L’entrepreneuriat féminin dans la pêche au Kenya  : un filet d’espoir contre les inégalités économiques, sociales et conséquences environnementales

Temps de lecture : 15 minutes

Lombard Théa

16/01/2023

« No Sex For Fish ». Le nom de l’initiative[1]Davis, R. (2019, 26 décembre). No Sex for Fish : How women in a fishing village are fighting for power. … Continue reading, lancée en 2010, par des femmes issues des communautés côtières présentes autour du Lac Victoria, au Kenya, parle de lui-même. Il symbolise la réalité des femmes issues de ces communautés, contraintes à s’engager dans des « transactions sexuelles[2]Camlin, C. S., Kwena, Z., & Dworkin, S. L. (2013) « Jaboyavs.Jakambi : Status, negotiation, and HIV risks among female migrants in the “Sex for fish” economy in Nyanza province, … Continue reading » afin de parvenir à subvenir à leurs besoins, du moins les plus basiques. Au sein de cette région d’Afrique de l’Est, la principale source de revenus des hommes et femmes est la pêche, bien qu’à des postes et rôles différents relatifs à leur genre[3]Nathenson P, Slater S, Higdon P, Aldinger C, Ostheimer E. (2017) « No sex for fish: empowering women to promote health and economic opportunity in a localized place in Kenya ». doi: … Continue reading. Les femmes, se voient restreintes et limitées à l’activité professionnelle qu’est la revente de poissons. Elles sont confrontées à une plus grande précarité, accentuée par la diminution de la quantité de poissons en raison de la surpêche du lac depuis plusieurs années. Face à cette réalité, le recours à la pratique de « transaction sexuelle[4]Camlin, C. S., Kwena, Z., & Dworkin, S. L. (2013) « Jaboyavs.Jakambi : Status, negotiation, and HIV risks among female migrants in the “Sex for fish” economy in Nyanza province, … Continue reading » nommée jaboya[5]Davis, R. (2019, 26 décembre). No Sex for Fish : How women in a fishing village are fighting for power. … Continue reading s’est instaurée dans les communautés, depuis trois décennies, impactant les rôles et perceptions des femmes de la communauté et subordonnant ces dernières aux violences des pêcheurs. Les hommes, pêcheurs, contraignent ainsi les femmes à avoir des relations sexuelles en échange de l’accès à la vente du poisson pêché. Sans acquisition de poisson, les femmes ne peuvent établir de réelles activités commerciales et se retrouvent sans ressources économiques. Elles sont donc forcées d’accepter ces propositions afin de subvenir à leurs besoins. Si elles refusent, elles ne peuvent acheter du poisson ou alors elles se retrouvent avec des pièces de mauvaise qualité ou à un prix non accessible. 

La pratique de « jaboya » n’est pas méconnue et s’observe dans plusieurs pays d’Afrique tels qu’au Malawi, au Nigeria, en Ouganda mais aussi dans d’autres régions du monde[6]Davis, R. (2019, 26 décembre). No Sex for Fish : How women in a fishing village are fighting for power. … Continue reading. Au Kenya, aux alentours du Lac Victoria, elle s’inscrit dans l’économie locale. « No Sex For Fish » reflète la volonté des femmes de mettre fin à cette pratique et de promouvoir leur développement économique et social par l’acquisition de bateaux leur étant dédiés et leur permettant de devenir, à leur tour, pêcheuses. 

Cet article rend compte des difficultés rencontrées par les femmes issues de ces communautés, qu’elles soient économiques, sociales ou encore sanitaires face aux contraintes qu’elles expérimentent également. L’impact économique et la restriction associée dans ces zones sont cruciaux pour comprendre la précarisation des femmes, victimes de ces violences ainsi que la division genrée des rôles professionnels au sein de l’industrie de la pêche. Ces deux facteurs, s’articulant autour de l’exercice du commerce de la pêche dans la région, représentent les prémices du développement de la marchandisation des corps des femmes, contre du poisson, et leur exploitation sexuelle. L’initiative « No Sex For Fish », propose aux femmes, victimes de ce système de violences, un accompagnement dans le recours à l’entreprenariat au sein de l’industrie de la pêche. Ces nouvelles opportunités professionnelles apparaissent comme de possibles facteurs d’émancipation, notamment économique et social. Comment l’entrepreneuriat, dans le domaine de la pêche au Kenya, peut-il servir de levier afin de favoriser l’autonomisation des femmes, créer des opportunités et alternatives professionnelles et économiques durables et lutter contre les violences de genre existantes ?

