temps d’attente moins longs pour les touristes en cas de recours au traitement d’une FIV. Ainsi, il existe environ 642 444 patient·es-touristes en 2021 pour tous traitements confondus[28]Inhorn, Marcia C. & Daphna Birenbaum-Carmeli. (2008). Assisted Reproductive Technologies and Culture Change. Annual Review of Anthropology, 177-196..

L’utilisation de la PMA interroge avant tout les rôles des conjoints masculins dans le couple musulman. L’homme est considéré, dans les sociétés musulmanes, comme le responsable de la paternité et des apports financiers du couple. Les stéréotypes de genre affirmeront davantage que la femme est reléguée à son rôle de gestation et responsable des enfants. Ces discriminations genrées existaient avant que la PMA ne devienne une réponse à l’infertilité des couples. Certaines pratiques comme le recours à une épouse « temporaire » chez les musulmans chiites témoignent d’une discriminatoire sexiste envers les femmes, qui n’ont plus de droits concernant leurs enfants biologiques. Ces discriminations sont par ailleurs justifiées, et renforcées par les normes patriarcales, par la signature d’un contrat légal protégeant les hommes notamment pour mettre un terme à ce mariage sans engagement financier pour l’homme. Le contrat de mariage temporaire donne raison à l’homme dans la plupart des cas[29]Kooli, Chokri. (2019). Review of assisted reproduction techniques, laws, and regulations in Muslim countries. Middle East Fertility Society Journal.. Les femmes iraniennes sont contraintes de signer ces contrats de mariage afin de pouvoir subvenir à leurs besoins ou bien les besoins de leurs familles[30]Kooli, Chokri. (2019). Review of assisted reproduction techniques, laws, and regulations in Muslim countries. Middle East Fertility Society Journal.. Si les techniques de procréations ont permis de contrer l’infertilité de nombreuses femmes, le recours à la PMA n’a pas empêché les discriminations de genre concernant leurs rôles de « génitrices ». Ainsi, les femmes musulmanes sont vues encore comme des « ventres »[31]Ghaly, Mohammed. (2019). Les débats au sein de la tradition islamique sur la bioéthique basée sur les principes : Une tâche de longue haleine. ». Journal International de Bioéthique et … Continue reading, utilisées pour concevoir un enfant. Cela reste une discrimination présente partout dans le monde. 

La PMA et l’émancipation politique des femmes musulmanes

Les pays arabo-musulmans possèdent des systèmes législatifs influencés par des interprétations religieuses sur des questions socio-politiques contemporaines. Ces interprétations sont influencées      par l’éducation donnée dans les écoles philosophiques religieuses. Ces dernières, composées presque uniquement de figures masculines, sont peu au fait du droit des femmes à disposer de leurs corps et émettent des avis juridiques en décalage parfois avec les demandes d’associations ou de voix féministes. Ainsi, contredire ces lois revient parfois à critiquer la religion, une situation plus que complexe pour l’émancipation des femmes. Les femmes victimes de cette situation créent des espaces de parole et d’échanges afin de pouvoir reconstruire leur foi religieuse tout en délibérant des discriminations dont elles sont les victimes. Elles parviennent à créer des alternatives aux lois patriarcales qui subsistent au sein des sociétés arabo-musulmanes tout en établissant une approche religieuse ; l’idée n’étant pas de renier leur envie d’avoir des enfants.  

Une écriture du Coran plus inclusive et respectueuse des choix des femmes musulmanes pourrait permettre une prise en compte des discriminations que les femmes subissent pour ensuite permettre de réduire la violation des droits des femmes musulmanes. Lors de cette réécriture, l’autrice irakienne Zahra Ali, chercheuse à l’Institut français du Proche Orient, soutient une revalorisation des droits des femmes dans l’héritage, dans la vie conjugale ou encore dans les espaces publics. Cette relecture admet une adaptation littérale du Coran aux questions contemporaines même si l’autrice exploite les textes sacrés, alors que les savants ne se permettent, eux, que d’interpréter le Coran pour l’adapter. Ainsi l’objectif des féministes islamiques[32] Féministes islamiques : mouvement féministe, proche de l’islam libéral qui revendique un féminisme interne à l’islam et vise à une modification des rapports hommes femmes au sein de la … Continue reading. est de construire un nouveau rapport au Coran afin de rétablir un rapport égalitaire entre hommes et femmes, adhérant à la religion musulmane. Deux visions, non contradictoires, qui amènent une réflexion à la fois juridique et politique, prenant en compte les enjeux contemporains et les études de genre. 

Les propos contenus dans cet article n’engagent que l’auteur.

Pour citer cette production : Thery, François. (2023). La procréation médicalement assistée au Maghreb et au Moyen-Orient : entre progrès et discriminations. Institut du Genre en Géopolitiquehttps://igg-geo.org/?p=14903

References

References
1, 10, 11, 28 Inhorn, Marcia C. & Daphna Birenbaum-Carmeli. (2008). Assisted Reproductive Technologies and Culture Change. Annual Review of Anthropology, 177-196.
2 Ghaly, Mohammed. (2019). Les débats au sein de la tradition islamique sur la bioéthique basée sur les principes : Une tâche de longue haleine.Journal International de Bioéthique et d’Éthique des Sciences, 2944.
3, 6 Fortier, Corinne. (2019). Procréations médicalement assistées, sexualité et religions. Ateliers d’anthropologie.
4 Houot, S. (2010). Des usages éthiques du droit islamique : Une réponse aux enjeux posés par la reproduction médicalement assistée. Droit et cultures, 331‑355
5, 14, 16, 17, 18, 20, 24 Fortier, Corinne. (s. d.). Genre, sexualité et techniques reproductives en islam. In Normes religieuses et genre. Mutations, résistances et reconfiguration (XIXe-XXIe siècle), Armand Colin.
7, 8 Ghaly, Mohammed. (2019). Les débats au sein de la tradition islamique sur la bioéthique basée sur les principes : Une tâche de longue haleine.Journal International de Bioéthique et d’Éthique des Sciences, 29‑44.
9, 19, 22, 26, 27, 29, 30 Kooli, Chokri. (2019). Review of assisted reproduction techniques, laws, and regulations in Muslim countries. Middle East Fertility Society Journal.
12, 13 Lagdami, Khaoula. (2013).La prise en considération de l’intérêt supérieur de l’enfant dans l’évolution du droit de la famille : Etude comparative des systèmes juridiques français et marocains.Université de Pau et des pays de l’Adour.
15 Fatwa : Consultation juridique sur un point de religion, donnant parfois lieu à condamnation.
21 Mathieu, Séverine. (2012). Religion et assistance médicale à la procréation. Sociologie, 267‑281.
23 Ouardighi, Samir. (2014, juin 30). La procréation médicalement assistée au Maroc, hors de prix pour la plupart des couples. Medias24. https://medias24.com/2014/06/30/la-procreation-medicalement assistee-au-maroc-hors-de-prix-pour-la-plupart-des-couples/.
25 Labib-Sami, Shams. (2011). L’enfant virtuel des parents en cours de fécondation in vitro : Entre espoir thérapeutique et précarité traumatique. Spirale, 61‑70
31 Ghaly, Mohammed. (2019). Les débats au sein de la tradition islamique sur la bioéthique basée sur les principes : Une tâche de longue haleine. ». Journal International de Bioéthique et d’Éthique des Sciences, 29‑44.
32

 Féministes islamiques : mouvement féministe, proche de l’islam libéral qui revendique un féminisme interne à l’islam et vise à une modification des rapports hommes femmes au sein de la religion musulmane.