Le Gender Gap aux États-Unis coûtera-t-il la victoire à Donald Trump en 2020 ?

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Le Gender Gap aux États-Unis coûtera-t-il la victoire à Donald Trump en 2020 ?

Illustrateur Nato Tardieu

 
29.03.2020
 
Par Alice Apostoly

Alors que la campagne présidentielle américaine se profile, de nombreuses interrogations se posent sur les intentions de vote des femmes. En effet, on attendrait pour les élections d‘octobre 2020 une disparité de direction de vote record entre les femmes et les hommes. Cette disparité s’explique par plusieurs facteurs comme le mouvement MeToo, la Pink Wave qui a atteint les instances législatives états-uniennes et la misogynie de Donald Trump. Enfin, il est important de préciser que ce gender gap s’accentuera principalement en fonction du vote des femmes blanches. Comme en témoigne les résultats des élections présidentielles de 2016, une femme blanche sur deux avait donné sa voix à Donald Trump.

Un écart de vote record

Il y a toujours eu une relative différence de tendances politiques entre les femmes et les hommes américains : les femmes sont plus enclines à voter pour le parti démocrate, et ce depuis Ronald Reagan. Son mandat a ébranlé les droits fraîchement acquis des femmes, ainsi que les droits à l’avortement – notamment dans un effort de rapprochement avec les Chrétiens républicains. 

Ce virement à gauche des femmes après la présidence de Ronald Reagan pourrait se reproduire en raison du mandat agité du Président Donald Trump, et de ses positions régulièrement dénoncées par les associations féministes, mais également les associations LGBTQI+.

Cet écart de vote entre les genres s’amplifie : aux élections présidentielles de 2016, l’écart était de 25 points. On estime celui de l’élection présidentielle de 2020 à plus de 30 points, d’autant plus si le candidat Joe Biden, favori des attentions de vote démocrates, est nommé comme candidat face à Donald Trump. Ce phénomène s’articule autour d’une polarisation toujours plus intense de la société américaine entre : démocrates et républicain.es, diplômé.es et non-diplômé.es, jeunes et moins jeunes, urbains et ruraux.

Tableau : Si Joe Biden était le candidat du parti démocrate et Donald Trump était le candidat du parti républicain, pour qui voteriez-vous ?

CNN/SSRS Poll — December 12, 2019 to December 15, 2019

Une opposition solide et mobilisée

Cet écart se justifie par de multiples facteurs. Un sondage Gallup de 2019 montre une évolution quant à la satisfaction des femmes de leur statut dans la société. Seulement 46 % des femmes états-uniennes sont satisfaites de « la manière dont les femmes sont traitées dans la société ».

Ce taux est en constante baisse, notamment depuis 2016, et fait écho à la médiatisation d’affaires successives relatives aux violences faites aux femmes comme l’affaire Kavanaugh (la nomination du juge Brett Kavanaugh à la Cour Suprême alors accusé de plusieurs agressions sexuelles), l’affaire Weinstein (un des plus grands producteurs d’Hollywood accusé par plus d’une vingtaine d’actrices d’agressions sexuelles) ou même l’élection de Donald Trump.

Cette dernière a été marquée des scandales divers concernant son attitude envers les femmes notamment l’enregistrement de conversations où il tient des propos injurieux et misogynes ainsi que les vingt accusations de harcèlement et d’agressions sexuelles qui l’accablent. Dès le lendemain de son investiture, des centaines de milliers de personnes ont défilé contre lui. Il s’en est ensuite suivi un activisme intense qui rythmera son mandat : les campagnes #MeToo, #EverydaySexism et #YesAllWomen, l’organisation des Women Marches, des SlutWalks et d’autres mobilisations pour les droits des femmes.

Cette mobilisation de masse n’est pas en reste tant les positions du Président – ainsi que celles de son entourage politique – ne cessent de provoquer la colère des femmes états-uniennes. Dès janvier 2017, le Cabinet présidentiel signe un décret interdisant le financement d’organisations non gouvernementales internationales qui sont en faveur de l’avortement, puis en avril l’annulation suivant des financements publics du Planning Familial – qui permettent aux femmes de recevoir des soins concernant leur santé sexuelle et reproductive. Le gouvernement Trump a également signé de nombreux documents dangereux pour l’égalité salariale et pour la sécurité des femmes sur les campus, le viol sur les campus représente un fléau aux États-Unis. Ainsi, les entreprises ne sont plus obligées de rendre public les écarts de salaires entre leurs salariés et les universités doivent se fonder sur des preuves plus exigeantes que celles prévues sous l’administration Obama pour prouver qu’un étudiant est coupable d’une agressions sexuelle.

Donald Trump est le premier président en fonction à avoir inaugurer la Marche pour la Vie, une marche contre à l’avortement. Il satisfait en ce sens son électorat, solide bien que minoritaire, et consolide son opposition démocrate qui voit dans le soutien à ces groupes pro-vie, une énième attaque envers les femmes.