Le secteur de la pêche autour du lac Victoria : dépendance économique et exploitation sexuelle 

Partagé entre le Kenya, la Tanzanie et l’Ouganda, le lac Victoria est le deuxième plus grand lac d’eau douce au monde. Les communautés côtières l’entourant sont isolées du reste de la région, affectant ainsi leur développement économique et social. Les habitant·es trouvent presque exclusivement leurs sources de revenus par le biais du secteur de la pêche[7]Medard M. (2012), « Relations between people, relations about things: gendered investment and the case of the Lake Victoria fishery, Tanzania. », doi: 10.1086/662704. PMID: 22545266. Cependant, la quantité de poissons disponible dans les eaux du Lac Victoria a fortement diminué en raison de deux facteurs principaux : les dérèglements climatiques et la surpêche pratiquée depuis les années 1970[8]Medard M. (2012), « Relations between people, relations about things: gendered investment and the case of the Lake Victoria fishery, Tanzania. », doi: 10.1086/662704. PMID: 22545266

L’apparition de canicules, sécheresses et inondations constituent un facteur non négligeable de la diminution du nombre de poissons dans les eaux du lac, contribuant à l’exploitation démesurée des femmes, dont les hommes de la région profitent allègrement. Les violences sexistes et sexuelles sont plus élevées pendant ces périodes, compte tenu de la hausse croissante des prix[9]Harvey Fiona. (2020) « Climate breakdown “is increasing violence against women” », The Guardian … Continue reading. Le lac a connu d’importantes inondations en 2019 et 2020 ainsi qu’une importante sécheresse au début de 2022. Le poisson devient alors une denrée plus rare et donc plus chère, impactant la pêche pratiquée et les conditions de vie des femmes[10]Pavur, G., & Lakshmi, V. (2023). Observing the recent floods and drought in the Lake Victoria Basin using earth observations and hydrological anomalies, … Continue reading. Ces changements climatiques favorisent donc les crises économiques et sociales, impactant les structures familiales, les dynamiques de genre et les diverses situations de dépendance dans lesquelles se retrouvent les femmes.

Les liens entre l’économie régionale et les enjeux environnementaux touchant le lac Victoria sont également à étudier. Le déclin de l’économie du secteur de la pêche au Kenya depuis les années 1980 a abouti à une surpêche du lac, entraînant dégradation de l’environnement et déclin des populations de poissons, accentués par les crises environnementales[11]Medard M. (2012) « Relations between people, relations about things: gendered investment and the case of the Lake Victoria fishery, Tanzania. », https://pubmed.ncbi.nlm.nih.gov/22545266/. Encore une fois, la rareté croissante du poisson en fait donc une marchandise de grande valeur, sa transaction revêtant une importance capitale. Les principes économiques peuvent être mobilisés pour comprendre cette situation, notamment celui de la loi de l’offre et de la demande. Sans argent, les femmes sont davantage contraintes d’avoir recours à des pratiques, notamment celles de l’exploitation de leur corps contre de la marchandise. 