« The 53% Problem »

Cette mobilisation n’est cependant pas un front uni qui renversera Trump. Lors des élections de 2016, il n’a pas seulement bénéficié du soutien de la majorité des hommes états-uniens mais également de celle des femmes blanches états-uniennes avec 53 % des votes. Ce résultat a mis en exergue les tensions raciales entre les femmes blanches et les femmes afro-américaines et latino-américaines, qui ont en très grande majorité voté pour Hillary Clinton en 2016.

Malgré des conventions organisées à travers le pays par le président Donald Trump, telle que « Women for Trump », cela ne lui a pas empêché de perdre en popularité auprès de son électorat féminin dit modéré qui l’avait soutenu en 2016, ainsi que les femmes diplômées et célibataires.

Les femmes blanches ouvrières – qui représentent 1/5 de l’électorat de Donald Trump – commencent elles aussi à s’écarter du Président. Dans les bastions de la classe ouvrière blanche américaine (Iowa, Wisconsin et Minnesota), les femmes semblent préférer un candidat indépendant à un candidat affilié à un parti. De plus, les populations de ces régions industrielles se sentent négligées par le Président et font face à de nombreuses difficultés depuis 2016 comme la perte de près de 25 000 emplois en manufacture dans la région après la restructuration et la fermeture des usines de groupes multinationaux à cause « d’incertitude par rapport au commerce à l’étranger ». Cette incertitude est directement corrélée à la guerre commerciale avec la Chine.

Qui viser ?

Avoir le soutien de l’électorat féminin est un des enjeux cruciaux de ces prochaines élections : non seulement les femmes représentent plus de la moitié de la population mais elles constituent également la majorité des personnes votantes. En effet, les femmes aux États-Unis se présentent davantage aux urnes que les hommes. Les femmes noires et latino-américaines rassemblant moins de 20 % des intentions de vote pour le parti républicain, les femmes blanches apparaissent de ce fait comme la principale cible de la campagne de Donald Trump.

Source: Center for American Women and Politics, Eagleton Institute of Politics, Rutgers University, “Gender Differences in Voter Turnout,” 2019.

Le vote des femmes blanches est le plus visé car le plus clivé. En effet, les femmes afro-américaines constituent une solide opposition aux républicains, elles sont en effet près de 4 % à avoir voté pour Donald Trump en 2016 et plus de 94 % sont insatisfaites de son mandat. Les femmes afro-américaines ont tendance à prendre en compte le bien-être de la communauté : 80 % des mères de famille noires entretiennent leur famille [1]Selon un sondage conduit par le Institute for Women’s Policy Research en 2017, s’occupent des membres de la famille, et sont les plus enclines à faire face à la pauvreté. Cette minorité de voix allouées à Donald Trump se retrouve chez les femmes de tous les groupes ethniques des États-Unis.

Sources

COSTE Françoise, “Women, Ladies, Girls, Gals…”: Ronald Reagan and the Evolution of Gender Roles in the United States”, 02 Mars 2016, disponible sur : https://journals.openedition.org/miranda/8602

ENTEN Harry, “A historic gender gap is possible in 2020”, 29 décembre 2019, CNN, disponible sur : https://edition.cnn.com/2019/12/27/politics/gender-gap-2020-election/index.html

BRENAN Megan, « Record-Low 46% of Women Pleased With Society’s Treatment”, 17 janvier 2019, Gallup, disponible sur : https://news.gallup.com/poll/246056/record-low-women-pleased-society-treatment.aspx

COASTON Jane, “The gender gap in black views on Trump, explained”, 9 mars 2020, VOX, disponible sur : https://www.vox.com/2020/3/9/21151095/black-women-trump-gop-conservatism-gap-2020

HAIS Michael & WINOGRAD Morley,” The future is female: How the growing political power of women will remake American politics”, 19 février 2020, Brookings, disponible sur : https://www.brookings.edu/blog/fixgov/2020/02/19/the-future-is-female-how-the-growing-political-power-of-women-will-remake-american-politics/

KILEY Jocelyn, “Majorities of women, men say Trump has little or no respect for women”, 4 november 2016, Pew Research Center, disponible sur : https://www.pewresearch.org/fact-tank/2016/11/04/trump-respect-for-women/

CATANESE David, “‘The kind of voter Trump can’t lose:’ Working-class white women drift toward Democrats”, 5 novembre 2019, Impact 2020 , disponible sur : https://www.mcclatchydc.com/news/politics-government/election/article236982463.html

Center for American Women and Politics, “Gender differences in voter turnout”, 16 September 2019, disponible sur: https://cawp.rutgers.edu/sites/default/files/resources/genderdiff.pdf

 Pour citer cet article : Apostoly Alice, « Le Gender Gap aux États-Unis coûtera coutera-t-il la victoire à Donald Trump en 2020 ? », 29.03.2020, Institut du Genre en Géopolitique. 

References

References
1 Selon un sondage conduit par le Institute for Women’s Policy Research en 2017