Le principe de l’économie sexuée est largement présent au Kenya de par l’existence d’une structure genrée du travail au sein de l’industrie, d’une relation de pouvoir inégale entre les femmes et les hommes ainsi que de rémunérations et revenus asymétriques. Cela contribue grandement à la vulnérabilité des femmes, mais aussi à la construction d’un système de violences systémiques, basé sur les rapports monétaires[12]Medard M. (2012) « Relations between people, relations about things: gendered investment and the case of the Lake Victoria fishery, Tanzania. », https://pubmed.ncbi.nlm.nih.gov/22545266/. La vulnérabilité croissante des femmes face à cette demande et compétition accrue pour le poisson disponible est utilisée par les pêcheurs dans la mise en place et la participation à des rapports sexuels transactionnels[13]Camlin, C. S., Kwena, Z., & Dworkin, S. L. (2013) « Jaboyavs.Jakambi : Status, negotiation, and HIV risks among female migrants in the “Sex for fish” economy in Nyanza province, … Continue reading. Les femmes se voient donc contraintes d’accepter l’assise de la supériorité des homme pour subvenir à leurs besoins.

Un autre facteur est celui de la division genrée profondément ancrée dans le domaine de la pêche. Depuis toujours, l’industrie de la pêche est une industrie dominée par les hommes, en particulier au sein des communautés établies autour du Lac Victoria, marquées par l’emprise systémique des dynamiques et rapports de genres. Les hommes, majoritairement pêcheurs, disposent de bateaux, d’équipes tandis que les femmes s’occupent de la vente, à quai, un travail limité et invisibilisé. Au Kenya, le quatrième pays producteur d’aquaculture en Afrique, 75% des pisciculteur·es sont des hommes[14]Awuor, Fonda Jane. (2021) “The Role of Women in Freshwater Aquaculture Development in Kenya.”, https://web.archive.org/web/20210924060021id_/https://watermark.silverchair.com/11_awuor.pdf, 90% des femmes travaillant dans l’industrie s’occupent de la vente et de la revente du poisson[15]Fiorella, K. J., Camlin, et al. (2015). Transactional Fish-for-Sex relationships amid declining fish access in Kenya. https://www.sciencedirect.com/science/article/abs/pii/S0305750X15001242?via%3Dihub. Cette division genrée est renforcée par l’existence de superstitions et de normes culturelles empêchant les femmes de s’impliquer activement comme pêcheuses, notamment par l’idée qu’elles porteraient malchance sur un bateau[16]Kwena, Zachary A, et al. (2017)  “Jaboya (‘Sex for Fish’): A Qualitative Analysis of Contextual Risk Factors for Extramarital Partnerships in the Fishing Communities in Western Kenya.”, … Continue reading. Cette réalité renforce les perceptions négatives relatives aux capacités et possibilités des femmes, expliquant le manque d’opportunités socio-professionnelles et de rentrées économiques pour les femmes. De plus, elle accentue le pouvoir et la domination des hommes exercés sur ces dernières, et ce notamment par des demandes de faveurs sexuelles en échange de poisson, qui, à leur tour, perpétuent et renforcent des schémas de domination[17]Kwena, Zachary A, et al. (2017)  “Jaboya (‘Sex for Fish’): A Qualitative Analysis of Contextual Risk Factors for Extramarital Partnerships in the Fishing Communities in Western Kenya.”, … Continue reading. 

Si, de manière générale, les femmes sont victimes de ce fonctionnement de domination masculine, les femmes seules, isolées, souvent veuves et jeunes sont davantage exposées aux risques de subir de telles violences. Les raisons sont diverses : elles disposent d’encore moins de ressources pour subvenir à leurs besoins, et n’ont aucune référence masculine qui pourrait servir de « protection ». Elles sont alors contraintes de se conformer aux demandes des pêcheurs afin de nouer des relations économiques nécessaires à leur survie[18]Camlin, C. S., Kwena, Z., & Dworkin, S. L. (2013) « Jaboyavs.Jakambi : Status, negotiation, and HIV risks among female migrants in the “Sex for fish” economy in Nyanza province, … Continue reading. Cette demande et compétition accrues pour le poisson disponible, sont fortement utilisées par les pêcheurs dans la mise en place et la participation à des rapports sexuels transactionnels[19]Camlin, C. S., Kwena, Z., & Dworkin, S. L. (2013) « Jaboyavs.Jakambi : Status, negotiation, and HIV risks among female migrants in the “Sex for fish” economy in Nyanza province, … Continue reading. Les hommes ont instauré un rapport de force, difficile à mettre de côté, pour les femmes qui ne peuvent refuser ces violences. 

Vulnérabilité et inégalités de genre dans les communautés côtières

De par les différents facteurs évoqués, la situation et les conditions de vie des femmes dans la région se sont fortement dégradées, favorisant des pratiques liant exploitation sexuelle et marchandisation de leur corps. Les conséquences sont nombreuses sur leur santé et sécurité mentales, de même que sur leur santé physique et sexuelle.

Au sein des communautés rurales côtières, les femmes sont sujettes à des inégalités de genre profondes, accentuant un peu plus leur vulnérabilité et dépendance aux hommes et aux pêcheurs. Les femmes vivant au sein des communautés rurales disposent d’un accès plus restreint aux finances, marchés et intrants de production, tels que les terres et les étangs, que leurs homologues masculins. Elles ont également un niveau plus faible d’alphabétisation[20]Awuor, Fonda Jane. (2021) “The Role of Women in Freshwater Aquaculture Development in Kenya.”, https://web.archive.org/web/20210924060021id_/https://watermark.silverchair.com/11_awuor.pdf. Ces facteurs accroissent l’interdépendance de leurs conditions de vie à la pêche et aux hommes qui la pratiquent.  Les normes culturelles et les stéréotypes genrés soulignant le rôle de l’homme, notamment comme gestionnaire des finances, contribuent à l’accentuation systématique et permanente des inégalités socio-économiques présentes entre les femmes et les hommes de cette région. Il est également nécessaire de rappeler la responsabilité familiale qui pèse sur les femmes, notamment par les travaux domestiques réalisés, la garde des enfants et la préparation des repas. Afin de préserver une stabilité familiale et une source de revenus, les femmes ont peu d’autres recours que les transactions sexuelles pour survivre. Milka Onyango, âgée de 40 ans et mère de six enfants relate ce manque d’opportunités : « J’échange des relations sexuelles, j’ai du poisson. Je ne me soucie pas de contracter le VIH. Moi, j’ai besoin de poisson. J’ai besoin de gagner de l’argent pour faire vivre ma famille[21]Davis, R. (2019, 26 décembre). No Sex for Fish : How women in a fishing village are fighting for power. … Continue reading. »

Ce témoignage illustre une nouvelle facette de l’enjeu de cette pratique : celle de la sécurité médicale et sanitaire des femmes, exposées à de telles pratiques. Parmi les principales conséquences médicales et sanitaires, est recensée la propagation du VIH au sein des communautés rurales et côtières[22]Camlin, C. S., Kwena, Z., & Dworkin, S. L. (2013) « Jaboyavs.Jakambi : Status, negotiation, and HIV risks among female migrants in the “Sex for fish” economy in Nyanza province, … Continue reading. Au Kenya, dans la province de Nyanza, le taux d’incidence lié au VIH est de 26,2 % dans les communautés entourant le lac Victoria et près de 25,6% des pêcheurs sont positifs au virus de l’immunodéficience humaine[23]Camlin, C. S., Kwena, Z., & Dworkin, S. L. (2013) « Jaboyavs.Jakambi : Status, negotiation, and HIV risks among female migrants in the “Sex for fish” economy in Nyanza province, … Continue reading. Ces taux élevés peuvent s’expliquer par la forte mobilité des hommes et femmes travaillant dans l’industrie de la pêche, de la faible utilisation de préservatifs et de la pratique répandue de la jaboya. Les femmes sont également davantage exposées aux infections sexuellement transmissibles, aux grossesses non désirées et aux violences et pressions sexuelles[24]Nakamanya, Sarah, et al. (2022) “Social Networks, Mobility, and Hiv Risk among Women in the Fishing Communities of Lake Victoria.”, BMC … Continue reading. En 2019, 38 % des femmes dans la province étaient positives au VIH, pour 29 % des hommes[25] Kwena ZA, Njuguna SW, Ssetala A and al. (2019) «HIV prevalence, spatial distribution and risk factors for HIV infection in the Kenyan fishing communities of Lake Victoria. » … Continue reading. En outre, les conséquences sur les femmes sont multiples, entre traumatismes et impacts directs sur leur santé. 

La discrimination de genre est omniprésente et s’investit dans l’ensemble des domaines de la société. De fait, le domaine économique n’y échappe pas. Au Kenya, la distribution des revenus et avoirs financiers et terrestres reflète également une inégalité de genre, les femmes se retrouvant pleinement désavantagées économiquement parlant. Cette réalité constitue d’autant plus un frein aux développements et améliorations socio-économiques, les femmes ne disposant que peu de revenus et de capital. Ces dernières, représentant plus de la moitié de la population kenyane, demeurent privées de moyens de production et d’opportunités professionnelles[26]Awuor, Fonda Jane. (2021) “The Role of Women in Freshwater Aquaculture Development in Kenya.”, https://web.archive.org/web/20210924060021id_/https://watermark.silverchair.com/11_awuor.pdf Ainsi, leur sécurité alimentaire et nutritionnelle, leur sécurité et leur bien-être physique et mental se retrouvent impactés.

En outre, aux alentours du lac Victoria, les plages sont connues pour être des lieux de passage et d’échanges, renforçant les dynamiques commerciales et notamment celle de la marchandisation des corps féminins[27] Camlin, C. S., Kwena, Z., & Dworkin, S. L. (2013) « Jaboyavs.Jakambi : Status, negotiation, and HIV risks among female migrants in the “Sex for fish” economy in Nyanza province, … Continue reading. La violence économique envers les femmes[28] Camlin, C. S., Kwena, Z., & Dworkin, S. L. (2013) « Jaboyavs.Jakambi : Status, negotiation, and HIV risks among female migrants in the “Sex for fish” economy in Nyanza province, … Continue reading renforce l’inégalité sociale présente et favorise l’exploitation sexuelle de ces dernières par des hommes ayant davantage de pouvoirs, de moyens et de possibilités de se déplacer. Comme l’observait l’UNICEF en 2007, « le degré et la forme de la violence économique peuvent varier d’une région à l’autre ; cependant, les femmes et les filles sont privées d’un accès égal aux ressources économiques, aux opportunités et au pouvoir dans toutes les régions du monde[29]Fawole, O. I. (2008) « Economic Violence To Women and Girls: Is It Receiving the Necessary Attention? », https://doi.org/10.1177/1524838008319255. » 

Si, au Kenya, l’égalité entre les femmes et les hommes représente un enjeu majeur, la pratique renvoie à une perception patriarcale des femmes dans cette région, de leur place au sein de la société et à la sexualisation de leur corps. L’exploitation sexuelle apparaît donc comme la conséquence de la précarité économique, dans laquelle le corps féminin devient une fois de plus un objet en faveur des hommes. 

Le recours à l’entrepreneuriat : un filet d’espoir ?

Face à ces réalités, le recours pour les femmes à l’entrepreneuriat, par le développement d’une initiative locale commerciale, représente une possibilité de lutter contre les inégalités socio-économiques, et s’avère donc être un moyen de (sur)vie. L’initiative du « No Sex For Fish » en est l’exemple. Cette initiative a d’abord été lancée en 2011 à Nduru Beach afin de dénoncer et réduire les pratiques de jaboya. Elle fut reprise, plus tard, dans d’autres communautés[30]Nathenson P, Slater S, Higdon P, Aldinger C, Ostheimer E. (2017) « No sex for fish: empowering women to promote health and economic opportunity in a localized place in Kenya » doi: … Continue reading. Avec le soutien de plusieurs organisations et institutions internationales telles que World Connect[31]World Connect. URL : Home : World Connect, Victoria Institute for Research on Environment and Development (VIRED) et des volontaires issu·es des Peace Corps, la construction de trois bateaux et la formation de 29 femmes et 20 hommes furent mises en place dès 2012[32]Nathenson P, Slater S, Higdon P, Aldinger C, Ostheimer E. (2017) « No sex for fish: empowering women to promote health and economic opportunity in a localized place in Kenya », doi: … Continue reading. L’initiative « No Sex For Fish » encourage la participation des femmes à la vie économique au sein de l’industrie de la pêche par le biais de la mise en place d’une coopérative et de moyens financiers[33]Nathenson P, Slater S, Higdon P, Aldinger C, Ostheimer E. (2017) « No sex for fish: empowering women to promote health and economic opportunity in a localized place in Kenya », doi: … Continue reading. Cette initiative leur offre des formations, dispensées par des membres des « Peace Corps », agence indépendante gouvernementale américaine œuvrant pour la paix internationale, permettant de développer des compétences commerciales précises mais de recourir à des prêts et épargnes au sein du village afin d’acheter leurs propres bateaux. 

Le recours à l’entrepreneuriat permet une autonomisation progressive professionnelle et économique des femmes. Les femmes concernées peuvent devenir les principales pilotes de projets et principales transactionnaires. Elles peuvent également développer des moyens de résilience pour lutter contre la vulnérabilité économique et l’emprise sexuelle exercée par les hommes.

Cette transformation sociale promeut des relations professionnelles et économiques plutôt que des relations sexuelles contraintes, qui monétisent les corps. Elle permet également d’altérer positivement la perception et le rôle des femmes au sein des communautés vivant autour du lac Victoria[34]Nathenson P, Slater S, Higdon P, Aldinger C, Ostheimer E. (2017) « No sex for fish: empowering women to promote health and economic opportunity in a localized place in Kenya », doi: … Continue reading. Les hommes de la région travaillant par le secteur de la pêche et du commerce, ont été impliqués au sein de l’initiative et formés comme membres d’équipage des bateaux ainsi qu’à la navigation et aux techniques de pêche appropriées[35]Nathenson P, Slater S, Higdon P, Aldinger C, Ostheimer E. (2017) « No sex for fish: empowering women to promote health and economic opportunity in a localized place in Kenya », doi: … Continue reading. Cette implication masculine permet une transformation des normes culturelles et sociétales liées aux genres et une possibilité de réduction des inégalités et discriminations. Finalement, il est nécessaire de  « veiller à ce que les femmes et les hommes aient les mêmes possibilités de générer[36]Fawole, O. I. (2008) « Economic Violence To Women and Girls: Is It Receiving the Necessary Attention? », https://doi.org/10.1177/1524838008319255 » car «gérer des revenus est une étape importante vers la réalisation des droits des femmes en vertu de la Convention sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes (CEDAW) »[37]Fawole, O. I. (2008) « Economic Violence To Women and Girls: Is It Receiving the Necessary Attention? », https://doi.org/10.1177/1524838008319255. Les femmes deviennent gestionnaires et responsables des bateaux et de leurs équipes[38]Davis, R. (2019, 26 décembre). No Sex for Fish : How women in a fishing village are fighting for power. … Continue reading. Il apparaît essentiel d’impliquer les hommes dans ces initiatives afin de favoriser leur succès et de remettre en question les inégalités existantes, de par notamment une approche et compréhension inclusive des enjeux économiques et violences perpétrées envers les femmes. Les avantages de ce modèle économique plus inclusif s’inscrivent économiquement et socialement parlant au sein même des communautés. Comme mentionné par l’Organisation des Nations-Unies, c’est « l’autonomisation des femmes transformatrices des produits de la pêche dans les communautés côtières (qui) transforme le commerce[39]Organisation des Nations-Unies pour la Pêche et l’Agriculture. (2017) « La place de la pêche artisanale en Côte d’Ivoire. » URL : La place de la pêche artisanale en Côte d’Ivoire | … Continue reading », notamment par la restructuration d’opportunités professionnelles et rôles attribués aux femmes. 

Des effets positifs observés à partir de l’initiative « No Sex for Fish

Au  Kenya, plusieurs effets positifs concrets s’observèrent suite à l’initiative : 

  • Augmentation salariale. La participation active de ces dernières a permis l’augmentation de leurs revenus. Cela revient à cinq fois plus que ce qu’elles ne gagnaient auparavant, près de 25 000 shillings kenyans par mois à la fin du projet[40]Nathenson P, Slater S, Higdon P, Aldinger C, Ostheimer E. (2017) « No sex for fish: empowering women to promote health and economic opportunity in a localized place in Kenya », doi: … Continue reading. Ces revenus sont notamment redirigés vers l’éducation des enfants, réinvestissements commerciaux et amélioration nutritionnelle[41]Nathenson P, Slater S, Higdon P, Aldinger C, Ostheimer E. (2017) « No sex for fish: empowering women to promote health and economic opportunity in a localized place in Kenya », doi: … Continue reading
  • Nouvelles perspectives professionnelles. L’acquisition de bateaux permit notamment l’emploi de jeunes adultes, plus vulnérables à des situations de toxicomanie et violence politique[42]Nathenson P, Slater S, Higdon P, Aldinger C, Ostheimer E. (2017) « No sex for fish: empowering women to promote health and economic opportunity in a localized place in Kenya », doi: … Continue reading.
  • Réduction de la transmission du VIH. La réduction de la transmission du VIH et d’autres infections sexuelles suite à la diminution de transactions sexuelles a été observée, permettant également de diminuer les cas de dépressions, d’alcoolisme et de stress post-traumatique chez les femmes[43]Nathenson P, Slater S, Higdon P, Aldinger C, Ostheimer E. (2017) « No sex for fish: empowering women to promote health and economic opportunity in a localized place in Kenya », doi: … Continue reading
  • « Empowerment » des femmes. L’initiative permit le développement de moyens de résilience et de pouvoir, diminuant la dépendance économique des femmes[44]Nathenson P, Slater S, Higdon P, Aldinger C, Ostheimer E. (2017) « No sex for fish: empowering women to promote health and economic opportunity in a localized place in Kenya », doi: … Continue reading. Les femmes se retrouvent davantage responsables de leur vie et leur futur professionnel.
  • Changement des mentalités.Les effets positifs observés furent notamment permis par la sensibilisation réalisée au sein de la communauté. Les femmes participant à l’initiative démontrent aux femmes de la communauté, les options et opportunités qui pouvaient s’offrir à elles, autres que la participation aux transactions sexuelles[45]Davis, R. (2019, 26 décembre). No Sex for Fish : How women in a fishing village are fighting for power. … Continue reading. La sensibilisation se fait également auprès des hommes, afin de les inciter à établir des relations professionnelles avec les femmes de la région et de leur rappeler les risques d’infections sexuels encourus. 

Réflexions sur l’initiative de « No Sex for Fish » et les défis qui persistent pour les femmes des communautés côtières

L’initiative « No Sex For Fish, » lancée en 2010 par des femmes des communautés côtières autour du lac Victoria au Kenya, a permis de mettre en exergue une situation jusqu’alors invisibilisée, celle de la pratique du jaboya. Cette initiative a souligné les enjeux socio-économiques auxquels sont confrontées les femmes dans le secteur de la pêche. La mise en lumière des capacités des femmes kenyanes et le développement d’initiatives et d’actions afin de lutter contre leur vulnérabilité économique et sexuelle sont donc essentiels. 

La situation précaire et vulnérable des femmes ne peut se comprendre qu’en mettant en lumière les liens entre normes culturelles, vulnérabilité économique et exploitation sexuelle. Le recours à l’entrepreneuriat peut se caractériser comme moyen de (sur)vie mais aussi de résilience et de réappropriation. Il s’agit de se réapproprier la plage, non plus comme lieu  de transactions et exploitation sexuelle mais comme lieu de pouvoir, professionnel et commercial. Il s’agit également pour les femmes de cesser la marchandisation et transaction de leur corps, utilisées comme moyen de domination masculine. 

Les effets positifs produits par l’initiative permettent également de démontrer l’importance de soutenir le développement de micro et petites entreprises dirigées et gérées par des femmes, notamment dans les régions où elles sont le plus à risque. Les femmes connaissant des situations de précarité, d’isolement et de dépendance doivent être encouragées et aidées dans leur recours à l’entrepreneuriat, afin d’accéder à une émancipation tant économique que sociale. Les coopératives, les initiatives locales ou régionales doivent être menées dans le but de permettre à ces femmes de (re)prendre en main leurs possibilités et avenirs professionnels[46]Fawole, O. I. (2008) « Economic Violence To Women and Girls: Is It Receiving the Necessary Attention? », https://doi.org/10.1177/1524838008319255.

Cependant, bien que l’entrepreneuriat puisse offrir temporairement de nouvelles pistes professionnelles aux femmes, il ne résout pas pour autant les inégalités économiques et sociales, l’exploitation sexuelle affrontées par ces dernières. La mise en place de politiques et mesures favorisant leur autonomie et pouvoir d’action, tant au niveau local et national que régional est nécessaire.

Les propos contenus dans cet article n’engagent que l’autrice.

Pour citer cet article : Lombard Théa (16/01/2024), L’entrepreneuriat féminin dans la pêche au Kenya : un filet d’espoir contre les inégalités économiques, sociales et conséquences environnementales, Institut du Genre en Géopolitique. https://igg-geo.org/?p=17694

 

References

References
1, 5, 6, 45 Davis, R. (2019, 26 décembre). No Sex for Fish : How women in a fishing village are fighting for power. https://www.npr.org/sections/goatsandsoda/2019/12/26/789129312/no-sex-for-fish-how-women-in-a-fishing-village-are-fighting-for-power
2, 4, 13, 18, 19, 22, 23 Camlin, C. S., Kwena, Z., & Dworkin, S. L. (2013) « Jaboyavs.Jakambi : Status, negotiation, and HIV risks among female migrants in the “Sex for fish” economy in Nyanza province, Kenya ». https://doi.org/10.1521/aeap.2013.25.3.216
3 Nathenson P, Slater S, Higdon P, Aldinger C, Ostheimer E. (2017) « No sex for fish: empowering women to promote health and economic opportunity in a localized place in Kenya ». doi: 10.1093/heapro/daw012. PMID: 27053643
7, 8 Medard M. (2012), « Relations between people, relations about things: gendered investment and the case of the Lake Victoria fishery, Tanzania. », doi: 10.1086/662704. PMID: 22545266
9 Harvey Fiona. (2020) « Climate breakdown “is increasing violence against women” », The Guardian https://www.theguardian.com/environment/2020/jan/29/climate-breakdown-is-increasing-violence-against-women
10 Pavur, G., & Lakshmi, V. (2023). Observing the recent floods and drought in the Lake Victoria Basin using earth observations and hydrological anomalies, https://www.sciencedirect.com/science/article/pii/S2214581823000344?via%3Dihub
11, 12 Medard M. (2012) « Relations between people, relations about things: gendered investment and the case of the Lake Victoria fishery, Tanzania. », https://pubmed.ncbi.nlm.nih.gov/22545266/
14, 20, 26 Awuor, Fonda Jane. (2021) “The Role of Women in Freshwater Aquaculture Development in Kenya.”, https://web.archive.org/web/20210924060021id_/https://watermark.silverchair.com/11_awuor.pdf
15 Fiorella, K. J., Camlin, et al. (2015). Transactional Fish-for-Sex relationships amid declining fish access in Kenya. https://www.sciencedirect.com/science/article/abs/pii/S0305750X15001242?via%3Dihub
16, 17 Kwena, Zachary A, et al. (2017)  “Jaboya (‘Sex for Fish’): A Qualitative Analysis of Contextual Risk Factors for Extramarital Partnerships in the Fishing Communities in Western Kenya.”, https://doi.org/10.1007/s10508-016-0930-0
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